Avec un succès qui ne se dément pas, bien au contraire, Divinity: Original Sin 2 s’est déjà fait une place au firmament des meilleurs jeux vidéo de tous les temps, comme nous vous en parlons juste ici dans notre test. Swen Vincke, fondateur de Larian, le studio derrière la bête, a accordé une interview à WarLegend.net pour parler de son jeu et de Larian Studios.
“On n’était pas sûr à 100% que [Divinity: Original Sin 2] allait marcher”
Dans un petit bureau chez Larian Studios, Swen Vincke affiche une mine réjouie, de celle que l’on arbore quand on vient d’achever un gros projet et que ça s’est bien passé. Quand on lui demande comment il se sent, maintenant que “le bébé est accouché”, il part d’un rire : “heu, fatigué ! On a été assez stressés pour sortir [le premier patch], parce qu’il y avait encore pas mal de petits problèmes. Ils sont résolus maintenant et je pense que demain on va faire une petite fête de sortie.”
Dans la voix du fondateur de Larian Studios, une once de soulagement pointe à la surface, et pour cause : il ne s’attendait pas à un succès si fulgurant. Le jeu a en effet été vendu à plus d’un demi-million d’exemplaires, un chiffre que le studio envisageait “pour la fin d’année, parce que c’est quand même une période qui est très occupée. Il y a beaucoup de jeux qui sortent maintenant, […] alors on n’était pas à 100% sûrs que ça allait marcher, mais évidemment je suis ravi que ça ait été le cas.” Son plus grand soulagement, “c’est qu’on n’ait pas sorti quelque chose qui était une catastrophe de bugs. Tous les problèmes qu’il y avait, on a su les résoudre avec des hotfixs et un patch, sans que les gens ne soient bloqués. Pour un jeu qui contient tellement de contenu, c’est le truc qui te tient à cœur.”
Justement, Divinity: Original Sin 2 a bénéficié d’une phase d’accès anticipé qui a duré une année. Une partie du public émet régulièrement des doutes quant au bien-fondé d’une telle pratique. Pour Vincke, il s’agit d’une étape essentielle qui permet de surpasser le potentiel final du jeu :
On utilise [l’accès anticipé] pour améliorer notre jeu. Le fait que tu as des fonds sur l’accès anticipé, ça te donne un financement pour faire des améliorations sur ton jeu ; donc je pense que c’est très bon pour un développeur comme nous. Quand tu regardes la version sortie il y a un an par rapport à celle d’aujourd’hui, c’est quand même pas mal différent, beaucoup de changements ont été inspirés par l’accès anticipé.
Au niveau de l’évolution du jeu vidéo, “on commence à avoir un changement maintenant, comme au début des années 90, et j’en suis content.”
Devant le succès de ce nouveau jeu, classé immédiatement dans le top 5 de Steam avec plus de 93 000 joueurs simultanés, on pense immédiatement aux raisons de ce succès fulgurant : une communauté solide, renforcée par le premier opus lancé sur Kickstarter il y a maintenant quatre ans, un RPG plus poussé que jamais, répondant aux fantasmes de nombreux passionnés du genre. Et depuis quelques années, on assiste un peu à un retour en force du RPG dit “traditionnel” avec des titres aussi marquants que Pillars of Eternity, Wasteland et, justement, Divinity: Original Sin. On peut donc se poser la question si le succès est ici au rendez-vous en partie grâce à ce retour en force. À ce sujet, Swen enfile sa casquette de développeur indépendant – le désamour momentané du RPG a été celui des éditeurs :
Ce genre-là n’était plus fait dans le monde où le financement est fait par les éditeurs. Ce qui a changé c’est la distribution digitale : le lien direct entre le développeur et le joueur, et ce lien-là a permis de faire des jeux qui n’étaient pas nécessairement populaires. Chez certains éditeurs, je pense que c’était ça la grande révolution. Moi personnellement et plus ou moins tout le monde dans mon équipe, on a toujours voulu continuer de jouer à ce genre, on a voulu un Fallout 3 qui était un Fallout 2, et il y a plein de jeu qui ont arrêté d’exister depuis les années 2000, on était en manque.
Mais le problème est aussi à aller chercher du côté du consommateur : Diablo 2 a marqué le début des années 2000 d’une pierre blanche et, de fait, le genre action-RPG présentait bien moins de risques en termes de succès pour les éditeurs. Le public, de son côté, ne bronchait pas et réclamait toujours plus, ce qui a accéléré les cadences de production. Avec Assassin’s Creed, les joueurs ont soudainement voulu des graphismes phénoménaux, or il est beaucoup plus facile de développer un action-RPG solo avec de beaux graphismes qu’un titre comme Divinity: Original Sin, Baldur’s Gate ou Fallout – et tant que la formule marche, tant que ça amène de l’argent, ça continue. En somme, un “cercle vicieux”. “On voit une renaissance de formats de jeu qui aurait été impossible avant que les développeurs aient accès à Steam et à l’accès anticipé, avec des plateformes comme Kickstarter. On commence à avoir un changement maintenant, comme au début des années 90, et j’en suis content.”
L’importance d’être indépendant ? Ce n’est pas “être riche”, mais pouvoir “prendre des risques”
Larian Studios est indépendant, ce qui signifie que l’équipe de développement ne dépend d’aucun éditeur pour créer et distribuer ses jeux. Un modèle ambitieux fut un temps et heureusement beaucoup plus accessible aujourd’hui grâce au digital. Autrefois assujetti à un éditeur, Larian a, depuis Original Sin premier du nom, choisi de voguer en solo, conduisant Swen Vincke à pouvoir faire de Divinity les jeux qu’il a toujours voulu réaliser. Et ça, c’est parce que l’argent des joueurs, Larian y a accès à 100% :
La plus grande différence c’est qu’une fois que tu es indépendant, tu as accès à l’argent qui rentre d’une vente du jeu à 100%. Avec un éditeur tu as toujours une part, et ça peut être une très grande part, qui est perdue. L’intérêt, ce n’est pas parce nous voulons être riche, mais parce que ça nous donne de l’essence pour faire de nouveaux jeux ; et moins tu as d’essence, moins tu peux prendre de risques.
Pour le fondateur de Larian, “les joueurs ont besoin de développeurs qui peuvent prendre des risques.” Ce que les éditeurs se refusent généralement à faire, car cela revient à risquer de se planter. “Or si tu regardes des enfants qui grandissent, la chose la plus importante dans l’apprentissage d’un métier ou de la vie c’est le fait de faire des fautes et de pouvoir apprendre de ses fautes. Et nous, on a fait beaucoup de fautes dans le passé, on a appris beaucoup et maintenant, on va faire de nouvelles fautes : ça nous permet d’accéder à nos passions dans le jeu.” Dans l’esprit aussi, Larian reste indépendant : “la grande différence c’est qu’il n’y a pas d’actionnaire extérieur qui va avoir un impact. On n’a pas besoin [à telle date] de faire du profit, sinon les actionnaires vont être fâchés. […] Notre essence de joueur est beaucoup plus importante que l’argent.”
Cela correspond aussi à la volonté d’imposer un challenge au joueur, de le confronter à un minimum de difficulté – à l’inverse de la tendance, qui a longtemps sévi et continue de sévir pour bon nombre de licences : “nous on voulait faire un jeu auquel on aimerait bien jouer. On a des joueurs qui ont déjà joué à beaucoup de titres, et si c’est trop simple, on ne va pas s’amuser, il faut qu’il y ait un challenge.”
Divinity: Original Sin 2 : le développement de tous les défis
En lisant notre test et en jouant à Divinity: Original Sin 2, vous vous rendrez compte d’une chose très rapidement : le titre est incroyablement complet. Un élément en particulier a attiré notre attention : la qualité de l’écriture et de la narration. Il s’avère que sa complexité a été la partie la plus difficile pour Vincke :
La [partie la] plus difficile c’est aussi celle dont je suis le plus fier : c’est la complexité du narratif. C’était la chose la plus compliquée que j’ai faite dans ma vie parce qu’on avait tellement de lignes de quêtes. Tu choisissais les protagonistes historiques et les protagonistes custom que tu pouvais jouer ou prendre comme compagnons, et ces derniers avaient 6 quêtes spécialisées en plus de l’histoire principale et cela pouvait marcher en multijoueur avec 4 joueurs maximum. Et je dois dire que toutes ces permutations étaient un peu difficiles. […] Le scripting a été très compliqué, ça a pris beaucoup de temps. Mais j’en suis très fier parce que c’est quelque chose qui n’a jamais été fait avant et ça montre maintenant une énorme liberté, tu as toujours l’impression que le monde réagit de manière fluide et naturelle, je ne veux pas dire qu’il n’y a pas parfois un petit truc ici et là, mais je trouve ça très chouette que l’équipe ait réussi à faire tout ce bazar et que ça ait marché.
Quand nous soulignons de plus que “le système d’étiquette rajoute aussi des interactions avec le monde et les différentes histoires des personnages historiques ont en plus des points de contact…” il répond dans un rire : “Oui ça c’était l’horreur totale pour le scripteur.” Tu m’étonnes.
Au final, le meilleur moment pour Swen Vincke reste celui où toutes les parties du jeu sont assemblées après avoir été développées séparément et que tout s’imbrique pour constituer le tableau final. Quant aux éventuels regrets que l’homme pourrait avoir sur Divinity: Original Sin 2, il préfère ne pas en parler, comme ça les gens ne remarqueront rien !
Il y a des choses… je ne pense pas que les joueurs vont voir, alors c’est mieux de ne pas en parler (rires). Il y a définitivement une liste des chouchous que j’ai dû tuer parce qu’il y a aussi un aspect production dans le développement d’un jeu, mais je suis assez fier du résultat.
“Je me vois bien faire du contenu supplémentaire” pour Divinity: Original Sin 2
Original Sin, bien que s’intégrant dans l’univers Divinity initié avec Divine Divinity en 2002, constitue un nouvel arc narratif. Nous avons demandé au fondateur de Larian Studios s’il comptait rester sur celui-ci ou revenir à ceux des anciens jeux. Il esquive avec un rire : « c’est une question sur les prochains trucs donc ça je ne peux pas répondre !” Vous en ferez ce que vous voulez, de notre côté, c’est fait !
En revanche, pour ce qui est de l’avenir de Divinity: Original Sin 2, Larian Studios n’envisage pas d’Enhanced Edition car ils ne voient pas – et à raison – ce qu’ils pourraient apporter au jeu par ce biais. Il est déjà question de patchs et mises à jour, évidemment. Par contre, il précise : “Je me vois bien faire du contenu supplémentaire, mais ça on va voir, maintenant on voit que le jeu a du succès, donc il y a probablement un marché pour.” Et rassurez-vous, en bon développeur passionné, Swen Vincke ne se paie pas votre tronche :
Quand je dis contenu ajouté, ce n’est pas : “tu peux jouer avec une robe jaune” ou quelque chose comme ça. Si on fait quelque chose, ça va être un nouveau contenu en termes d’aventure, ça ne va pas être un petit truc. Cette façon de jeter des petits morceaux [au public] et de les vendre, comme créateur ça ne m’inspire pas beaucoup, alors je ne préfère pas perdre mon temps avec. On n’a qu’une vie et je préfère faire des choses dont je peux être fier en termes de carrière et de développement.
Vincke ne peut pas être plus spécifique quant à un éventuel contenu additionnel, car rien n’a été décidé pour le moment, “il faut encore voir ce qu’on pourrait faire, tout est possible, mais il faut qu’on se décide. On a évidemment quelque chose en tête, mais on va voir…”
En ce qui concerne les autres plans d’avenir, Swen Vincke répond qu’il a pour l’instant le “cerveau plus ou moins vide” après cette longue et intense période de travail. Il ne sait donc pas si Kickstarter constitue désormais une case obligatoire sur le grand échiquier de développement pour Larian, mais en ce qui concerne Divinity: Original Sin 2, il rit lorsque nous lui signalons que l’inventaire est le seul véritable point négatif de notre test et promet qu’il y a déjà une liste d’améliorations à faire en attente.
Le mode Game Master, “on l’utilise pour développer des scénarios”
Pour en finir au sujet de l’intérêt de Kickstarter, le fondateur du studio belge aime à rappeler la proximité entre l’équipe de développement et la communauté et que, loin de lui lier les mains, le financement participatif le pousse au contraire en avant :
Kickstarter a été super important pour nous parce que non seulement ça nous a donné de l’argent, mais ça nous a donné également une communauté et ça nous a plus ou moins forcés à faire certaines choses. Ça aurait été très facile de couper, jeter des choses, pendant la production quand on trouvait cela rebutant, mais là on avait déjà fait le contrat avec les joueurs qui garantissait qu’on allait les faire – et je suis content de les avoir réalisées même si ça a parfois été dur. Dans un modèle éditeur, ce que je peux te garantir, c’est qu’il y a plusieurs éléments qui auraient été coupés, qui n’auraient jamais été faits et qui sont aujourd’hui dans le jeu. Même si ça me rend fou parfois, j’aime bien cette petite pression qu’il y a avec les joueurs, car tu sais qu’ils te poussent en avant et, parfois, tu as besoin que quelqu’un te pousse. […] Je suis sûr que s’il n’y avait pas eu Kickstater, même en interne, on aurait dit : « on ne va pas faire ça, on ne va pas faire ça », et en le faisant, on a amélioré le jeu.
En parlant un peu du mode Game Master, il signale que sa volonté à lui de l’implémenter ne vient pas nécessairement d’une longue histoire de campagnes réalisées via des RPG papiers, mais justement de leur absence dans sa vie : venant d’un petit village, il adorait le concept, mais n’avait personne qui avait la même passion que lui. Il a donc passé son temps à lire les livres de règles pour s’immerger dans cet univers malgré tout – c’est aussi de là qu’il a puisé sa volonté de développer des jeux RPG multijoueurs. Et surtout, “les joueurs ont toujours dit qu’ils voulaient un jeu comme ça, alors on l’a fait maintenant, il est dans leurs mains, donc on va voir s’ils vont l’utiliser et dans quelle mesure. En tout cas en interne, on l’utilise pour développer des scénarios alors c’est fantastique, tu peux faire un scénario à une vitesse énorme avec ça.”
Pour finir, nous avons signalé avoir pour ambition de bâtir une statue pour rendre honneur au talent d’écriture de Chris Avellone, qui a travaillé sur l’écriture de Divinity: Original Sin 2 (et sur quantité d’autres RPG cultissimes). Swen Vincke a beaucoup aimé l’idée (il a surtout beaucoup ri, mais on prend ça pour une adhésion) et a promis de nous aider pour un projet Kickstarter. Nous avons désormais hâte de parler à Chris Avellone du projet Kickstarter pour ériger une statue en l’honneur de Swen Vincke & Larian Studios.
Propos recueillis par Romain “Hexen” Roy.
Divinity: Original Sin 2 est sorti le 14 septembre sur PC et a reçu la note de 20/20 ainsi qu’un War Legend d’Or dans notre test. Notez que nous vous proposons la solution complète ainsi que des guides Divinity: Original Sin 2 à cette adresse.
Achat GoCléCD.
Bel article, et intéressant !
Je reste quand même un peu dubitatif sur la réputation d’un TOP50 Steam pour qualifier un jeu. Comme sur youtube, le nombre de vues sont réalisés par des sociétés marketing qui organisent des plateaux façon centre d’appels pour créer du buzz et faire de l’audience a l’aide de comptes fake en échange d’une facturation rondelette..
Si l’argent du financement participatif part la dedans c’est bien dommage.;, c’est au final le même travers qu’avec la pub "traditionnelle". Cet argent, qui vient de la poche des joueurs, des Mr tout le monde, doit servir EXCLUSIVEMENT au développement du jeu. Partir dans le R&D et PAS dans la promo !
Avec les mods il y a deja pas mal de contenu supp dispo, 4 ou 5 classes, differentes difficultés etc ..