La FCC a décidé d’abolir la neutralité d’Internet aux États-Unis, permettant alors aux différents fournisseurs d’accès à internet un droit de regard et de gestion total de leurs lignes.
La fin du monde est pour 2018
Il y a peu de chances que vous soyez passé à côté ces derniers jours, la neutralité du net est un débat qui déchaîne les passions depuis déjà 2014. En effet, l’administration Obama avait réussi — après une lutte acharnée — à marquer dans le marbre la neutralité du Net, qui garantit à tous les utilisateurs un accès sans restriction au réseau, que ce soit en bande passante ou en choix de navigation. Les FAI américains doivent fournir le même service pour tous et sans distinction de la provenance ou de la destination des données. En France où c’est déjà le cas, cela semble complètement acquis, et pourtant, il y a des lois et des régulations pour garantir cela.
Cependant, une certaine crainte est remontée ces derniers mois. En effet, comme le passe-temps de Donald Trump est de déconstruire (ou s’approprier) le peu de choses qu’a accompli Barrack Obama pendant ses deux mandats — tel un sale gosse hyperactif et antipathique qui joue à Godzilla au milieu des tours LEGO de son grand frère — la loi sur la neutralité du net a été abrogée, donnant alors à nouveau la possibilité à la FCC (Commission fédérale des Communications) de se poser la question sur l’utilité de cette dernière. Après des mois de débats, à trois commissaires contre deux, la neutralité du net est finalement abolie cette nuit, donnant alors les pleins pouvoirs et le contrôle absolu des FAI sur leur trafic. Au-delà de la volonté d’Obama de protéger l’accès à Internet pour tous, c’est également des bases qui existent depuis la création d’internet il y a plus de 20 ans qui volent en éclats.
Pire que tout, l’abrogation de la neutralité du net signifie également que l’accès à Internet n’est plus un droit civil reconnu aux États-Unis, mais plus qu’un simple service. Cependant, il reste un (petit) espoir, puisque le Congrès peut voter une mention de censure pour annuler cette décision de manière démocratique, mais comme je vais l’expliquer un peu plus bas, c’est pas gagné…
John Oliver sur la Neutralité du Net
Une belle tête de vainqueur
L’homme à abattre, Ajit Pai, président de la FCC, qui a tout fait pour que neutralité du net saute. Ancien haut cadre de Verizon (FAI américain), il a pourtant voulu se montrer en tant que quelqu’un de sympathique et d’ouvert au dialogue. Cependant, même si 98.5% des doléances recueillies sur le site de la FCC étaient contre l’abrogation de la neutralité du Net, et que les internautes ont pourtant hurlé de tous leurs poumons pour se faire entendre, les FAI ont versé pendant ce temps plus 100 millions de dollars en “dons” au Congrès américain, répartis sur ses 535 députés… à croire que les dés étaient pipés dès le début.
Quand Ajit Pai a voulu expliquer l’intérêt de la non-restriction des FAI par la FCC sur le trafic, les réponses ont été pour le moins… vagues. Si officiellement, cela permet plus d’innovations et d’investissements dans les infrastructures de la part des différents FAI, dans les faits et les intentions, cela reste toujours très flou et aucun exemple concret n’a été soulevé, mis à part le fait que modifier la manière de facturer leurs clients pourra leur permettre de mieux “investir”. De plus, les monopoles de régions de certains FAI pourraient se renforcer, puisque certains sont obligés (comme en France) de louer leurs lignes de communications pour accueillir d’autres FAI qui veulent s’implanter. Sans la neutralité du Net, cette régulation de la concurrence n’existe plus.
De plus, Ajit Pai n’hésite pas à se moquer de ses détracteurs, l’exemple le plus probrant étant cette vidéo surréaliste où il se met en scène lui-même sur le fait que la fin de la neutralité du Net n’est pas un drame. C’est pas parce que je ne me sers pas d’Instagram pour publier les photos de ma dernière choucroute qu’il faudrait qu’on empêche la possibilité de le faire !
Message “rassurant” d’Ajit Pai sur la neutralité du Net
Même les géants d’internet comme le GAFAM sont inquiets d’une telle décision, puisqu’ils craignent que les FAI profitent de leur nouvelle position de force pour privilégier des accords commerciaux et restreindre ceux qui ne coopèrent pas. Premier dans la ligne de mire, par exemple : Netflix. Le géant américain de la VOD pompe à lui tout seul plus de 30% de la bande passante du territoire aux heures de pointes, et cela doit énerver les FAI depuis un moment de devoir élargir leurs infrastructures pour un retour minimum. Il ne sera donc pas insensé d’imaginer les FAI de facturer un pack “audiovisuel” à ses clients afin de garantir un accès confortable à un service comme Netflix — en plus de devoir payer l’abonnement de ce dernier — pour ne pas voir leur vidéo charger toutes les 2 secondes, ou pire, ne pas y avoir accès du tout.
We’re disappointed in the decision to gut #NetNeutrality protections that ushered in an unprecedented era of innovation, creativity & civic engagement. This is the beginning of a longer legal battle. Netflix stands w/ innovators, large & small, to oppose this misguided FCC order.
— Netflix (@netflix) December 14, 2017
Depuis, toutes les théories les plus folles sont en train d’être élaborées par les internautes, avec une certaine crédibilité glaçante. Sur le papier donc, tout le monde y perd comme les internautes et entreprises dépendantes du net, mais pas les FAI — évidemment — qui pourront alors modeler leur offre comme bonne leur semble. On pourrait dire qu’Ajit Pai est le sheitan, d’une certaine façon.
“Balèc’ frère, je suis chez Free”
La question à se poser maintenant : est-ce que cela risque d’arriver en Europe ? C’est déjà le cas dans certains pays. En effet, au Portugal et en Espagne, la neutralité du Net n’existe pas, et les hypothèses soulevées existent déjà (bien que les prix soient bien loin des aberrations déjà présentes aux États-Unis), malgré une protection de l’Europe sur ce droit fondamental.
In Portugal, with no net neutrality, internet providers are starting to split the net into packages. pic.twitter.com/TlLYGezmv6
— Ro Khanna (@RoKhanna) October 27, 2017
Déjà discuté en 2015 suite aux efforts de l’administration Obama qui avaient fait couler beaucoup d’encre, l’Europe a voulu également — par mesure de précaution — garantir la neutralité du net avec des lois, et nous avons la chance en France d’avoir l‘ARCEP comme deuxième garde-fou, comme l’explique le magazine Pixels par le Monde.
[…] il est garanti par le droit européen depuis le printemps 2016. Deux grands principes le sous-tendent : les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) ne peuvent pas discriminer les contenus transmis sur le réseau et les internautes peuvent y consulter et y diffuser librement des contenus.
L’autre avantage que nous avons en France, c’est la concurrence acharnée qui existe entre de nombreux concurrents sur le territoire, contrairement aux États-Unis où un FAI peut avoir le monopole sur plusieurs états entiers. Sébastien Soriano, président de l’ARCEP assure qu’il n’y a pas plus neutre que le réseau français.
Pourtant, cela ne fait pas que des heureux, puisqu’interrogé sur la question, Stéphane Richard, PDG d’Orange, avait déjà soulevé ses inquiétudes vis-à-vis de cette neutralité pas plus tard que cette semaine chez BFM business.
Il faudra qu’on soit capable de proposer à l’industrie, aux services, des internet avec des fonctionnalités et des puissances différentes. Il faut qu’on nous laisse faire. Pour cela il faut qu’on nous laisse construire des infrastructures qui permettront de faire cela. Si demain on veut faire une opération complexe à distance, nous devons être capables de donner une qualité de connectivité qui n’a rien à voir avec celle nécessaire pour passer un coup de fil.
De plus, Orange perd beaucoup dans cette affaire, puisque le FAI possède la grande majorité des lignes de cuivre de France, et partager leurs lignes héritées de France Télécom à des concurrents, ça l’emmerde, et les empêche d’utiliser leurs lignes à pleins potentiels.
Mais Orange n’est pas le seul en France qui n’aime pas la situation. Si Free a toujours été un concurrent sérieux dans le secteur avec un rapport/qualité prix imbattable, des soucis apparaissent, étant alors en contradiction totale avec la fameuse neutralité du net. Quand Netflix (décidément) est arrivé en France et a commencé à grandir, les Freenautes se sont plaints de la lenteur de la ligne et du débit vidéo, et le débit n’a jamais été aussi mauvais qu’aujourd’hui. Cela est dû au fait que la VOD de Netflix est très gourmande en bande passante, et que Free doit donc investir dans de nouvelles infrastructures pour pouvoir acheminer la dernière série Marvel à la mode sous toutes les chaumières. Des pourparlers avaient déjà été engagés il y a quelques années autour de cet épineux problèmes, mais sans dénouement. À qui profite vraiment un accès optimal à Netflix ? Qui devrait payer les travaux ? Avoir un accord commercial pour améliorer le réseau ne serait-il pas contre la fameuse neutralité du net ? Depuis, Xavier Niel fait la gueule et refuse de faire quoi que ce soit pour améliorer la situation. Et plus il y aura de clients chez Netflix, plus le débit va encore baisser (tout le monde veut voir Dark ou The Punisher. C’est vrai, quoi).
“Votre forfait PUBG est épuisé”
En résumé, si les lois françaises et européennes ainsi que les institutions nous protègent de ce qui se passe actuellement aux États-Unis, les fournisseurs d’accès adoreraient une telle perspective. Avec l’état qui pousse les FAI aux fesses pour instaurer la fibre partout en France d’ici 2022, les FAI aimeraient trouver de nouvelles opportunités pour respirer. Il faudra donc suivre l’évolution de ce qui se passe actuellement outre-Atlantique de près et espérer qu’on ne veuille pas faire la même ici juste parce que les Américains ont montré la “voie” à suivre. On a bien fait pareil avec le Black Friday…
Et vu que l’on fait parti des pays qui aiment se la jouer mouton (surtout quand il s’agit de reprendre la mode américaine), on peut s’attendre à la même chose. J AI HATE !
Super article ;)
oui bon article.
sauf la pseudo non concurrence, car c’est un miroir aux alouettes dans tous les domaines, avec la mondialisation, les monopoles sont multinationaux, mondiaux de toute façon…
Les industriels ne se repartissent pas le gâteau au niveau régional ou même "étatiques" (comme aux US) mais a échelle plus vaste de régions entières. Des régions dont les découpages ne se bornent pas aux découpages administratifs des pays.
c’est aussi cela les "economies d’echelle"..