Spielberg a beau être un réalisateur de génie, cela faisait tout de même bien longtemps qu’il n’avait pas signé de film qui porte véritablement son empreinte. Ready Player One a suscité beaucoup d’espoirs mais aussi beaucoup d’appréhensions. C’est l’heure du verdict en réalité non virtuelle.
Note : cette kronik présente certains spoilers, aussi assurez-vous d’avoir vu le film avant de la lire si vous voulez éviter toute déconvenue.
Il était un jeu VR
Ready Player One, c’est l’histoire d’un futur dystopique dans lequel les gens préfèrent s’immerger dans une réalité virtuelle appelée l’Oasis plutôt que d’affronter un quotidien morose et difficile. Son créateur, James Halliday, est presque érigé en divinité. Au moment de sa mort, il a révélé avoir cacher un easter egg dans son propre jeu – l’Oasis, donc – qu’il faudra trouver en récupérant trois clés, elles aussi planquées dans l’Oasis. Le précieux sésame octroiera 500 milliards de dollar ainsi que le contrôle total de l’Oasis.
L’œuvre de Spielberg prend appui sur celle d’Ernest Cline, auteur du livre éponyme, et dépeint un avenir dans lequel la réalité virtuelle est littéralement devenue un autre plan de l’existence. Toute la population y joue de manière très assidue et y fait sa vie. À la manière d’un Albion Online, la mort du personnage signifie la perte de tout ce qu’il a accumulé au fil du temps, certaines défaites conduisant au suicide.
Cinq ans après le décès de Halliday, personne n’est parvenu à mettre la main sur la première clé, qui se trouve à l’arrivée d’une course particulièrement ardue. C’est dans ce contexte que le jeune Wade Watts, alias Parzival dans l’Oasis, va déclencher une série de péripéties sans précédent en parvenant à déchiffrer le premier indice laissé par le créateur grâce à sa connaissance du bonhomme.
En effet, la société IOI tire profit de l’Oasis et compte bien en prendre le pouvoir. Dirigée par Nolan Sorrento, homme d’affaires véreux, l’entreprise représente le mal.
Black or white
Et cela constitue un premier reproche que l’on pourrait faire à Spielberg : son manichéisme primaire. Celui-ci l’a toujours caractérisé, c’est donc sans surprise qu’on le retrouve dans Ready Player One. Nous avons d’un côté le gentil Wade Watts – un peu benêt mais tout plein de bonne volonté -, de l’autre le méchant Nolan Sorrento et sa vilaine corporation – avide de pouvoir et déterminée à faire ce qu’elle sait faire de mieux, à savoir le mal.
Mais je vais être franc avec vous, cela a participé à me faire aimer ce film. Parce qu’il me rappelle justement ces films à l’aura un peu magique de l’enfance, dans lesquels les méchants et les gentils sont tout de suite identifiables. Dans ces mondes, il n’y a pas de gris ou de frontière floue, les personnages sont soit tout blancs, soit tout noirs. Quelque part, ce manichéisme est aussi une référence aux années 80 en soit – la magie avant tout, avec des personnages réduits à leur simple choix de camp, le bien et le mal.
Et ce qu’il y a d’intéressant, c’est que l’incarnation du mal dans ce film (Nolan Sorrento, pour ceux du fond qui n’ont pas suivi) a quelques idées sur la façon de tirer profit du jeu vidéo qui ne nous sont pas tellement étrangères : une première séquence le montre en train de révéler son plan machiavélique qui consistera à vendre 80% de la vision du joueur dans l’Oasis afin d’en faire des espaces publicitaires (littéralement la vision du joueur dans le sens où les pubs seront fixées au champ visuel et bougeront donc avec lui). La seconde séquence, prise dans le grand musée des souvenirs de Halliday, montre un jeune Sorrento, alors stagiaire de Halliday, apporter en même temps qu’un café ses idées nauséabondes, à savoir un statut accordé au joueur en fonction du prix qu’il paie : packs argent, or, cristal, etc. Halliday ne daigne même pas lui répondre et, considérant la personnalité très enfantine de cet homme, cela revient à dire “tu es mignon”.
L’incarnation du mal dans ce film […] a quelques idées sur la façon de tirer profit du jeu vidéo qui ne nous sont pas tellement étrangères
Ça ne vous rappelle rien ? Est-ce que ça ne ressemble pas un peu à la tendance du jeu vidéo depuis maintenant un certain nombre d’années ? En cela Ready Player One critique une situation déjà bien réelle dans le jeu vidéo et le fait sans ménagement, en grossissant bien le trait (mais pas tant que ça en ce qui concerne la deuxième séquence). Ce qu’il y a de bien là-dedans, c’est que cela amène sur le devant de la scène et aux yeux de tous quelque chose qui ne touche “que” les gamers (les guillemets sont là parce que le jeu vidéo est depuis pas mal d’années devenu le premier média culturel au monde, tout de même).
L’équipe marketing a dû s’éclater
Et parlons-en du gaming, car il est bel et bien mis en avant dans Ready Player One. De manière plus large, c’est la culture geek qui est mise à l’honneur et ce, sans la juger ou l’infantiliser, ce qui représente un véritable souffle d’air frais dans un 7e art d’ordinaire bien prompt à parler de ce sujet qu’il ne connaît ni ne maîtrise pas. Spielberg a toujours été fan de jeu vidéo, alors bien sûr il est aujourd’hui un peu déphasé, il n’empêche que cela se traduit par un film que les gamers peuvent enfin “revendiquer”.
On retrouve comme promis une tonne de références, que les plus persévérants rechercheront assidument à travers plusieurs visionnages. Halo, Gears of War, Overwatch, King Kong, Retour vers le futur, Shining, etc. il y en a temps qu’il serait vain de toutes les énumérer, mais la question principale qui était sur toutes les lèvres avant la sortie du film était : ne va-t-on pas se retrouver avec un long métrage fourre-tout avec de la référence pour de la référence ?
Un long métrage fourre-tout avec de la référence pour de la référence ? La réponse est nuancée
La réponse est nuancée, car si l’histoire en elle-même se montre intéressante et que les références ne sont en fait que le supplément de chantilly sur le browny, ces dernières se révèlent loin d’être indispensables et c’est un peu le problème. Concrètement, qu’apporte par exemple la DeLorean DMC-12 de Parzival ? Rien. Il aurait pu conduire un Porsche, une Peugeot ou un tracteur, cela aurait été pareil. Wade Watts/Parzival cherche à gagner une course pour obtenir la première clé de Halliday mais juste devant la ligne d’arrivée, King Kong surgit et choppe tous les véhicules qui essaient de passer. Comme le disent si bien les compères de Joueur du grenier, la célèbre bagnole aurait pu servir à remonter le temps pour se retrouver à ce stade de la course au moment où les autres sont sur la ligne de départ et King Kong toujours perché sur l’Empire State Building.
Ainsi, les références sont superbes pour l’effet nostalgie. Même si l’aspect marketing donne parfois un peu la nausée – je pense à Tracer d’Overwatch que l’on voit à plusieurs reprises. Vous m’excuserez mais Overwatch n’a pas vraiment la même aura que Gundam Wing, Retour vers le futur ou même Halo, et ça n’a rien à voir avec la qualité du jeu, vous l’aurez compris j’espère. L’effet nostalgie est là, donc, et pour ma part correctement maîtrisé. Mais retirez ces références geek et remplacez-les par n’importe quelle autre catégorie qui rentre, et ça passe ; et ça c’est un peu dommage.
Shiny movie
Mais le fait est que l’histoire m’a vraiment branché. Elle constitue le principal point de divergence à l’heure actuelle puisque certains la trouvent moyenne au mieux. De mon côté, j’ai trouvé les péripéties et retournements de situation intéressants et je n’ai pas boudé mon plaisir tout au long des 2h20 de pellicule. Le scénario se déroule comme une quête traditionnelle : trouver les trois objets de quête pour accéder à la récompense. Mais les défis sont vraiment intéressants et l’ensemble se goupille bien – il faut savoir que l’auteur de Ready Player One, Ernest Cline, a participé à l’écriture du scénario.
Le cœur de celui-ci n’est pas bien transcendant et ce n’est pas la morale à la con glissée vite fait à la fin (“la réalité c’est mieux parce que c’est la réalité quoi”) qui vient relever le niveau. De même les personnages ne sont pas très développés. On regardera davantage Ready Player One pour son atmosphère et ses autres (nombreuses) qualités.
Je regrette au passage l’indice du premier défi, pour le coup assez simple pour quelqu’un ayant fouillé intensément les mémoires de Halliday (et selon le héros, tous les chasseurs de l’easter egg, qui sont légion, l’ont fait). De fait, on ne comprend pas trop qu’il ait fallu cinq ans pour trouver la solution, à savoir partir en marche arrière au départ de la course à la première clé, alors qu’Halliday l’exprime clairement en appuyant lourdement sur le fait de partir en arrière à toute vitesse. Là dessus, le livre gérait mieux.
Du reste, excusez-moi du peu mais ça dépote sévère, avec très peu de temps mort. On note au passage l’imbrication parfaite de la caméra virtuelle qui permet des plans absolument géniaux. Je pense notamment à la scène de la boîte dans laquelle dansent Parzival et Artemis, un moment qui frôle la poésie.
Excusez-moi du peu mais ça dépote sévère
Visuellement, Ready Player One est époustouflant et le combat final achève d’impressionner (sachant que la course du début nous laisse déjà le souffle court). Les effets spéciaux décollent la rétine et les images de synthèse sont à couper le souffle. Et puis au moins elles servent une histoire, ça change de Transformers.
À noter l’intégration bluffante de l’hôtel de Shining pour le second défi, avec un hommage grandeur nature qui, pour le coup, s’intègre bien à l’histoire.
À quand la sortie du jeu ?
Ready Player One renoue avec la “grande époque” de Spielberg. Alors oui on se retrouve avec du manichéisme primaire et une romance bas de gamme suivie d’une scène de baiser totalement forcée et clichée à la fin (Hollywood oblige), mais quel plaisir on retire de ce film ! Spielberg réalise ici son film le plus marquant depuis Jurassic Park en 1993. Destiné à un public adulte nostalgique d’une époque un peu “candide” par certains aspects ainsi qu’aux adolescents, Ready Player One remplit parfaitement son objectif en évitant au passage de verser dans l’auto-célébration, Spielberg ayant eu le bon goût de limiter les références à son propre travail au minimum malgré son importance prééminente dans le culture pop. Ce film s’intègre très bien dans cet état d’esprit et m’a redonné des sensations d’émerveillement qui m’ont rappelé celles que j’ai pu éprouver enfant devant E.T., Jumanji, Jurasic Park (oui c’est différent, c’est le package 80’s/90’s, en vente chez aucun marchand de journaux), et la musique d’Alan Silvestri (Retour vers le futur, Le vol du navigateur, Forrest Gump mais aussi Avengers) n’y est clairement pas pour rien – on note d’ailleurs quelques notes très célèbres de Retour vers le futur à un certain moment clé… Ce qu’on retiendra, c’est un univers novateur dans son approche (encore une fois, très peu de films peuvent se vanter de parler correctement de jeu vidéo et de le faire avec le respect qui lui est dû), une mise en scène impeccable, un énorme hommage rempli d’amour à la pop culture des années 80 et 90, le tout servi sur le plateau d’une œuvre clé de la carrière de Spielberg. J’en profite pour signaler que c’est un réel plaisir de voir Sorrento (vous savez, le grand méchant qui se contrefout du jeu vidéo et ne cherche que le profit avec des méthodes très douteuses avec incidences très concrètes sur le jeu) être ridiculisé en étant réduit à la position de distributeur de café personnel de Halliday dans sa jeunesse. Dépourvu de talent et de passion autre que son propre profit, il finira par fonder IOI pour parasiter l’œuvre de génie de Halliday afin d’en tirer un maximum de pognon. Quand il s’est pris un coup de pied dans les roubignoles à la fin, mon cerveau a tout de suite échangé son visage par de nombreux autres de l’industrie. Je vous laisse, je ne voudrai pas rater mon deuxième visionnage, ça se bousculerait avec le troisième.
Catégorie : uno más