Sorti pour la première fois en 1987, Horreur à Arkham a été revisité dans les années 2000 avant de nous revenir cette année dans une version encore bien différente des précédentes, bien plus axée sur l’atmosphère et la puissance narrative.
Pas de repos pour les braves investigateurs
Inspiré de l’univers de Lovecraft (n’en déplaise à certains), Horreur à Akham nous invite pour sa 3e édition à revisiter la ville fictive de l’auteur de Providence grâce à un plateau modulable, là où la précédente version du jeu présentait un plateau classique à l’organisation figée. Je précise à toutes fins utiles que je suis fan de la seconde édition du jeu, que j’ai pas mal épluchée au fil des ans.
Le jeu coopératif est toujours de mise et il est également possible de jouer en solo, pour des résultats mitigés, j’y reviendrai. Vous endossez le rôle d’un investigateur qui dispose d’une ou deux capacités et devez parcourir une Arkham en proie à l’horreur au cours d’un des quatre scénarios disponibles dans la boîte de base. Ouais, c’est chiche, mais chacun évolue selon un “codex”, une pile d’une quarantaine de cartes recto-verso présentant des textes narratifs ainsi que des conditions d’évolution du scénario. Par exemple, admettons que tel scénario vous demande d’ajouter les cartes 1 & 2 au codex : la carte 1 indique qu’au bout de X indices récupérés, vous devez la retourner et piocher la carte 12 ; si c’est la condition de la carte 2 qui est remplie, vous devez piocher la carte 27, vous voyez le genre.
Chaque scénario présente une intrigue de base et vous lâche dans le jeu sans véritablement savoir où votre quête doit vous mener
Chaque scénario présente une intrigue de base et vous lâche dans le jeu sans véritablement savoir où votre quête doit vous mener. Vous avez un premier objectif et une première condition d’échec, mais si celle-ci est remplie, cela ne signifie pas votre mort et celle du reste de l’humanité aux mains des Grands Anciens. Il peut tout aussi bien s’agir d’un événement qui renforce la difficulté ou vous prive de certaines portes de sortie, mais le jeu continue. Cela vous laisse bien entendu plus de chances de remporter la partie, même si vous devrez le faire dans des conditions de moins en moins favorables.
Cartonlhu
La boîte d’Horreur à Arkham V3 se montre similaire à celle de l’édition précédente, que ce soit en termes de taille, de design ou de matériau. L’ensemble est qualitatif, comme FFG sait le faire. Comme à l’accoutumée on retrouve beaucoup de cartes : 282 en format standard, 187 en format mini. Sur le format standard, 96 cartes composent la pile événements, qui servira à récolter des indices, et 108 sont des rencontres (3 par carte). Certains seront peut-être déçus que le design des cartes soit reprit sur le JCE (des commentaires que j’ai pu voir ça et là, je n’ai pas eu l’occasion d’y jouer moi-même), en ce qui me concerne je trouve les dessins superbes.
Le matériel est de qualité, même si je crains sur le long terme pour le carton des éléments du plateau modulable. En effet, ils s’emboîtent façon puzzle, mais il faut forcer un peu, ce qui commence déjà à écorner certaines attaches, surtout au décrochage. Je ne suis toujours pas fan des investigateurs matérialisés par des bouts de carton juchés sur des présentoirs en plastique étant bien plus adepte des figurines. D’ailleurs, choix étonnant de Fantasy Flight Games : seuls 6 socles sont fournis, correspondant au nombre de joueurs maximum. Seulement voilà, il y a 12 investigateurs et, de fait, on se retrouve à insérer et décrocher lesdits socles plus ou moins régulièrement. Pas sûr que les bouts de carton que sont les investigateurs apprécient bien longtemps la manœuvre…
Le matériel est de qualité, même si je crains sur le long terme pour le carton des éléments du plateau modulable.
En dehors de cela, toujours une flopée de pions divers et variés qui permettent de marquer les endroits où se trouvent des indices, les points de vie et de santé mentale, etc. La mise en place prend toujours un certain temps, aussi vaut-il mieux choisir son scénario à l’avance histoire de pouvoir faire sa mise en place avant l’arrivée des joueurs autour de la table.
Phasers réglés sur Mythe
Vous avez donc une douzaine d’investigateurs parmi lesquels choisir. Un nombre plutôt correct, même si 2 (Marie Lambeau & Calvin Wright) ont des pouvoirs inutiles en solo puisque complètement dépendants du fait de jouer en coop – ça n’aurait pas mangé de pain de leur donner un pouvoir supplémentaire exclusif à la coop. Par ailleurs, je trouve Rex Murphy en dessous du lot car seuls ses 6 comptent comme des succès, la consolation étant qu’à chaque test échoué il peut canaliser 1 compétence au choix. Le fait de canaliser consiste à augmenter de 1 n’importe laquelle des 5 compétences de l’investigateur : connaissance, influence, observation, force, volonté. Chacune est utile a des actions spécifiques et dans les rencontres. Chouette me direz-vous ! Sauf qu’il n’est possible d’augmenter chaque capacité qu’une fois. Il est ensuite possible de jeter autant de jetons canalisation que nécessaire pour rejeter des dés, mais considérant les statistiques de base du personnage, le jeu n’en vaut pas tellement la chandelle comparé à d’autres investigateurs qui peuvent réussir leurs tests sur des 5 ET démarrent avec des stats similaires.
Un round se déroule, sur le principe, de manière assez similaire à la V2 :
- Phase d’action
- Phase de monstre
- Phase de rencontre (si l’investigateur n’est pas engagé contre un monstre)
- Phase de mythe
Chaque investigateur dispose de 2 actions. Il peut notamment se déplacer de 2 cases (plus à raison d’1$ par case, 2 max), se ravitailler pour gagner 1$, canaliser une capacité ou encore enquêter pour déposer un indice dont il dispose sur la feuille de scénario, ce qui constitue généralement la première étape pour avancer dans le scénario de manière bénéfique.
Heureusement, tout ne dépend pas de la simple opposition indices/fléau : à mesure que vous progressez dans un scénario, de nouvelles conditions apparaissent.
À leur tour, les monstres attaquent les investigateurs contre lesquels ils sont engagés ou se déplacent selon la règle inscrite sur leur carte. On a de bonnes variations de ce côté-là, ce qui permet de parfois bien créer le stress, notamment lorsqu’un ennemi, au lieu de se déplacer, crée un fléau sur sa case. Car voyez-vous, une nouvelle mécanique appelée justement “Fléau” fait son apparition dans cette V3, et elle est directement liée à la phase de mythe. Des pions de ce type vont venir parsemer le plateau de jeu et engendrer des effets, en particulier celui, lorsqu’il y a un trop plein dans un district ou un quartier, d’envoyer l’un de ces pions sur la fiche scénario, ce qui fait progresser celui-ci, mais dans une direction défavorable. Heureusement, tout ne dépend pas de la simple opposition indices/fléau : à mesure que vous progressez dans un scénario, de nouvelles conditions apparaissent (enquêter sur des balises, tuer tel ennemi, etc.).
La phase de mythe est moins palpitante que lors de la V2, même si elle reste intense. Je m’explique : adieu les cartes mythe, qui introduisaient certes beaucoup de difficulté, mais aussi une grande variété. Désormais, chaque scénario vous fait créer une pioche opaque composée de pions affublés de symboles correspondant à divers effets : apparition d’un monstre, création d’un pion fléau, génération d’un indice…
Vous croyez que j’avais demandé une grosse mite ?
Et c’est bien cette phase qui me pose le plus de problèmes dans cette 3e édition. Autant en solo elle passe, autant en coopération elle prend bien trop de temps et coupe l’action du jeu puisqu’il faut que chaque joueur pioche 2 pions et il faut bien entendu en résoudre les effets. Alors quand on joue à 4 par exemple, eh bien on passe forcément un peu de temps dessus.
En coopération [la phase de mythe] prend bien trop de temps et coupe l’action du jeu.
En parlant de coopération, si elle est toujours aussi présente que dans la V2, gardez bien en tête l’objectif immersif de cette nouvelle version d’Horreur à Arkham. Vous aurez du mal à apprécier le jeu si tout le monde ne se met pas dans l’ambiance ; en gros, il faut aimer les textes et se prendre au jeu. Il n’y a pas des romans entiers à lire, juste ce qu’il faut, mais pour certains ça sera déjà trop long. Tout est affaire de goût et de public. Si vous préférez un jeu plus épuré de ce côté, il serait peut-être plus sage de vous tourner vers la V2.
Les combats et tests se résolvent ici de la même manière qu’auparavant, à savoir avec des dés dont la quantité varie en fonction de vos capacités et objets. En parlant de ces derniers, le magasin est un peu plus sympa puisqu’il est maintenant présenté sous forme d’étal : les 5 premières cartes du paquet sont piochées et offertes aux yeux de tous. L’équipement et les sorts vous faciliteront grandement la vie, trop même puisque les monstres conservent maintenant les blessures que vous leur infligez. Ce qui fait que vous pouvez toucher un monstre, vous barrer et revenir plus tard pour le terminer. Ce délire de hit & run, je l’ai éprouvé sur un boss particulièrement lent et, forcément, on ne ressent plus tellement le monde qui s’écroule autour de nous comme dans la V2.
Globalement, tout vous tombe dessus à la phase de mythe, mais après quelques parties pour s’habituer aux mécaniques de jeu, on comprend vite le rôle déterminant de l’équipement et il permet effectivement de se sortir de pas mal de situations. Vous me direz : “comme dans la V2”, sauf que dans la V2 il n’y avait pas un étal de 5 objets parmi lesquels choisir, et souvent je piochais des tas de trucs qui ne m’aidaient pas forcément pour ce dont j’avais besoin immédiatement.
Laisse-moi t’investiguer avec mon shotgun
L’aspect le plus mal géré est celui du solo, où je n’ai pour l’instant pas perdu de partie. Alors d’accord l’élément chance est fortement présent avec les dés, mais avouez qu’il est plus facile d’avoir de la chance face à des monstres quand on a un shotgun. Vraiment, je trouve le jeu solo facile. Autant Horreur à Arkham V2 se montrait parfois vraiment trop dur, autant la V3 manque d’équilibrage de l’autre côté du spectre à mon sens.
L’écriture de Nikki Valens (Les Demeures de l’Epouvante V2, les Contrées de l’Horreur) parvient à nous mettre dans l’ambiance sans peine.
Malgré tout, ce qui fait le gros atout de cette nouvelle version est la qualité de l’écriture de Nikki Valens (Les Demeures de l’Epouvante V2, les Contrées de l’Horreur) qui parvient à nous mettre dans l’ambiance sans peine. L’enchaînement des cartes du codex permettent de bâtir des histoires qui peuvent se modifier selon plusieurs branches à chaque nouvelle partie grâce aux différentes conditions de réussite ou d’échec (et non de défaite immédiate !).
Le fait de ne pas réellement savoir de quoi relève l’objectif final et donc le cœur du mystère du scénario est un excellent point puisqu’on se rapproche du rôle d’investigateur du mythe. En plus de cela, impossible de savoir de prime abord si un échec va être notre dernier ou non. On regarde la situation s’empirer au fur et à mesure jusqu’au climax, où il est tout de même possible de tirer son épingle du jeu. Bref, l’ambiance est foutrement bien maîtrisée. Conseil perso : ajoutez une bande son derrière, style Nox Arcana ou Flint Glass. Effet garanti.
J’ajoute que la génération d’indice se fait en prenant des cartes du paquet événement propre à chaque scénario et en les ajoutant aux paquets rencontre de chaque quartier, ce qui instaure encore davantage de variations dans les rencontres. Une bonne initiative supplémentaire. Viennent compléter cela les cartes Manchettes, que vous devez mélanger avant la partie pour en piocher 13 et qui serviront d’événements ponctuels, qu’ils soient bénéfiques ou, le plus souvent, maléfiques.
On note aussi la présence de Sombres pactes, probablement dérivés de l’extension V2 L’Horreur de Dunwich, que vous pourrez conclure à des instants déterminés et qui vous permettront d’obtenir un avantage défini dans le scénario ou tout du moins une option scénaristique, en échange de quoi vous devrez régulièrement jeter un dé. Si vous tombez sur 1, votre dette est arrivée à échéance et vous devez retourner la carte pour découvrir un malus aléatoire. Et franchement ils piquent.
Lov3craftien
Horreur à Arkham V3 constitue une expérience assez différente de la précédente version, et en ce qui me concerne elle lui est complémentaire. La difficulté plus relevée et les cartes mythe me manquent, mais on trouve ici une atmosphère qui me manque à présent dans la V2. L’avantage à présent, c’est qu’en fonction de l’humeur, j’ai la possibilité d’aborder l’un des mes univers de fiction favoris comme je le sens grâce à ces deux éditions. HA3 manque de rythme sur sa phase de mythe et le solo pèche sur son aspect challenge, mais il offre de chouettes scénarios bien écrits, quoi qu’en quantité limitée (préparez déjà le portefeuille pour les extensions), et une partie des ingrédients qui ont fait le succès de la V2. Pour ceux qui craindraient que les scénarios n’entachent la rejouabilité, bien entendu vous vous rappellerez des issues des différentes cartes, mais cela ne vous empêchera pas d’apprécier explorer d’autres chemins. Forcément, une fois tous les chemins parcourus, on finit par passer les textes d’ambiance et comme l’atmosphère est l’intérêt principal de cette nouvelle mouture…
► Points forts
- Bonne atmosphère via la qualité d’écriture.
- Plusieurs chemins pour chaque scénario, donc rejouabilité.
- Finition des matériaux.
- Qualité du design et des artworks.
- Variations supplémentaires via les cartes événements.
- Investigateurs aux pouvoirs intéressants et bien équilibrés pour la plupart.
- Le plateau modulable est agréable…
► Points faibles
- … mais pas franchement indispensable.
- Pas sûr que l’assemblage puzzle épargne les points d’accroche à la longue.
- La dépendance aux scénarios limite quelque peu l’intérêt de la rejouabilité à long terme.
- La phase de mythe est longuette et peut occasionner des décrochages chez les plus impatients.
- Manque d’intérêt en solo.
- Chiche en scénarios.
Comme si c’était R’lyeh
Horreur à Arkham est disponible sur table de salon et de cuisine, à condition qu’elle soit grande.