Enfin, Riot Games justifie le pluriel de son nom. Toujours versé dans le compétitif, le studio californien offre sa propre vision de Counter-Strike, en équilibre entre copie carbone et innovations inspirées des Hero Shooters. Malgré ses qualités, on pense que le titre est sorti bien trop tôt.
Contre-attaque
Souvenez-vous. Octobre 2018. Riot Games fête les 10 ans de League of Legends. Entre un jeu de baston, un Hack’n Slash, un jeu de cartes et un portage consoles/mobile de LoL, on a découvert l’existence d’un autre jeu un peu plus intrigant que les autres : Project A. Connu depuis sous le nom de Valorant, le FPS de Riot s’avère être un jeu qui reprend la formule de Counter-Strike au spray pattern près, mais comme nous sommes en 2020, il fallait bien quelques éléments de Hero Shooter pour être dans l’ère du temps.
L’exécution marketing de Riot est parfaite : teaser un jeu singulier puis annoncer que la bêta fermée ne sera réservée qu’aux spectateurs de Twitch. Résultat des courses, le titre casse tous les scores de popularité sur la plateforme de streaming, ce qui entretient une hype étrange tout le long de la phase de bêta. Là on je veux en venir, c’est qu’on sent que Riot Games a voulu rapidement capitaliser sur cette popularité explosive.
Le FPS de Riot s’avère être un jeu qui reprend la formule de Counter-Strike au spray pattern près.
Entre le discours du “jeu expérimental avec beaucoup d’ajustements à réaliser avant de trouver la bonne alchimie” et “le jeu sort en avance malgré une période de crise sanitaire qui a sûrement dû ralentir le travail de l’équipe de développement“, il y a un monde et ce lancement semble bien précipité. Mais dans les faits ? Qu’en est-il ? Et bien, l’avantage, c’est que mon avis n’a pas beaucoup changé depuis mon Early Test de la bêta fermée. Enfin, si : en mal, parce qu’avec tout l’historique que je viens de conter, il est clair que le titre sort bien trop rapidement et n’a pas eu le temps de mûrir. Ce qui était encourageant avec du potentiel se retrouve du jour au lendemain avec un sticker “bon pour livraison”.
Mais enfin, venir marcher sur plate-bande du tactical shooter de Valve, une institution solide comme un roc depuis plus de 20 ans et qui bat encore des records d’affluence aujourd’hui, ça se prépare, quand même ! Malgré toutes ses qualités, Valorant n’a peut pas encore se prétendre être un CS-killer.
Hero tactical shooter
Pourtant, on se rend vite compte que les capacités des différents personnages ajoutés au gameplay de Counter-Strike sont tout sauf gadget. Il faut un certain sens de la tactique et de la créativité pour s’en servir de façon efficace, et c’est là que réside sûrement le plus gros point fort de Valorant. Chaque “agent” possède un rôle bien spécifique dans sa nature, et une bonne équipe coordonnée peut réussir à planifier des stratégies éclair, intimidantes et meurtrières. Pas de doute, c’est un jeu taillé pour l’Esport qui ne laisse rien au hasard.
On se rend vite compte que les capacités des différents personnages ajoutés au gameplay de Counter-Strike sont tout sauf gadget.
Les maps créées par Salvatore “Volcano” Garozzo, un ancien mapper de CS:GO qui a conçu des maps célèbres comme Cache a réussi à pondre des cartes complexes en adéquation avec ces capacités, avec assez de personnalité dans leur géométrie qu’on finit par s’approprier. Si vous trouviez qu’apprendre ses smokes dans CS:GO était une tare, alors vous allez vite devenir fou avec les gadgets de Valorant. Encore un bon point pour la profondeur.
Couper les lignes de vues et aveugler les adversaires se font toutes de manière différente, accompagnés d’un bras de fer acharné sur la prise d’informations. Puis il y a les agents qui possèdent des capacités qui augmentent les chances de remporter un échange d’un côte ou de l’autre, comme un boost de cadence de tir ou mêmes des soins, ce qui est assez inédit pour truc qui s’inspire de Counter-Strike.
Couper les lignes de vues et aveugler les adversaires se font toutes de manière différente, accompagnés d’un bras de fer acharnés sur la prise d’informations.
Tel un MOBA, les premières parties se font dans la douleur le temps de comprendre qui fait quoi (encore plus pour ceux qui n’ont jamais touché à un CS), mais les différentes synergies deviennent claires assez rapidement. Si j’ai quelques réserves sur le dernier personnage ajouté au roster, Reyna qui semble un peu trop puissante (c’est un jeu Riot Games), les capacités servent avant tout à prendre l’ascendant tactique plutôt que d’exploser un adversaire qui ne se doutait de rien.
Même les pouvoirs ultimes sont très situationnels et il n’est pas rare de s’en servir qu’une ou deux fois par mi-temps. Ces derniers peuvent toujours être contrés, mais dévastateurs si utilisés correctement. On apprécie cet équilibre dans le risque et la récompense (sauf le lance-roquette de Raze, quelle plaie).
Les pouvoirs ultimes sont très situationnels et il n’est pas rare de s’en servir qu’une ou deux fois par mi-temps.
L’infrastructure semble tenir le coup, malgré un nombre non négligeable de joueurs qui se font déconnecter en cours de parties (avec pas toujours l’assurance d’arriver à se reconnecter). Le ping est plutôt bon dans l’ensemble avec des serveurs en 128Hz, un point important et une vraie plus-value de la part de Riot, fort de son expérience avec League of Legends, mais on est encore assez loin de la latence promise à l’annonce du jeu. Le “peaker advantage” est encore un poil trop fort, à l’instar de CS:GO.
Quid de la triche ?
Vous l’avez sans doute lu ici, Riot Games rigole zéro avec les tricheurs sur Valorant. Le netcode du jeu a été pensé A à Z avec ce facteur un brin casse-bonbons. Le client des joueurs ne reçoit la position des adversaires qu’au dernier moment et de nombreux algorithmes maison essayent de détecter les tricheurs à la volée, jusqu’à suspendre totalement une partie en cas de détection.
Cependant, c’est bel et bien Vanguard qui a fait couler beaucoup d’encre. L’outil d’anti-triche de Riot a accès au kernel de votre système d’exploitation et est lancé au démarrage de celui-ci (bien que très léger), dans l’espoir d’intercepter tout outil de triche avant son lancement. Cela peut résulter sur de nombreux faux positifs, notamment les logiciels qui communiquent avec le hardware de la machine du joueur (ajoutés à une liste blanche par Riot au fil des mises à jour), mais cela pose surtout des problèmes éthiques. Avec un tel privilège système, Riot Games pourrait recueillir de très nombreuses données personnelles dans sa lutte anti-triche, et pas forcément des données pertinentes. Ne doutons pas de la bonne foi de Riot, mais la surpuissance d’un tel logiciel peut être légitimement questionnée… ce qui n’a pas empêché le studio de devoir bannir de nombreux tricheurs durant la bêta. La triche existera toujours, mais avec une telle puissance de feu, Riot Games pourrait peut-être avoir le dernier mot.
Oh, et si vous voulez jouer sur système Shadow, c’est mort, puisque considéré comme une machine virtuelle par Vanguard.
Rash Bi
Seulement voilà, il y a plein de choses qui ne demandaient qu’à être améliorées grâce à une bêta digne de ce nom, surtout vu le nombre de joueurs qui ont été invités au fil des semaines. Passé les bons points, il y a encore des problèmes plus ou moins subtils qui auraient mérité plus d’attention avant une sortie complète.
On peut par exemple commencer par le truc qui saute aux yeux dès le premier lancement : l’aspect artistique du jeu. Riot Games compte d’excellents artistes (un skin de LoL, ça demande du talent), mais l’aspect général est quand même bien plat avec une identité qui fait clairement défaut (jusqu’à la musique au beat quelconque, au secours). On sent que Riot Games a tenu à s’éloigner de l’ambiance réaliste de Counter-Strike, mais ce n’est pas parce que vous appelez ça un Spike que ça n’a pas la fonction d’une bombe.
Passé les bons points, il y a encore des problèmes plus ou moins subtils qui auraient mérité plus d’attention avant une sortie complète.
Dès qu’il s’agit d’aller au contact avec les mécaniques du FPS de Valve, Valorant montre quelques faiblesses : en plus d’être calquées sur CS:GO (Vandal = AK-47), les armes manquent cruellement de personnalité et de punch, le tag très prononcé (le ralentissement après être touché) balaye toute chance de riposter et les tirs chanceux sont un peu trop fréquents à mon goût, surtout en déplacement. Une rencontre fortuite garantit le frag pour un joueur dont la visée est hésitante et on pourrait croire que le spectacle a été pensé avant la profondeur de jeu (cf. la partie sur Twitch). Niveau gunplay, CS reste roi.
Bien qu’intéressantes, les cartes sont beaucoup trop fonctionnelles pour être crédibles (on ressent déjà une petite amélioration avec Ascent). Si la lisibilité dans un jeu compétitif est fondamentale, Valorant en fait clairement trop, des adversaires affichés en rouge aux fumigènes monochromes qui ne laissent rien au hasard. À force de penser “compétitif”, le titre a beaucoup de mal à se dégager une “âme”, chose que CS:GO arrive pourtant à faire avec son ambiance trop sérieuse.
À force de penser “compétitif”, le titre a beaucoup de mal à se dégager une “âme”.
On peut reprocher plein de trucs à Overwatch, mais sûrement pas de manquer de personnalité (d’ailleurs, les emprunts à ce dernier sont parfois flagrants). Malgré des personnages “stylés” (ça plaira sans doute aux fans de K-pop), il est difficile de s’enticher d’eux. Les goûts et les couleurs, mais dans mon cas, on frôle l’insipide. L’exemple que j’ai pour étayer mon propos est le manque d’accès au lore de l’univers du jeu, à croire que ce dernier est en train d’être écrit en ce moment même.
Tout fait très artificiel pour poser les bases d’un gameplay déjà très addictif. Il y a pourtant plein de bonnes idées pour lisser l’expérience CS, comme le kevlar au fonctionnement cryptique remplacé par des points de vie supplémentaires, la possibilité réclamer une arme à un allié, accélérer le rythme des parties en ayant la possibilité de se positionner pendant la phase d’achat ou bien une façon intégrée de s’entraîner intensivement au tir avec une personnalisation poussée du réticule.
Tout fait très artificiel pour poser les bases d’un gameplay pourtant déjà très addictif.
Et puis c’est surtout sur le contenu que le bat blesse. 4 cartes et 11 agents, dont 6 à débloquer (ce qui devrait être considéré comme un scandale dans un jeu 100% Esport), c’est bien trop peu pour renouveler l’expérience d’une partie à l’autre. On n’aurait pas dit non à du rab’ de ce côté-là. Autre indice que le jeu n’était pas totalement prêt, le mode compétitif (pourtant disponible à la fin de la bêta) n’est pas disponible au lancement. Riot n’a pas encore communiqué sur sa réintroduction.
Plein de petits éléments donnent presque l’impression de faire office de placeholder, à commencer par des éléments de menu qui ne se marient pas très bien avec la direction artistique du jeu, déjà pas vraiment cohérente. Il y a aussi les animations des personnages qui auraient mérité plus de finesse et de variété, à moins que l’excuse soit encore la sacro-sainte “jouabilité”. Oh, et puis les skins (très cher) qui changent complètement la géométrie d’une arme et ses animations qui mettent à mal tout notre apprentissage du jeu quand on en ramasse une, pitié…
Le gâteau manque encore de cuisson
J’ai l’impression d’être très assassin avec Valorant, mais on en attendait un peu plus de la part de Riot qui a clairement les ressources pour en faire quelque chose de grand. Bien plus qu’une simple copie de CS:GO, le free-to-play possède de nombreux arguments intéressants qui renouvellent l’expérience proposée par Valve depuis 20 ans… mais n’arrive pas à l’égaler sur les points comparables. Les capacités des agents et certaines situations offrent régulièrement du très beau jeu et il est déjà difficile de décrocher quand on est tombé dedans, mais Valorant ne remplit pas encore toutes ses promesses et ne paraît pas terminé, que ce soit sur son contenu, sa cohérence artistique ou certains éléments techniques. Riot Games a intérêt à assurer rapidement le suivi de son jeu avant que d’autres soucis inévitables ne pointent le bout de leur nez dans les mois à venir (c’est à ça que sert une bêta). Quand on se vante de sortir un jeu en avance, faut être à la mesure de son ambition.
Ce qu’on a aimé :
- Un twist au gameplay de Counter-Strike intéressant et maîtrisé
- Des cartes complexes qui exploitent bien les capacités des agents
- Plein d’options de confort qui lissent les trucs pénibles de CS
- Une volonté d’être lisible et jouable dans toutes les situations
- Une excellente gestion de la mini-carte et des informations cruciales
Ce qu’on n’a pas aimé :
- Le jeu peine à se payer une identité
- Pas assez de cartes
- Un gunplay perfectible
- La spatialisation du son aussi
- Gameplay trop lissé pour avoir de bons feedbacks
- Quelques problèmes de connectivités
- Des skins moches qui coûtent une fortune (soyons honnêtes)
Ce jeu est fait pour vous si :
Vous aimez Counter-Strike, mais voulez tenter quelque chose d’un brin différent.
Ce jeu n’est pas fait pour vous si :
Vous visez comme un pied et vous ne supportez pas les communautés toxiques (oui, déjà).
Configuration de test :
- GPU : NVIDIA RTX 2080 Ti
- CPU : Intel Core i9-9900k
- RAM : 32 Go DDR4
- Installé sur SSD
Valorant est disponible sur PC.