C’est compliqué de faire un jeu compliqué
On pensait que le dernier Xbox Games Showcase aurait été une occasion de voir une partie du travail de The Initiative, mais 3 ans depuis sa révélation aux Game Awards, le reboot de Perfect Dark par The Initiative est toujours invisible aux yeux du monde.
Intrigué par des rumeurs qui font état d’un développement troublé et par un silence radio assourdissant, une longue enquête d’IGN établit la chronologie d’un processus de création compliqué par un manque de vision claire. Mais certaines des 13 sources familières avec le développement s’accordent à dire que les choses commencent à s’améliorer.
Clairement, ça n’aurait pas toujours été le cas : The Initiative est un studio encore relativement jeune, et Certain Affinity (Halo) a été commandité par Microsoft pour prêter main-forte. Toutefois, le rapport de force aurait créé quelques soucis de synergie durant les premières années du développement, au point où des points de vue contraires ont commencé à se confronter de part et d’autre.
Pendant longtemps, le leadership aurait eu un mal fou à définir un cap, mais surtout de communiquer de façon efficace avec ses subalternes, qui accumulait de la frustration à force de recommencer régulièrement de zéro certains pans du jeu.
Ce n’était pas que nous ne savions pas ce que nous voulions, c’est que nous continuions à faire des choses qui n’étaient pas ce que nous voulions. Nous devions tout refaire encore et encore. Les… niveaux que nous avions quand je suis parti n’étaient pas les mêmes que nous avions eu trois mois auparavant, ou trois mois encore avant ça. Je ne sais pas pourquoi les gens n’arrêtaient pas d’appuyer sur le bouton reset. Cela contribuait certainement à ce sentiment que nous ne faisions aucun progrès. Les gens n’arrêtaient pas de recommencer.
Et évidemment, la situation a empiré avec la crise du COVID-19, réduisant davantage la qualité de la communication au sein des studios, tout en affaiblissant drastiquement le moral de l’équipe. Couplé à des redondances de structure dues entre les deux entités, le brouhaha s’est alors installé.
Je blâme The Initiative. Je ne blâme pas nos partenaires de développement. Nous avons choisi de ne tenir personne responsable de la vision, et nous laissons simplement les gens continuer à essayer des choses. Ouais, les gens étaient partout. C’était un jeu de téléphone géant. On entendait cette expression pendant tout le processus. ‘Oh, c’est le téléphone ! J’ai dit cela, mais ensuite cette personne a dit cela, puis ils sont allés parler à leur manager, puis leur manager a parlé à notre manager, puis notre manager a parlé à ce responsable plus haut dans la hiérarchie, et au moment où le message est passé de l’autre côté, c’était devenu complètement incompréhensible.
En 2021, la collaboration entre les deux équipes arrivera tant bien que mal à pondre un prototype solide, prête à être itérée dans une éventuelle phase de production, mais a priori dégoûté du projet, Certain Affinity ne renouvellera pas son contrat annuel, laissant The Initiative seul à la barre, amputé brutalement de la moitié de sa force de travail.
La majorité des idées qui définissent ce nouveau Perfect Dark sont pourtant là, entre l’histoire, le système de combat à la première personne, les mécaniques de déplacement propres au titre et les gadgets qui devraient faire sentir le joueur dans un véritable film d’espionnage, à mi-chemin entre James Bond et Mission Impossible.
Autour du détachement de Certain Affinity du projet, The Initiative connaîtra une assez importante fuite de cerveaux, comme le vétéran Drew Murray qui retournera travailler chez Insomniac Games, son ancien employeur. Une trentaine de départs auront lieu durant l’année 2021 à elle seule, avec une dizaine supplémentaire début 2022.
La sensation de stagnation serait la première motivation de départ, ce qui n’est pas une bonne chose quand le studio est basé à Santa Monica, un lieu géographique où changer de crèmerie dans l’industrie AAA est relativement simple. Un employé indique n’avoir presque rien avoir eu à faire pendant 9 mois, attendant péniblement que les postes à responsabilité soient remplis et que des décisions soient prises.
C’est frustrant de ne pas progresser… c’était juste une période sombre. Vous aviez deux ou trois personnes qui montreraient quelque chose lors d’une démonstration, comme un nouveau mappage de texture ou une technique d’éclairage qu’ils ont faite, ou le block d’un nouveau niveau avec lequel ils travaillent ou autre, puis vous receviez l’annonce que deux ou trois personnes partaient. C’était très difficile de rester positif quand ce genre d’énergie et ce manque de progrès se produisent.
C’est alors que Crystal Dynamics arrive à la rescousse en septembre 2021, sauf que… le studio de Tomb Raider estime que le prototype est quasiment inutilisable, migré à toute hâte sur Unreal Engine 5. Un ancien employé de Crystal Dynamics décrit le prototype comme “une maison sans fondation“.
Une grande partie du projet, sinon la quasi-totalité, a fini par devoir être entièrement retravaillé. Ils avaient déjà travaillé 3 ans dessus, mais nous n’avons pas bénéficié de ces 3 années de travail.
Changement de rythme
C’est exactement ce qu’il s’est passé : aujourd’hui, le projet n’a plus grand-chose à voir de l’époque Certain Affinity, avec une nouvelle fondation entièrement retravaillée sur l’Unreal Engine 5.
La collaboration entre les deux nouveaux partenaires se passerait bien mieux, mais volontairement ou non, Crystal Dynamics auraient pris l’ascendant sur la vision du jeu. Techniquement, The Initiative est perçu comme le studio principal de ce reboot de Perfect Dark, mais la patte du studio qui a repensé Tomb Raider est indéniable, au point d’embaucher pour combler des lacunes de son collaborateur.
Microsoft et The Initiative essaieraient alors tant bien que mal de reprendre le leadership créatif, et bien que le chef de Xbox Game Studios Matt Booty estime que le développement a enfin atteint un “bon rythme”, le projet est toujours en pleine phase de pré-production. Le format épisodique serait même envisagé.
Pour la journaliste Rebekah Valentine, Perfect Dark est un cas d’école sur la difficulté de monter un studio AAA de zéro, à une époque où les ressources nécessaires pour y arriver n’ont jamais été aussi intimidantes. Malgré un manque flagrant d’implication de la part de Microsoft, à contrario de PlayStation, Matt Booty indique que l’entreprise ne peut pas se permettre de ne pas avoir cette capacité, essentielle si elle souhaite proposer des jeux toujours plus ambitieux.
Quant à savoir quand sortira Perfect Dark, il faudrait bien attendre deux ou trois ans avant que le développement puisse montrer quelque chose de concret.