Spécialisé dans les 4X de qualité, Amplitude revient avec quelque chose de radicalement différent. Une petite douceur inhabituelle pour le studio, permettant de reposer son cerveau entre deux manœuvres politiques ou militaires retorses. M’enfin, pas trop, mais si vous préférez appuyer sur la gâchette vous-même, Endless Dungeon est là pour assouvir toutes sortes pulsions. Les vôtres, comme celles de vos amis.
Endless Space: Crystal Chronicles
Lancez donc cette merveille musicale pour vous mettre dans l’ambiance.
La légende raconte que, lors d’une belle soirée parisienne un peu arrosée, certains game designers d’Amplitude Studios ont noté sur un coin de nappe diverses idées. Le genre de “Game Jam” improvisé qui fait rire gras, à force de balancer des idées loufoques en l’air entre deux mojitos.
Connu sur le marché du 4X avec Endless Space et Endless Legends, Amplitude n’avait, semble-t-il, jamais vraiment envisagé de se lancer dans des titres éloignés de son domaine d’expertise, mais malgré la gueule de bois, les restes de cette soirée qui aurait réveillé une bonne partie du 12e arrondissement (j’imagine) sont tout aussi confuses… qu’intrigantes. Malgré des influences de genres a priori antinomiques, et avec la petite touche Endless, les bases de ce qui donnera Dungeon of the Endless étaient posées.
C’est important de comprendre que DotN de son petit nom, bien différent et plus modeste que les autres jeux du studio français, est une véritable bizarrerie ; un rogue-lite jetant Tower Defense et Dungeon Crawler dans un mix qui ne devrait pas prendre. Et pourtant, malgré une difficulté générée par ses mécaniques uniques assez compliquées à maîtriser, le résultat était à la fois très pertinent, et surtout prenant malgré les claquasses dans la tronche à répétition. En revanche, les joueurs qui ont réussi à gravir les 12 étages sur le globe doivent se compter sur les doigts d’une main. Comment ça, j’exagère ?
Il aurait été dommage de réserver un concept aussi singulier qu’il est efficace à une niche, et on comprend tout de suite l’intérêt d’Endless Dungeon. Pas vraiment une suite, pas vraiment un reboot, mais un peu des deux quand même. On change le système de contrôle, mais on garde l’essence du jeu d’origine pour aboutir, une fois de plus, à quelque chose d’unique… tout en lissant les trucs qui pouvaient rebuter les curieux qui n’aspirent qu’à s’amuser sans faire surchauffer leur cerveau. M’enfin, pas trop.
Sous ses airs de Twin Stick shooter au ton léger, Endless Dungeon reste un jeu au sens tactique exigeant, mais tend désormais plus vers le côté “Rogue-lite”, grâce à un système de progression qui, malgré les défaites, offre un sentiment de montée en puissance bienvenu qui permet de se dire : “oui, moi aussi je peux y arriver”. Pas du premier coup, bien entendu. Ni du deuxième…
La fin n’est jamais la fin n’est jamais la fin…
Eh oui : on ne contrôle plus un groupe de naufragés spatiaux prisonniers d’un mystérieux complexe au gré de la souris comme dans un RTS, mais un groupe… de naufragés spatiaux prisonniers d’une mystérieuse station spatiale via deux sticks et une caméra aérienne (combo clavier/souris supporté, bien entendu). Comme dit plus haut, Endless Dungeon est un Twin Stick shooter, avec la possibilité de switcher entre jusqu’à 3 membres du groupe à la volée.
À l’instar de Dungeon of the Endless, le groupe doit escorter un cristal jusque dans le cœur de la Station, à l’abandon depuis lors de la disparition soudaine des Endless, il y a fort longtemps. C’est la seule façon de désactiver l’immense rayon tracteur qui capte tous les vaisseaux qui passent à proximité. Malheureusement, plus facile à dire qu’à faire : des hordes de monstres barrent la route du groupe entre le Saloon, leur refuge, et le Noyau de la Station. Et il va falloir la jouer fine pour espérer arriver au bout du trajet.
Pour trouver la sortie, il faut ouvrir des portes. Et si je vous dis que l’ensemble des mécaniques du jeu gravitent autour d’une action aussi anodine que celle-là ? Ouvrir une porte permet d’explorer l’étage pour trouver la sortie – jusque-là, rien d’extraordinaire–, mais ouvrir une porte, c’est aussi prendre le risque de révéler des couveuses de monstres qui menacent votre cristal.
Si c’est risqué, pourquoi ne pas se contenter d’aller au plus direct ? Parce que chaque fois que vous ouvrez une porte, vous obtenez des ressources. Ça n’a pas de sens, mais c’est une drogue dure contre laquelle il est très difficile de résister. On retrouve alors les fameux BINS de la franchise qu’il faudra apprendre à dépenser intelligemment dans une course à l’armement contre les gardiens de la Station, toujours plus nombreux et dangereux.
Les héros peuvent s’améliorer avec de la Nourriture, rechercher de nouvelles structures avec de la Science et les construire avec de l’Industrie. Monnaie universelle de l’univers Endless, la Brume est également la partie… bien que rare. Et tout ça, on en a jamais assez. La solution ? Trouver des emplacements de générateur pour augmenter sa production (qu’il faudra également intégrer dans ses plans de défense), et ouvrir des portes. Encore et toujours des portes.
Ouvrir des portes, c’est la base de toute chose, dans Endless Dungeon. Les portes sont à la fois vos meilleures et pires ennemies. Elles représentent votre salut, mais également les instruments de votre destruction. Plus vous ouvrez de portes, plus elles étendent le terrain de jeu, et complexifie les plans de défense à élaborer si on espère escorter le cristal dans la prochaine zone. Le petit robot qui le soutient est lent, très lent, et tant qu’il ne sera pas dans un emplacement fixe, les vagues d’ennemis arriveront sans interruption.
Parce qu’au-delà de l’aspect pécuniaire, ouvrir des portes, c’est aussi – et peut-être surtout – influencer le comportement des monstres qui essaieront de toujours aller au plus simple vers le cristal. En ouvrant les bonnes pièces et en se projetant, on peut créer des situations où les vagues de monstres sont plus faciles à contenir grâce un investissement optimisé de ses BINS.
Des tourelles et autres appareils spécialisés ne seront pas de trop pour sécuriser la route jusqu’au cristal, et si les options semblent un peu limitées lors des premières parties, les décisions deviennent naturellement de plus en plus avisées, les erreurs étant souvent payées dans la douleur et le sang… mais avec toujours la possibilité d’en tirer des leçons. Mais les opportunités de prendre des risques inconsidérés ne manquent pas. Endless Dungeon est fourbe.
Je me rends compte que j’ai à peine abordé le core gameplay en lui-même, où l’on dézingue les monstres soi-même à coups de Gatling, de canons électriques ou lance-roquettes incendiaires. C’est parce que l’aspect action fait partie intégrante du fourre-tout décrit plus haut et n’est finalement pas une fin en soi, et c’est peut-être là que le titre peut en décourager certains, voire pêcher sur certains critères.
La direction artistique et les animations inspirées des comics sont franchement sublimes, et le spectacle est au rendez-vous quand les choses s’emballent, ce qui est d’autant plus étonnant pour un studio qui a l’habitude de faire des jeux plus “posés”. Mais, une bonne utilisation de ses ressources et un bon sens tactique priment largement sur les compétences des héros, et surtout celles du joueur, tellement la visée est en réalité assistée. Certains monstres spécialisés poussent parfois à s’adapter, mais on se contente la plupart du temps à tirer dans le tas. Et ça passe.
Une fois que l’on comprend que le but du jeu est davantage de réguler le flux d’ennemis que de les dézinguer au cas par cas, on se rend compte que les compétences des héros sont plus là pour éviter des catastrophes. J’oserais même dire : si vous êtes contraint de vous en servir, c’est que vous jouez mal. Il y a des semblants de builds intéressants qui se dégagent au fil d’une run, notamment des synergies avec les tourelles et la possibilité de contenir des vagues, mais une fois de plus, le positionnement et la capacité à évoluer de façon efficace priment sur le reste.
On serait méchant de dire que les héros ne sont que des tourelles glorifiées, où chacun doit tenir sa position coute que coute pour garder les infrastructures en vie… mais c’est un peu le cas. C’est la proposition d’Endless Dungeon, après tout, mais si des joueurs cherchent un twin-stick shooter nerveux avec une composante stratégique mineure, ils risquent d’être un peu déçus. L’ingéniosité du titre repose sur l’interconnectivité qui existe entre toutes ses fonctionnalités, et pas vraiment sur l’action seule, pourtant pas mal mis en avant par Amplitude.
Peut-être que ce n’est pas plus mal, parce qu’une fois qu’on maîtrise un peu l’ensemble des mécaniques, Endless Dungeon en devient émotionnellement épuisant : les runs peuvent être longues, très longues. Même s’il est possible de s’arrêter en cours de route pour reprendre une partie plus tard, comptez bien 2 à 3 heures pour atteindre le noyau de la Station, durant lesquelles vous serez en totale concentration pour éviter les bêtises, même si les phases tendues et de calme – mais pleines de réflexion – profitent d’un rythme vraiment bien dosé.
Action, réaction
Si Dungeon of the Endless était particulièrement punitif par sa structure rogue-like, Endless Dungeon s’inspire des derniers ténors du genre pour une progression globale plus lissée, invitant toujours les joueurs à aller de l’avant. C’est ce genre de rogue-lite qui permet toujours de repartir du bon pied, tout en profitant de nouveautés à tester sur le terrain, surtout quand on débloque la possibilité de déployer un troisième héros. Malgré la longueur des runs, on a toujours envie de relancer.
Les amoureux de l’univers d’Amplitude ne seront pas dépaysés puisqu’ils auront leur dose de lore à découvrir au fil de leurs pérégrinations dans la Station, accompagné d’une nette emphase sur l’humour caractéristique du studio. Endless Dungeon est rigolo… quand les vagues de monstres ne fondent pas sur vous. Et bien évidemment, Arnaud Roy est de retour à la bande-son, mixant la signature musicale de l’univers Endless avec… du rock indé. Bon sang que ça fonctionne, reprenant même des morceaux de Dungeon of the Endless, tout en se permettant une superbe collaboration avec la musicienne Lera Lynn. Quand de la grosse énergie se mêle à la mélancolie.
Les améliorations à débloquer dans le Saloon ne sont pas non plus des game changers, mais permettent de profiter de toujours plus de diversité dans la façon d’aborder le contenu, même si on peut reprocher une certaine stagnation dans la (plaisante) boucle de gameplay. C’est surtout la possibilité de se fixer soi-même des objectifs à court et moyen terme qui permettent de rester motivé malgré les déculottés, notamment grâce aux quêtes de héros qui obligent parfois à réaliser des actions ou partir avec une condition bien particulière.
Plus on joue, plus les améliorations lissent la difficulté, jusqu’à permettre de terminer le jeu sans les malus absolument terrifiants du noyau. L’arborescence des étages devient de plus en plus ouverte, avec quelques choix stratégiques supplémentaires. Pourquoi traverser une zone remplie de robots si on n’est pas équipé pour ? Va pour les insectes sensibles au feu, on a le matos pour.
S’insèrent alors les boss qui interviennent à la moitié d’une run, et s’ils ne sont pas nombreux, ils mettent parfaitement à contribution les mécaniques particulières d’Endless Dungeon, quand ce n’est pas le biome entier qui bouscule la boucle de gameplay. Pas de spoil, parce que leurs découvertes sont souvent des moments de stress intenses, ou la stupéfaction se mêle au désespoir… juste avant qu’on ne découvre la solution. De grands moments à brailler des trucs incompréhensibles sur Discord.
Eh oui, il est temps d’aborder la plus grande force d’Endless Dungeon (en dehors d’Arnaud Roy aux synthés et à la gratte), mais aussi peut-être une de ses grosses faiblesses : c’est un jeu pensé pour la coopération.
Attention, Endless Dungeon fonctionne très bien en solo, mais contrôler trois héros simultanément dans un twin-stick shooter provoque parfois quelques contorsions au cerveau. Il peut se passer beaucoup de choses sur la carte, et même s’il est placé au bon endroit, un membre de l’équipe ne peut pas tout faire. Et quand il faut s’adapter face à une situation qui n’a pas été anticipée, l’ergonomie du système d’ordre – qui se résume pourtant à “suis-moi/reste là” – devient particulièrement crispante, surtout dans des moments de panique.
Mais tout ça n’a plus cours quand on joue avec des copains, puisque la charge mentale des décisions tactiques est naturellement partagée entre les joueurs. Chaque moment de calme engage à des discussions intéressantes sur la marche à suivre et la situation qui vient de changer par l’ouverture d’une porte (toujours ces saletés de portes).
Trois cerveaux en manque de sommeil valent mieux qu’un, et c’est une plus-value non négligeable lors des phases tensions où la réactivité peut être de mise, avec la possibilité de déléguer rapidement à une tâche particulière quand on a raté de peu un détail qui peut s’avérer fatal. Surtout quand les ressources sont commune à l’ensemble de l’équipe : tout le monde ne peut pas forcément avoir la chance d’être amélioré, et utiliser un pack de soin sur un coup de sang peut signifier la mort d’un collègue qui en avait davantage besoin.
Des débats profonds sur le sens de la camaraderie et de belles engueulades en perspective. En multijoueur, Endless Dungeon gagne largement en saveur, bien qu’on puisse reprocher que l’équilibrage global ne s’adapte pas aux duos, mais chacun conserve sa propre progression, entre les quêtes, améliorations et clés d’accès aux différents étages . Il faudra se dégoter 2 amis plutôt engagés si vous comptez sortir vivant de la Station.
Flawless Theory
Même si la partie action mise en avant par cette réinterprétation de Dungeon of the Endless a un peu de mal à s’insérer dans l’expérience globale, Endless Dungeon est un excellent rogue-lite comme il n’en existe nul autre, épurant des mécaniques qui ont brisé plus d’une volonté en 2014. Agréable en solo avec un système de progression bien pensé, c’est surtout en coop que le titre prend tout son sens, où chacun apportera sa contribution à une stratégie efficace pour garder le cristal intact, avec des synergies et des mécanismes de coopération qui vont bien au-delà de la maîtrise des capacités de son héros. Pour le meilleur et pour le pire… des fous rires.
Ce qu’on a aimé :
- Ça bouge sacrément bien, quand même
- Mélange des genres toujours aussi détonnant
- Décisions importantes sur le court et long terme
- Sacrées surprises qui font bouger la boucle de gameplay
- Expérience en coopération solide comme un roc
- Progression globale maline et satisfaisante, même en coop
- Arnaud Roy sera toujours dans cette liste
Ce qu’on n’a pas aimé :
- Aspect Twin-Stick Shooter finalement assez en retrait
- Manque de contrôle sur les héros en solo
- Équilibrage pensé pour 3 joueurs, pas 2
- Runs longues, très longues
- Erreurs de localisation pour un jeu français, vraiment ?
- Encore quelques bugs gênants
Ce jeu est fait pour vous si :
Vous pensez qu’une porte symbolise l’espoir et l’avenir.
Ce jeu n’est pas fait pour vous si :
Vous pensez qu’une porte symbolise le grand saut vers l’inconnu et les angoisses existentielles qui vont avec.
WarLegend.net a bénéficié d’une copie presse fournie par l’éditeur de ce jeu.
Configuration de test :
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- GPU : NVIDIA RTX 2080 Ti
- CPU : Intel Core i9-9900k
- RAM : 32 Go DDR4
- Installé sur SSD
Endless Dungeon est disponible sur PC, consoles Xbox et PlayStation, et le sera ultérieurement sur Nintendo Switch.