Déjà forte d’une carrière de plus de 6 ans, la Switch pourrait bien connaître ses derniers instants. Mais voilà que Nintendo nous offre un nouveau Super Mario Bros., sous-titré “Wonder”. Simple redite d’une formule qui fête bientôt ses 40 ans, ou bien véritable jeu majeur de fin de génération qui s’avère être plus que pertinent ?
Flower Power
Difficile exercice qui est de commencer la rédaction de ce test sans sortir une réflexion bateau comme “qu’est-ce qu’un bon jeu vidéo ? La quête de renouvellement et d’innovation est-elle nécessaire pour qu’un jeu soit bon ? Que représente une figure aussi emblématique que Mario dans la sphère vidéoludique d’aujourd’hui ?”
Eh, je vous promets que vous n’avez pas ouvert un numéro des Cahiers du cinéma par inadvertance, mais face à un truc comme Super Mario Bros. Wonder, on a envie de voir le machin au-delà du prisme “un énième jeu Mario Bros.”. Presque 40 ans plus tard, la légende née sur NES continue de fasciner, grâce à un gameplay que l’on pourrait considérer encore aujourd’hui comme “parfait”. Ça a peut-être vieilli sur le fond, mais pas sur la forme.
Le succès de la Switch confirme que les enfants de tous âges continuent d’aimer Mario, et c’est peut-être la simplicité apparente de la franchise qui permet au plombier moustachu de rester number one. Mais ceux qu’on appelle avec dédain/affection les n-sex savent que Nintendo ne se repose que très peu sur ses lauriers… même si la firme de Kyoto donne parfois l’impression de tourner radoter avec les mêmes licences. Et soyons clairs : ce n’est – presque – qu’une impression.
La dernière fois que Nintendo a réellement tenté de prendre ses joueurs pour des nostalgiques incapables de sortir de leur petit monde, ça n’a rien eu de vraiment mémorable, justement. Aussi bon soit le level design des jeux New Super Mario Bros., la formule n’arrivait pas à s’extirper de cette image de simple redite des Super Mario Bros. d’antan.
C’était un peu le but, sans doute, mais après deux Super Mario Maker, était-il seulement encore possible de jouer à un Super Mario Bros. ? La formule y est poussée à l’extrême, et entre le nombre de niveaux proposés et l’ingéniosité incessante des joueurs, Nintendo semblait être dans une certaine forme d’impasse.
L’inquiétude est compréhensible, mais c’est oublier à qui on a affaire.
C’est dans les vieilles briques…
Le premier contact avec Super Mario Bros. Wonder est assez convenu : Mario et ses amis sont en visites au Royaume des fleurs… et Bowser débarque pour gâcher la fête, comme d’hab’. Mais le roi des Koopas a évidemment une idée derrière la tête : utiliser le pouvoir des Fleurs prodiges pour modeler la réalité à sa convenance. Voilà Bowser que se transforme forteresse, gigantesque et inarrêtable.
Sans crier gare, Wonder nous balade alors de niveau en niveau, de world maps en world maps, appliquant la formule à la lettre. On traverse les niveaux en courant, en sautant et en nageant, écrasant des goombas à coups de botte coquée/escarpin de princesse, en réapprenant à gérer sa vélocité et gavé des power-ups que l’on connaît déjà.
Pourtant, par succession de petites touches, on sent que Nintendo était très investi dans Super Mario Bros. Wonder, à une époque où les épisodes 3D sont désormais perçus les grands événements qui rythment les consoles de Big N. Quelques power-ups inédits apportent ce petit sentiment de nouveauté attendu et nécessaire, mais force est de reconnaître leur utilité multifonction, comme la forme d’éléphant qui a déjà fait le tour du net, permettant de casser des blocs à coups de trompes ou bien de transporter de l’eau utile pour divers puzzles, ou bien le lancer de bulles qui se révèle être une arme redoutable et idéale pour atteindre des plateformes éloignées avec un brin de créativité.
Les niveaux sont courts, mais denses, grâce à un level design qui arrive toujours à se renouveler. On n’a pas vraiment le temps de s’ennuyer durant la petite dizaine d’heures nécessaire pour terminer le jeu en ligne droite, dont le défi est – il faut le reconnaître – assez limité. Comme souvent, les complétionnistes auront toutefois du grain à moudre avec tous les bonus et fleurs cachés à collectionner, ainsi que les drapeaux parfaits à atteindre dans chaque niveau. D’autant plus que Wonder se révèle plutôt sans pitié sur les opportunités de les récupérer
Au fur et à mesure, on tombe de plus en plus sous le charme de la direction artistique, que l’on aurait pu trouver assez banale au départ. Les personnages sont en 3D, mais plein de petites astuces et subtilités rappellent judicieusement de l’animation traditionnelle, pour un résultat aussi étonnant qu’agréable à l’œil. Formes, couleurs, mimiques, absolument tout est adorable et terriblement expressif. Je pense encore à ce pauvre goomba, bouche bée, qui observe avec terreur sa propre fin qui tombe du ciel. Sale journée pour les goombas.
Super Mario Bros. Wonder va même se permettre quelques moments de mise en scène, afin d’apporter un peu de narration visuelle à une franchise qui s’est très longtemps voulue comme sobre dans cet aspect, tout en n’entravant jamais vraiment le rythme du gameplay. Survient alors l’un de ses gimmicks : les fleurs parlantes, croisées tout le long du périple et qui ne se gênent jamais pour lâcher un petit commentaire.
En réalité, ces fleurs sont souvent très drôles ; joyeuses sans tomber dans le niais. Elles représentent une petite récompense lorsque l’on réussit un passage un peu chaud ou trouve un secret un poil retord, ou bien la confirmation que l’on vient bien de vivre un moment extraordinaire, partageant un certain étonnement avec le joueur.
Ah, ça… vous risquez d’être étonné.
Dites-le avec des fleurs
Je m’excuse d’avoir gardé ce sujet évident pour la fin, mais il fallait que je lui offre toute la place qu’il méritait. Les Fleurs prodiges ne sont pas simplement les objets à collecter pour progresser dans Super Mario Bros. Wonder ; ils sont Super Mario Bros. Wonder. Chaque fois qu’une fleur est touchée, attendez-vous à voir quelque chose qui décoiffe.
Chaque fleur propose une phase de gameplay unique et très souvent particulière. Tellement particulière qu’elle modifie le niveau, ses objectifs, la prise en main, le point de vue, la relation espace/temps, les interactions nucléaires fortes et faibles, voire la notion même de réalité. Si vous trouviez que les blagues de drogués à propos des champignons de l’univers de Mario sont lourdes, c’est parce que l’ouverture du troisième œil résidait dans les prodigieux bourgeons.
Le personnage du joueur peut se mettre à faire de la chute libre, se transformer en élément du décor et agir comme tel, s’allonger afin de faire la moitié de l’écran, se faire attaquer par un troupeau de bisons célestes, chevaucher un tuyau qui se déplace comme une chenille, tenir sur une énorme boule de neige qui emporte le décor à la manière d’un Katamari Damacy, se retrouver à marcher sur les murs changeant la perspective scrolling pour du top down, etc. Et même… se transformer en goomba, résultant à un sacré renversement de la situation.
Mais tut, tut : j’en ai déjà trop dit. Ce sont des découvertes qui se savourent.
Les idées liées aux Fleurs prodiges sont absolument folles et changent radicalement l’approche qu’on a de Super Mario Bros. Wonder, pourtant très compétent dès qu’il s’agit d’appliquer la formule d’origine à la lettre avec un minimum de nouveautés. C’est simple : si on enchaîne les niveaux, c’est simplement pour découvrir à quelle sauce on sera mangé la prochaine fois qu’on croise une Fleur prodige. Vous avez déjà vu un spectacle musical interprété par des plantes piranha, vous ? Un moment délicieux.
C’est brillant d’inventivité, enchanteur, et on regrette un peu de ne pas avoir du rab’ une fois arrivé à la fin. Même après le troisième monde, les surprises et l’émerveillement sont toujours là, et on redécouvre les possibilités offertes par un jeu Mario classique sous un œil neuf, même si l’aspect éphémère des sections de Fleurs prodiges semble assumé.
Quand on voit les crédits du jeu, on est d’autant plus étonné, avant de comprendre un peu mieux : la plupart des décisionnaires sur le développement de Wonder sont des vétérans de longue date chez Nintendo, dont un certain Takashi Tezuka en tant que producteur. Un gars qui a tout simplement travaillé sur le tout premier Super Mario Bros. paru sur NES en 1985.
Tout ce beau monde s’est réuni autour d’une table et s’est posé la question : “comment qu’on fait un Super Mario Bros. sans avoir l’air ringard aujourd’hui ? On fait le même jeu depuis presque 40 ans, mais comment toujours trouver cet équilibre parfait entre classicisme et innovation ?” Je ne sais pas trop comment ils l’ont fait, mais ils y arrivent toujours : Super Mario Bros. Wonder est une magnifique synthèse de 40 ans d’histoire du jeu vidéo, l’équipe ayant digéré avec talent ce qui font les subtilités d’un bon jeu Mario, tout en apportant la killer feature qui change tout.
Super Mario Bros. Wonder souhaite être une source d’amusement avant tout, quitte à proposer une expérience à la carte en donnant la possibilité de progresser tout en laissant les niveaux les plus difficiles derrière, ou un système de badges qui permet de profiter de compétences qui enrichissent le gameplay. Certains personnages sont même invincibles, facilitant le jeu en coopération avec les tout petits.
Tâtonnant le terrain où il le peut, Super Mario Bros. Wonder propose même un mode en ligne plutôt intéressant, donnant l’impression de coopérer avec des joueurs distants, mais sans l’entrave du cadre comme dans une session en multijoueur local (à moins d’inviter spécifiquement un ami).
Un joueur de passage peut vous ranimer en cas de mort imminente, tandis qu’un système de panneaux à placer – et collectionner – permet de pointer des points précis sur le parcours, comme pour partager l’emplacement d’un secret de façon asynchrone. Ouais, c’est bizarre à dire, mais je crois que Mario Wonder s’est inspiré de Dark Souls. C’est mignon, peu invasif, au potentiel de sauver une partie, et surtout totalement optionnel.
Toutefois, certains niveaux sont pensés avec la coopération asynchrone en tête, comme une chasse au trésor se déroulant dans un niveau ouvert, où chacun essaye tant bien que mal d’indiquer les différents emplacements aux autres participants.
Un parfait symbole pour la fin de vie de la Switch
On pourrait naïvement croire que Super Mario Bros. Wonder est une simple retouche artistique de la formule Super Mario en 2D, mais c’est un titre bien plus généreux qu’il en a l’air. Les plaisirs simples sont intacts, servis par un level design toujours compétent, mais qui représentent en réalité une mise en bouche pour les surprises que le titre aime balancer en rafale, et ce sans jamais faillir. Chaque niveau propose une phase de gameplay qui a toutes les chances de dessiner un sourire niais et irrépressible sur votre visage, prouvant que même 40 ans plus tard, Mario a toujours un truc à dire… entre tradition et modernité. Eh ouais, on n’a pas peur des formules chocs, chez War Legend.
Ce qu’on a aimé :
- Les phases de Fleurs prodiges
- Visuellement impeccable et charmant
- Multijoueur en ligne asynchrone sympathique
- Peaufiné à l’extrême
- Difficulté à la carte…
- Du défi avec le Monde spécial
- Les fleurs parlantes sont bien drôles
Ce qu’on n’a pas aimé :
- Un poil court
- … mais trop facile en ligne droite
- Boss trop peu intéressants
- Tous les badges ne se valent pas
- On aurait bien voulu courir avec une gâchette, parce que c’est bien parfois galère
Ce jeu est fait pour vous si :
Vous aimez Mario dans sa forme la plus pure ; vous adorez les surprises.
Ce jeu n’est pas fait pour vous si :
Vous préférez qu’on évite de toucher à la fabrique de la réalité.
Configuration de test :
Super Mario Bros. Wonder est disponible sur Nintendo Switch.