S’il existe aujourd’hui une émotion omniprésente dans la vie de tous les jours, c’est bien la peur ; peur de perdre son travail, peur de l’avenir, peur de la mort, peur de TF1, peur de la peur, peur des rappers, ce sentiment est là à chaque fois que l’être humain se retrouve confronté à des choix. La peur est donc présente à tout moment, partout et particulièrement dans les jeux vidéo. Nous allons voir ensemble pourquoi, comment et surtout dans quel ordre la peur influe sur le comportement des joueurs.
Les premiers frissons
Pong est sorti en 1972, la même année que les 40 ans de Madonna. Le jeu se jouait en général contre un autre joueur, l’excitation d’affronter un être humain, la nouveauté du support et l’aspect social l’emportaient sur la peur et la frustration de perdre ; tout le monde était autour de la borne et découvrait les joies du jeu vidéo dans la joie et surtout dans la bonne humeur, le LSD aidant. Les patrons de bars se rappellent d’ailleurs de cette époque bénie où les gens venaient juste pour jouer à Pong, et restaient des fois la journée entière sans boire un verre. Qu’en est-il 40 ans après ?
« De mon temps on savait jouer, ptit gars ! »
De nos jours, le constat est accablant : tout le monde s’accorde à dire que Pong « c’était bof au final », et que le LSD « y’a mieux aujourd’hui, papy ». Mais je m’égare. De nos jours donc, le jeu vidéo est devenu une industrie qui génère plus de chiffres d’affaires que le cinéma, le jeu online représente plusieurs centaines de millions de clients potentiels et chaque salon ou grand rassemblement des éditeurs de la profession ressemble à une gigantesque orgie romaine où la manette et la souris auraient remplacé les jeunes femmes et les bergers allemands. Du coup, avec la naturelle vitrine mondiale dévolue à tout ce qui fait du fric, s’est développée une hyper accessibilité des informations de jeu ; beaucoup de jeux vidéo et de supports proposent de conserver un historique de votre activité en jeu, comme par exemple Steam ou les MMO comme WoW ou Aion qui, au travers de leurs armureries, montrent le personnage, ses hauts-faits et son activité récente en jeu. Et c’est là que la peur arrive ; le joueur réalise que son personnage est public et qu’il a autant de chances de passer inaperçu que de faire du scooter avec un ours.
La culture de la lose
Vous êtes-vous déjà demandés pourquoi, dans la plupart des MMO actuels, le PvP (Joueur contre Joueur) est réduit au plus simple appareil, souvent considéré comme « mini-jeu », comme une activité annexe ? C’est très simple, les gens n’aiment pas perdre. Les gens n’aiment pas perdre contre un ou des autres joueurs, car cela implique forcément une remise en cause personnelle, le fameux « pourquoi il m’a tué et pas moi ? ». C’est très freudien comme comportement (probablement pas, mais ça fait classe dans mon texte), le fait d’avoir été battu par un autre joueur provoque une certaine honte, un malaise, avec un niveau de perception différent pour chacun. D’ailleurs c’est amusant, c’est en général à ce moment que les insultes arrivent dans la discussion, tel les chutes du Niagara de la rage se déversant dans le Danube de la mauvaise foi (au Mexique). Mais, géographie de Toto à part, on sait tous que la plupart du temps il n’en est rien, on ne veut pas admettre que l’autre joueur aurait pu être meilleur que nous sur un temps donné et on ne veut pas assumer qu’on s’est bien fait avoir et que tout le monde l’a vu, va le voir et s’en rappeler à vie, tel Loana dans la piscine. Et en PvE (Joueur contre Environnement), c’est pareil ?
Go PvE noob
En PvE, la mort sera souvent provoquée par un boss trop puissant, un combat trop dur ou un manque d’équipement. Voilà, vous avez lu ça ? La majeure partie des gens va associer sa mort à un autre élément, presque jamais à la possibilité que sa mort résulte d’une erreur de sa part. En PvP, la mort va être associée à l’autre en face qui aura été meilleur et va déclencher, souvent inconsciemment, une défense composée d’arguments fallacieux. Alors qu’en PvE, les joueurs vont plus facilement associer leur mort à d’autres facteurs que leur éventuelle médiocrité. On a peur de perdre contre un joueur, pas contre une machine, car les implications sont différentes, et l’inconscient réagit moins bien face à une défaite « humaine ». On a aussi peur que les autres soient témoins de notre déconvenue, un peu comme quand un mime de rue s’intéresse soudainement à vous pendant que vous attendez à l’arrêt de bus blindé de monde, qu’il reste 19 minutes avant le prochain bus et que tout le monde a décidé de regarder ce gentil mime de rue se payer votre tête, faire le miroir et moquer vos vêtements. La défaite humaine pour certaines personnes laisse autant de marques à l’amour-propre qu’un brossage de dents avec une chaussure de golf. Putains de mimes.
Tentative d’homicide volontaire contre un intermittent du spectacle de rue
Mon opinion est que les joueurs, si le choix leur est donné, préfèrent perdre face à une machine que face à un autre joueur, la mort à cause d’un joueur bouleverse trop l’esprit par rapport à une mort contre la machine, plus facilement justifiable dans l’inconscient. D’ailleurs les game designers l’ont vite compris : finie l’époque où en cas de mort le joueur perdait tout son équipement, voir son personnage, on ne pénalise plus la mort, et on rend le temps d’interruption au jeu le plus court possible. Les MMO occidentaux qui ont actuellement le plus de succès en termes de clients sont justement ceux qui ont adopté cette recette : dans World of Warcraft, Rift, ou Star Wars : The Old Republic, vous ne perdez rien en cas de mort, et le temps de résurrection dépasse rarement 30 secondes, à l’instar d’une tentative de coït après une soirée « tequila-whisky-champagne venez tester c’est génial » chez le voisin. Vous l’avez compris, aujourd’hui le game design d’une grande partie des jeux vidéo est construit autour de la peur des joueurs et des moyens pour la contrôler, on va faire tout ce qui est possible pour limiter au minimum l’interaction avec les sentiments, un peu comme au guichet de La Poste, d’où ce bizarre ressenti de jouer des fois à des jeux « fades » ou encore d’avoir l’impression « d’être au boulot » en jouant. Au final, la peur de tout a été remplacée par le sentiment du rien.
Après cette excitante, motivante et joyeuse pseudo-analyse de la peur dans les jeux vidéo, mon prochain billet tournera autour de la fin du monde, de la dégénérescence de notre société et pourquoi il faut recourir au suicide global par sac Aldi pour sauver l’humanité. Merci, bonne nuit et bonne chance.
Spécialiste en psychologie comportementale et féru de maquettes en poisson cru à ses heures perdues, le Professeur Hengel Defwin vous livre régulièrement ses fines analyses, quand il n’est pas ivre mort en train d’insulter des chats.