Amplitude Studios – La French Touch avec trois grands A
On a toujours l’impression que le jeu vidéo français est mal représenté à l’international, à part un Ubisoft qui n’a pourtant pas grand chose de franchouillard au premier abord. Cependant, le terme French Touch est bien une expression anglaise. J’ai donc été invité chez les parisiens d’Amplitude, géniteurs de la série des Endless, pour mieux comprendre de quoi il en retourne.
Sinusoïde
Entre deux immeubles d’habitation dans le 12e arrondissement de Paris près de Daumesnil, se dresse un petit agglomérat d’entreprises tout modeste, qu’on passerait sans faire attention. C’est pourtant dans cet immeuble qu’une magie assez particulière opère. Amplitude Studios, petite équipe indépendante fondée en 2011 par Romain de Waubert et Mathieu Girard — deux anciens d’Ubisoft — rêve de sortir un 4X spatial de qualité. J’ai passé beaucoup de temps sur Endless Space sur lequel les nuits blanches avec les copains se sont succédées. Même s’il n’apportait rien de nouveau au genre, son niveau de finition et son ergonomie étaient tout bonnement exemplaires pour une équipe aussi réduite.
Fort de leur momentum et du succès du titre dépassant toutes les attentes du studio avec plus d’un million de ventes, l’équipe parisienne eut tout le loisir et les ressources pour créer ce qui leur plaisait. Après une petit jeu très sympathique (et très dur) fait sur un coin de nappe pendant la pause déjeuner, Endless Legend — spin off heroic fantasy — bat tous les records et s’impose rapidement comme un nouveau classique du genre. Plus en forme que jamais et fort de leur expérience sur Endless Space et Endless Legend, Endless Space 2 rentre immédiatement en chantier et sort en early access en octobre 2016. Nous sommes invités par le studio pour visiter leur environnement de travail et tester la dernière version avant sa sortie dans quelques jours.
Fait comme chez ouate
Nous sommes accueilli par Romain de Waubert, co-fondateur du studio qui tente déjà de nous acheter dans la cuisine de l’espace détente avec des pâtisseries succulentes. On n’a pas encore vu l’espace de travail qu’on passerait bien un weekend dans les locaux : borne d’arcade, consoles de jeu (une Neo-Geo authentique, miam), panier de basket tout droit tiré de la Tête dans les Nuages. Très inspiré par la vague start-up de ces dernières années, le lieu de travail est également un lieu de vie. La plupart des employés passent facilement plus de temps dans le studio que chez eux, il est donc vital de se sentir déjà comme chez soi dans un environnement propice à l’épanouissement personnel et à la bonne entente de l’équipe. Bon, c’est gnangnan dit comme ça et c’est pas nouveau, mais je pense personnellement que c’est ainsi qu’un studio indépendant à succès doit continuer à travailler : dans le sérieux et la passion mais toujours avec sérénité et bonne humeur. Evidemment, un pistolet Nerf n’est jamais très loin.
On descend d’un étage, et tout le monde cravache. On sent que l’équipe s’est bien agrandie depuis les dernières années puisqu’elle est limite à l’étroit. Romain nous rassure en nous expliquant que cette proximité est justement un point essentiel dans le studio puisque chaque pôle a besoin de communiquer avec un autre. Les scénaristes ont besoin de discuter avec les types qui gèrent l’IA pour être sûr qu’une race se comporte conformément au background du jeu, eux mêmes font des allers-retours avec les gars de l’interface (point d’orgue des jeux Endless) pour être sûr que tout se goupille, qui eux même travaillent intrinsèquement avec l’équipe créative graphique pour être sûr que tout reste cohérent, avec Romain et Mathieu, toujours au milieu de l’open space pour pouvoir superviser tout, et en douceur.
En recherche constante de nouveaux talents, il explique également que si le moteur de jeu Unity était un choix économique à la base, il est rapidement devenu une raison évolutive au sein même du studio. Comme beaucoup d’écoles de développement de jeu vidéo en France utilisent ce moteur pour apprendre les rudiments, les bizuts n’ont alors besoin que de très peu de formation ou d’adaptation pour se greffer directement à un projet. Ils forgent alors déjà leurs toutes premières expériences en rentrant immédiatement dans le bain, toujours avec leurs collègues pour les soutenir. Les tableaux noirs et le concept art jonchent les murs du bureau, rappelant à chacun que tous participent à un projet commun. Je suis vraiment trop mièvre quand je m’y mets… Le studio compte aujourd’hui 67 personnes contre 11 lors de sa fondation en 2011. La plupart des devs n’étaient pas forcément des fans de 4X à la base, explique Romain, mais certains ont appris à l’être à force de s’investir dans le projet. Ils y prennent alors beaucoup de plaisir.
Déclaration d’indépendance
Vous vous souvenez du jeu de basket mécanique cité plus haut ? C’est Sega qui l’a offert au studio. En effet, depuis quelques mois, Sega édite le jeu. Pourtant, le studio arrivait sans problème à s’autoproduire depuis le succès des jeux précédents. Mais le marketing, c’est tout un métier, et Romain et Mathieu n’avaient pas vraiment le temps de s’en occuper. Un coup de pouce logistique et financier n’est jamais de trop. Comment faire confiance à un méchant éditeur qui veut sucer toute votre force créatrice jusqu’à la moelle pour son seul intérêt ? On le voit pourtant avec Warhammer: Total War et Dawn of War III et leur modèle économique et/ou leur game design casu chelou là ! C’est forcément les directives de Sega, ces enfoirés d’éditeurs ! Pour le coup, Mathieu m’assure qu’il n’en est rien. Sega connaît le boulot qu’ont les développeurs et sont très respectueux à propos de ça. Si un studio a du succès et possède déjà une fanbase, vouloir imposer des directives et des objectifs irréalisables ne ferait que corrompre le travail des développeurs et la qualité finale du jeu. Ils sont suffisamment intelligents pour savoir qu’il ne faut pas cracher dans la soupe.
En gros, si Warhammer: Total War II est une grosse honte marketing, il faut en vouloir à The Creative Assembly et à eux seuls. Mathieu m’a même confié qu’ils étaient plutôt nerveux lorsqu’ils devaient annoncer à Sega qu’ils aimeraient repousser l’early access de quelques semaines. Il n’en fut rien et Sega les a même encouragés à le faire : ils pouvaient prendre autant de temps qu’ils avaient besoin. Quand les gros savent que les petits ont besoin de liberté pour faire les choses bien, on peut retrouver finalement un peu d’espoir dans le paysage vidéoludique sclérosé par des producteurs parfois un peu trop à côté de leurs pompes. D’ailleurs, ici on évite le crunching : à partir de 17h30, certaines personnes se préparent déjà à rentrer chez eux. “On sait qu’un membre de l’équipe fatigué et stressé n’est pas efficace. Chacun part quand il en sent le besoin le soir”, précise à nouveau Mathieu.
Amplitude monopolise trois étages dans le petit immeuble d’entreprises qu’ils occupent. Alors qu’on découvre à ce 3e niveau encore plus de matériel de détente et une petite équipe recluse sur un projet secret, on ne peut s’empêcher de remarquer l’énorme cabine de streaming vitrée avec du matériel qui n’aurait rien à envier à JV.tv ou au local War Legend de Bourg-la-Reine. Depuis Endless Space, le studio a tenu à entretenir une relation étroite et intime avec sa communauté. Avec leur programme Games2Gether, les joueurs peuvent se connecter et proposer leurs idées pour améliorer le jeu, l’étoffer ou incorporer des choses auxquelles les développeurs n’auraient jamais pensé autrement. Chaque développeur peut répondre de manière libre et participer aux débats. Une fois une idée créée, elle est soumise aux votes des internautes et gagnera de la visibilité et de l’intérêt pour tout le monde. Par exemple, dès le départ, Amplitude avait certifié qu’ils ne voulaient pas de race végétale dans le jeu. Évidemment, quand vous dites à un sale gosse de ne pas faire quelque chose, il fait exactement l’inverse. L’idée a germé dans la tête des joueurs et chacun a apporté sa pièce à l’édifice pour l’élaboration d’une telle race. Les idées ont augmenté en nombre et en qualité et Amplitude a donc finalement introduit les Unfallen,une race donc créée principalement par les joueurs, dans un patch récent. Je suis presque triste de ne pas prendre le temps d’y participer. L’idée de la cabine de stream est de faire des lives de temps en temps sur l’avancée de leurs softs : un nouveau patch, une fonctionnalité à expliquer plus en profondeur etc. Les joueurs les plus assidus et les plus fervents en raffolent.
Finalement, on me laisse tester le jeu pendant une petite heure. J’ai beau être un habitué du genre et avoir passé du temps sur Endless Space et Endless Legend, je n’ai malheureusement pas eu le temps de voir de réelles nouveautés, et je sais pourtant qu’elles existent. J’ai toujours eu une appréhension de l’early access et n’ai donc jamais testé cet opus jusqu’à présent. Ce que j’ai pu constater, c’est qu’Amplitude a pris les mécaniques phares d’Endless Space, les excellentes idées d’Endless Legend et ont mixé le tout. Le pire, c’est que ça a l’air de fonctionner. L’interface est toujours à l’honneur et c’est une facette de tous leurs jeux qui est supervisée par Romain et Mathieu eux même. Cet aspect est tellement important à leurs yeux et si bien exécuté qu’on pourrait facilement croire que leur studio a été fondé juste pour un petit kiff d’ergonomistes. Quand on voit où ils en sont maintenant…
La visite se termine là et fut finalement de courte durée, mais j’en garde le souvenir d’un studio qui aime faire les choses bien et à sa manière. Endless Space 2 sortant en version finale demain, ils sont sûrement en train de cravacher en ce moment même, mais comptez sur moi pour vous en parler plus en détail, parce que le syndrome du One-More-Turn me démange et que mes nuits sont trop longues depuis bien longtemps.
Endless Space 2 sort le 19 mai 2017
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Très sympa cette petite visite du studio, c’est toujours intéressant d’en apprendre plus sur les coulisses de la création de JV !
A refaire avec d’autres studios si possible ! ^^
sympa cette visite des locaux et de l’esprit qui y règne.
Et absolument EXCELLENT de parler de nos dev français de qualité qui ont le soucis du détail et du travail bien fait.
Pourvu qu’ils restent petits, 67 pers ça fait déjà bcp pour assurer que tout le monde cause avec tout le monde et que la cohérence du jeu reste entière, sans compter les personnalités vaniteuses qui se glissent…
Veinard va :-)