Après un reboot surprenant et réussi en 2016, Id Software revient avec une suite logique de son shooter énervé et ultra-violent. Le cauchemar reprend sous une formule tout aussi surprenante et… déroutante.
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Vous commencez peut-être à me connaître : moi et les shooters old school, c’est une longue histoire d’amour… et DOOM a naturellement une place particulière dans mon petit cœur de gamer depuis que je suis tout pitit (j’avais genre 4 ans. Ouais, mon papa était cool… ou inconscient).
Pourtant, ce n’est que bien des années plus tard que je me suis rendu compte à quel point DOOM a eu une énorme influence dans ma culture vidéoludique, mais surtout un impact majeur dans l’industrie de l’époque jusqu’à aujourd’hui. Le titre qui a cristallisé tout ça, c’est naturellement le reboot de 2016 qui a su remettre les FPS rapides et nerveux sur le devant de la scène, mettant de côté les conflits militaires déjà devenus redondants dès la sortie du premier Modern Warfare en 2008.
L’attente d’une suite était naturelle et le fait de savoir qu’on pourrait jouer à quelque chose de bourrin entre Battlefield V et Modern Warfare (encore lui) a rendu les excités de la gâchette et les cultistes qui vénèrent le DOOM Slayer fébriles.
Maintenant que l’expérimentation de DOOM 2016 a été un succès, quelle route va prendre DOOM Eternal ? Puiser encore plus dans de vieilles influences ou bien essayer de moderniser toujours plus la formule ?
Maintenant que l’expérimentation de DOOM 2016 a été un succès, quelle route va prendre DOOM Eternal ?
L’annonce d’un report en novembre dernier a été un déchirement pour les fans, mais il faut avouer qu’il y a un truc d’assez particulier autour de la communication de de DOOM Eternal sur lequel je n’arrive pas à mettre le doigt. Certes, il est toujours question de dézinguer du démon à coups de Super Shotgun, mais le jeu semble étrange… bien différent de ce qu’on pourrait attendre d’un DOOM.
Sur une autre note, en dehors des salons, aucun média n’a pu approcher DOOM Eternal pour une preview, jusqu’à ce moment fatidique :
J’ai donc pu poser mes mimines sur DOOM Eternal pendant 3 heures. 3 heures d’hémoglobine, de gros pains, d’explosions et de gros son par Saint Mick Gordon. Et… j’ai été dérouté. Très dérouté. Enthousiaste, hein ? Mais dérouté quand même.
Dans les macchabées jusqu’au cou
Premier truc qui frappe souris entre les mains, le jeu est sacrément beau. Même sans John Carmack aux commandes, Id Software a toujours autant de chance d’avoir un moteur maison qui dépote. Le travail sur les textures est particulièrement remarquable, donnant une tangibilité assez surréaliste aux environnements et aux démons. La cerise ? C’est que c’est méga fluide.
Id Software a toujours autant de chance d’avoir un moteur maison qui dépote.
Cependant la première différence radicale avec DOOM 2016, c’est la direction artistique. Le reboot de 2016 avait réussi à réintroduire un univers assez kitsch avec beaucoup de goût, bien que le studio était assez timide sur les références aux premiers jeux de peur de perdre les nouveaux joueurs. DOOM Eternal veut rendre hommage à son héritage à 200%.
Ce côté arcade old school, le titre le revendique désormais : les diablotins ont retrouvé leurs grandes épines, les zombies ont les cheveux carrés et verts, les bonus ressemblent à ceux des jeux classiques, et les armes et power-ups flottent dans les airs, mis en avant par une couleur fluo assez criarde (je dirais trop) pour être bien visibles dans la frénésie du combat. Même l’interface en fait peut-être un trop, pas très jolie ni ergonomique, mais c’est MeTaL.
Ce côté arcade old school, le titre le revendique désormais.
Pas le temps de niaiser. Le jeu est à peine lancé et l’introduction terminée que le joueur est déjà dans les macchabées jusqu’au cou. Si DOOM 2016 manquait parfois d’impact dans les sensations de tir, Eternal rattrape assez bien ce constat. Le fusil à pompe de base a du punch et n’a plus l’impression d’être un gros pistolet nerf. Certes, les coups de feu sont toujours assez discrets, mais le sound design est bien mieux équilibré pour de la puissance toujours plus brute.
Perçu comme un gimmick au premier abord, le système de destruction localisé des monstres au fur et à mesure qu’ils ramassent du plomb est assez impressionnant et confirme visuellement qu’on inflige de lourds dégâts (les barres de vie, c’est haram). Voir le Slayer casser le bras d’un Hell Knight alors que son humérus était déjà apparent, c’est douloureux. Ça ajoute vraiment quelque chose aux glory kills, où on peut admirer l’espace d’un instant les blessures qu’on a infligé un monstre quelques secondes auparavant.
Le système de destruction localisé des monstres est assez impressionnant.
Via ce système a priori cosmétique, DOOM Eternal ose apporter quelques couches de complexité à son gameplay. Les gros démons comme le Revenant ou le culte Arachnotron possèdent désormais des points faibles qu’il faudra détruire pour rendre les combats plus gérables, ce qui apporte un sacré chamboulement dans la liste des priorités en combat. De plus, chaque gros monstre est plus vulnérable à une arme qu’à une autre, ce qui force très régulièrement à naviguer dans son arsenal.
Point qui interpelle : les armes sont débloquées très rapidement, ainsi que la majorité des outils du Slayer. C’est à partir de là que le titre va très fortement se différencier de son prédécesseur.
La différence entre le bon et le mauvais Slayer
Après trois heures de jeu, j’ai vraiment senti que DOOM Eternal n’est pas une simple suite de l’opus 2016, mais qu’il n’était pas vraiment plus proche des premiers jeux non plus. C’est assez difficile de mettre de mots là-dessus. Certes, on bouge, on tir, on étripe du diablotin à mains nues, mais il y quelque chose dans la boucle de gameplay qui est radicalement différent.
C’est assez difficile de mettre de mots là-dessus, mais il y quelque chose dans la boucle de gameplay qui est radicalement différent.
Tiens, commençons par un truc simple et pourtant primordial dans le code génétique de DOOM : le level design. De l’aveu de Marty Stratton, producteur exécutif, avec qui j’ai pu tailler le bout de gras quelques minutes, les joueurs n’aiment pas se perdre. L’exploration à l’ancienne, c’est réservé aux vieux DOOM. De ce fait, Eternal est très linaire, voire trop pour les puristes. John Romero doit se retourner dans sa tombe (même s’il n’est pas mort).
On privilégie à nouveau les combats d’arènes entre deux phases de plateformes pour progresser (agrémenté avec un nouveau système d’escalade). Il existe toujours des clés à trouver et des phases de puzzles, mais de ce que j’ai vu pour l’instant, cela reste très simple. Il y a toujours des secrets à débloquer, cependant, et des trucs de collection qui donnent vraiment envie de chercher comme il faut.
DOOM Eternal est très linaire, voire trop pour les puristes
En fait, il existe vraiment une volonté dans DOOM Eternal de ne pas vouloir froisser les joueurs. Les phases de plateforme sont simplistes, et les actions contextuelles de combat — comme la tronçonneuse ou les glory kills — sont très faciles à sortir. Quand un joueur à une idée en tête, il faut qu’il réussisse sans accroc, quitte à mettre du magnétisme un peu partout. Eternal ne se destine plus aux fans de la première heure, ce qui a obligé Id Software de revoir sa formule. Je suis le premier surpris, mais c’est fait de manière assez intelligente.
DOOM Eternal vous force à prendre des microdécisions toutes les millisecondes de façon inconsciente. C’était déjà le cas dans 2016, mais le nombre d’actions possibles dans Eternal a presque doublé. Le DOOM Slayer peut désormais dasher dans une direction, s’accrocher à un mur, se balancer depuis une poutre pour toujours plus de ballet aérien, recourir à son nouveau lance-flammes pour générer de l’armure, utiliser une grenade utilitaire, donner un coup de poing surpuissant, le tout limités par de simples cooldowns assez rapides.
Eternal ne se destine plus aux fans de la première heure, ce qui a obligé Id Software de revoir sa formule, mais c’est fait de manière assez intelligente.
Le jeu est bien plus rapide qu’auparavant avec des monstres très agressifs et bien plus nombreux (en difficulté max en tout cas, conseillé pour les besoins de la preview). Il faut toujours être sur le qui-vive et se poser en permanence la question sur ce dont vous avez besoin : j’ai peu de munitions ? Tronçonneuse. J’ai de la place pour de l’armure ? Lance-flammes. Je vais crever ? Vite, du glory kill. Chaque jauge du joueur se vide au fur et à mesure des combats et c’est à lui de faire attention comment les remplir de façon efficace.
De ce fait, explorer les niveaux pour de la vie, de l’armure et des munitions vous aideront pendant les premières secondes d’un combat, mais vous ne serez pas à court trop longtemps de toute façon. On a presque l’impression que le jeu n’existe finalement plus que pour les phases de combat, à la manière d’un Beat’em up. Le reste en devient presque superflu, une perte de temps. Pas la peine de gérer ses stocks de façon réfléchie tant que la prochaine décision est la bonne.
On a presque l’impression que le jeu n’existe finalement plus que pour les phases de combat, à la manière d’un Beat’em up.
On renforce ce que 2016 avait entrepris jusqu’à une certaine singularité, quitte à donner un sentiment d’artificialité à l’ensemble. C’est un poil trop calibré à mon goût, mais ça fonctionne très bien d’un point de vue game design pur.
Arracher et déchirer
Le titre est bel et bien différent, mais pas moins bien pour autant. Si le spectre des joueurs visés s’est élargi, Id Software n’oublie pas ses fans hardcores pour autant avec de nombreux trucs à débloquer et découvrir au fil du gameplay pour les plus acharnés.
Si le spectre des joueurs visés s’est élargi, Id Software n’oublie pas ses fans hardcores pour autant.
Le principal truc auquel j’ai pu me frotter, c’est une Porte du Slayer, un nid à Gore qui renferme un combat optionnel désigné comme difficile. Et oui, c’est vraiment hard. Les démons étaient en nombre dans une arène assez petite, où il était difficile de naviguer. La seule tactique que j’avais, c’était de fuir, rester en mouvement et de dézinguer les malheureux que je croise sans m’arrêter pour autant. Une fois qu’on a saisi la boucle de gameplay avec les bonnes stratégies pour rester en vie, tout s’enchaîne de manière très fluide.
Admirez un peu le skill, parce que j’ai bien bien chaud.
Dans les combats les plus corsés, on laisse le cerveau reptilien prendre le relais et on entre facilement dans la Zone™, cet état second où il n’y a plus que vous et le jeu, jusqu’à la mort du dernier démon. Je me suis surpris à plusieurs reprises de jurer et pester à haute voix lors d’une mort (très rarement injuste), alors que j’étais au milieu d’autres journalistes. Preuve que le titre est vraiment prenant.
Dans les combats les plus corsés, on laisse le cerveau reptilien prendre le relais et on entre facilement dans la Zone™.
En revanche, là où je suis moins fan, c’est la volonté de Bethesda d’exploiter le jeu dans la longueur au maximum, avec une jauge d’expérience pour débloquer des éléments cosmétiques pour décorer le hub central du jeu et des skins pour les modes multijoueurs (que je n’ai pas pu tester).
Déjà annoncée par Id Software, la narration de DOOM risque de s’étoffer, quitte à ajouter du lore qui n’existait pas auparavant. John Carmack avait dit que le scénario d’un jeu vidéo était comparable à celui d’un porno, mais bon. Si c’est ce que veulent les joueurs…
Pourtant, cela renforce vraiment la personnalité — toujours muette — du Slayer. Pourquoi est-il si en colère ? Pourquoi est-il si puissant ? Id Software espère que les joueurs se posent des questions pendant les nombreuses scènes cinématiques (avec de très jolies animations). J’aurais préféré qu’on garde un point de vue subjectif pendant ces derniers, mais DOOM Eternal compte bien iconiser le Slayer comme jamais auparavant.
La narration de DOOM risque de s’étoffer, quitte à ajouter du lore qui n’existait pas auparavant.
Oh, comment parler du DOOM moderne sans mentionner la bande-son de Mick Gordon ? Il semblerait que la musique soit un poil moins expérimentale — chorale de screamers à part — que celle de son prédécesseur pour faire de l’efficace, mais on garde l’essentiel : du gros riff, du gros son et un style inimitable. Très bon point cependant, la musique d’adaptative d’Eternal fait un meilleur boulot que celle de 2016. J’ai hâte de l’écouter dans son ensemble. Sur une autre note, j’ai reconnu quelques motifs issus des musiques de Bobby Prince. Les fans de la première heure apprécieront.
“Nous n’enverrons que toi”
DOOM Eternal se focalise sur la tuerie et met le reste de côté. Il a de la chance, il le fait bien et ne met jamais vraiment personne sur la touche. L’aspect tactique des combats s’est renforcé au détriment d’un level design volontairement “appauvri” pour une action plus immédiate et brutale. La licence revendique enfin son statut de quintessence de jeu vidéo pour la gloire du fun et du gameplay avant tout, quitte à proposer quelque chose de radicalement différent. Même si j’ai été dérouté par la direction prise par Id Software, je n’ai qu’une envie : replonger en enfer.
Bilan : Très bon
DOOM Eternal sera disponible le 20 mars sur PC, Xbox One et PS4.