6 ans après Prey, Arkane Austin revient avec Redfall. Dans un désir de s’éloigner de la “malédiction Arkane”, d’excellents jeux encensés par la critique mais au public de niche, la partie américaine du studio propose quelque chose de plus consensuel… au point d’en oublier ce qui faisait sa force. Nous avons joué une heure et demie en solo à Redfall, et il faut avouer que nous sommes un peu perdus… et pas pour les bonnes raisons.
C’est même moins compliqué que ça en a l’air
Le principal problème avec les jeux Arkane, c’est qu’ils sont terriblement difficiles à vendre. Malgré leur budget respectable et le talent reconnu du studio franco-américain, le grand public ne comprend pas trop l’intérêt de ces jeux à la première personne qui ne sont pas des “vrais FPS”. C’est tout juste s’il connaît le terme de “Immersive Sim“, un genre de prédilection pour le studio qui a débuté avec un hommage à Ultima Underworld.
Il est difficile de donner envie au grand public de sortir des sentiers battus, et Arkane a toujours eu des problèmes pour présenter l’intérêt de ses jeux. Je veux dire, comment faire comprendre que Prey, c’est vachement bien, et peut-être un des jeux vidéo les plus importants de ces 10 dernières années ?
Au lieu d’éclaircir les joueurs, les vidéos de présentation de Deathloop, où Dinga Bakaba donne de sa personne pour expliquer le principe de boucle temporel, n’ont fait qu’ajouter du bruit autour du concept d’un jeu a priori cryptique… qui n’était pas si complexe une fois en main, ce qui ajoute un aspect dommageable à la chose.
Lors de son annonce à l’E3 2021, ça n’a pas loupé : personne ne savait trop à quoi s’attendre avec Redfall. Jusqu’à encore récemment, Arkane Austin s’est retrouvé à présenter la structure de son nouveau jeu, avec plus ou moins de succès. Au moins, une chose était claire : le titre est pensé pour la coop, avec des personnages aux diverses compétences complémentaires.
Comment se dépatouiller de la réputation cryptique des jeux du studio, histoire que tout le monde y trouve son compte ? Il n’y a pas de réponse toute faite, mais arriver à distiller “la patte Arkane” dans un produit à priori plus accessible fait sans doute partie des bonnes idées, ce qui semble être l’origine du projet. “Hey, on n’est pas mauvais dans le level design : pourquoi ne pas exploiter ça pour faire un monde ouvert à la Far Cry ?“.
Eh oui, pour répondre à la question une bonne fois pour toutes : Redfall est un open-world classique, trop même, sans les bizarreries habituelles du studio. Sa particularité tout de même est de vouloir faire beaucoup avec peu. On n’est clairement pas sur un niveau d’indigestion de points d’intérêts comparé à un Far Cry, et il faut avouer que la note d’intention est appréciée, même s’il s’agit du plus grand terrain de jeu jamais créé pour Arkane.
L’exploration de Redfall est entièrement libre, bien que la ville soit divisée en différents quartiers contrôlés par des dieux vampires autoproclamés. Des missions principales permettent d’en connaître plus à leur sujet, afin d’avoir toutes les cartes en main pour les affronter sereinement. Seulement, avant d’avoir la chance de les rencontrer dans leur dimension psychique, il faudra d’abord exterminer leurs lieutenants, répartis un peu partout sur l’île, quitte à flinguer des cultistes et planter des pieux dans quelques cœurs de vampires au passage.
“Tu me fends le cœur”
Le but de la démo que j’ai pu tester était de prouver que, même si Redfall est un jeu pensé avec la coop en tête, les joueurs habitués aux productions Arkane pourraient avoir des raisons de se lancer dans l’aventure en solo. Sur le papier, les fans peuvent retrouver quelques éléments qui représentent bien le charme des jeux Arkane, mais les faits sont un peu plus compliqués que cela.
Après s’être fait la main sur le level design semi-ouvert de Wolfenstein: Youngblood, on se rend compte que la ville de Redfall profite pleinement de cette expérience. On n’a clairement pas les outils de déplacement d’un Dishonored ou d’un Deathloop, mais la carte permet de sauter de toit en toit et d’explorer l’intérieur de quelques bâtiments. La navigation est plutôt organique et on s’approprie assez bien les lieux.
Étant donné que l’on est à pied pendant toute l’aventure, la ville a une taille parfaite, pas trop grande pour rendre les déplacements longs et ennuyeux, et pas trop petit pour proposer pas mal d’ambiances différentes. À terme, on sent que Redfall a le potentiel pour être une bourgade aux quartiers et lieux reconnaissables, avec lesquels on devient rapidement familier.
Le truc, c’est que l’expérience devrait être radicalement différente en fonction du personnage que l’on incarne, bien que l’utilisation des armes soit commune tous, qu’il soit question d’un fusil d’assaut, d’un sniper ou d’un canon à UV, particulièrement efficace contre les vampires.
Présente lors des rituels qui ont permis au 1% de devenir des vampires (des vrais), Layla possède des pouvoirs psychiques qui lui permettent de créer un bouclier et un tremplin fantomatiques, facilitant les déplacements verticaux de l’équipe, tandis que Devinder le cryptozoologue – rien à voir avec des singes en NFT – pourra user d’un translocateur pour se repositionner rapidement, tout en posant des pièges électriques.
Ce sont les seuls personnages qui ont un semblant de mécanique de déplacement, tandis que les deux autres membres du groupe également hauts en couleur, Remi et Jacob, remplissent les rôles de support au robot multitâche et d’observateur furtif. D’ailleurs, le titre devrait s’enrichir d’au moins deux autres héros au fil de la progression.
Pour ma (courte) session, j’ai justement choisi Jacob, parce que la discrétion dans un jeu Arkane, c’est toujours cool pour appréhender la situation et préparer une action létal efficace. Et la bonne nouvelle, c’est que la force létale est la seule option viable.
Mais c’est là que la proposition de Redfall commence à pêcher.
Une (longue) nuit en enfer
On se doutait que le gameplay de Redfall serait moins subtil qu’une autre production du studio franco-américain, mais pas à ce point. Le gunplay est extrêmement basique, et si on n’est pas trop mauvais aux shooters, les ennemis de Redfall ne présentent presque aucune forme de menace.
Au départ, j’ai essayé de me prêter au jeu, envoyant mon corbeau spectral pour marquer des ennemis et me rendre invisible pour les prendre à revers, mais deux combats et une constatation qu’il est impossible d’éliminer des cibles dans le dos plus tard, j’ai vite abandonné l’idée : les cultistes réagissent très mal à vos assauts, et je n’ai jamais eu à avoir peur des types au mégaphone sensés appeler des renforts.
Les vampires ne sont pas vraiment plus dangereux, si ce n’est qu’ils se téléportent parfois de manière aléatoire pour se rapprocher et que les achever nécessite un coup de baïonnette/pieux dans leur cœur exposé… obligeant de switcher sur la bonne arme à chaque fois. J’enchaîne les têtes, et je gagne. Aussi simple que ça, et le fait d’incarner Jacob n’est pas vraiment un avantage en soi, bien que son pouvoir ultime, un véritable aimbot qui prend le contrôle direct de la souris, est un pouvoir aussi abusé qu’il n’est pas amusant à utiliser.
J’ai énormément de mal à écrire ces lignes, parce que durant toute ma session, j’avais la sale impression de passer à côté de quelque chose, de la proposition globale du jeu… ce qui est d’autant plus déroutant quand on arrive à adhérer sans sourciller à des expériences aussi particulières que ne l’étaient celles de Deathloop ou Prey.
J’ai commencé par accuser le fusil d’assaut légendaire qu’on m’avait fourni, bien trop fort, mais même en optant pour des armes plus sages, le constat était le même : les combats ne sont tout simplement pas amusants ni engageants, et les quelques ennemis spéciaux ne se démarquent pas assez pour obliger le joueur à s’adapter à la situation. Et je n’ai pas l’impression qu’un cran de difficulté supérieur aurait permis de rendre l’expérience foncièrement plus intéressante.
Rentre alors en jeu les Nids de vampires, des poches dimensionnelles qui renforcent tous les suceurs de sang dans sa zone d’influence. À ce moment, on se dit que la prudence est enfin de mise… mais je n’ai pas ressenti le danger que je suis sensé éprouver en rentrant sur leur territoire. Toutefois, c’est l’occasion parfaite pour découvrir dans leur repaire, sorte de donjon où la réalité est distordue, mettant en avant la patte artistique d’Arkane.
J’en profite alors pour tester les armes un peu plus farfelues, histoire de m’extirper de mon marasme, comme le canon à UV et le lance-pieux, et force est de constater que des munitions rares apportent une certaine forme de tension appréciable. Pour se ravitailler, il faut alors se ravitailler dans des abris répartis un peu partout en ville, débloqués via des quêtes secondaires qui permettent d’interagir un tant soit peu avec les survivants de Redfall.
Mais même si c’est rigolo de casser un vampire transformé en statue d’un coup de poing, les quelques armes qui sortent de l’ordinaire n’arrangent pas vraiment la redondance des affrontements, l’aperçu de l’arsenal ne s’annonçant pas comme particulièrement varié. De même, les compétences et les arbres de talent ne semblaient pas particulièrement inspirés, et n’apportent pas le dynamisme ou des variations de gameplay nécessaires pour soutenir l’ensemble.
À tête creuse
Du coup, on cherche quand même un semblant de raison pour continuer, et les quêtes principales sont toutes trouvées pour cela.
Durant ma session, les résistants étaient sur le point de découvrir le secret de la naissance de l’Homme creux, l’un des “dieux vampires” à l’origine de ce foutoir qui a pris Redfall au dépourvu. La dernière étape consiste donc de fouiller son domicile du temps où il était humain, un joli manoir payé avec les profits de Big Pharma. En tout cas, j’aime beaucoup le commentaire social, bien que léger, du jeu, comparant les vampires à l’élite qui n’avait plus que le sang des classes populaires à ponctionner.
Après avoir balayé de façon très bourrine et sans aucune subtilité les gardes du manoir, s’engage alors une recherche des clés d’un laboratoire caché… prisonnière d’une dimension psychique. Pour reformer la réalité, il faut alors retracer l’origine de la déchirure qui s’avère être la mort de la fille de l’Homme creux, qui n’a pas hésité à la sacrifier pour ses recherches.
Si la plupart des objectifs sont indiqués dans l’interface, les missions principales semblent être les rares fois où se sont sent réellement dans un jeu Arkane. Rien de bien folichon, mais pour retracer le parcours de la fillette, il faut explorer le manoir de fond en comble, s’appuyant sur un document écrit, c’est-à-dire sans marqueur de quête qui mâche le travail.
Il faut alors se creuser un minimum les méninges pour trouver les différents éléments pour progresser, et pour la première fois, je me suis senti un minimum stimulé. Bien qu’il ne soit pas très grand, la conception du manoir est plutôt bien foutue, et on apprécie pouvoir s’approprier les lieux.
C’est d’ailleurs le moment d’expérimenter ce que Redfall a à proposer en termes de narration, et si suivre des flashbacks intégrés dans l’environnement et lire des logs restent toujours des passe-temps intéressants, je me demande si cela est toujours pertinent dans le cadre d’un jeu pensé pour le groupe, où il est difficile de canaliser l’attention de tout le monde sur quelque chose de particulièrement passif.
Mais c’est aussi ma petite touche d’espoir pour Redfall : je n’ai pas pu avoir de réponse concrète sur les différences qu’il existe entre le mode solo et la coopération sur le nombre d’ennemis, mais j’espère sincèrement que le simple fait de jouer avec des amis apporte ce petit facteur fun qui était absent de ma session de jeu, et que le monde est conçu pour s’adapter en conséquence. Augmenter le nombre d’ennemis dans les rues de la ville serait déjà un bon début…
Parce que s’il y a bien un truc qui a enfoncé le pieu le clou dans mon ressenti sur cette drôle d’heure et demie passée en compagnie du dernier jeu d’Arkane, c’est l’arrivée d’un Catalysme : un sous-boss récurrent qui débarque pour punir les joueurs s’ils titillent un peu petit peu trop les vampires, en complétant des missions, mais aussi en se faisant repérer par des guetteurs perchés sur les toits… et dont le champ de vision en mode visée laser est bien trop facile à éviter. Encore une menace qui n’en est pas vraiment une…
Ce n’est pas le cas du Cataclysme, premier véritable sac à PV du jeu que je rencontre et qui n’a comme seule tactique de me foncer dessus pour me mettre une droite. Le manque du dynamisme du gunplay de Redfall brille alors comme mille feux, puisque je n’ai jamais l’occasion de vider mon chargeur dans le buffet du Catalysme, bien trop occupé à courir dans la direction opposée pour éviter les coups. Un système d’esquive n’aurait pas été de trop, ou bien un semblant de capacité défensif pour chaque personnage. Avec Jacob, j’avais clairement l’air un peu idiot, façon Benny Hill avec un vampire body buildé aux fesses.
Heureusement que le canon à UV permet de le tenir en respect de temps en temps, mais là encore, le combat n’était franchement pas des plus passionnant. Avoir des copains dans la partie pour diviser son attention peut potentiellement rendre la rencontre un peu moins étrange, mais c’est entre autres pour ça que j’ai peur que Redfal ne soit pas taillé pour le jeu en solo.
À corps et à crocs
Dire que cette heure et demie à jour à Redfall m’a dérouté serait un euphémisme. Si la proposition d’un monde ouvert à la sauce Arkane Austin a plein d’arguments pour séduire, la volonté de proposer un jeu plus consensuel risque de lui jouer de vilains tours. Les échauffourées avec les vampires et leurs cultistes manquent cruellement de dynamisme, touchées par une étonnante fadeur alors que l’univers éprouve une terrible envie de se lâcher. Le but de cette session était de nous rassurer que le titre serait tout aussi plaisant à traverser en solo qu’en coop, mais c’est tout l’inverse qui s’est produit : Redfall est pensé pour le jeu en équipe, et ça se sent. Le constat est inquiétant à un mois de la sortie, et il est difficile de savoir si le résultat final peut varier, mais on espère qu’un bon groupe de copains saura porter l’expérience comme il faut.
Redfall sera disponible le 2 mai sur PC et Xbox Series, dans le catalogue du Game Pass dès la sortie.