Après avoir quitté Sledgehammer Games en 2018, Glen Schofield revient pour explorer le plus gros fait d’armes de sa carrière : l’horreur spatiale incarnée par Dead Space. The Callisto Protocol ne prend clairement pas soin de camoufler cette affiliation, mais est-ce que le titre possède suffisamment d’arguments pour s’affranchir de cette image d’ersatz ? J’ai pu jouer presque deux heures au premier jeu de Striking Distance pour me faire un premier avis
Et c’est tout sauf “protocool”
Je n’ai pas honte de l’admettre : je suis une flipette. Je comprends le charme qu’ont les jeux d’horreur, et j’aimerais leur donner une plus grande place dans ma culture vidéoludique… mais ça a longtemps été au-dessus de mes forces. Pourtant, s’il y a bien une licence que j’ai réussi à accrocher sans jamais casser mes touches Alt et F4, c’est bien Dead Space de Visceral Games.
À cette époque, les survival horror n’avaient déjà plus trop la cote, avec une tendance à donner de plus en plus de part à l’action, une transformation amorcée par un certain Resident Evil 4. Une révolution de point de vue pour la série de Capcom, mais qui a fini par toucher l’industrie toute entière, au détriment d’une volonté de faire bondir le trouillomètre. Il aura fallu attendre Amnesia: The Dark Descent en 2010 pour que le genre fasse gonfler l’action de Calvin & Klein et la fortune des premiers Youtubeurs spécialisés Gaming.
Et dans cet entre-deux, il y a Dead Space, sorti en 2008. Cette fois, l’action était au service de la tension, avec une ambiance science-fiction à l’immersion rarement égalée, notamment par son absence totale d’interface. Il y avait juste ce qu’il faut d’interaction pour rester concentré, mais toutes les pires idées du monde pour foutre les chocottes à la moindre mauvaise surprise… et elles étaient nombreuses.
Le cerveau fumait à la recherche du moindre échappatoire et d’une bonne ligne de tir pour démembrer des nécromorphes terrifiants, tandis que le prochain couloir anodin pouvait être le départ d’un changement de gameplay radical, résultant un rythme unique et des scènes d’anthologie. Un excellent équilibre pour les joueurs un peu flippés qui, comme moi, voulaient rester actifs pour contre-balancer l’aspect horrifique, via de belles frayeurs distribuées de façon organique.
Il n’est donc pas étonnant que Glen Schofield et son nouveau studio, Striking Distance, veulent toucher à nouveau du doigt ce qui faisait la magie morbide de Dead Space. De nos jours, il n’a jamais été aussi difficile de rendre un jeu réellement effrayant sans enlever au joueur des moyens de se défendre, et le studio de Krafton le sait. C’est pour ça que la progéniture spirituelle de Dead Space compte bien exploiter ce qui fonctionne encore très bien aujourd’hui dans le jeu de 2008 : une culture de la tension et son concept douteux des pranks qui ferait bleuir IbraTV. Je me rends compte que je parle beaucoup trop de youtubeurs has been, dans cet aperçu…
Oh, et le gore aussi. Beaucoup, beaucoup de gore.
Combo Breaker
On ne va pas se mentir, The Callisto Protocol est extrêmement familier pour ceux qui ont touché à un Dead Space, à commencer par un protagoniste lourd comme un âne mort. Cette lenteur permet toutefois de profiter d’environnements avec un sens du détail qui force le respect, servant parfaitement l’ambiance de mort qui règne dans les installations de la lune de Jupiter. Et parce qu’on abandonne jamais une excellente idée, le HUD est à nouveau projeté directement sur Jacob, dont la barre de vie est visible sur sa nuque. On s’y croit.
La navigation n’est pas toujours simple, notamment à cause d’un magnétisme omniprésent qui souhaite s’assurer que la moindre virée dans un couloir banal ait une certaine portée cinématographique, mais on s’y fait assez vite, grâce à un subtil langage corporel du héros qui donne vraiment une impression de malaise.
Le niveau que j’ai pu tester avait tout pour renforcer cette impression : la station d’épuration des habitats de Callisto. C’est crade, suintant… et les corps suspendus au plafond par un mucus mutagène qui a soudainement envahi l’installation n’aident clairement pas. Jacob y va souvent de son petit commentaire, même si on est loin d’une marmonarration bien reloue.
Pourtant, et j’en suis le premier étonné, je n’ai pas spécialement eu peur durant ma session, même si tous les éléments étaient là pour que ça soit le cas, dont quelques (rares) jumpscares. La faute sûrement au fait que j’étais constamment sur le qui-vive, parce quand un ennemi débarque dans The Callisto Protocol, vaut mieux se concentrer.
Il en va aussi à des changements de rythme radicaux avec des gameplays bien différents… toujours très inspirés par la progression de Dead Space, comme cette trombe d’eau qui emporte Jacob dans un énorme réseau de canalisation. On doit alors diriger le protagoniste pour éviter de se prendre un obstacle, sinon c’est la mort assurée… et de la façon la plus ignoble possible, s’il vous plaît.
Je suis tellement nul que j’ai sûrement vu la plupart des mises à mort que l’aventure avait à offrir jusque là, et il n’est pas très étonnant que le titre n’ait finalement pas le droit à une sortie au Japon, tellement les mutilations sont légion dans The Callisto Protocol. Attention, je ne parle d’un bras coupé par-ci ou d’une tête qui vole furtivement par là, mais d’un visage arraché à coups de dents, d’une cage thoracique exposée, ou du corps du pauvre Jacob disloqué et broyé de façon extrêmement violente, voire perturbante. Si la scène de l’aiguille dans l’œil d’Isaac est gravée dans votre mémoie, The Callisto Protocol aura peut-être de quoi vous la faire oublier.
Dead Space Remake Remake
S’il y a bien une ambition que j’apprécie particulièrement avec The Callisto Protocol, c’est cette volonté de donner la part belle aux ennemis, même basiques. La moindre faute d’inattention dans un combat se paye cache, et vous aurez l’occasion de passer un moment intime avec chaque mutant que vous croiserez, là où d’autres survivals-horror finissent par rendre les combats de plus en plus triviaux au fur et à mesure de la progression.
Bien entendu, les munitions sont rares et viser les points faibles est essentiel pour se donner un avantage, comme faire trébucher un mutant en pleine course en lui tirant dans le genou. L’occasion idéale pour lui asséner une attaque lourde à coup de bâton électrique alors qu’il gît au sol.
Justement, le système de combat se veut assez complexe, bien qu’on pourrait l’assimiler à un système de pierre-feuille-ciseaux assez sommaire… et souvent assez frustrant, en réalité. Bien que la démo nous plonge directement dans un niveau où l’on devrait avoir assimilé les bases du combat, j’ai bien passé la moitié de ma session dans la même salle, à me faire déchiqueter, démembrer, bouloter la face par le même trio d’ennemis. C’est bien que le jeu ait un minimum de challenge (des niveaux de difficulté sont prévus), mais j’ai eu un mal fou à comprendre ce que je faisais mal.
Balancer des attaques au pif ne rime à rien, et les attaques ennemies ont la priorité sur les vôtres, ce qui a été ma première source de frustration. Les (longues) animations donnent l’impression que mes attaquent connectent, mais avec pour seul résultat d’avoir perdu un quart de ma vie en me prenant une grosse mandale au travers de ma matraque. Il vaut mieux alors être prudent et se contenter de contre-attaquer. Imposer son propre rythme de façon agressive est possible, mais extrêmement difficile, surtout face à plusieurs menaces (dont des putains de cracheurs à distance qui soutiennent leurs potes).
Pourtant, le système de combat ne manque pas d’outils pour s’en sortir, comme le gantelet gravitationnel qui permet de saisir un ennemi et de le balancer dans le vide ou un broyeur à proximité, ou le choix entre la garde (qui grignote la vie) et des esquives qui fonctionnent assez bien avec l’aide seule du stick gauche… mais attention à ne pas masher les boutons dès qu’on pense avoir une ouverture, parce que les attaques en traître que l’on n’aura pas anticipées auront toujours le dessus. Un autre exemple sur le fait que The Callisto Protocol fait un peu trop appel à des magnétismes qui donnent l’impression qu’on perd le contrôle du personnage à la moindre action, renforçant cette sensation de lourdeur peu agréable, surtout avec les “skill shots” (tir réflexe sur un point faible ennemi révélé) qui ont la fâcheuse tendance à rendre l’action brouillon en s’appropriant la caméra.
Peut-être aurais-je dû plus insister sur l’utilisation du Grip, un gantelet gravitationnel qui permet de saisir un ennemi et de le balancer au loin (le mieux étant le vide ou un danger environnemental), mais les rencontres me semblent assez bruts de décoffrage pour le moment. Peut-être que cet aspect sera lissé avant la sortie de décembre, ou bien que les améliorations à débloquer qui étoffent le gameplay de combat par de nouvelles actions permettront de les rendre moins frustrants.
Malgré ces défauts qui pourraient s’effacer avec un peu plus de pratique, le système de combat incarne plein de chouettes idées qui permettent de garder cette sacro-sainte tension. On est jamais certain dans quel état on sera après le prochain échauffourée avec des mutants… surtout quand ils se mettent à muter davantage, comme le pire des Pokémon.
C’est peut-être la meilleure idée du jeu pour ne jamais relâcher son attention, puisqu’un ennemi basique peut tout d’un coup se voir pousser des tentacules sur son torse après avoir subi un coup. Il faut alors tirer dessus promptement, sinon le monstre mute aussitôt pour devenir encore plus costaud et dangereux. Le truc, c’est que les conditions ne sont pas toujours favorables pour en venir à bout avant la transformation (à commencer par les munitions), de quoi provoquer de sacrée montée d’adrénalines, sachant que le phénomène est aléatoire et non scripté.
Jupiter Hell
Avec son système de combat complet – mais imparfait – et son rythme qui s’inspire très fortement de son illustre parrain, The Callisto Protocol a tout le potentiel pour être un excellent cru pour les amateurs d’horreur. À défaut de faire réellement peur avec son goût prononcé pour l’action, de nombreux ingrédients sont réunis pour garder les joueurs à l’affût du moindre danger, où chaque détour d’un couloir peut être synonyme de game over. Bien que l’héritage de Dead Space soit un peu trop visible, le titre de Striking Distance propose une évolution intéressante de la formule classique des survivals-horror, tout en poussant les potards du gore jusqu’à 11. Reste à savoir si le jeu réalisé par Glen Schofield saura tenir la distance (vous l’avez ?) avec le remake de son jeu le plus mémorable par Motive, dont la sortie est prévue seulement un mois après celle de The Callisto Protocol.
The Callisto Protocol sera disponible le 2 décembre sur PC, consoles Xbox et PlayStation.