Le ratio sang versé/mètre gagné est pas top
S’il y a eu une Seconde Guerre mondiale, c’est qu’il y en a bien eu une autre avant, non ? Alors pourquoi est-ce que le conflit qui s’est étendu de 1939 à 1945 entre les forces Alliées et l’Axe a eu le droit à une tétrachiée d’adaptations en jeux vidéo, tandis que ceux qui couvrent la Der des Ders se comptent sur les doigts de la main ?
Bon, je mettrais cette même main à couper qu’un événement historique majeur où les États-Unis n’a pas le beau rôle est sûrement déjà une raison suffisante pour laquelle la guerre de 14-18 n’a pas la cote, mais… vous vous êtes renseigné sur comment c’était ? Bien qu’on pouvait mourir du jour au lendemain pour tout un tas de raisons plus macabres les unes que les autres, on ne peut pas dire que le conflit était particulièrement dynamique.
Ce n’est pas pour rien que, parmi tous les noms qu’on lui a donnés, la traumatisante Première Guerre mondiale était également connue comme la Guerre des tranchées. Ces énormes réseaux de boyaux creusés dans la terre servaient à se protéger de l’artillerie et des charges adverses. Mais avec la même stratégie adoptée dans les deux camps qui se sont regardés en chiens de faïence pendant des années, on comprend mieux pourquoi il est si difficile d’adapter ce conflit pour en faire quelque chose d’engageant.
Les rapports de forces ont longtemps été à un équilibre quasi parfait et le moindre kilomètre était gagné sur un malentendu ou un coup de chance… bien trop souvent au prix d’un coût humain bouleversant. Même si on a eu droit à des jeux d’action qui ont décidé de prendre à bras le corps la Première Guerre mondiale, il est tout de même compliqué de mettre en avant des exploits personnels, sans encenser les généraux qui envoyaient régulièrement des milliers d’hommes à une mort certaine.
Et bien… c’est justement le défi qu’a voulu relever Petroglyph Games, le fameux studio fondé par les rescapés de Westwood (Command & Conquer) en 2003, avec The Great War: Western Front. Habitué à nous pondre régulièrement des RTS au format classique, le studio texan appuyé par Frontier Foundry tient peut-être aujourd’hui son titre le plus ambitieux à ce jour, tant bien par le contexte choisi que par l’expérience qu’il souhaite proposer.
J’ai pu assister à une présentation de The Great War: Western Front durant ma présence à la Gamescom 2022, où le concepteur Chris Becker et le légendaire compositeur Frank Klepacki nous ont montré une démo du jeu de stratégie prévu pour 2023 sur PC, passant en revue les promesses et mécaniques offertes par le titre. Et si je suis souvent prudent avec Petroglyph, je dois avouer ce que j’ai vu m’a pas mal emballé.
Pour commencer, The Great War: Western Front n’est pas un RTS pur jus. S’il fallait chercher une comparaison directe, il faudrait clairement se pencher du côté des Total War, avec une carte stratégique et tout le toutim. On démarre une partie avec une ligne de front déjà fixée en 1914 aux commandes d’un des deux camps, avec des régiments répartis sur des hexagones. Le truc, c’est qu’il n’y a aucune mécanique de diplomatie, ni de ressources à sécuriser : simplement le casse-tête d’une guerre de position qui s’éternise dans le temps.
Un peu austère, la carte stratégique mériterait une meilleure présentation, mais on repère rapidement les masses d’infanteries qui s’agglutinent de part et d’autre de la ligne de front qui coupe une partie du nord-est de la France, ainsi que les places fortes comme Verdun.
Chaque hexagone de territoire propose alors sa propre carte, portant les stigmates des batailles précédentes jusqu’à la fin d’une campagne qui peut perdurer jusqu’en 1919. Au début, les décors de la campagne française sont idylliques et vierges de toute trace de combats, mais au fil des assauts et des tranchées qui se multiplient, le No Man’s Land se dessine de plus en plus. Là où se dressait un petit village ou une ferme qui ne s’attendaient pas un tel déferlement de violence, il n’y a plus que de la boue et des cratères d’obus.
Petroglyph compte beaucoup sur ces cartes qui évoluent de façon organique pour apporter des affrontements qui se renouvellent d’elles-mêmes, étant donné que l’essence même de The Great War est d’arriver à donner sens à une guerre où il est extrêmement difficile de gagner du terrain. En fin de compte, le but de la manœuvre n’est pas vraiment de changer la ligne de front, mais d’arriver infliger un maximum de dégâts à l’adversaire afin de le désorganiser, ce qui passe d’ailleurs par un impact sur son moral. Les attaques répétées sur un même régiment peuvent s’avérer destructrices sur sa fatigue, d’autant que des événements aléatoires entre deux tours et la météo peuvent bien évidemment s’en mêler.
Mais avant de siffler l’assaut, il faut surtout poser LA question : est-ce que ça vaut le coup ? Traverser le No Man’s Land est dangereux, et même une supposée victoire peut avoir des conséquences négatives sur l’effort de guerre. Ça coûte des ressources, des munitions, et surtout… des vies humaines. Beaucoup de vies humaines. Ne comptez arriver à envahir la tranchée d’en face sans perdre des hommes en chemin.
C’est pour cela qu’il faut cette petite pression du “quand faut y aller, faut y aller” venant de l’état-major, qui exigera régulièrement la prise d’un objectif sur une carte particulière.
Une fois l’assaut donné, le jeu bascule dans sa partie tactique. La comparaison avec Total War n’était pas gratuite, puisque c’est cette phase qui s’en rapproche le plus, à commencer par l’interface qui rappelle furieusement celle des jeux de The Creative Assembly. Et vu le nombre d’unités qu’il y a à gérer et organiser en groupes de contrôle, ce n’est pas plus mal. Il serait stupide d’envoyer seulement quelques soldats à l’assaut : il faut y aller en masse et de façon espacée, et prier que cela passe.
Chaque bataille désigne un attaquant et un défenseur, et ce dernier n’a aucun intérêt à bouger le premier. The Great War espère ménager ce petit temps de suspens avant l’assaut, et la gestion des tranchées en fait partie : on en créé de nouvelles histoire de délimiter un maximum son territoire, et on n’oublie pas les boyaux de communication qui permettent de se déplacer sans sortir la tête du sol… ce qui ne sera pas de trop en cas de repli vers une seconde ligne de défense.
Au-delà de la gestion des centaines de bonhommes qui se bousculent dans les tranchées (les déplacements manquent encore un peu de naturel), on reconnaît tout un tas d’options liées à la Première Guerre mondiale qui devraient mettre davantage de chances de son côté, à commencer par l’artillerie. S’il y a une chance minime de faire des dégâts directs aux troupes retranchées, cela permet surtout de les empêcher d’ouvrir le feu sur vos propres groupes d’assaut, qui traversent le No Man’s Land sous une pluie de balles.
En phase tactique, tout est une question de savoir quand et où il est opportun de mener la charge, et quelles sont les opportunités pour limiter les dégâts. Un ballon de reconnaissance pourra dévoiler la répartition de l’infanterie dans les tranchées ennemies, mais ce dernier pourra faire décoller la chasse pour les abattre, tandis que vos propres avions de supériorité aérienne essaieront de les protéger. Avec cette troisième dimension introduite du champ de bataille, il y a une sacrée ambiance dans The Great War, surtout quand les obus pleuvent par milliers sur le terrain.
Comme l’Homme a toujours été très créatif pour résoudre des problèmes pratiques et trouver cent une façons de tuer son prochain, les innovations technologiques – inspirées des vraies — seront cruciales pour renverser le cours de la guerre. Si on commence doucement avec l’amélioration de la logistique et de l’équipement des soldats, on bascule vite dans l’horreur avec l’introduction du gaz moutarde et des lance-flammes, avec des contre-mesures qui pourront éventuellement s’en protéger.
Ma capacité préférée de toute la présentation est sûrement la galerie creusée sous les tranchées ennemies, une vraie méthode utilisée à l’époque et qui permettait de tout faire péter quand l’adversaire s’y attendait le moins, résultant alors un gigantesque cratère si la manœuvre n’est pas détectée. Et on rappelle qu’à la prochaine bataille menée au même endroit, le trou sera toujours là, ce qui est à prendre en considération avant de lancer la partie tactique.
Les chars d’assaut seront également le fer-de-lance de vos assauts, puisqu’ils permettent d’attirer le feu ennemi, tandis qu’une marrée humaine foncent sur les tranchées adverses. La victoire se négociera souvent sur une bonne coordination entre les différents types d’unités, l’artillerie, les outils tactiques, et la capacité à repérer les faiblesses dans les défenses de l’ennemi tout en appuyant là où ça fait mal.
Il n’y aura pas 36 occasions de mener l’assaut de la victoire, et le moindre échec peut se solder par une contre-attaque qui peut se révéler dévastatrice si l’on n’a pas été assez prudent avec sa propre organisation. Un bon jeu de stratégie où le All-In est de mise, et où vous risquez de transpirer régulièrement des sueurs froides.
Histoire de mieux s’imprégner du contexte de l’époque et en tant que bon jeu d’inspiration historique, The Great War: The Western Front profitera de nombreux films d’archive pour illustrer la situation. Et si vous aimez le son craquant de la musique populaire du début du siècle, Frank Klepacki se disait assez fier d’avoir pu intégrer des musiques d’époques sous licence à sa bande originale qui s’annonce également grandiloquente, s’adaptant à l’intensité de l’action.