Pour “saisir de nouvelles opportunités”, paraît-il
Une page se tourne chez Blizzard, en crise profonde depuis plus d’une semaine : le président J. Allen Brack, en fonction depuis 2018 suite au départ du fondateur Mike Morhaime, quitte le studio à effet immédiat. Il sera remplacé par Jen Oneal et Mike Ybarra, décrits comme les nouveaux “co-leaders” de la légendaire firme d’Irvine.
Dans un communiqué de presse assez bref, J. Allen Brack estime que ses successeurs seront à la hauteur de la tâche, tandis qu’il faudra se tourner vers un communiqué d’Activision-Blizzard pour apprendre le potentiel motif de ce départ soudain : “rechercher de nouvelles opportunités“.
Je suis convaincu que Jen Oneal et Mike Ybarra fourniront le leadership dont Blizzard a besoin pour réaliser son plein potentiel et accélérer le rythme du changement. Je prévois qu’ils le feront avec passion et enthousiasme, et qu’on peut leur faire confiance pour diriger avec les plus hauts niveaux d’intégrité et d’engagement envers les composantes de notre culture qui rendent Blizzard si spécial.
La mise en lumière par l’état de Californie d’une culture toxique — voire misogyne — rampante qui sévit dans l’entreprise depuis de nombreuses années, bien avant la nomination de Brack en tant que président, a soulevé beaucoup d’indignation au sein du studio et la communauté de fans.
Fait rarissime dans l’industrie, une grande majorité des employés de Blizzard ont organisé une journée grève la semaine dernière, jugeant que la réaction à chaud de l’équipe exécutive d’Activision-Blizzard, présidée par Bobby Kotick, était largement superficielle, voire insuffisante. Cette masse salariale revendique alors des changements concrets et profonds du studio pour éviter que de tels agissements puissent continuer/se répéter.
Cette crise fait écho aux déboires d’Ubisoft survenus l’année dernière suite à des révélations de Libération, forçant le “numéro 2” à quitter l’entreprise. Un bon nombre d’employés de l’éditeur français ont montré leur soutien à leurs confrères·soeurs de Blizzard, soulignant une nécessité de changer l’industrie dans son ensemble.
Même les joueurs de World of Warcraft ont organisé des sittings sur différents royaumes du MMO pour pointer le fait que la situation n’a rien de normal.
Bilan plus que mitigé
Certes, J. Allen Brack n’est pas mis directement en faute dans le dossier soumis à la cour de justice californienne, mais la DFEH a tout de même souligné que lors d’un panel de questions/réponses de la BlizzCon 2010, l’ancien réalisateur de World of Warcraft avait ri de bon cœur à une plaisanterie sexiste qui visait à humilier une fan, préoccupée par la représentation de la femme dans World of Warcraft.
Sur scène se trouvait Alex Frasiabi, directeur créatif important de WoW, directement visé par l’enquête du DFEH et licencié il y a quelques années pour “comportements déplacés“, mais de manière très discrète. Ainsi, Brack n’aurait pas été actif dans les affaires de harcèlement et de sexisme mis en avant par l’enquête, mais il n’aurait rien fait de particulier depuis pour arranger les choses.
C’est la seconde crise majeure que connaît le studio depuis que Brack est à sa tête, après que Blizzard ait été accusé d’être complaisant avec le Partie Communiste Chinois suite à la disqualification immédiate d’un joueur de Hearthstone professionnel Hongkongais en 2019, qui avait alors scandé un slogan contestataire en plein tournoi. On se souvient alors, à la cérémonie d’ouverture de la BlizzCon 2020, le président de Blizzard, gorge serrée et yeux humides, s’excusant d’une erreur de jugement.
Tandis que le dernier bilan trimestriel devrait se dérouler aujourd’hui, on suppose que la direction d’Activision-Blizzard a trouvé le timing idéal pour remplacer Brack, bien qu’il soit possible que l’ancien réalisateur de World of Warcraft soit parti de son propre chef, la faute à un bilan de ces dernières années plus que mitigé.
Zut, on n’a même pas abordé les polémiques autour de Warcraft III: Reforged et de Diablo: Immortal. M’enfin, vous avez saisi l’idée.
Deux marionnettes valent mieux qu’une
À partir d’aujourd’hui, et pour la première fois, deux personnes se partagent la direction de Blizzard dont une femme : Jen Oneal, ancienne directrice de Vicarious Visions (absorbé par Blizzard en début d’année), et Mike Ybarra, ancien vice-président de Microsoft et l’un des instigateurs du Game Pass, embauché en tant que General Manager depuis fin 2019.
Les deux dirigeants sont profondément engagés envers tous nos employés ; au travail à venir pour faire en sorte que Blizzard soit le lieu de travail le plus sûr et le plus accueillant possible pour les femmes et les personnes de tout sexe, origine ethnique, orientation sexuelle ou origine ; défendre et renforcer nos valeurs ; et à regagner votre confiance. Avec leurs nombreuses années d’expérience dans l’industrie et leur engagement profond envers l’intégrité et l’inclusivité, Jen et Mike dirigeront Blizzard avec soin, compassion et dévouement à l’excellence. Vous en entendrez plus sur Jen et Mike bientôt.
Cette double nomination a toutefois fait lever quelques sourcils dans la communauté de fans de Blizzard, puisque la direction est désormais tenue par des personnes qui n’ont pas vraiment d’historique avec le vénérable studio. Cela pourrait être interprété comme une nouvelle preuve de l’influence grandissante qu’exerce Activision sur les opérations internes de Blizzard depuis plusieurs années.
Pour le célèbre journaliste de Bloomberg Jason Schreier, cette manœuvre serait clairement calculée par l’équipe de Bobby Kotick pour accélérer la prise de contrôle directe de la firme :
Today: Kotick ousts Brack, which both shows that he’s taken action and gives him an opportunity to exert even *more* control over Blizzard’s operations. TBD whether Blizzard will become a healthier workplace for women but it will definitely become a very different company
— Jason Schreier (@jasonschreier) August 3, 2021
- 2017-2018 : Avec la chute des revenus de Blizzard, Activision commence à pousser l’entreprise à réduire ses coûts, à produire plus de jeux à un rythme plus rapide 2018 : Morhaime, soupé de Kotick, démissionne. Brack prend le relais.
- 2018-2020 : la réputation de Blizzard assombrie par Diablo Immortal, Blitzchung et WC3 Reforged
- 2019-présent: Activision commence à éliminer et à consolider de nombreux rôles de Blizzard non liés au développement de jeux, en fermant des bureaux en France et aux Pays-Bas
- 2021: Le procès révèle que Blizzard a des problèmes de discrimination et d’abus sexuels depuis des années — à la fois avant et après l’Activision.
- Aujourd’hui : Kotick évince Brack, ce qui montre à la fois qu’il a pris des mesures et lui donne l’opportunité d’exercer encore plus de contrôle sur les opérations de Blizzard. À déterminer si Blizzard deviendra un lieu de travail plus sain pour les femmes, mais il deviendra certainement une entreprise très différente.
La suite au prochain épisode…