Les tests journalistiques font partie du paysage du jeu vidéo depuis maintenant un paquet d’années, bien avant l’arrivée d’Internet. Il est assez difficile, de nos jours, de concevoir l’achat d’un titre sans avoir au préalable consulté plusieurs d’entre eux. Pourtant, la lecture d’un test n’est pas un acte anodin, et de nombreux facteurs peuvent ruiner notre expérience de jeu.
Spoil qui peut
Je ne prends pas trop de risque en affirmant que la grande majorité d’entre nous s’est déjà perdue dans les paragraphes détaillés d’un test professionnel. Que ce soit pour définir la valeur d’un jeu ou par simple curiosité, la plupart des gens s’intéressent aux tests. Ils sont profondément ancrés dans notre quotidien de joueur, et c’est une étape obligatoire pour tous les magazines professionnels de jeu vidéo.
Pourtant, dès le moment où il commence à écumer les paragraphes d’un test de jeu, le joueur prend le risque d’altérer sa perception de ce dernier. De nombreux facteurs rentrent bien évidemment en compte, mais nous allons nous attarder, pour le moment, sur le plus évident : le spoil. Car non, le spoil n’est pas juste une question d’histoire. Afin de réaliser une synthèse complète, le rédacteur se doit de détailler certains éléments, qu’ils soit bons ou mauvais, au risque de foutre en l’air le plaisir de la découverte.
Lors de la sortie de La Terre du Milieu: L’Ombre de la Guerre, par exemple, j’aurais aimé garder la surprise de l’anneau de pouvoir qui permet de dominer les Orques. Cette mécanique ne vient qu’après plusieurs heures de jeu et modifie en grande partie le gameplay et l’intérêt du titre. Lorsque j’ai commencé l’aventure, je n’avais que ce pouvoir en tête et son obtention était devenue une obsession. Par conséquent, j’ai rushé le début de l’aventure jusqu’à l’obtenir, ce qui a rendu mes premières heures de jeu totalement imbuvables. Je ne dis pas que le rédacteur n’aurait pas dû en parler, il s’agit d’une mécanique essentielle et elle se devait d’apparaître dans le test. Mais cela montre qu’il faut parfois réfléchir avant de se jeter aveuglément sur le premier test venu.
Parce qu’en y repensant, j’aurais acheté L’Ombre de la Guerre quoi qu’il arrive – j’avais bien aimé le premier et il n’y avait aucune raison que je boude celui-ci. Il y a des jeux comme ça où l’on sait d’avance qu’ils finiront dans notre ludothèque. C’est un peu plus délicat lorsqu’il s’agit de nouvelle licence, mais pas impossible. Par exemple, je sais pertinemment que je prendrai Cyberpunk 2077 à sa sortie — déjà parce que je fais confiance à CD Projekt RED pour nous sortir un petit bijou — et aussi parce que je suis un grand fan de l’univers cyberpunk.
Je conçois que c’est un problème qui ne touche qu’une partie des joueurs. Il existe des personnes qui se foutent royalement de se faire spoil, et c’est tout à leur honneur. Cependant, cette influence va malheureusement bien plus loin que ça.
Le test aimant, c’est la mort du libre arbitre
Tout d’abord, je tiens à préciser que je ne me considère pas comme quelqu’un d’influençable. Et pourtant il m’est arrivé plusieurs fois, à la simple lecture d’une ligne, de compromettre totalement mon plaisir de jeu. Notre cerveau est un organe des plus étranges (en tout cas, le mien) et dès qu’il s’est focalisé sur quelque chose, il est très difficile de l’en détacher.
Prenons une situation que l’on a, je pense, tous vécu : vous savez, ce moment où une personne pointe du doigt une tâche ou un détail que vous n’aviez encore pas remarqué. Eh bien dès lors, vous ne voyez plus que ça. Lors de la lecture d’un test, il est très probable que votre cerveau réagisse de la même manière et fasse une fixation sur un défaut pointé par un rédacteur, jusqu’à vous en pourrir l’expérience — alors qu’en temps normal, vous ne l’auriez même pas remarqué.
C’est une sensation tenace qui s’infiltre au plus profond de votre inconscient, que vous le vouliez ou non. Avec un peu de chance, cela n’aura pas d’impact sur votre expérience, mais parfois, comme pour moi, cela peut totalement ruiner un jeu.
De plus, il ne faut pas oublier que l’auteur du test (surtout s’il fait partie d’un magazine connu) exercera, lui aussi, une certaine influence sur l’avis que vous pourriez vous faire du jeu. D’une certaine manière, cela me rappelle l’époque où je regardais encore la télévision. Vous savez les fameuses publicités avec des stars qui présentent un produit, et les gens qui pensent que c’est un gage de qualité. Personnellement, j’ai toujours trouvé ça stupide. Je veux dire, la qualité d’un produit ne se mesure pas à la tête de celui qui en parle. Et pourtant, j’en ai été victime à de nombreuses reprises par le passé, que ce soit pour les jeux vidéo ou autres.
Aussi, il transpire à la lecture de certains tests une volonté d’occulter des points positifs ou négatifs, afin d’aller dans le sens du ressenti global de l’auteur. C’est humain, mais c’est également quelque chose qui me gonfle au plus haut point. En tant que joueur, je me fous de savoir si le rédacteur a aimé le jeu ou non, je veux savoir si moi je vais l’aimer. Et pour cela, il faut que celui-ci développe aussi bien les points forts que les points faibles, sans favoritisme. C’est noble de vouloir détailler les raisons pour lesquelles on a aimé (ou détesté) un titre, mais c’est seulement la moitié du travail de fait. C’est ce qui différencie les tests professionnels des critiques utilisateurs à base de “c’est trop cool”.
Mets ta critique
J’en suis arrivé, de mon côté, à vouloir préserver au mieux l’intégrité de mon divertissement. En guise de rustine anti-spoil, je me suis longtemps fié à la note finale du test, pensant y trouver dans ces chiffres un certain barème de qualité (je pense qu’on l’a tous fait). Il m’arrivait même d’aller sur Metacritic pour voir une sorte de “moyenne” des notes. Seulement, il est extrêmement difficile de retranscrire toute la complexité d’une œuvre comme le jeu vidéo dans un simple chiffre. Ce n’est pas pour rien que de plus en plus de magazines s’orientent vers un système d’évaluation sans note.
Forcément, ne pas lire de tests présente ses faiblesses, et cela implique d’acheter un titre sans vraiment savoir s’il nous conviendra. Honnêtement, je ne pense pas que ce soit possible de se faire un avis quoi qu’il arrive, test ou non. Un rédacteur peut très bien avoir adoré un titre que vous détesterez, et vice versa. Alors certes, les qualités et les défauts sont là pour ça, mais l’ensemble reste très subjectif. Une fois arrivé à ce constat, mon intérêt pour les tests est quelque peu descendu — enfin, du moins quand il s’agit de se forger un avis.
Car dans les faits, j’adore lire des tests. Je trouve ça extrêmement intéressant de pouvoir se plonger dans la peau de quelqu’un d’autre. De plus, dans certains cas, un test positif peut considérablement augmenter la hype que l’on a pour un titre et ainsi bonifier notre expérience de jeu.
La décision de lire ou non les tests n’est pas simple. Il ne s’agit pas pour moi de vous présenter un choix manichéen, ou n’importe quel autre choix d’ailleurs. Cette décision, elle doit avant tout être personnelle.
Pour ma part, je me suis surpris depuis quelque temps à préférer lire les tests après avoir terminé le jeu. Que je l’aie aimé ou non, je vais vouloir m’orienter vers des rédacteurs qui partagent mon avis ; je vais chercher une sorte d’approbation, de confirmation de mon ressenti.
J’ai conscience que cela peut paraître stupide, mais j’ai beau prendre du recul sur la question, je n’arrive pas à comprendre ce qui m’anime. C’est comme si le fait de valider mon avis en le secondant de celui d’un professionnel était une sorte de légitimation.
Influence rime avec prudence
En définitive, je conçois qu’un tel article peut paraître étrange venant d’un rédacteur dont le métier tourne, en partie, autour de ces fameux tests. Cependant, aujourd’hui je m’adresse à vous en tant que joueur et non en tant que rédacteur. La lecture d’un test engendre tout un tas de conséquences que nous ne réalisons pas forcément. Je ne pense pas qu’il faille renier les tests. Ils font partie intégrante de l’univers du jeu vidéo, et c’est un moment de partage et d’échange qu’il faut préserver. Je dirais simplement qu’il faut garder en tête que l’on n’est pas aussi inflexible qu’on voudrait bien le croire. Il est très facile de se laisser bercer par une empathie grandissante, et ce, sans même le soupçonner. Je suis persuadé que beaucoup d’entre vous ont déjà prononcé au moins une fois la phrase : “C’est vrai que, maintenant qu’il le dit…”. Eh bien, c’est de cela dont il faut se méfier. Elle s’ancre au plus profond de votre inconscient et ne vous lâche plus, telle la morsure tenace d’un pitbull suspendu à votre entrejambe.
Effectivement le plus souvent on recherche surtout un biais de confirmation dans un test, minimisant les critiques négatives, ou une note trop basse quitte à juger le testeur partial ou rechercher un autre site qui va davantage dans notre sens !
Perso, il y a pas mal de jeu dont je sais d’avance si je vais les acheter ou non, car se sont des suites ou le nouveau projet d’un studio dont j’apprécie le travail, dans ce cas je lis le minimum pour ne pas me spoiler et, comme tu le soulignes, éviter de me focaliser ensuite sur des défauts que je n’aurait peut-être pas remarqué moi même.
A l’inverse les tests que je trouve les plus utiles sont ceux des jeux qui me sont parfaitement inconnus auparavant, c’est le cas de bon nombre de jeu indé qui ne disposent pas du budget communication des gros studios et dont a lu quasiment pas de preview avant la sortie
Dans ce genre de cas je vais lire le test en intégralité et si la bonne surprise se confirme sur plusieurs site je peux envisager d’acheter un jeu dont j’ignorais l’existence peu avant.
Au final j’imagine la difficulté pour un site comme le votre, certains gros jeux sont des immanquables et se doivent d’être testés quand bien même la plus part des gens se sont déjà fait leur avis sur l’achat ou non du jeu avant même les tests (et d’ailleurs les éditeurs nous incitent à pré-commander bien avant la sortie des critiques), et à l’inverse les tests les plus utiles, ceux qui nous font réellement découvrir un jeu peu connu sont paradoxalement ceux qui génèrent le moins de visibilité…
Vu la quantité pharaonique de jeux qui sortent chaque semaine j’imagine bien la difficulté pour trouver un équilibre entre tests de gros jeux connus d’avance et tests de jeux peu connus mais dont on ne sait pas si ils vont réellement suscité l’intéret. Un vrai casse-tête ! ^^
Okay super le placement de produit Nespresso. War Legend les vendus !
Blague à part, très bon article. Mais je ne suis pas d’accord avec toi sur la problématique subjectivité des testeurs.
Au contraire, je pense que nous devrions redoubler de subjectivité dans nos tests. Les testeurs devraient tenter de mettre en avant le plus possible leurs gouts afin que les lecteurs puissent cerner quel type de joueur est tel ou tel testeur.
Concernant Canard PC, ça marche du tonnerre. Si Louis-Ferdinand Sebum aime un jeu, je suis sûr à 90% qu’il me plaira aussi, tant ses goûts sont proches des miens. A l’inverse, quand Ackboo critique l’aspect artistico-bobo d’un jeu, je sais que me concernant ça ne me dérangera pas.
C’est pas idéal, mais ça permet de nous éloigner de ce prétentieux idéal d’objectivité, en plus de nous rapprocher de la méthodologie sociologique. Elle consiste à exposer tout de suite les biais et les idéaux du chercheur, afin de faciliter la critique de son oeuvre.
Et être en accord avec la socio, c’est jamais une mauvaise idée : )
Malheureusement, il n’y a pas assez de testeurs différents pour englober tous les types de profils de joueurs. Et la plupart des gens vont simplement se laisser entrainer dans cet amas de subjectivité. Je ne dis pas que c’est une mauvaise chose, mais dans l’optique de se forger une opinion, ce n’est clairement pas l’idéal.
Tu as la chance d’avoir un testeur qui partage tes goûts, mais ce n’est clairement pas le cas de tout le monde ^^