ATTENTION : SPOILERS – RENDEZ-VOUS EN PAGE 1 POUR LA PARTIE SANS SPOILERS
Send in the clowns
Arthur Fleck est un homme bon. Le Joker ? Il viendra plus tard, et comme on a déjà pu le constater dans l’histoire de ce vilain si populaire, il sera avant tout le produit de son environnement.
Arthur Fleck vit avec sa mère depuis toujours et en bon fils, il s’occupe d’elle chaque jour que Dieu fait. Il est employé par HA-HA, qui gère des clowns. Besoin de faire la promo de vos soldes avec une pancarte dans la rue ? De soulager la douleur des enfants à l’hôpital ? HA-HA vous envoie ce qui se fait de mieux en matière de clowns à Gotham.
Joker nous présente une bonne âme prise dans un maelstrom. Sa mère a toujours dit à Arthur qu’il fallait sourire et qu’il était en ce monde pour apporter la joie et le rire – forcément il aime faire le clown, c’est sa passion. Mais un jour des jeunes lui volent sa pancarte alors qu’il fait son numéro devant un magasin en liquidation et l’entraînent dans une rue pour lui fracasser sur la tête et le tabasser.
Subtilement, l’air de rien, Joker introduit déjà ses enjeux : le magasin en liquidation témoigne d’un quotidien difficile tandis que les jeunes manifestent leur abandon par la société – Gotham ne fait rien pour eux, ils ne sont pas à l’école et ne sont pas non plus pris en charge par l’État, alors forcément il finissent dans la violence de la rue.
Les marches de la folie
Tous les jours, Arthur Fleck monte un très grand escalier, que la caméra prend soin de filmer quasiment à sa base pour nous offrir une belle contre-plongée d’Arthur retournant chez lui.
Ainsi est dépeint son quotidien. Chaque jour le clown s’extrait de la fange de Gotham City, du quotidien morne dans lequel il essaie d’apporter un peu de joie, pour remonter vers la lumière, vers le bonheur simple de regarder tous les soirs le célèbre présentateur TV Murray Franklin (Robert de Niro).
Cette image de l’escalier sera reprise à l’inverse lorsque Fleck embrassera complètement son personnage de Joker : cette fois-ci il sera vu descendant les marches pour s’immerger dans la corruption de Gotham et de son âme.
On note aussi les larmes du début du film tandis que la radio égrène les infos dramatiques sans interruption, en opposition directe avec la joie du Joker à la fin du film lorsqu’il a définitivement sombré dans la folie et la ville dans le chaos.
Traumatisme Gothamien
Petit à petit, on arrache à Fleck son âme et ses raisons de vouloir répandre la joie. Les citoyens de Gotham se montrent cruels à son encontre et donc indignes du bonheur qu’il veut pourtant leur apporter.
L’État le laisse tomber en coupant le budget de l’organisme social qui lui permet d’avoir un suivi psychologique et médicamenteux.
Sa propre mère s’avère être une psychotique lui ayant menti sur son passé et les raisons de son handicap. Car Fleck a une lésion cérébrale lui déclenchant des fou rires chroniques sans raison, et certainement des tas d’autres choses vu qu’il prend pas moins de 7 médicaments chaque jour. Ce qu’il ne sait pas, c’est que sa mère laissait son petit-ami le tabasser quand il était enfant, ce qui a notamment engendré un traumatisme crânien sévère.
C’est lorsqu’il découvre cela à travers le dossier médical de sa mère à l’hôpital psychiatrique d’Arkham que Fleck bascule et que le Joker naît. Il le dit lui-même sur le plateau de Murray : “c’était amusant de tuer ces 3 types et j’en ai marre de prétendre le contraire“, en référence à 3 agresseurs l’ayant tabassé dans le métro et qu’il a abattus, ce qui fait les choux gras de la presse. “Je n’ai plus rien à perdre” précise-t-il aussi.
Celle qui lui a appris que sa vie devait consister à répandre la joie et le rire n’était que mensonge. Plus rien n’est vrai ni ne fait sens dans l’esprit de Fleck. Le chaos de Gotham se reflète en lui, aussi comprend-il alors qu’il est en réalité fait pour répandre bien autre chose…
Arthur Fleck recherche l’amour, mais est incapable de le trouver : l’amour du public, celui d’une femme, celui d’un père – évoqué par son collègue puis par Murray, 2 personnages qui le trahissent alors qu’il a placé sa confiance en eux. Personne ne le remarque, il est le représentant d’une société anonyme. “Je pourrais m’effondrer dans la rue et vous m’enjamberiez !” hurle-t-il à Murray. En définitive, il obtient la reconnaissance et l’amour par la violence, le meurtre. Voilà un traitement très intéressant de ce thème pourtant rebattu encore et encore – ça serait pas mal que Luc Besson regarde ce film, histoire de prendre des notes.
Gotham City IRL
Beaucoup de moments dans Joker ne peuvent que nous faire penser à la société dans laquelle nous vivons et où nous voyons régulièrement des éruptions de violence. Chacun vit pour sa pomme. C’est d’ailleurs verbalisé dans le film “désormais plus personne ne s’intéresse à ce que vit celui ou celle à côté” ou quelque chose dans ce goût-là.
Phillips exacerbe l’opposition riches/pauvres dans un délire un peu trop manichéen à mon goût, mais qui n’est pas sans rappeler certaines choses de notre propre réalité – le simple fait que Thomas Wayne ait appelé les Gothamiens des “clowns” devrait rappeler certains propos à ceux et celles qui suivent l’actualité.
Cette dichotomie se voit aussi lorsque les 3 employés de Wayne (riches) tabassent Fleck (pauvre), une traduction physique de la puissante antinomie entre les quotidiens de 2 classes sociales que tout oppose ; et elle atteint son apogée lorsque Fleck rencontre Thomas Wayne au cinéma : on voit les riches insouciants, capitonnés dans la sécurité que leur réserve leur statut alors qu’à l’extérieur les rues sont en flammes tandis que les gens vandalisent à tout-va en portant des masques de clown – Fleck étant devenu un symbole au milieu du désespoir.
C’est d’ailleurs à ce moment-là que Bruce Wayne voit ses parents mourir sous ses yeux aux mains d’un individu arborant l’un de ces fameux masques de clown.
De l’art d’être subtil
Joker dissémine partout des explications et références sans pour autant en faire trop, ce qui est franchement appréciable. Il n’était absolument pas nécessaire d’inclure le meurtre des parents Wayne, mais il s’imbrique naturellement – malheureusement ai-je envie de dire – dans ce récit presque apocalyptique.
Par ailleurs, Phillips dissocie le rire angoissant du Joker de sa folie, ce qui est plutôt intéressant. On retrouve aussi son envie de forcer des sourires sur les visages des gens (“c’est mieux comme ça !”), mais d’une manière bien moins violente que ce à quoi on a été habitué.
Surtout, je ne sais pas si c’est du fait de Phoenix ou de Phillips, mais plus on s’approche du dénouement et de la disparition de Fleck au profit du Joker, et plus le personnage manifeste de légères mimiques rappelant le Joker d’Heath Ledger. Juste ce qu’il faut, rien d’ostensible, mais l’hommage ou la référence (appelez ça comme vous voulez) est là, et pour ma part, c’est parfait.
Je m’attendais presque à ce que la psy à la fin soit Harley Quinn, mais justement, là ça aurait été trop, beaucoup trop. Phillips a vraiment bien dosé sa recette.
Même l’humour est subtil est correctement amené, encore une fois loin des gros sabots de Marvel. Le Joker n’est pas amusant parce qu’il est un clown – et c’est plutôt intéressant dans le sens où ça renforce l’idée qu’il est incapable de faire rire, d’apporter de la joie -, il l’est malgré lui : dans les situations où il éclate de rire à cause de sa lésion cérébrale ou encore au service pédiatrique de l’hôpital lorsqu’il fait tomber son flingue (moment magique).
Un film de super avec de la profondeur, c’est encore possible
Joker pour moi le film de l’année, sans l’ombre d’un doute. Je n’ai qu’une envie : retourner le voir et précommander le Blu-Ray dans la foulée. Le traitement du personnage est formidable et inattendu, savamment dosé, la photographie sombre à souhait, la réalisation emplie de symboliques discrètes mais rudement efficaces, la BO appropriée avec une parfaite opposition entre l’esprit de Fleck sur le fil du rasoir et le déluge de la ville et du Joker. En plus de ça les thèmes sont traités intelligemment, quoi que de manière un peu trop manichéenne à mon goût en ce qui concerne les riches et les pauvres – même si, je vous l’accorde, on constate à la fin que tout le monde est méchant, pas seulement les riches.