Critique L’eSport fait vivre – La websérie documentaire
Au vu de notre suivi des épisodes de la websérie documentaire “L’eSport fait vivre”, il nous paraissait essentiel de compléter cet apport avec une analyse critique.
Confrontation entre format et contenu
En ce qui concerne la critique que nous allons apporter, il ne s’agira pas de remettre en question le format. Il a été le choix du réalisateur pour des raisons qui lui sont propres. Il semble nettement plus pertinent de confronter le format choisi et le contenu proposé au cours des épisodes.
D’emblée, il convient de signaler que cette websérie tombe à pic. Alors que les cash-prize sont de plus en plus colossaux, que les joueurs professionnels bénéficient de salaires de plus en plus délirants, et que de nombreuses professions voient le jour grâce à l’explosion de l’eSport, le grand public reste malgré tout emprunt d’idées reçues concernant les jeux vidéo. Ce documentaire présente un aspect éducatif non négligeable. Il semble donc nécessaire de saluer l’initiative.
En dix épisodes, un portrait de l’eSport plutôt réaliste est dessiné
La websérie apparaît comme percutante : c’est ici que le format remplit son rôle. En dix épisodes, un portrait de l’eSport plutôt réaliste est dessiné. Les plus ignorants vis-à-vis du sport électronique peuvent facilement comprendre les enjeux du secteur et se rendre compte de la discordance avec les stéréotypes qu’ils ont souvent entendus. Le message est clair : non, l’eSport n’est pas une mode où seuls les joueurs les plus hardcores prennent du plaisir tout en étant isolés du reste du monde. L’eSport dispose des mêmes composantes qu’un sport traditionnel : entraide, esprit d’équipe, entraînements, dépassement de soi, déception et frustration, joie, préparation physique et psychologique… L’eSport crée aussi des liens sociaux, notamment entre des joueurs qui partagent la même passion et qui peuvent échanger autour d’un verre (au sein d’un des Meltdown) ou entre des fans qui soutiennent la même équipe.
Les acteurs qui prennent la parole au sein de ce documentaire proposent des arguments qui abondent en ce sens. Si initialement la longueur des épisodes pouvait présager une approche très évasive des éléments qui forgent l’eSport, il n’en est rien : les informations les plus essentielles sont mises à notre disposition.
L’eSport ne se résume pas uniquement aux joueurs ; les joueurs professionnels n’ont rien à envier à des athlètes traditionnels, l’abondance économique du secteur continue de croître à une allure folle (malgré une stabilité incertaine), les gouvernements doivent combler les vides juridiques omniprésents en la matière, la scène féminine des jeux vidéo est souvent dans l’ombre de la scène masculine et la situation apparaît comme un frein à la progression des femmes (tout comme dans les sports traditionnels) ; les enjeux médiatiques, télévisuels et financiers sont ceux qui suscitent le plus de questionnements de la part des investisseurs… Ces données ne représentent en aucun cas une analyse de notre part : elles sont bien présentes au sein des dix épisodes de la websérie documentaire.
Par conséquent, il apparaît évident que cette production remplit son rôle. Quel est son rôle, me demanderez-vous ? Sur dix épisodes d’une durée variant de 3 à 5 minutes, il me semble cohérent que le but principal soit de dresser un portrait assez fidèle de ce secteur qui subit un gigantesque “boom” et, de ce fait, montrer au grand public qu’il ne s’agit pas seulement d’un phénomène isolé qui se résume à la console offerte à son enfant à Noël. De ce but principal découlent des objectifs annexes : mettre un terme aux nombreux stéréotypes qui sont souvent pris pour référence par certains pour définir les acteurs du milieu eSportif (surtout en ce qui concerne l’image du joueur). Ces objectifs annexes sont également remplis, notamment grâce à l’intervention de professionnels du milieu (commentateurs, joueurs, présentateurs, médecins, juristes, managers…) qui apportent des éléments pertinents pour faire évoluer les mentalités.
Cette websérie ludique, percutante et convaincante vous permet en un clin d’œil de présenter aux plus dubitatifs l’évolution que connaît le milieu de l’eSport
Cependant, certaines fausses notes sont quand même présentes. Dans l’épisode 3 “Un sport nouvelle génération”, qui nous permet de prendre connaissance des règles de game design qui régissent un jeu, de nombreuses images de CS:GO sont présentes pour illustrer les propos de l’intervenant. Il paraît regrettable que la fluidité des images ne soit absolument pas au rendez-vous. Un petit détail technique qui peut gêner les plus intéressés.
En ce qui concerne les interventions de Bora Kim alias “YellOwStaR” elles sont souvent très pertinentes. Néanmoins, certains points méritent d’être nuancés. Si dans l’épisode 2 “Profession Gamer” son intervention avec un regard d’ancien joueur professionnel permet de faire le lien entre les joueurs et les nouveaux métiers que l’eSport a fait apparaître, le fait de l’entendre encore s’exprimer dans l’épisode 7 “Des athlètes presque comme les autres” au sujet des entraînements et de l’image médiatique que les joueurs doivent entretenir paraît redondant. Il se positionne une fois de plus en tant qu’ancien joueur. Il aurait été préférable qu’un joueur professionnel s’exprime directement sur le sujet pour avoir réellement l’avis le plus approprié.
Si Counter Strike a une grande place au sein de ce reportage (notamment grâce à la présence de l’équipe de tournage aux IEM Katowice), que ce soit au niveau des actions de jeu, de l’explication des règles de game design, des images des commentateurs et des joueurs et joueuses qui interviennent, les autres jeux compétitifs n’ont le droit qu’à des apparitions très succinctes. Ici, il ne s’agit pas d’une critique, juste d’un fait qui peut nous pousser à nous demander : pourquoi avoir choisi CS:GO pour incarner le sport électronique au sein du reportage ? S’il est vrai que c’est l’un des jeux qui génère le plus d’argent, il est aussi véridique que les joueurs de FPS sont souvent visés par de nombreux stéréotypes. Pour tirer sur ses ennemis, il faut nécessairement être violent et déséquilibré psychologiquement ; la plupart des joueurs sont au bord d’un dérapage où ils confondraient jeu et réalité. Bien sûr, tout cela est complètement faux. Pour autant, c’est un point qui aurait pu être soulevé au sein du reportage au même titre que d’autres idées reçues ont été démantelées ; c’est pour cela que la question qui concerne le choix du jeu paraît légitime.
La websérie référence pour expliquer l’eSport
Quoiqu’il en soit, “L’eSport fait vivre” est une réussite. Cette websérie ludique, percutante et convaincante vous permet en un clin d’œil de présenter aux plus dubitatifs l’évolution que connaît le milieu de l’eSport et de les convaincre que vous n’exagérez pas quand vous évoquez le sujet. Elle permet aussi tout simplement à une personne étrangère au domaine de rapidement s’en faire une image réaliste. Le fait que cette websérie soit coproduite par ARTE donne davantage de crédibilité aux informations transmises face aux plus sceptiques.
Un grand bravo à Bigger Than Fiction et ARTE pour cette coproduction, et également au réalisateur Clément Vallos qui a su trouver un équilibre idéal entre description réaliste et mise en lumière d’interrogations pertinentes. Notamment celle qu’Olivier Morin soulevait : sommes-nous à l’abri d’une évolution vers des jeux incarnant un certain “Candy Crush télévisuel” ?
Vous pouvez retrouver les dix épisodes de la websérie grâce aux liens présents ci-dessous :