Devenu un studio largement reconnu et respecté, Telltale a su recréer l’engouement pour les jeux d’aventure en modernisant et approfondissant le concept. Avec The Walking Dead, l’entreprise a été sauvée du naufrage et s’est embarquée sur la vague du succès grâce à une équipe motivée et hautement créative. Une équipe aujourd’hui accablée et victime d’un environnement de travail toxique.
Le management toxique tel quel
Tout juste deux mois après l’affaire Quantic Dream, c’est au tour de Telltale de voir ses conditions de travail dénoncées. D’anciens employés rapportent un management toxique qui dure depuis des années, un changement qui voit son origine dans le succès de The Walking Dead.
Revenons un peu en arrière : Telltale est fondé en 2004 par les ex-LucasArts Kevin Bruner, Dan Connors et Troy Molander. Désireux de ressusciter le jeu d’aventure, ils en sortent plusieurs, ramenant à la vie Sam & Max et Monkey Island, licences populaires de la grande époque LucasArts. Mais en 2011, la sortie de Jurassic Park: The Game laisse la presse et le public de marbre. Telltale fait face à une situation délicate : le studio a récupéré 6 millions de dollars d’investissement en 2007, et qui dit investissement, dit objectifs de rendement.
Pour cette raison, Telltale fait le choix de se concentrer sur des licences existantes dont le studio sait qu’elles sauront attirer le public rien que par leur nom, une pratique courante et éprouvée. Les résultats de Jurassic Park: The Game, se révèlent donc embêtants pour ce qui n’est encore qu’une petite équipe de développement à la culture d’entreprise résolument indie.
The Stalking Dread
Toutes ces pressions permettent à Sean Venaman et Jake Rodkin, en charge du projet Walking Dead, de résister aux pressions du management qui réclame des changements sur le jeu épisodique sauce zombie – les deux hommes ont de fortes personnalités et la nécessité de respecter les dates butoirs imposées par les investissements et le peu de résultats financiers engrangés par Telltale jusqu’ici fait qu’ils se retrouvent en position de force. Ces pressions viennent en particulier de Bruner, programmeur qui se veut auteur et interfère sans cesse dans le processus de développement. The Verge, qui a parlé à plus d’une douzaine d’ex-employés de Telltale, rapporte que beaucoup d’éléments créatifs ont quitté le studio à cause de Bruner lui-même.
Beaucoup [des développeurs les plus talentueux et créatifs] sont partis en raison de leur frustration ou de leur ennui vis-à-vis de la réticence de l’entreprise à innover. Aussi à cause de leur épuisement dû aux cycles de crunch constants ainsi que la tendance de Bruner à rabaisser les gens, changer les objectifs sur un caprice, monopoliser le mérite et sa propension à leur donner l’impression que l’entreprise n’avait aucune foi en eux.
Car c’est après le succès colossal de The Walking Dead que les choses ont commencé à changer pour le petit studio : Telltale a voulu capitaliser sur ce succès en sortant toujours plus de jeux. Batman, Les Gardiens de la Galaxie, Game of Thrones, The Wolf Among Us, autant de noms qui sont venus gonfler les lignes de production aux côtés des saisons supplémentaires de The Walking Dead.
Venaman et Rodkin ont tout de suite compris dans quel sens le vent tournait et ont quitté le studio après la première saison, de nombreux ont suivi ultérieurement. À tel point que Telltale s’est peu à peu vidé de sa puissance créatrice.
Une célèbre marque de chocolat prend le contrôle
Comme précisé dans le témoignage au-dessus, le crunch est devenu constant. Ces périodes intervenant normalement en fin de développement consistent à intensifier drastiquement le travail des employés afin de sortir un jeu dans les temps.
Le problème (supplémentaire s’entend, puisque le crunch n’est absolument pas une pratique normale bien que 76% des développeurs se le prennent directement dans la tronche, comme le rapporte VentureBeat) est que Telltale se concentre sur les jeux épisodiques.
Chaque épisode est un jeu en soi. Vous comprenez à quel résultat on arrive : avec un rythme de sortie bien plus élevé que pour un jeu traditionnel, le crunch ne peut qu’être permanent. De plus, pour faire face, Telltale recrute massivement dans les ultimes moments précédant la sortie d’un épisode pour virer par la suite, façon mouchoir en papier.
Peu à peu, la culture d’entreprise de Telltale a changé avec tous les traumatismes que cela implique, un peu comme des vergetures en raison d’une croissance trop soudaine. De moins d’une centaine de développeurs, on est passé à plus de quatre cents. Les employés ne reconnaissaient plus personne dans les couloirs, le turn-over et l’augmentation des effectifs étant arrivés à leur point culminant.
UbiTale
De plus, Telltale s’est vu affligé du même symptôme que les grosses entreprises de jeu vidéo, à savoir la volonté de se concentrer sur ce qui fonctionne déjà, ce qui fait vendre. Ce qui est ironique puisque c’est justement son souhait initial de prendre le contrepied des tendances du marché du jeu vidéo qui a fait son succès. Les créatifs ne pouvaient ainsi plus donner libre cours à leur génie.
Couplez ça avec les méthodes de management toxiques et les horaires de travail à 14 – 16h par jour, 6 jours sur 7, et vous aurez une bonne idée de ce que représente l’exploitation.
Avec la disparition de la créativité et du moral de ses travailleurs, Telltale en est arrivé à un point où il a été obligé de se séparer d’un quart de ses employés en raison de résultats décevants par des jeux de plus en plus insipides.
Finalement Bruner, que les employés appelaient sans affection aucune “l’Œil de Sauron” dans son dos, a démissionné – occasionnant ainsi un “ouf” de soulagement de la part de ceux qu’ils tyrannisaient jusqu’ici (bien qu’il le nie, évidemment) – ce que beaucoup sinon tous chez Telltale voient comme le signe d’une renaissance et de meilleurs temps à venir pour le studio.
Qui sait, un retour à l’âge d’or de la créativité est peut-être envisageable pour Telltale.
quand une boite (ou quelqu’un) ne veut pas vendre ou faire ce qu’on lui dit, on la detruit socialement, c’est à la mode. "On" c’ets "le marché" bien sur…