Les jeunes générations ne se rendent pas bien compte de l’impact qu’a eu la licence Dune sur le genre de la stratégie (et du jeu vidéo en général), et c’est à Shiro Games (Northgard) qu’il incombe de créer le premier titre basé sur l’univers imaginé par Frank Herbert depuis plus de 20 ans. La tâche était ardue, mais les développeurs Français ont revêtu leurs meilleurs distilles pour rendre ce début d’accès anticipé de Dune: Spice Wars plus qu’encourageant pour la suite.
Prenez un sietch
Dune 2 de Westwood Studios a lancé à lui tout seul le genre de la stratégie en temps réel, et avec le retour de la licence sur le devant de la scène avec les nouvelles adaptations au cinéma par Denis Villeneuve, il aurait été dommage de ne pas profiter de cette occasion pour rendre hommage à cet héritage ô combien important dans l’histoire du jeu PC.
Pourtant, Dune: Spice Wars n’est pas un RTS à confrontation directe comme ont pu l’être Dune 2000 et Emperor: Battle For Dune, mais un jeu de stratégie qui fait parler aussi bien le kriss que les manœuvres politiques retorses, un aspect bien plus présent dans les bouquins que les opérations militaires spéciales (même s’il y en a).
En voyant le boulot abattu sur Northgard et son approche à la fois concis et complet du 4X, on comprend pourquoi Funcom a choisi Shiro Games pour s’attaquer à la licence Dune. Le studio français a parfaitement réussi à transposer le rythme soutenu de son épopée viking sur la planète Arrakis, mais toujours en donnant l’impression d’interagir avec énormément de variables, mais jamais sans submerger le joueur d’informations. Et le tout en temps réel, ce qui n’est pas rien.
Alors que les parties d’un 4X plus classique comme Stellaris peuvent durer plusieurs dizaines d’heures, celles de Dune: Spice Wars dépasse rarement les 8 heures. Pourtant, entre l’exploration (un peu trop rapide) de Dune, l’expansion de son territoire et les chamailleries musclées et les coups bas politiques, la narration qui découle du gameplay ne manque pas d’événements marquants ou de retournements de situation particulièrement savoureux, donnant l’impression à la fin de sortir d’un bras de fer de longue haleine.
Cela vient surtout du fait que Shiro Games a très bien réussi à entrelacer de façon très rapprochée les différentes mécaniques et facettes du jeu, quelles soit économiques, militaires ou politiques, obligeant le joueur à jouer à la fois sur tous les fronts, tout en exploitant les faiblesses des autres factions en fonction du contexte et de leur style de jeu… et toujours garder un œil averti à leurs forces.
En effet, si le gameplay de Dune: Spice Wars est particulièrement bien huilé, c’est surtout le fait qu’il arrive à exploiter les spécificités de l’univers de Herbert qui étonne le plus, ce qui renforce davantage la cohérence et les interactions entre les différents systèmes. Comme le nom du jeu l’indique, l’épice est le nerf de la guerre. En lui-même, il ne permet pas de revendiquer la gouvernance d’Arrakis, mais de puissants malus s’appliqueront si vous ne vous acquittez pas de la taxe mensuelle de l’Empereur ou de la Guilde spatiale.
Plus on récolte d’épice, plus on peut se permettre d’en échanger auprès de la CHOM pour dégager des Solaris (dont le taux fluctue d’un mois sur l’autre), bien que faire des réserves ne sera jamais une mauvaise idée en cas de coups durs. Les autres prétendants n’hésiteront pas à attaquer vos villages producteurs d’épice, ce qui peut alors vous mettre soudainement dans une situation précoce. Les taxes donnent aussi un rythme à la partie et pousse parfois aux décisions désespérées, parce que les quotas finissent par atteindre des exigences absurdes. Arrakis emporte alors les faibles, comme on dit.
Avec l’utilisation de seulement quelques ressources secondaires, l’économie du jeu arrive tout de même à trouver un équilibre intéressant, même sur les rapports de force. Prendre du volume oblige à aller chercher toujours plus de ressources pour rester à l’équilibre, ce qui oblige à prendre des décisions qui ne nous laissent jamais complètement satisfait… et c’est très bien comme ça. Cela permet d’ouvrir de petites failles que les participants les plus modestes pourront toujours exploiter.
Manquer de plastacrète pour développer ses bâtiments est une chose, mais si vous manquez d’eau sur Arrakis, vous risquez de passer un sale quart d’heure. L’eau permet de recruter des unités et de former des alliances avec les sietchs fremen indépendants, mais sert surtout à garder vos villages sous contrôle. Privés d’eau trop longtemps, la population risque de se révolter après une coûteuse période de grève.
Desert power
Pour tenter de régner sur Arrakis, chaque faction applique sa propre méthode, ce qui propose des phases de gameplay asymétriques plutôt intéressantes, sans pourtant laisser en plan certains lieux communs. Par exemple, les Harkonnen peuvent opprimer leurs territoires pour mieux en tirer de bénéfices, tandis que les Atréides peuvent en annexer sans recourir à la violence. Les Contrebandiers peuvent exploiter leurs vastes réseaux d’espionnage et d’influence pour avoir un poids politique non négligeable en fin de partie, tandis que les Fremen auront recourt à des techniques de guérilla pour se faire respecter… le tout à dos de ver des sables.
Ajoutez à cela des conseillers incarnés par d’autres personnages tirés des livres qui apportent des dimensions de gameplay supplémentaires, et vous voilà avec une rejouabilité vraiment intéressante, même pour un lancement d’accès anticipé.
Le bras de fer se fait sur le terrain via des escarmouches aux combats parfois un peu mous, malgré des unités ultraspécialisées, mais qui ont du mal à exprimer leurs talents uniques. Mais il se fait aussi dans la cour du Landsraad où des résolutions sont votées régulièrement pour appliquer des bonus/malus qui s’appliquent à tous, ou à seulement un participant. La bonne résolution permet d’avoir le vent en poupe pendant un mois, mais c’est souvent les négatives qui impacteront le plus le déroulé de la partie.
En plus d’une réserve de voix en fonction de leur réputation auprès de l’Empereur (ce qui peut chuter rapidement en cas d’utilisation d’atomiques), chaque faction a aussi une façon d’influencer les votes, comme les Contrebandiers qui promettent de l’argent pour chaque voix dépensée dans une résolution particulière, ou les Fremen qui peuvent parier sur le dénouement pour générer du mécontentement auprès des populations locales.
Qui dit politique, dit également espionnage. Les agents affectés aux différentes factions et camps adverses génèrent des points de renseignement, utiles comme monnaie d’échange ou pour mener des opérations secrètes, particulièrement puissantes sur le terrain, bien qu’on se contentera très souvent d’utiliser toujours les mêmes (fomenter des révoltes est très puissants).
Bien que l’IA ne se débrouille pas trop mal sur le terrain, quitte à réaliser de belles feintes, on sent qu’elle n’ose pas encore trop jouer sur la table politique et les relations interfactions. Deux fois en fin de partie, j’ai surtout remarqué qu’elle n’était plus très active, donnant l’impression qu’elle était paralysée par toutes les options stratégiques qui s’offraient à elle. Toutefois, on sent un très gros potentiel sur le futur mode multijoueur, et il est clair que Spice Wars a été conçu avec cette idée en tête.
C’est surtout que, comme tout bon 4X, Spice Wars donne différentes conditions de victoire, à commencer par la jauge d’hégémonie qui permet aux factions de se différencier toujours plus (bien que la transition ne soit pas flagrante) et qui déclare un vainqueur si elle atteint le score maximum, mais il y a surtout différentes façons d’éliminer un joueur.
Si l’attaque de la base principale est une solution simple, mais coûteuse en ressources humaines, les plus roublards au puissant réseau d’espions auront sans doute l’envie de tenter un assassinat pur et simple. C’est un projet de longue haleine qui nécessite des technologies avancées et attire souvent les soupçons, mais le résultat est sans appel.
Leto se ressert
Les bases de Dune: Spices Wars est encourageantes et déjà très prenantes. Mais voilà, il s’agit pour l’instant que de bases, et avec des mécaniques aussi bien huilées, il est presque étrange de reprocher au titre un certain manque d’aspérités et de grain de folie pour vraiment se démarquer, bien que la proposition soit déjà suffisamment singulière pour que vous vous y intéressiez.
Du coup, Shiro Games se donne une année pour améliorer et étendre son concept, à commencer par l’inclusion d’un mode multijoueur qui promet quelques trahisons en bonne et due forme et une 5e faction jouable encore à définir. Une campagne solo scénarisée est également au programme, bien qu’on ne sait pas trop quel format elle prendra.
Pour l’instant, Dune: Spice Wars souffre essentiellement de vices de forme, à commencer par une interface qui a beaucoup de mal à attirer l’attention sur les événements les plus importants, comme l’attaque imminente d’un vers des sables sur une précieuse moissonneuse. De même, les combats se résument beaucoup à de simples bagarres, et il est difficile de véritablement exploiter les capacités passives des unités qui se veulent pourtant uniques à chaque faction.
On peut aussi remarquer que les environnements de la planète manque de variété, avec du désert à perte de vue, mais… eh, c’est Arrakis. On ne la surnomme pas Dune pour rien. Heureusement que la direction artistique fortement inspirée permet de ne jamais trop se lasser des étendues de sables et de rochers. Toutefois, on remarque que certains biomes différents sont bel et bien présents, mais pas encore exploités par le gameplay.
Ainsi, il n’y a pas vraiment de défauts catastrophiques à déplorer dans Dune: Spice Wars, et le 4X a toutes ses chances d’être excellent lorsque la version finale approchera. En attendant les grosses fonctionnalités et changements majeurs annoncés, le studio français a déjà promis de garder un oeil sur l’équilibrage et de proposer du nouveau contenu mineur, mais qui a le potentiel de renouveler davantage les parties, comme des technologies (pour l’instant peu nombreuses) et de nouvelles manières d’exploiter l’espionnage.
Ça ne CHOM pas
Dune: Spice Wars est parti pour être un très bon 4X au rythme particulièrement stimulant, tout en traitant avec grand respect le matériau de base. Les mécaniques de jeu sont déjà réglées comme une montre suisse, bien que l’asymétrie des factions a encore du mal à sauter aux yeux. On voit cependant mal comment le titre ne pourrait pas sortir grandi de son accès anticipé, tellement la formule ne peut que se bonifier avec les futures mises à jour de contenu et d’ajustement. Pour un retour de Dune dans le monde du jeu vidéo, on pouvait difficilement rêver mieux.
Ce qu’on a aimé :
- Nombreuses mécaniques qui se répondent parfaitement…
- Très bonne exploitation de l’univers de Frank Herbert qui se ressent dans le gameplay
- Une direction artistique à la fois originale et inspirée…
- La politique et la guerre sont aussi importantes que le conflit armé
- Interface très propre et fonctionnelle
- Bande-son signée Jesper Kyd
Ce qu’on n’a pas aimé :
- … mais ça manque un peu de folie pour se démarquer radicalement
- … qui manque encore d’éléments pour s’exprimer pleinement
- Tutoriel qui mériterait d’être étoffé
- Manque de hiérarchisation dans les notifications
- Technologies et capacités d’hégémonie qui ne chamboulent pas vraiment le gameplay
- Gestion des ornithopthères qui devient très vite superflue
Ce jeu est fait pour vous si :
Vous attendiez un nouveau jeu basé sur Dune depuis 20 ans
Ce jeu n’est pas fait pour vous si :
Vous êtes Anakin Skywalker
Configuration de test :
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- GPU : NVIDIA RTX 2080 Ti
- CPU : Intel Core i9-9900k
- RAM : 32 Go DDR4
- Installé sur SSD
Dune: Spice Wars est disponible en accès anticipé sur PC