Après l’étonnamment calme, mais réussi, The Vanishing of Ethan Carter, le studio polonais The Astronauts revient à ce qu’il sait faire de mieux : tirer sur des trucs tout en donnant une super pêche. Cherchant sa voie depuis quelques années, Witchfire est enfin disponible en accès anticipé. On comprend pourquoi cela a été aussi long, parce que le titre n’aime ne pas faire comme les autres.
Ma sorcière mal aimée
Voilà presque 5 ans que Witchfire a été annoncé lors des Game Awards, et pour une certaine frange de joueurs, c’était une très agréable – et excitante – surprise. Au-delà de la proposition saugrenue d’allier art gothique avec armes à feu, c’était la promesse de revoir une petite équipe menée par Adrian Chmielarz, Michał Kosieradzki et Andrzej Poznański sur la production d’un FPS. Fondateurs de People Can Fly, on doit à ces messieurs un certain Painkiller et le très largement sous-estimé Bulletstorm.
Lors de son annonce en 2017, Witchfire avait déjà mis dans le mille sur sa direction artistique Dark Fantasy, mais au fil des années et via le blog du studio assez ouvert sur le processus de développement, il est évident que le titre s’est longtemps cherché. Faire un FPS, d’accord, mais à une époque où l’influence de DOOM 2016 commençait à peine, sur quelle tendance faut-il s’accrocher pour réussir ?
Il était clair depuis un moment qu’un aspect RPG serait intéressant à explorer, mais si Witchfire a bien failli à être un looter-shooter pur jus, le studio avait aussi peur que de telles mécaniques se mettent en travers de ce qu’il y a le plus important, bien trop souvent gâché par des surcouches superflues : le gunplay. On peut mettre de la magie, des compétences et des modifications de gameplay, mais il est nécessaire que les sensations, notamment de tir, passent avant tout le reste.
Quoi dire si ce n’est que le pari de Witchfire de ce côté-là est d’ores et déjà réussi, tout en s’offrant le luxe de s’offrir une identité forte et propre ? En réalité, on aimerait bien le mettre dans des cases bien étiquetées, mais plus on y joue, plus on se rend compte que l’exercice est difficile, ce qui n’est pas commun pour un FPS.
Sous influences
C’est la Renaissance, mais le monde est en partie dominé par des Sorcières aux pouvoirs terrifiants. Vous faites partie d’une force d’élite sous l’autorité directe du Pape – rien que ça – et avez été commissionné de récupérer une mystérieuse relique en plein milieu du territoire d’une de ces Sorcières. Autant le dire tout de suite : la tâche est ardue et de longue haleine.
Si cela ressemble à un scénario typique de la filmographie de Steven Seagal avec un twist historique sur le fond, c’est également vrai sur la forme, puisque notre chasseur de Sorcières est un fin amateur d’armes à feu qui carburent à la sorcellerie. Des armes à “feu de sorcière”, même ; le fameux witchfire. C’est très particulier de manipuler des armes à levier ou automatiques tout droit sorties du XVIIe siècle, mais c’est sur ce genre d’excentricité qu’est bâti toute la direction artistique du titre de The Astronauts, et ça fait un bien fou.
Ajoutez à cela un dash, un double saut et une palette de pouvoirs à utiliser pour vous donner un avantage tactique, et on est bon pour mener à bien la mission donnée par le Vatican. Mais une mission d’infiltration aussi périlleuse demande un certain temps d’adaptation, le temps de s’imprégner des lieux. Littéralement.
Witchfire repose sur une boucle de progression assez particulière qui fait intervenir de nombreuses influences, à la frontière de l’antinomique, mais dont le résultat offre une étonnante cohérence… à défaut d’être particulièrement claire au premier abord.
On débarque dans un niveau avec pour objectif de défier un boss, mais il faudra d’abord accumuler du witchfire au préalable pour espérer s’en défaire, en nettoyant des rassemblements de morts-vivants. Chaque groupe réparti au hasard sur une carte restreinte, mais ouverte, permet d’obtenir une capacité passive aléatoire qui a une énorme influence sur la manière d’aborder gameplay, plus ou moins intéressants en fonction des armes et pouvoirs équipés avant de partir en mission. Witchfire est un rogue-lite.
De fait, Witchfire est particulièrement difficile, avec un niveau de difficulté unique. On enrage au départ de n’avoir qu’un simple six coups, et on peste de ne pas trop comprendre comment débloquer de nouveaux outils, puis on fait un tour approfondi dans le hub central avant de se rendre compte qu’il va falloir la jouer fine pour progresser.
Un peu comme dans Dark Souls – bon sang, j’ai honte d’utiliser une telle formule, les ennemis lâchent du witchfire, nécessaire pour monter les statistiques de son personnage. Si vous pensez avoir fait le tour de la carte, ou si vous estimez que vous n’avez aucune chance face au boss, vaut mieux alors sécuriser ses gains en retournant au hub, afin de revenir plus fort. Witchfire est un extraction shooter.
À défaut de chercher une bagarre que l’on sait perdue d’avance, il est alors possible de partir en quête de portails de téléportation pour sécuriser le précieux butin, tandis que les pétoires et les sortilèges s’obtiennent en lançant des recherches, et plus vos expéditions sont fructueuses, plus vos recherches progressent. Avant d’être enfin en confiance pour défier le premier boss, il peut tout de même se passer du temps, et on oscille constamment entre le “stop” et le “encore”.
Ainsi, on se fixe des objectifs en fonction de ses performances, et elles ont de fortes chances de changer plusieurs fois en cours de route. Accumuler de la puissance, sécuriser le witchfire ou chercher tous les coffres du niveau et pouvoirs passifs pour avoir une chance contre le boss ? C’est assez original et franchement bien exécuté, même si on regrette que l’ensemble de l’arsenal se déverrouille un peu trop rapidement si on concentre ses efforts dessus.
Le truc, c’est que Witchfire fait tout pour qu’on ne soit jamais confortable : si vous montez en puissance, la Sorcière mettra en parallèle davantage de moyens pour vous mettre des bâtons dans les roues, désormais consciente que vous êtes immortel. Une montée brute de la difficulté annihilerait l’intérêt de monter ses statistiques, mais de nouveaux ennemis de plus en plus spécialisés apparaissent et de nouveaux événements aléatoires permettent de multiplier les opportunités de gagner des récompenses.
Rarement le couple risque/gain ne s’est jamais autant chamaillé dans Witchfire, définitivement un “FPS Souls extraction PVE rogue-lite dark fantasy“, comme le décrit avec un certain humour The Astronauts… pas si loin de la réalité.
Dark Souls serait plus simple avec des flingues
Le problème quand on met des statistiques et mécaniques RPG dans un FPS, c’est que ça rentre bien trop souvent en conflit avec ce qui fait l’intérêt du genre au sens général : le shoot. Mais pas dans Witchfire. Oh, non.
On a beau débloquer des pouvoirs aux effets élémentaires, améliorer les différentes statistiques du Chasseur, s’équiper de breloques aux nombreuses propriétés : la maîtrise de la pétoire reste reine.
Les dégâts des armes et la vie des ennemis sont fixes, et seules des modifications liées à l’expédition en cours peuvent éventuellement jouer avec ces facteurs, ce qui fait qu’on reste au centre d’un gameplay maîtrisé qui fait fi des fioritures et statistiques superflues. Certes, les armes à feu peuvent être améliorées au fil des expéditions, mais cela concerne en grande majorité des propriétés qu’il faut prendre en compte avant d’appuyer sur la gâchette, et non sur les stats.
Ainsi, quelles que soient les circonstances, les sensations sont excellentes, notamment grâce au fait on a jamais l’impression de manquer de puissance de feu. Venant des gars qui ont pondu Painkiller et Bulletstorm, ça aurait été franchement dommage.
Excellemment bien rythmées, les expéditions oscillent entre voyage vers les différents points d’intérêts marqués sur la carte, pensée pour être traversée de multiples façons (la sublime direction artistique rend la chose agréable), et les combats. Si les rencontres “peu dangereuses” se veulent posées, la difficulté augmente d’un cran dès que les ennemis sont plus nombreux, mais surtout spécialisés.
En plus de savoir se déplacer et viser efficacement, il faut donc savoir être malin pour éviter de se faire déborder, grâce à un très intéressant mix d’ennemis de contact et à distance. Mais même la carcasse la plus basique représente une menace, et si toutes les attaques sont télégraphiées, un mauvais positionnement ou une mauvaise prioritisation des cibles aura vite fait avoir raison du Chasseur. Certaines attaques téléguidées sont un poil trop vicieuses à mon goût, cependant.
Particulièrement handicapant au point de le détester, c’est pourtant le système d’endurance qui donne le La, puisqu’il force le joueur à pondérer chaque action défensive, entre les dash et le sprint. Et c’est vicieux parce que chaque mise à mort permet d’augmenter sa capacité totale d’endurance jusque à 100%, mais le moindre dégât réinitialise ce bonus, pourtant salvateur dans les situations les plus risquées. Rajoutez à ça des capacités ennemies qui attaquent directement votre endurance, et vous voilà épuisé au milieu d’un lynchage collectif.
Les pouvoirs de sorcelleries du Chasseur sont là pour faciliter le contrôle des foules, mais n’ont pas vraiment de valeur sans l’intervention des armes. En fonction de son arsenal et des pouvoirs débloqués durant l’expédition, il faut bien avoir en tête les potentielles synergies offertes à nous, et s’ils elles ne sont pas très évidentes ou sembles artificielles au premier abord, les subtilités viennent par apparaître au fil de la progression, et on se surprend à survoler des groupes d’ennemis qui nous aurait terrifiés dans une autre circonstance.
La moindre erreur se paye très cher, et même si le jeu peut sembler un peu lent pour certains, le nombre d’informations en prendre en compte lors d’un combat peut être très rapidement intimidant. On comprend mieux pourquoi le studio a décidé d’abandonner le format de succession d’arène pour une navigation sans entrave, car battre en retraite quand on a plus l’avantage peut se révéler être une tactique en soit. Il n’y a pas de honte… même si le jeu a quelques surprises en réserve pour vous empêcher de jouer les couards en permanence.
Pour l’instant, le titre ne sait pas trop comment créer une montée en puissance réellement satisfaisante, couplée à une progression qui ne se contente pas d’être un simple enchaînement de niveaux, sans parler de l’arsenal et des pouvoirs encore limités qui se déverrouillent bien trop vites, mais on sent que le studio sait où il va, avec du teasing en jeu qui augure que du positif pour cet accès anticipé, dont le niveau de finition est déjà assez exemplaire.
D’ailleurs, la plupart des plus gros reproches qui auraient pu être émis ont déjà été adressés par les développeurs, comme des événements aléatoires aux récompenses un peu faiblardes, ou encore ce drôle de filtre lié à la fatigue qui rend l’action quasiment illisible. De nombreux changements de gameplay drastiques se succèdent, et très souvent pour le mieux. L’avantage quand on est une petite équipe de 12 développeurs, c’est que ça facilite la réactivité.
Magie du plomb
Witchfire s’avère être un fourre-tout de genres qui fonctionne infiniment mieux qu’il ne le devrait. À mi-chemin entre rogue-lite et extraction shooter, le titre de The Astronauts digère ses inspirations pour un résultat étonnamment original et unique. Système de progression un peu bizarre à part, les mécaniques RPG ne marchent jamais sur les plates-bandes du gunplay, dont les excellentes sensations sont fidèles aux CV des développeurs. Prévu pour rester en accès anticipé pendant une petite année, il me tarde de découvrir les nouveautés de contenu et de gameplay qui s’ajouteront à un étrange FPS qui a réussi à valider son tout aussi étrange concept haut la main.
Ce qu’on a aimé :
- Boucle de gameplay originale et prenante
- Excellentes sensations de shoot
- Mécaniques RPG qui ne mâchent pas le travail
- C’est beau, bon sang
- Très bonne base qui ne demande qu’à s’enrichir
- Difficile, mais finalement peu punitif (pour peu qu’on soit prudent)
Ce qu’on n’a pas aimé :
- Certains ennemis sont vraiment une plaie
- Manque de diversification dans le récompenses d’événement
- Action pas toujours très lisible
- Mécaniques de progression peu claires de premier abord
- Certaines situations paraissent inextricables
- Eh, ça manque encore de pouvoirs magiques
Ce jeu est fait pour vous si :
Vous ne dites pas non à un FPS original ; les rogue-lites vous ont toujours semblé trop punitifs.
Ce jeu n’est pas fait pour vous si :
Vous préférez quand les stats gonflent de façon exponentielle.
WarLegend.net a bénéficié d’une copie presse fournie par l’éditeur de ce jeu.
Configuration de test :
- GPU : NVIDIA RTX 2080 Ti
- CPU : Intel Core i9-9900k
- RAM : 32 Go DDR4
- Installé sur SSD
Witchfire est disponible en accès anticipé sur PC via l’Epic Games Store.