Au-devant de ce Final Fantasy XVI qui se profile, les cœurs s’emballent, les voix s’élèvent, tandis que ce nouvel épisode passe là où presque tous ses prédécesseurs sont passés, dans ce vortex contestataire sur la légitimité du nom qu’il porte. Une sorte de palabre qui s’intensifie au fur et à mesure que le titre s’expose. Pour beaucoup, la célèbre saga naît sous Square s’est depuis longtemps — les avis varient — éloignée de sa forme initiale, par delà un épisode trop différent. Mais existe-t-il véritablement un épisode numéroté symbolisant cette soi-disant crise identitaire ? Final Fantasy XVI, comme d’autres avant lui, s’éloignerait-il d’une formule, d’un moule désigné et utilisé par les développeurs depuis les débuts du voyage ?
Vrai Final Fantasy fait parler l’Eikon
Pour peu que vous vous soyez déjà intéressé de près ou de loin à la saga trentenaire de Square Enix, il s’agit là d’une phrase que vous avez sûrement déjà lue ou entendue, au fil d’une critique aux éloges modérés, de par ces fans bafoués saisissant les réseaux sociaux pour faire entendre leur insatisfaction, ou peut-être de cet·te ami·e, fauté·e par ce nouvel opus qui “ne fait pas comme avant”. Une bien fade déclaration pour un Final Fantasy qui serait ainsi en décalage avec les attentes, symbole renouvelé d’une direction en désaccord avec le matériau d’origine. Chaque jeu de la licence dit principale se confronte malgré lui – à différents degrés – à ces réactions clivantes. Une force opposée à des évolutions, des altérations, jugées contraires à l’essence de la célèbre franchise.
Mais ce genre d’exclamation, plus que le cri d’agonie de ces communautés, entendrait alors démontrer qu’il y aurait un “vrai” Final Fantasy. Tout du moins, une formule répondant à des codes précis, autant par le gameplay que par l’univers dépeint, voire à travers les personnages et les thématiques qui les accompagnent. Pour beaucoup, la réponse peut sembler évidente : le véritable Final Fantasy, ce sont les mages blancs, noirs et rouges, ces guerriers héroïques amenés à sauver un monde en perdition (en combattant au tour par tour), les Ifrit et les Bahamut…
Il faut le dire, la saga brille par la récurrence des éléments qui composent sa genèse — notamment son bestiaire mythologique avec des entités comme Bahamut, ses scénarii autour des cristaux, ou ce bon vieux Cid. Mais définir ce qu’est ou plutôt, dans ce contexte, ce que “devrait” être un Final Fantasy, n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît. Pourtant, ce serait là le prérequis essentiel pour entamer cet étrange combat sur légitimation d’un épisode. Alors, essayons de nous poser cette question : qu’est-ce qui caractérise un Final Fantasy ? Qu’est-ce que porté ce nom signifie ?
“Bah c’est de la fantasy” nous répondra avec entrain Jean G@merz et… on ne lui donnera pas tort, mais Jean ne s’est pas trop foulé non plus. C’est évidemment bien plus que ça, et histoire de justifier l’existence de cet article, il est préférable de creuser un peu plus loin. Bref, part pas trop vite Jean.
Oui, Final Fantasy, c’est d’abord de la (High) fantasy : les premiers épisodes s’imposent comme versions édulcorées de Donjons & Dragons — dont ils s’inspirent directement. On y retrouve les classes de héros, les niveaux, les statistiques, les vilains monstres, et surtout l’aventure avec un grand A, sur fond de quêtes héroïques. Loin de moi l’idée de retracer l’histoire de la série — des tonnes d’ouvrages le font déjà très bien. Il est toutefois important de mettre en lumière ce point départ, dont les fondements vont cristalliser (vous l’avez ?) l’image de la série pendant de nombreux épisodes. Alors oui, la fantasy comme on l’entend, celle qu’on s’imagine lors de sa meilleure épopée jusqu’aux portes de Baldur, est bien l’un des premiers piliers de la poule aux œufs d’or de Square (Enix). Mais la série en vient vite — très vite — à la façonner à sa manière.
Le brasier X qui met le feu aux poudres
Intéressons-nous d’abord sur l’élément bien particulier des FF, celui qui tourmente par delà les époques notre bon vieux Jean : le gameplay. Oui ce fameux “tour par tour”, marque d’une époque perdue (non), symbole du “c’était mieux avant” (toujours pas), bastion du véritable (J) RPG (encore perdu). Bref, le discours mélancolique des laissés pour compte : Final Fantasy, ce n’est pas de l’Action RPG, du beat’em up énervé, c’est du tour par tour.
Pour sûr, la saga commence par forger son identité à travers ce gameplay précis, référence à un système de combat où, comme son nom l’indique, joueurs/joueuses et ennemis prennent action à tour de rôle. Ici aussi un héritage du célèbre jeu de rôle — tout comme une conséquence des limitations techniques, il faut le dire. En revanche les développeurs, sous la coupe de Hironobu Sakaguchi, démontrent très vite un désir de faire évoluer la formule, de la faire passer au niveau suivant. Certains ne le savent donc peut-être pas, l’ont peut-être oublié, ou ont laissé la nostalgie faire son office, mais ce tour par tour qu’on aime tant à réclamer “disparaît” dès l’épisode IV.
Qu’on se le dise, le “turn based system” s’avère encore et toujours fièrement porté par certains titres, dans des formes plus ou moins variées ; Dragon Quest, Shin Megami Tensei et sa série jumelle Persona ; ces jeux heureux d’être une ode au passé comme Bravely Default; repris, expérimenté et parfois embellie par la scène indépendante avec Chained of Echoes et Sea of Stars, etc. Mais de son côté, la série Final Fantasy, elle, tentait déjà de tourner la page 30 ans auparavant.
Ainsi, à partir du quatrième volet intervient une alternative qui va changer la donne : l’Active Time Battle (ATB). Un nouveau système de combat dont les arcanes vont modeler l’évolution de la série ; un premier pas en avant vers le jeu à l’ADN action. Désormais, Final Fantasy incorpore une dimension “active”, où le temps s’écoule indépendamment (ou presque) de la volonté des joueurs et joueuses, qui doivent alors réfléchir à leurs actions “rapidement”. Oui, du jeu en temps réel. Bien qu’à ce moment-là, ledit temps réel reste pensé pour s’engoncer dans une structure tour par tour, on se tient déjà devant une conséquence directe de cette logique propre, de ce souhait de faire fi des conventions premières du RPG. Hiroyuki Ito, alors battle designer sur FF IV, design l’ATB dans cette recherche de l’action, de l’affrontement en temps réel :
Même à l’époque, alors que personne ne le faisait, je sentais que les combats dans ce type de jeux finiraient par être en temps réel. C’est ce que j’avais prédit. […] comment pouvons-nous nous rapprocher du temps réel, puisque nous ne pouvons pas le faire complètement pour le moment ? C’est comme ça que tout le système est né. [5]
Et si on peut se servir des aventures de Cecile et Kayne comme point d’accroche argumentaire sur ce que représente un Final Fantasy – à partir du système de combat en tout cas – on peut tout à fait se placer 2 épisodes plus tôt. Parce que cette volonté du changement, d’évolution, elle est présente dès l’épisode II, écrit noir sur blanc dans (entre autres) le Final Fantasy Memorial Ultimania :
[Final Fantasy II] C’est cette deuxième aventure de la série qui entérinera définitivement la volonté d’introduire à chaque épisode une ou plusieurs nouveautés dans le système de jeux, décision qui fait aujourd’hui la spécificité de la saga. [1]
On s’accordera sur le fait que l’introduction de nouveautés s’avère peu ou proue une constante pour à peu près tous les jeux appartenant à une série, d’autant plus celles dont la longévité se compte en décennies. Logique en même temps, sinon l’intérêt s’estompe. Après tout, même Dragon Quest, pourtant solidement attaché à son système de jeu, ne s’est jamais privé de faire du neuf avec du vieux. Dans le cadre de Final Fantasy, et de Square (avant “Enix”), il s’agit surtout d’une vision à part entière, transposée pixel par pixel par des équipes de développement en constant changement. Des équipes qui améliorent, repensent Final Fantasy, sur sa narration, ses combats, ses personnages… Mais surtout, des équipes qui expérimentent cherchent à insuffler un “renouveau” et à modeler chaque titre en fonction de l’époque qu’il représente.
A coeur de lion, rien n’est final
Ce n’est pas un hasard si aucun épisode ne présente une forme (gameplay, thématique, type de personnages…) identique à son prédécesseur. Chacun d’entre eux s’est fait étendard d’évolutions plus ou moins notables — au temps de la série annualisée, on parlerait de microévolution. Aujourd’hui parmi les incontournables figures de Square Enix, Yoshinori Kitase l’admettait lui-même : le questionnement de ce qu’est ou devrait être un Final Fantasy n’a réellement lieu qu’à l’extérieur des murs de Square Enix, parmi les journalistes et joueurs tentant de persuader son prochain de l’existence d’un standard, d’une formule précise qui structure le squelette du moindre épisode. De même c’est souvent le cas pour les nouveaux développeurs, fraîchement débarqués et excités de travailler sur leur série favorite, la tête pleine d’idées à propos de “leur” Final Fantasy”.
À plusieurs reprises, j’ai travaillé au milieu de nouveaux venus et autres membres de l’équipe qui n’avaient jamais été impliqués dans un FF auparavant. Très souvent, ils arrivaient avec leurs propres règles et critères tels que “c’est ce qu’un FF devrait être” ou “La série FF le ferait comme ça”. Bien que je comprenne leurs sentiments dans une certaine mesure, je me dis parfois, “vraiment, il n’est pas nécessaire de se prendre au temps la tête. [8]
On peut alors embrayer sur une autre anecdote de Kitase, impliquant le légendaire paternel de la franchise, aux prémices d’un — tout aussi légendaire — certain épisode encore dans le bain des concepts et idées. Un moment nostalgique dont il se sert afin de se rappeler que Final Fantasy n’est pas à placer dans un moule : “Chaque proposition était résumée sur deux feuilles de papier, et l’une d’elles commençait par ‘1997, dans la ville de New York’. M.Sakaguchi dit alors ‘Quelque chose comme ça pourrait aussi marcher’. Cet instant m’a vraiment marqué. Cela m’a ouvert les yeux sur sa position vis-à-vis de la série, qui était que nous n’avions pas besoin de nous demander ‘Qu’est-ce que Final Fantasy ?'”
Tout à fait : pour le créateur de la série, ses « disciples », et l’ensemble des développeurs se partageant le flambeau, Final Fantasy n’est pas et n’a pas à être le fruit d’une liste de paramètres obligatoire, d’une direction précise et inattaquable. Au contraire, la saga s’avance comme la somme des idées et des expérimentations de ses concepteurs et conceptrices, pour qui il n’y a pas de limites, pas d’interdit — toute proportion gardée. Ce n’est pas pour rien que Naoki Yoshida tenait des propos similaires dans les récentes interviews :
Les gens à Square Enix pensent que lorsque nous créons Final Fantasy, nous devons le faire ‘comme ça’, parce que c’est ‘comme ça’ que nous l’avons fait par le passé. Avec Final Fantasy XVI, ce que nous voulions faire, et ce que nous souhaitions montrer aux jeunes développeurs, ainsi qu’à celles et ceux qu’ils précèderont, c’est qu’il n’y a pas besoin de s’enfermer là-dedans. Tu peux faire ce que tu veux, et tout est possible avec la série Final Fantasy. [7]
Ainsi, le tour par tour, tout comme une multitude d’autres paramètres qui auraient pu être abordés ici, n’a jamais été une affixe intangible de Final Fantasy. Bien sûr, cela aurait pu en être autrement ; au même titre que son homologue Dragon Quest, la série de Sakaguchi aurait pu s’ancrer dans dans une formule plus solidifiée dans le temps — et ça n’aurait pas été mieux ou pire, juste différent. Mais ce n’était et n’est pas la vision des développeurs, que l’on parle de la figure paternelle ou des descendants/descendantes qui ont suivi. D’ailleurs, les fans des Soulsborne vous le diront : “on n’altère pas la vision des développeurs”. Bon d’accord, mauvais exemple. Toujours est-il, lorsque la technologie et les capacités de développement le permettent, rien ne devrait moins nous étonner qu’un Square Enix sautant à pieds joints dans les nouvelles formules du JRPG, du Final Fantasy. Et ce processus de création qui cherche à explorer de manière toujours différente les mythes de la série, n’importe quel épisode peut s’en faire l’étendard.
Au septième ciel, on est sur son petit nuage
On pourrait écrire un livre entier sur la façon dont Square Enix à modeler sa série au fil du temps – bon, ça a déjà été fait ; sur ces équipes, chaque fois davantage différentes, venues tels des wagons se rattacher au train Final Fantasy. On peut alors se pencher sur FF XII, parmi ceux ayant voulu tirer un trait définitif sur ce “tour par tour”, du haut de sa fantasy Star Warsienne, où exploration et combats se mélangent plus que jamais. Pourquoi pas sinon sur FF II, un avant-gardiste à la progression – et narration – pousser par la mémorisation de ces mots clés (World Memory System), et qui a souhaité s’émanciper – peut-être trop tôt – du système de niveau. Plus proéminent encore, le duo FF XI et XIV qui embrassent la formule MMORPG.
Chaque épisode numéroté peut se faire la locomotive d’une démonstration de la composante intrinsèque à la série : l’évolution. Malgré tout, il y en a un qui peut-être représente cela davantage que les autres, un “train” ayant fait l’arrêt en gare le plus mémorable du milieu vidéoludique, dont on entend toujours les hurlements métalliques 25 ans plus tard. Oui, cet épisode légendaire, ce millésime d’une génération entière, ce numéro VII transportant dans ces wagons les fondements d’un (J)RPG n’a jamais changé; celui-là même qui marquait le premier Final Fantasy pour la majeure partie des Européens : j’ai nommé Final Fantasy VII.
Ce fameux numéro 7 peut être considéré comme un cas assez à part dans la longue lignée des Final Fantasy, non seulement pour ce qu’il représente dans l’espace vidéoludique — approche cinématographique bien plus marqué, intégration remarquée et remarquable des images de synthèses, et j’en passe — mais aussi vis-à-vis de la saga elle-même, connaissant alors pour la première fois une véritable sortie à l’international.
Déjà, FF VII tranche nette avec la fantasy telle qu’utilisée jusqu’alors. Non pas un simple éloignement de la fantasy médiéviste ; ça, la série l’a souvent fait à divers degrés en incorporant des éléments technologiques plus liés à la science qu’à l’occulte. L’épisode VI, pour ne citer que lui, explique son univers à travers un conflit entre la magie et la technologie — une thématique forte qui inscrit davantage Final Fantasy dans la “science -fantasy”. Mais FF VII s’envole bien plus loin : il fricote avec la science-fiction par delà une civilisation aux progrès scientifiques et technologiques surpassant le monde contemporain, tandis qu’il s’habille d’une esthétique steampunk, incarnée essentiellement par la cité industrielle de Midgar. Le titre explore des thématiques plus sombres encore que ses prédécesseurs, mais aussi plus en accord avec des problématiques de l’époque — toujours d’actualité qui plus est. On pense tout de suite au sujet de l’écologie ; cette mégacorporation qu’est la Shinra, exploitant la “rivière de la vie” et menaçant Gaia (la terre) de destruction pour son simple profit.
Mentionné plus tôt, FF7 aurait très bien pu se dérouler dans un New York de 1997. Un concept qui incluait par ailleurs une orientation plus polar, avec des mystères à résoudre par l’intermédiaire d’un protagoniste nommé « Détective Joe », d’où plane une menace incarnée par une « Sorcière ». Un univers ô combien inhabituel pour une œuvre empoignant la fantasy jusque dans son titre ; pourtant, bien que ces idées initiales ne seront pas conservées, elles sont, comme nous le fait remarquer Raphaël Lucas, « toujours là, différentes, transformées, affinées par les multiples passages entre les mains de l’équipe. “
Cet environnement de Polar ? Là, dans ces autos au design arraché des années 50, dans les coupes de certains vêtements, dans ces teintes, dans ces Turks, hommes de main vêtus de costumes qui ne dépareraient pas dans un film de yakuzas, etc. Des éléments qui seront plus exacerbés près de vingt ans plus tard… Quant à la sorcière, elle laisse la place à des scientifiques fous, à un (une ?) Jenova qui menace de détruire le monde… Mais d’autres idées s’infiltrent, s’immiscent çà et là, dans le corps du texte, glissent, via des concepts inattendus. [2]
Final Fantasy VII, l’épisode auquel on peut attribuer sans trop de risques la renommée planétaire de la saga, s’avère sous bien des angles un virage dénominateur pour cette dernière. Outres les multitudes de points d’inspiration susmentionnée, qui lui donneront forme, il est de bon ton de mentionner ce passage à la 3D : loin d’être une mince affaire pour un RPG de cette envergure d’un point de vue technologique, c’est aussi un changement de vue de radical pour les joueurs, jusque là portés par le tout en pixel et la caméra fixe. Un choix motivé — entre autres — par le désir des équipes de donner aux personnages de véritables expressions, d’en faire des entités aux émotions plus visibles.
Le développement de FFVII avait deux directions possibles. L’une consistait à utiliser des personnages pixels sur une carte en 3D, comme l’ont fait Dragon Quest VII et Xenogears quelque temps après. L’autre méthode, celle utilisée pour le jeu, était de les façonner à l’aide de polygones. Les personnages en pixels lors des scènes d’histoire des précédents FF étaient extrêmement populaires, c’est pourquoi nous avions d’abord envisagé la première approche, qui se veut être une extension de cette méthode-là. Toutefois, nous n’étions pas en mesure de créer des scènes émotionnelles réalistes de cette façon, tandis que nous pouvions utiliser les mouvements de corps des personnages “polygons” afin d’exprimer des émotions ; nous sommes partis sur cette méthode, à la recherche de nouvelles possibilités. [3]
Qu’il s’agisse alors des décors, des personnages, des actions à l’écran, Final Fantasy VII est criblé de détails qui jusque là ne prenaient forme que dans l’imagination des joueurs/joueuses. Une évolution aussi impressionnante que dépaysante.
Et la partie technique ne s’arrête pas à ses polygones, déjà point névralgique d’une nouvelle forme pour FF. C’est aussi (et peut-être surtout) une caméra venant servir le game design. Elle devient particulièrement marquante lors des combats, bonifiant au possible les actions qui défilent à l’écran ; un dynamisme nouveau pour le fameux système ATB. Un jeu qui va jusqu’à muscler sa mise en scène, notamment avec une certaine invocation durant une minute et 30 secondes. Là encore, un pas décidé vers de l’action plus prononcée, plus spectaculaire.
On pourrait s’attarder sur bien d’autres aspects qui ont fait d’FF7 un titre à part de ses prédécesseurs — comme le système de matéria, la carte du monde, les cinématiques, la narration, etc. Des éléments qui pourraient tout à fait avoir leur article dédié, tant il y aurait de chose à dire. Aussi, il m’a fallu rester (un minimum) succinct. In fine, l’épisode démontre que son empreinte s’est faite au détour de changements parfois radicaux, offrant à la série une envergure nouvelle. Il y a un avant et un après.
Mettre broyeuse au vent
Il se trouve très bien de s’attarder sur cette autre caractéristique qui fait aussi l’habit du numéro 7 – un élément dont l’existence touche du doigt ce qui fait l’identité de FF XVI et sa relation avec les joueurs et joueuses qu’il semble vouloir attirer. Vous savez, ce Final Fantasy 7 Remake apparu tel l’écho d’une époque autre, venu réimaginer ce que beaucoup considèrent comme un chef-d’œuvre. Une adaptation héraut d’une nouvelle vision pour une nouvelle époque, un nouveau public. Cela vous rappelle-t-il quelque chose ?
Au-delà d’un héritage aussi grand qu’il pesait sur ses épaules, Final Fantasy 7 Remake, c’est surtout une nouvelle manière d’aborder l’œuvre d’origine. Et pour les cancres du fond — Jean est dedans — il n’a jamais été question d’être “meilleur” que le matériau d’origine, mais de revivre sa mythologie sous un autre angle. Et cela implique, avec plus de 20 ans d’écart entre les deux jeux, de répondre à différentes contraintes (qu’elles soient d’ordre technique ou artistique), différentes attentes, oui, de s’adapter.
Le rapport avec FF XVI ? Question légitime, puisqu’en effet, il ne s’agit pas d’un remake; il ne répond aux mêmes critères et ne vise d’ailleurs pas le même public… pas vraiment (mais peut-être un peu quand même). Leurs créations est toutefois loin d’être dénuée de points communs.
Nous l’avons dit plus tôt, FF7 R doit repenser, remanier FF7. Une déconstruction en large afin de prendre à bras le corps une époque, mais aussi tout simplement une série, qui réclament du changement, qui doit s’adapter. Ce qu’exprime très bien Tetsuya Nomura en 2015 dans les pages du Famitsu :
Il y a certainement des membres de l’équipe qui mettent trop l’accent sur la “saveur” VII et sont réticents à la changer. Mais cette saveur n’est pas quelque chose que l’on peut facilement montrer du doigt avant de dire “c’est ça !” ; elle signifie différentes choses en fonction des individus. Je suis moi-même très attaché au VII. Mais ces sentiments et le fait d’être prisonnier des FF du passé sont deux choses distinctes. Si vous vous dites : “FF c’est comme ça” ; alors vous ne pouvez pas faire de FF”. [4]
Comment un sentiment de déjà-vue, n’est-il pas ? Pour Nomura, il faut pouvoir se confronter sa propre vision de ce que représente FF afin d’être en mesure d’en créer un. Et si ses paroles visent ici les équipes de développement, elles s’appliquent tout autant aux joueurs et joueuses : comprendre un Remake, c’est d’abord remettre à plat ce que l’on sait du jeu d’origine, accepter un nouveau langage et un nouveau design qui réinventent l’œuvre chérie. FF7 R représente une forme nouvelle de FF7, du JRPG. Comme le résume très bien Raphaël Lucas, il s’agit d’une “oeuvre de son époque, un JRPG tel que le genre se conçoit aujourd’hui : plus complexe dans son intrigue, plus riche de voix, de sens, plus rapide et mouvant dans ses empoignades, plus cinématographiques… »
Cette figuration, elle s’applique aussi à Final Fantasy XVI. Ce nouvel opus qui reprend la genèse Final Fantasy, pioches dans toutes ses récurrences, les réinvente, les densifie… On prend les mêmes et on recommence ? Pas loin. Ifrit, Shiva ou encore Titan, ces éternelles invocations, chimères, primordiaux, voire même vaisseaux volant, FF 16 comme presque tous ses prédécesseurs, vient s’en servir, leur donner une histoire et une place dans un lore étendu. À l’instar d’FF7R, il se veut plus cinématographique – les présentations de gameplay le montre bien – plus dynamique, gourmand de mises en scène et d’une histoire qu’on attend riche et complexe. De même, il se veut plus bavard, en témoigne une narration environnementale faisant intervenir les dialogues (doublées) de PNJ, sans nécessiter d’interaction – autre héritage du fameux Remake.
Différent des autres Final Fantasy ? Oui il l’est, à bien des égards. Mais au même titre qu’FF7 R, le titre de la CBU3 incarne une forme du (J) RPG, du jeu vidéo, liée à l’époque actuelle. Dans les faits, cela vaut pour chacun des épisodes de la série. En poussant la réflexion, on pourrait aller jusqu’à dire que chaque Final Fantasy est un remake : une genèse qui se réinvente, replace ses pions et ses Cids dans des univers et des contextes différents, sans jamais cesser de faire écho au passé.
Jamais 15 sans 16
Alors on a étayé l’argumentaire de ce qui caractérise — en partie — Final Fantasy à travers l’exemple du VII, titre à la portée multinationale et multigénérationnelle. L’épisode XVI pourra-t-il générer une telle aura ? Difficile à dire. Mais au final, cela importe peu ; Cloud et sa bande de joyeux lurons a mis en lumière l’envie et la capacité de cette légendaire saga à se déconstruire et se confronter à sa propre mythologie, à la faire évoluer à travers un gameplay, mais aussi une narration et un contexte différent. Le tout amené par des développeurs et développeuses cherchant avant tout à apposer leur marque
L’idée que l’on se fait de ce qu’est ou doit être Final Fantasy, est aussi dictée par cette nostalgie venue ancrer ces émotions ressenties lors de la première découverte, la première “claque” (souvent les deux en même temps) dans notre esprit. Il n’est alors pas étonnant que les changements (radicaux ou non) apparaissent altérer de trop une forme à laquelle on pensait pouvoir se raccrocher. Néanmoins, prendre du recul sur cette nostalgie, c’est se donner la possibilité d’élargir ses horizons — qu’il s’agisse de Final Fantasy ou de toute autre œuvre — c’est se rendre moins imperméable au changement.
Malgré tout, reconsidérer ses aprioris – à la lecture de cet article, qui sait ? – ne va pas vous faire nécessairement apprécier FF XVI (ce n’est absolument pas le but recherché ici). Et ce n’est pas grave, cela ne fait pas de vous un “faux fan” (quoi que cela veuille dire) ou quelqu’un qui ne comprendrait pas Final Fantasy. Le prochain épisode ne sera pas le dernier, bien loin de là ; si celui-ci ne vous convient pas, peut-être que son successeur, ou celui d’encore après, le fera à sa place. Final Fantasy trouve sa constante à travers la perpétuité évolutive de sa structure, le changement d’un épisode à un autre : FF XVI n’est, en tout et pour tout, qu’un exemple supplémentaire. La vérité, c’est qu’il n’a jamais été question de faire un tout uniforme. La saga est vouée à prendre diverses formes dans les années à venir, que ce soit par le biais des opus principaux, des spins offs ou des remakes.
In fine, il est contre-productif d’essayer de juger celui qui n’est ou qui n’est pas Final Fantasy – en témoigne cet article bien trop long. Parce qu’un FF n’est pas déterminé par son seul Game Design — et certainement pas par son seul système de combat — ni même par sa manière de l’utiliser. Il s’agit avant tout d’une mythologie dont les traits s’épaississent, se réinventent, tout comme d’une genèse qui renvoient sans cesse à ses lectures passées par l’intermédiaire de ses récurrences qui lient les jeux entre eux, et d’une certaine manière, les communautés.
Enfin, arrêtons ces interminables lignes sur ces belles paroles d’Hiromichi Tanaka, Game designer sur les trois premiers FF et ancien producteur de Final Fantasy XI:
À chaque épisode, nous avons créé un nouvel univers et un nouveau système de jeu. Y’a-t-il des points communs entre eux ?
Après vingt-cinq ans de FF, quand on me pose aujourd’hui cette question [Comment définissez-vous Final Fantasy ?], au-delà des cristaux ou des éléments en magie, qui tiennent plus de la symbolique qu’autre chose, j’évoquerais volontiers les lois des mondes de FF qui permettent à ces symboles d’exister, et le “Panth rhei” (le concept de mouvement perpétuel), qui font le lien entre tous les Final Fantasy. En résumé, si nous sommes parvenus à travers l’un de nos Final Fantasy à vous faire ressentir son ambiance si spécifique grâce à des choses très simples telles que les effets de lumière ou le bruit du vent, alors nous aurons atteint notre objectif. Réussir à faire naître ces impressions chez tous les joueurs du monde entier est notre plus grande satisfaction. [1]
Le pouvoir à la source
Cet article s’appuie sur des connaissances personnelles, mais aussi sur diverses sources listées ci-dessous :
Bibliographie
- [1] Multiples auteurs. Final Fantasy Encyclopédie officielle Memorial Ultimania Épisodes I-VI, Mana Books, 320 p, 5 octobre 2017.
- [2] Raphael Lucas. Final Fantasy VII & VII Remake : Le Making of, Éditions Pix’n Love, 224 p, 6 janvier 2023
Sitographie
- [3] Hitoshura. “Weekly Famitsu Issue no. 1224: Yoshinori Kitase Interview”, Interview traduite du magazine Famitsu , The Lifestream, 8 août 2012.
- [4] Hitshura. “Weekly Famitsu Issue no. 1224: Tetsuya Nomura Interview”, Interview traduite du magazine Famitsu, The Lifestream, 17 août 2012.
- [5] Jeremy Parish. “Final Fantasy’s Hiroyuki Ito and the Science of Battle”, octobre 2012. Consulté de puis Internet Archive.
- [6] Spencer Legacy. “Dungeon Encounter Interview, A Unique Adventure for JRPG Fans”, Noisy Pixel, 15 novembre 2021.
- [7] Sal Romano. “Final Fantasy XVI – Interview with Producer Naoki Yoshida, Director Hiroshi Takai, and Combat Lead Ryota Suzuki”, Gematsu, 28 fevrier 2023.
- [8] “We Discuss Vana’diel #5 Yoshinori Kitase part 4”, We are Vana’diel, 25 novembre 2021.
Mais ce genre d’exclamation, plus que le cri d’agonie de ces communautés, entendrait alors démontrer qu’il y aurait un “vrai” Final Fantasy. Tout du moins, une formule répondant à des codes précis, autant par le gameplay que par l’univers dépeint, voire à travers les personnages et les thématiques qui les accompagnent. Pour beaucoup, la réponse peut sembler évidente : le véritable Final Fantasy, ce sont les mages blancs, noirs et rouges, ces guerriers héroïques amenés à sauver un monde en perdition (en combattant au tour par tour), les Ifrit et les Bahamut…