Le nombre de burnouts et de départs inquiète même les autorités
En début d’année, Ubisoft a confirmé que Beyond Good & Evil 2 était toujours en cours de développement, malgré une vague d’annulations en interne qui a généré pas mal d’anxiété chez les fans. Seulement, Kotaku révèle que l’ambiance au sein d’Ubisoft Montpellier serait loin d’être au beau fixe, au point d’être dans le collimateur de l’Inspection du travail.
L’enquête débute avec le départ surprise de Guillaume Carmona, annoncé la semaine dernière aux employés via un simple mail. Vétéran présent au sein de l’entreprise depuis presque 20 ans, le directeur du studio ne s’y était pas présenté depuis le début de l’année, comme l’indiquent 3 personnes proches du développement qui ont souhaité rester anonymes.
Cette démission est tout sauf anodine, mais malheureusement symptomatique de la charge de travail qu’endurerait les équipes d’Ubisoft Montpellier, alors que Beyond Good & Evil 2, malgré 15 ans de développement, serait techniquement toujours qu’en phase de pré-production. Même la création chaotique de Duke Nukem Forever n’a pas été aussi longue.
La multiplication récente des cas de burnouts et d’arrêts maladie serait devenue alarmante au sein du studio : pas moins d’une douzaine de développeurs – avec sa bonne part de cadres – ont pris des congés prolongés pour diverses raisons préoccupantes, toutes liées à la charge de travail, avant que certains ne décident éventuellement de quitter la boîte, à l’instar de Guillaume Carmona.
Auprès de Kotaku, Ubisoft confirme vouloir faire son maximum pour tenter de comprendre et d’améliorer la situation. Une entreprise externe spécialisée dans l’audit et le bien être des employés est actuellement en train d’intervenir à Ubi Montpellier :
La santé et le bien-être de nos équipes sont une priorité permanente. Compte tenu de la longueur du cycle de développement de Beyond Good & Evil 2, l’équipe de développement de Montpellier subit des évaluations de bien-être par l’intermédiaire d’un tiers pour des mesures préventives et pour évaluer où un soutien supplémentaire peut être nécessaire.
Histoire d’en rajouter une couche, l’équipe des cadres désormais instables a récemment été remaniée : le directeur créatif Jean-Marc Geffroy aurait été remplacé par l’ancien assistant-réalisateur Émile Morel, tandis que Charles Gaudron remplacerait Benjamin Dumaz en qualité de réalisateur. Guillaume Brunier serait toujours producteur exécutif à l’heure actuelle, mais certaines sources se demandent pendant encore combien de temps.
Dans l’espace, personne ne vous entend craquer
Ça en fait des problèmes pour studio où les “équipes sont autonomes et les projets se développent super bien”, comme l’indiquait le célèbre directeur créatif Michel Ancel lors de son départ soudain d’Ubisoft Montpellier courant 2020. Le timing était d’ailleurs assez curieux, puisqu’il suivait de peu les révélations de Libération sur les conditions de travail et de management toxiques qui étaient monnaie courante au sein de l’éditeur français.
Malheureusement, presque 6 ans après la fameuse révélation de la dernière mouture du jeu à l’E3 2017, les équipes d’Ubisoft Montpellier seraient toujours bel et bien coincées dans le tant redouté developpement hell, n’arrivant pas à mettre le doigt sur ce qui rendrait le jeu amusant et surtout, réalisable. Techniquement ambitieux, Beyond Good & Evil 2 promet de permettre aux joueurs de s’aventurer sans transition entre l’espace et différentes planètes, évoluant de façon vraisemblable dans une simulation d’un système planétaire.
[mise à jour 01/03 18h00]
Durant le dernier épisode de la Matinale JV, le streamer et ancien journaliste Gautoz a fait un compte rendu de sa propre enquête, espérant apporter un complément à celle de Kotaku.
D’après ses propres sources proches du dossier, Guillaume Carmona aurait été en réalité licencié… pour faute. Ubisoft aurait pris la décision de se séparer du directeur du studio suite à de nombreux signalements pour méconduites soumises à son propre système de dépôt de plaintes anonymes, mis en place suite aux fameux scandales de l’été 2020.
La durée de l’enquête et la prise de décision auront tout de même pris plus de 2 ans, sachant que la plupart des témoignages remontés au pôle RH ont été antidatés à bien avant sa mutation depuis Ubisoft Paris en 2019. À l’instar d’autres cadres épinglés par Libération en 2020, on retrouve le même genre de comportement toxique à l’égard de collaborateurs… et surtout collaboratrices, entre commentaires misogynes homophobes, voire racistes, des “démonstrations de force” et un jugement de valeur sur la résilience à l’alcool. En phase avec les techniques de management décriés de l’éditeur, quoi.
À l’heure actuelle, Ubisoft n’aurait toujours pas indiqué aux employés de Montpellier les raisons exactes du départ de Carmona, voulant une fois de plus limiter la communication autour des telles décisions, et minimiser leur impact sur la carrière des personnes mises en cause.
La bonne nouvelle, si l’on veut, c’est que Guillaume Carmona aurait finalement eu assez peu d’influence sur le développement de Beyond Good & Evil 2, mais cela ne veut pas dire que la quête pour le jeu vitrine d’Ubisoft soit un long fleuve tranquille. Loin de là.
Depuis plusieurs années, Ubisoft Montpellier connaîtrait un turnover plus que conséquent, et l’éditeur aurait un mal fou à remplacer les développeurs qui ont mis en place la mouture actuelle, ajoutant de façon organique une difficulté supplémentaire dans le développement. Les différentes sources interrogées s’accordent à dire que le projet avance tout de même à son rythme (spoiler : il est lent), mais que la durée de la phase de préproduction semble interminable, avec peu de perspective d’améliorations à court terme.
Là est le cœur du problème, puisque le projet Beyond Good & Evil 2 est devenu avec les années démoralisant à plus d’un titre, expliquant en grande partie l’épidémie de burnouts et de congés maladie au sein du studio. Avec de nombreuses années de boîte qui n’arrangent pas ce sentiment, de nombreux développeurs ont perdu l’espoir de voir un jour le titre rentrer en phase de production et préfèrent largement changer de projet, voire de studio.
Pour l’anecdote, Build a Rocket Boy qui développe le mystérieux Everywhere se serait même spécialisé dans le débauchage de développeurs d’Ubisoft Montpellier, promettant parfois un salaire du double de celui proposé par Ubisoft, tout en offrant la possibilité de télétravailler à temps plein depuis Montpellier. Pas moins de 25 personnes auraient décidé de saisir l’offre.