L’Union Européenne continue de marcher vers la création d’un espace uniformisé pour se rapprocher d’un modèle étasunien (oui, c’est un mot moche, oui, il existe). Aujourd’hui, cela se manifeste à travers un domaine à la fois crucial et de plus en plus incontournable: le marché du digital. On apprend donc aujourd’hui qu’un programme est à l’étude et que celui-ci porte le doux nom de “Digital Single Market”, soit “Marché Digital Unique”. Le but est avant tout d’uniformiser les prix du marché digital à travers toute l’Europe.
Au jour d’aujourd’hui, les choses sont en effet bien différentes puisque chaque pays de l’Union Européenne a sa propre situation économique. Il n’y a qu’à voir les différences flagrantes entre la Grèce et le Royaume-Uni, pour ne citer que ces deux-là. En conséquence, le marché du digital est adapté en fonction du pays dans lequel est vendu une clé de jeu vidéo, pour ne parler que de ce domaine qui nous intéresse plus particulièrement. Ainsi, une clé grèque sera moins chère qu’une clé française. C’est même d’ailleurs ce système qui alimente les marchands de clés numériques puisque le fondement d’une telle pratique repose sur l’achat de clés au prix le plus bas à travers toute l’Europe, dans des pays dont la situation économique est moins favorable, pour les revendre à un prix défiant toute concurrence dans les pays les plus riches tout en se sécurisant une marge confortable. Ceci n’est pas illégal, mais ça génère quelques petits problèmes.
Quid des développeurs et éditeurs?
Même si cette pratique ne fait pas des gens l’utilisant des hors-la-loi, il ne faut pas oublier qu’au fond, payer 30€ ou 60€ pour un jeu, ce n’est pas la même chose pour celui qui encaisse l’argent. En effet, il faut bien comprendre un élément dans cette histoire : privilégier des clés achetées dans un autre pays par un intermédiaire, c’est fausser le marché et les prévisions de vente. Cela veut dire qu’un français va en réalité payer le prix payé par un grec, comme s’il achetait son jeu en Grèce. A échelle individuelle, ça peut paraître insignifiant, mais ça l’est nettement moins quand on ramène ça à de milliers de consommateurs, et plus si affinités… A terme, c’est l’éditeur qui est impacté puisqu’il perd une partie substantielle de son chiffre d’affaires. Cela signifie également moins d’intéressement financier pour le studio de développement. On ne va pas se mentir, si cette pratique est tellement répandue depuis un bon moment maintenant, c’est que les dégâts ne sont pas intenables pour éditeurs et développeurs, bien au contraire.
En effet, prenons Sammy (toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé est purement fortuite), qui est un véritable panier percé. Notre pote Sammy a rarement plus d’un rond en poche et est pourtant grand adepte de jeux vidéo. Là où il refuserait de payer 60€ pour Battlefront, il accepte de bon coeur de payer 30€ pour pouvoir mettre les mains dessus, et en précommande s’il-vous-plaît. Plus tard dans le mois, il craquera peut-être pour Anno 2205 et même pour GTA V. Pourquoi? Parce que payer une trentaine d’euros, psychologiquement, ça passe beaucoup mieux que de payer d’un coup 60€. Du coup, on se sent gagnant et on se dit “autant en profiter”. Si on suit ce raisonnement, éditeurs et développeurs récupèrent des “billets” de 30€ de personnes qui n’auraient peut-être jamais acheté leur jeu au prix fort. On atteint donc plus de cibles et le succès n’en est que plus retentissant.
Il n’empêche que des fois, on va très loin dans la dégringolade des prix, et même si Steam a calmé le jeu du côté des clés russes, ce n’est qu’une question de temps avant qu’une parade, peut-être plus efficace encore, soit trouvée et mise à profit. On peut également citer les gens qui pourraient tout-à-fait se permettre de payer 60€ mais qui, si elles peuvent utiliser la moitié de cet argent à autre chose ou même à un autre jeu, ne vont pas s’en priver et on peut se dire, quand même, qu’on peut les comprendre. En fin de compte, l’impact sur les sociétés est peut-être beaucoup moins positif qu’il ne peut y paraître au premier abord.
C’est pas moi, c’est lui qu’a commencé!
M’enfin les gars, on en serait peut-être pas là si les éditeurs et autres plateformes de téléchargement prenaient moins les gens pour des jambons! Vous n’allez pas me dire qu’un jeu proposé dans sa version dématérialisée vaut le même prix qu’une version physique? On pourra toujours arguer que le prix d’un DVD (aujourd’hui, ça se chiffre en Blu-Ray et si on voulait avoir la totalité du jeu là-dessus, il en faudrait plusieurs) et d’un boîtier sont dérisoires et n’entrent pas en ligne de compte, mais soyons de bonne foi et n’occultons pas ce qui nous arrange. Dans un boîtier, il y a également un manuel qui souvent est fait sur papier de qualité avec un design particulier, c’est déjà moins dérisoire. Ajoutons à celà le distributeur, les éditeurs n’ayant pas leur propre boutique pour vendre leurs jeux. Vous pensiez qu’il bossait gratuitement? Non, le job du distributeur c’est de payer le moins cher possible tout en revendant le plus cher possible afin d’élargir ce segment qu’on appelle marge. Les frais de transports sont également là pour alourdir la note et vous apporter un jeu à 60€. Dans le dématérialisé, il n’y a pas tout ça. Exception faite de Steam qui joue le rôle de distributeur (sauf quand c’est Valve qui développe, bien sûr).
En virant tous ces coûts mais en laissant le prix fort s’afficher, des plateformes telles que Uplay ou Origin et même Steam, car il n’y a pour lui à retirer que l’argument distributeur, s’engraissent largement en se fichant allègrement d’une notion un brin importante: le respect du consommateur. Car il s’agit également de respect que de jouer la carte de l’honnêteté. C’est un peu comme quand on veut nous faire croire que 399$, c’est 399€ au moment ou l’euro culmine et le dollar coule. Comprenez bien: les plateformes de téléchargement “officielles” savent que le dématérialisé leur coûte bien moins que le physique, simplement elles ne croient pas bon de le répercuter sur le consommateur, quand il n’y a aucun problème pour répercuter une incidence augmentant le prix, la TVA par exemple pour ne citer qu’elle.
Le programme “Digital Single Market” comme chevalier blanc?
Le “Digital Single Market” fait écho au marché unique européen qui visait, en gros, à ce qu’on ait un gros marché intérieur à l’Europe de façon à faciliter les échanges et donc, les ventes et les achats. Le but final de l’Union Européenne est de créer les Etats-Unis d’Europe et il nous faut pour cela des politiques et une économie commune. Voyant les disparités entre les différents pays en son sein, l’UE s’est dit que ça ne serait pas idiot de sortir un petit programme de derrière les fagots visant, une fois n’est pas coutûme, à unifier tout ça. Au final, on pairait alors notre jeu le même prix, peu importe le pays que nous choisirions de visiter.
S’il est vrai que les conséquences pour nous autres frenchies pourraient s’avérer très positives (à moins que la cupidité prenne le dessus et impose le prix de 60€ à tous) puisque qui dit uniformisation dit nivellation, et plutôt par le bas pour nous puisque les jeux sont les plus chers, entre autres, au pays du fromage (pas de quoi se la péter), cela veut également dire que pour des pays à l’économie plus fragile, les prix seraient nivelés par le haut. Je sais qu’on est à l’ère de l’individualisme, mais si nous on se retrouvait à devoir payer 70€ au lieu de 60€ pour un jeu PC, est-ce que ça nous ferait sauter au plafond? J’ai comme un doute. D’autre part, cela signifierait à coup sûr la mise à mort des marchands de clés puisque plus personne n’aurait intérêt à aller acheter un jeu chez eux plutôt que sur Steam, Uplay ou Origin. Dans un contexte de crise, je me dis simplement que ça serait sympa de ne pas en mettre davantage au chômage.
En plus de ça, je le disais précédemment de façon un peu caricaturale, puisqu’il est difficilement envisageable de voir le prix fort imposé à toute l’Europe, mais n’oublions pas qu’on dit que les grosses entreprises ont parfois plus de pouvoir que les Etats eux-mêmes. Si de nombreux acteurs du marché du jeu vidéo, premier produit culturel consommé à travers le monde, je vous le rappelle, décident de faire pression sur l’UE pour tirer le prix unifié vers le haut, il y a de grandes chances qu’ils soient, même dans une moindre mesure, exaucés.
Au final, on voit surtout que cette mesure est davantage faite pour faire plaisir aux éditeurs, qui n’auraient plus à craindre une utilisation “abusive” des différences de prix entre pays de l’Union Européenne. S’ils arrivent en plus, et c’est plus que probable, à mettre leur petit grain de sel dans les rouages grâce au lobbying, probablement qu’ils en ressortiront en ayant la satisfaction de faire payer, en moyenne, un peu plus chaque joueur. Il ne s’agit là que de spéculation, mais qui s’appuye sur un leitmotiv qui existe depuis bien longtemps.
Et au final, les conséquences pour le joueur?
D’une manière générale, on devrait tous se retrouver à payer plus cher. Notre joueur de Grèce et autres à l’économie similaire ou presque va devoir payer plus cher à cause de l’uniformisation avec des prix plus élevés et Sammy, français de son état, paiera plus cher que ce qu’il a l’habitude de payer chez son marchand de clés habituel.
En définitive, n’oublions pas que même si le marché tend vers le tout numérique et la disparition du support physique, ce dernier représente une garantie. En effet, on ne sait pas de quoi demain est fait et il se peut tout-à-fait que Steam, Uplay ou Origin se vautre. Auquel cas, il ne nous restera probablement plus que nos yeux pour pleurer devant la disparition de nos jeux, happés dans le tourbillon du naufrage. Le support physique, au moins, est toujours là pour rappeler que nous avons acheté tel jeu et que nous avons donc droit d’y accéder, peu importe si la plateforme de téléchargement associée fait faillite. Bon, et puis avouez quand même que c’est vachement plus agréable et classe d’avoir sa collection de boîtes de jeux.
La conclusion qui fait l’économie des mots
En définitive, le “Digital Single Market” n’est pas une mauvaise initiative en soi. Reste à savoir comment l’UE veut le mettre en pratique et quel sera l’impact sur le consommateur, autrement dit le joueur, nous quoi. Une mesure pour imposer aux éditeurs de tenir compte de l’impact du dématérialisé dans leurs prix de vente serait encore la meilleure et la plus honnête des solutions. Le programme envisagé par l’UE se présente comme une solution à un problème qui, dans le fond, n’existe pas.
Article intéressant. Pour ma part je pense que l’UE est loin d’arriver à mettre en place un marché digitale unique de ce genre, car il y aura toujours des groupes qui trouvent un intérêt à faire payer leurs produits à des prix différents selon le territoire sur lesquels ils vendent, même au niveau européen.
Chercher à faire payer le même prix à des grecs et des allemands c’est se tirer une balle dans le pied et j’y crois pas trop au nivellement vers le bas pour tout le monde.
Et puis imaginons que ça se met en place d’ici quelques années, on peut être certain qu’il y aura toujours des petits malins pour vendre moins chers des produits "compatibles UE" en dehors de l’UE, genre à Malte ou même en Suisse par exemple. ;)