À coup de gros biftons
Peut-être l’avez-vous raté : Jeff Bezos n’est bientôt plus le PDG d’Amazon, bien qu’il en soit le fondateur. Sur le point de troquer son fauteuil de grand patron pour un siège au conseil d’administration plus pépère, c’est l’ancien chef d’Amazon Web Services, Andy Jassy qui prend le relais.
Malgré des bas (et de sacrées bas), Jassy a fait savoir à Bloomberg qu’Amazon Games Studios compte bien continuer à se développer et créer des jeux. Amazon se veut confiant et estime qu’il réussira bien à développer un hit un jour ou l’autre :
Certaines entreprises prennent leur envol la première année et d’autres prennent de nombreuses années. Bien que nous n’ayons pas encore réussi à AGS, je crois que nous y parviendrons si nous nous y accrochons. Réussir immédiatement est évidemment moins stressant, mais quand cela prend plus de temps, c’est souvent plus agréable. Je pense que cette équipe y parviendra si nous restons concentrés sur ce qui compte le plus.
Cette réaction éclairée de l’ancien boss de AWS n’est pas anodine, puisqu’elle semble être une réaction à l’enquête de Jason Schreier sur les coulisses d’Amazon Games Studios. En essayant de comprendre pourquoi le GAFA n’a pas encore réussi à conquérir le monde du jeu vidéo, alors qu’il est désormais un distributeur et producteur majeur de livres, films et séries TV, le reporter a découvert un monde où la passion du jeu vidéo est distordue par une vision 100% productiviste.
Quand Amazon Games Studios est fondé il y a 8 ans, la société place Mike Frazzini, instigateur du rachat de Twitch pour 1 milliard de dollars, à la tête de cette nouvelle division. Le souci, c’est que Frazzini a toujours été chez Amazon et n’est absolument pas familier avec le développement de jeux. Malgré le recrutement de nombreux vétérans de l’industrie, l’article indique que l’ancien responsable de la librairie d’Amazon n’a jamais écouté leurs conseils.
De nombreuses décisions importantes sont prises sans être vraiment réfléchies, comme la création express du moteur Lumberyard (dérivé du CryEngine) qui s’avère être un cauchemar à développer pour les ingénieurs, ou bien un contexte colonialiste bien trop insensible pour le MMO New World. Il aura fallu de nombreuses complaintes de responsables du développement et l’intervention d’un consultant amérindien pour faire comprendre à Frazzini que sa vision du Nouveau Monde est particulièrement offensante, voire raciste.
Les budgets sont presque sans limite pour les différentes équipes de développement, mais le bien être des employés serait passé au second plan, tandis que la priorité est de faire “ce qui marche”.
L’exemple le plus parlant est sans doute The Crucible, créé à une époque où les hero shooters et les Battle Royale cartonnent. Résultats des courses : le titre est considéré inintéressant par le public et ce dernier s’en détourne rapidement, et ce n’est pas le matraquage sur Twitch qui arrangera les choses. Après son lancement officiel, le titre retournera en bêta fermée avant d’être tout simplement annulé en octobre 2020.
Le public est plus enthousiaste vis-à-vis de New World, mais malgré de nombreuses phases de test (on y a même joué), Amazon n’a toujours pas confirmé de date de sortie. L’entreprise comprend qu’elle a peut-être une chance de sortir un jeu intéressant ce coup-ci, alors vaut mieux prendre son temps. D’ailleurs, on attend toujours des détails du MMO Le Seigneur des Anneaux (qui n’aurait aucun rapport avec la future série Amazon Prime), codéveloppé par Athlon Games et AGS, mais les indices indiquent qu’il va falloir se montrer, là aussi, patient.
Quand on la met en parallèle de la récente fermeture de Stadia Games & Development fondé par la malchanceuse Jade Raymond, la difficulté qu’éprouve Amazon à s’insérer dans l’industrie du jeu vidéo tend à prouver que sans les idées, la taille du portefeuille importe peu.