L’ARJEL a donné son verdict et elle ne considère pas que les loot boxes représentent une forme de jeu d’argent. Cependant, elle avoue que leur existence pose problème et que le sujet n’est pas clos.
Zone grise
L’ARJEL (Autorité de Régulation des Jeux En Ligne) avait annoncé en novembre dernier qu’elle se pencherait sur la question des loot boxes, interpellée par l’indignation publique des microtransactions de Star Wars: Battlefront 2. Aujourd’hui, elle rend son verdict dans un rapport public.
Dans son préambule, le rapport indique avoir bien compris le problème lié aux loot boxes et que la situation devient préoccupante pour les consommateurs :
Le phénomène des micro-transactions dans les jeux vidéo ou dans les jeux gratuits, s’il n’est pas complètement nouveau, a pris en 2017 une dimension particulière autour d’une «affaire» emblématique qui a mobilisé les joueurs et les réseaux sociaux au point que le produit a été retiré du marché par l’éditeur lui-même.
L’ARJEL a bien compris que, selon la forme que les loot boxes pouvaient avoir, le joueur pourrait être poussé à dépenser de l’argent pour progresser de manière satisfaisante. Star Wars : Battlefront 2 n’est pas nommé, mais il est clair qu’il a été mètre étalon de cette étude :
Sans le savoir, le consommateur avait acheté un jeu dont il ne pouvait pleinement profiter qu’au prix d’autres (nombreux) achats de «loot boxes». Présentés sous forme de loterie, sans aucune visibilité sur leur contenu, ces coffres à butin pouvaient générer une dépense globale exceptionnellement élevée.
Même si l’ARJEL s’intéressait déjà au cas des loot boxes avant le fiasco Battlefront 2, la commission regrette de devoir déclarer que les loot boxes ne constituent pas une forme de jeu d’argent, puisqu’elles ne rentrent pas dans les critères définis par la loi. Du coup, l’ARJEL ne peut pas réguler le problème, malgré qu’elle soit consciente des soucis que cela pose pour les consommateurs :
Il apparaît que les micro-transactions, qu’elles répondent ou non à la définition des jeux d’argent, mettent à mal les objectifs de la politique publique en matière de jeux d’argent :
- Elles interviennent dans des jeux accessibles aux mineurs puisque sans aucune vérification de l’identité.
- En l’absence de tout contrôle, il n’existe aucune garantie que la distribution des lots ne se fasse pas en fonction du comportement du joueur et de l’exploitation de ses données personnelles avec l’objectif de l’inciter à jouer davantage en manipulant le caractère aléatoire de la distribution
- L’argument des éditeurs de jeu selon lequel toutes les «loot boxes» contiennent des lots, et donc se distinguent des jeux d’argent, est discutable: la pratique relève en effet de la technique du «near missed» utilisée dans les machines à sous qui consiste à donner le sentiment au joueur qu’il a presque gagné pour l’inciter à jouer toujours davantage et donc de façon excessive.
Il en va de même pour les objets qui sont revendables sur Steam. Si le joueur gagne de “l’argent” en revendant un skin CS:GO, le pécule reste géré et emprisonné sur la plateforme. Seuls les sites de paris qui sont hors circuit rentrent dans le cadre de la loi, puisque le joueur peut percevoir de l’argent réel sur son compte en banque (en plus du manque flagrant du contrôle des gains, comme dit plus haut). À ce sujet, l’ARJEL confirme que des enquêtes sont en cours, même si on ne croît pas trop à son éventuel impact sur ces sites.
Lueur d’espoir… qui risque d’arriver trop tard
L’ARJEL admet donc qu’il y a un souci d’éthique et de déontologie difficilement contrôlable. Si l’autorité est de bonne volonté, il faudrait changer beaucoup de lois pour que les microtransactions des jeux vidéo tombent dans la législation française.
Seulement, il y a un truc qui est au-dessus de la France qui sait être bien relou quand le besoin s’en fait sentir : l’Europe.
Une piste d’action s’impose: l’action concertée des régulateurs à l’échelle européenne.
Si les définitions nationales des jeux d’argent peuvent présenter certaines différences, les régulateurs européens des jeux d’argent pourront avoir une analyse cohérente des micro-transactions intégrées dans les jeux vidéo. En effet, les politiques nationales européennes des jeux d’argent partagent l’objectif commun de prévention des dangers que représentent ces pratiques pour les populations les plus vulnérables, mais aussi pour les joueurs en général.
L’étude démontre qu’une action à l’échelle européenne serait bien plus impactant qu’une simple régulation à l’échelle d’un pays. Étant donné que les microtransactions sont les mêmes pour le monde entier, un éditeur ne se gênera pas à changer de pratique pour un seul territoire.
L’ARJEL serait déjà en discussion avec le forum européen des régulateurs de jeux (GREF) pour adresser le souci avec d’autres pays du continent, dont certains ont déjà donné leur opinion, voire pris des actions. Cela a pour objectif de :
- Préciser les règles communes et susciter une prise de conscience chez les éditeurs de jeu
- Sensibiliser les consommateurs sur les dangers de ces micro-transactions, en termes d’intégrité de l’offre de jeu et en termes d’addiction
- Alerter les parents des risques auxquels s’exposent les mineurs et les appeler à une vigilance particulière
L’étude finit alors sur une note semi-alarmiste :
Il convient de noter enfin que les bénéfices financiers générés par les micro-transactions sont en progression constante et atteignent des montants en comparaison desquels les résultats des opérateurs d’argent agréés font bien pâle figure.
En effet, quand on analyse les résultats de l’année fiscale 2017/2018 d’Activision-Blizzard et qu’on se rend compte que les microtransactions représentent à eux seuls 4 milliards de dollars de revenus, ou que Fortnite brasse plusieurs centaines de milliers de dollars chaque mois, il y a de quoi faire la gueule.
On espère simplement que les nouvelles études, enquêtes ou autres projets de loi ne prendront pas trop de temps. D’ici là, les éditeurs ou autres développeurs un peu trop portés sur les brouzoufs auront fini par scléroser le milieu et rendu les microtransactions comme nouveau standard incontournable de l’industrie, comme c’est déjà un peu le cas sur mobile.