Avant que FromSoftware se retrouve sous les feux des projecteurs avec la série des Dark Souls, exerçant une influence inattendue sur l’industrie, le studio était surtout connu pour la série des Armored Core. M’enfin, “connu” est un adjectif un peu fort, puisqu’il s’agit d’une véritable niche, certes à l’aura culte, mais destinée aux amateurs de Grorobots™. Grâce à du budget et de l’expérience cumulée sur les 10 dernières années, Armored Core VI: Fires of Rubicon compte bien vous convertir.
Mechanophilie
Qu’on se le dise, Armored Core VI: Fires of Rubicon dirigé par Masaru Yamamura, réalisateur du magistral – mais plus que punitif – Sekiro: Shadows Die Twice, n’est pas un Souls-like, et encore moins un “Elden Ring robotique”. Bien que le genre a eu une certaine influence sur ce premier Armored Core depuis 10 ans – on y reviendra – c’est avant tout un jeu qui tourne autour du combat et la personnalisation de mechs. Les fameux AC.
Épine dorsale du champ de bataille d’un futur pas vraiment défini, un AC peut tout faire. Ces machines de guerre robotisés sont capables d’utiliser de l’armement lourd et d’effectuer des manœuvres aériennes à 50g, ce qui réduiraient en confiture n’importe quel être humain normalement constitué.
On est dans le pur cliché mecha, livré avec des pieds qui ne servent qu’à racler le bitume et des pilotes qui sont l’incarnation de chevaliers modernes, tandis que leurs griefs personnels prennent trop souvent le dessus sur leurs impératifs militaires (personne ne sait comment crypter des communications radio dans le futur). Mais grâce à une direction artistique sublime, un sens du détail pointu et une représentation du gigantisme détonnant, on plonge sans regret dans cet univers qui manquait tant au paysage actuel.
Ce fantasme d’avoir une extension de son corps qui fait 10 mètres de haut est poussé à son paroxysme dans Armored Core 6, et si d’autres franchises basées sur de gros robots géants font tout pour les iconiser avec de belles armures colorées, des kilomètres de néons et des frous-frous métallisés dans tous les sens, la vénérable franchise de FromSoftware n’oublie pas qu’on est face à des machines de guerre avant tout. Des machines humanoïdes avec du caractère et une cool attitude un peu edgy, mais des machines froides et dénuées d’âme tout de même. Une impression accentuée par des animations cinétiques et détaillées qui débordent d’amour pour la grosse mécanique, et il n’en fallait pas plus pour piquer ma curiosité de fanzouz de BattleTech, dont la philosophie est très clairement à l’opposé du mecha japonais.
Pas de mécanique RPG abstraites ici, mais une emphase sur les composants qui constituent son AC et l’influence directe que cela va avoir sur le gameplay… avec le tableau aux nombreuses statistiques intimidantes comme il faut. Mais bien qu’on soit face à un jeu d’action prenant, il faut comprendre que c’est dans le garage que réside le coeur de l’expérience Armored Core. C’est de la simulation à la japonaise, quoi, un peu comme Ace Combat.
Ces chiffres permettent de prédire le comportement qu’aura son Mech une fois qu’il aura foulé la zone d’opération, entre le nombre de points de vie, le taux de protection selon le type de dégâts, sa vitesse, son agilité (deux concepts différents), la charge du générateur, l’amplification des dégâts pour les armes énergétiques, l’efficacité de la correction à la visée selon la distance, la vitesse de verrouillage des missiles, le rendement des boosters d’esquive, sa capacité à résister au vacillement, et bien d’autres… et encore d’autres.
Avec la masse et la capacité à alimenter les différents composants comme seules véritables – mais très importantes – limites, on passe de très longs moments dans le garage à trouver le bon équilibre par rapport à un type de gameplay que l’on avait en tête : des lance-missiles à gogo ? Un harceleur ultra agile qui mise sa survie sur l’esquive ? Double ration de Gatling avec des bazookas d’appoints, tellement lourds qu’il est nécessaire de troquer ses jambes pour des chenilles de tank ? Est-ce que le ratio poids/manœuvrabilité permet de survivre à tel ou tel boss ?
Entre les bras, le torse, la tête, les armes principales, les armes d’épaule, l’ordinateur de visée, les boosters, le réacteur… il y a plus de 300 composants à collectionner et mixer pour trouver le combo gagnant, et même si certaines configurations sont plus “meta” que d’autres, Armored Core 6 est une véritable ode à l’expérimentation, qui encourage le joueur à changer d’approche si la situation fait de la résistance. Et il va y en avoir de la résistance ; on est dans un jeu FromSoft, après tout.
Ok, Corail
Alors que votre AC endommagé se réveille des tréfonds d’une installation abandonnée, il était évident que la fin du niveau d’introduction se terminerait sur un boss retors afin de s’assurer que vous ayez bien assimilé les bases. C’est typique de FromSoftware, mais c’est assez cruel de proposer un tutoriel exhaustif seulement après avoir lutté comme un diable contre la canonnière de 600 tonnes.
Allez, on va se le permettre : oui, Armored Core VI: Fires of Rubicon a des similitudes avec Dark Souls. Pas seulement dans sa difficulté (unique) et des temps morts dans la progression imposée par des boss immenses, qui nécessiteront parfois des dizaines d’essais avant d’en arriver à bout, mais avant tout dans sa prise en main qui offre un contrôle total et précis de son AC.
Une fois accommodé aux arcanes du pilotage d’un AC et son système de visée automatique particulier, la prise en main est un véritable plaisir, pourtant très différente d’une configuration à l’autre. Comme dit plus haut, c’est là-dedans que réside toute la magie d’Armored Core 6 : le changement de la moindre pièce se ressent manette en main… tandis qu’on peut saluer de sacrés efforts dans la prise en charge des périphériques PC, jusqu’à une navigation complète à la souris.
Outre son nouveau système de verrouillage qui permet d’alterner entre la visée classique et un verrouillage “dur”, afin de toujours faire face aux ennemis les plus rapides, c’est le système de stabilité qui fait la particularité d’Armored Core 6 au sein de la franchise. Grignoter la vie de l’adversaire avec des armes automatiques et en se tenant à distance optimale, c’est bien, mais éventrer sa cible au corps à corps après avoir surchargé son stabilisateur, multipliant les dégâts, c’est mieux.
La plupart des phases de jeux n’offrent pas vraiment de résistance, mais les kits de réparation et les munitions sont limitées, alors il est important de rester concentré, même quand la situation semble se détendre… d’autant qu’on sait jamais trop quand la prochaine dinguerie nous tombera sur le coin du capteur visuel. Un boss ? Un twist scénaristique qui change les enjeux de la mission ? Un pilote d’AC rival qui est soumis aux mêmes règles que vous ? La liste est longue.
Ce sont d’ailleurs dans ces moments où le gameplay d’Armored Core 6 brille le plus, mettant sans mal le joueur dans la “zone”, à la manière d’un Sekiro où seuls les bons réflexes et une prise de décision efficace permettent de l’emporter. Sauf qu’il n’est plus question de parer des millions d’attaques à la seconde, mais d’esquiver des tirs de canon laser et autres projectiles à très haute vitesse, tout en essayant de chercher l’ouverture et le gap de distance optimal avant de faire feu. Mais l’ennemi essaiera d’en faire de même, et gardera très souvent une esquive en réserve pour éviter de se faire ouvrir bêtement. Le titre espère que le joueur sera tenté de trouver le bon équilibre entre l’agressivité et la prudence.
Les fenêtres sont très petites, et diffèrent encore une fois selon l’équipement embarqué et de nombreux autres paramètres. Il n’est pas rare de réussir à déstabiliser la cible, pour se rendre compte au dernier moment que ses armes à haut potentiel de dégâts ne sont tout simplement pas prêtes, ou que la cible n’est plus à portée de l’attaque au contact sur laquelle on comptait tant. Mais avec le temps, la maîtrise de l’ensemble des systèmes devient tout aussi naturel qu’il en est grisant.
La campagne propose une succession de missions aux objectifs variés, et sans jamais donner l’impression de faire deux fois la même chose… au détour parfois de sacrées surprises impossibles à anticiper. Une mission peut durer entre 3 et 20 bonnes minutes, quand ne s’invitent pas certaines mécaniques de gameplay uniques le temps d’une mission, et chaque configuration d’AC n’est pas forcément taillée pour le job.
Malgré cela, Armored Core 6 est un jeu bien moins punitif qu’il en a l’air, ce qui est un excellent point pour tous ceux qui sont effrayés à l’idée de se lancer dans un jeu FromSoftware. D’une certaine manière, on laisse derrière la structure en missions stricte grâce à des checkpoints généreux. Un coup de pouce bienvenu si on galère sur un combat en particulier, avec la possibilité de troquer les composants de son AC entre deux défaites, toujours dans cette optique de pousser à l’expérimentation et trouver une autre approche.
De même, si la vie d’un Raven est d’offrir ses services aux différents belligérants en échange de quelques crédits, toute revente se fait au prix d’achat, ce qui permet de tester n’importe quel build sans avoir de regrets par la suite. Il est même possible de répéter ad vitam aeternam des missions faciles pour vous offrir ces Zimmerman qui vous font tant envie. À se demander pourquoi la boutique de pièces existe dans ce cas-là, mais il faut bien justifier un peu la présence d’un concept qui existe depuis le premier titre.
Oh, et c’est les amateurs de Gunpla qui seront contents, puisque le système de personnalisation est plus que poussé, permettant d’assouvir toutes les folies, que ce soit en termes de couleurs ou de création de décalcomanies, avec la possibilité d’en récupérer sur le net. Dommage les décalcomanies créées sur une plateforme ne puissent pas être partagées sur une autre…
Tout cramer, pour repartir sur des bases saines
Bien que le joueur soit parfois confronté à des pics de difficulté qui exigent du sang-froid, un peu de réflexion et d’adaptation permettent très souvent de s’en sortir, et avec de l’expérience et la bonne approche, le même boss qui hantait vos nuits devient une simple formalité lorsqu’on le recroise dans les modes New Game Plus et la chasse (optionnelle) aux rangs S.
En effet, l’arme secrète d’Armored Core VI: Fires of Rubicon, c’est bien évidemment sa rejouabilité. À peine a-t-on terminé la campagne après une douzaine d’heures que l’on surprend à relancer machinalement la première mission. On y va pour découvrir les fins alternatives, en choisissant des cheminements de missions différents en fonction des clients que l’on privilégie, mais… c’est sans vouloir spoiler, il y a bien plus que ça. Il faudra finir le jeu 3 fois pour découvrir la majorité du contenu qu’il propose.
Avec le retour du très apprécié mode Arène, étrangement bien intégré au scénario, il est aussi possible d’affronter en duel les AC des protagonistes rencontrés pendant la campagne, histoire de s’inspirer des différents builds possibles, et il y a de quoi faire. Mais l’intérêt principal est de monter les échelons afin d’obtenir des points d’amélioration d’OS, qui permettent de débloquer des mécaniques de gameplay avancées, et améliorer légèrement les performances générales de son AC.
Il y a bien entendu un mode multijoueur, mais pour le coup, il faut avouer que l’intérêt est assez mince. Le mode se limite à pouvoir participer à des combats en arène en duel ou en équipes, mais on connaît le public de FromSoftware : il y a une frange qui ne vit que pour le PVP. Idéal pour tous les joueurs qui souhaite prolonger l’expérience et mettre à l’épreuve les builds les plus exotiques ou qui ne jurent que par la meta, mais ça n’ira malheureusement pas plus loin. Une fonctionnalité cool qui justifie la connectivité, en revanche, c’est la possibilité de partager ses builds avec des amis et la communauté de joueurs, tout comme les décalcomanies et les ensembles de personnalisation.
Armored Core VI: Fires of Rubicon est un bijou à prendre en main, mais pour les yeux également. Le titre n’est pas une foudre de guerre technique, mais profite du savoir-faire du studio en termes de direction artistique et d’animation, et il ne fait pas semblant. Les environnements sont gigantesques, mais une voiture par-ci ou une rambarde par-là ; des détails nous rappellent que nous sommes également très grands. Et avec un framerate débloqué sur PC, s’il vous plaît.
Les panoramas de Rubicon 3 rappellent également qu’on est dans un jeu FromSoftware, où la beauté se mêle à la désolation. Sauf que cette fois, elle s’exprime à l’échelle d’une planète qui a été au cœur d’un infernal brasier stellaire. Ce qu’on pense être des chutes de neige permanentes sont en réalité des cendres qui continuent à tomber, même 50 ans après la catastrophe, donnant une autre portée à cette guerre qui oppose les corporations galactiques, en quête d’une précieuse ressource, le Corail, et la population locale qui panse encore ses plaies.
Sans entrer dans les détails, on apprécie énormément les gros clins d’œil à Dune de Frank Herbert, mais malgré son potentiel, le scénario ne va jamais très loin dans son propos, tandis qu’il a du mal à justifier la présence du joueur sur Rubicon 3, un soldat-esclave utilisé par un étrange acteur extérieur qui tire son épingle du jeu au milieu du conflit.
Adepte de la culture du non-dit et de la narration environnementale, c’est au cinquième “oh, mais cette information change la donne. Mais ça veut dire que…” jamais achevé par l’interlocuteur que l’on se sent tout de suite moins concerné par ce qui se passe, alors que les principaux thèmes tournent sans doute autour du libre-arbitre et de l’émancipation.
Les Dark Souls et Elden Ring ont un certain charme dans leur façon unique d’exposer leur univers, mais ça n’opère pas vraiment dans Armored Core 6. Fan d’Ace Combat, je suis d’habitude très friand de la philosophie de comptoir qui passent à travers un filtre radio, mais il y a un équilibre qui n’est pas atteint dans le titre de From Software, où les personnages deviennent bien trop rapidement des clichés, et dont les motivations sont parfois grotesques.
La faute à la “vraie fin” qui donne la sale impression que le studio ne savait pas trop quoi faire de son scénario, balourdant toutes sortes des sous-intrigues à la benne, au moment où on espérait des éclaircissements. Mais non : la vérité se trouve entre des interprétations et des informations qu’il faut trifouiller soi-même. Et en s’y engageant un minimum, on a un peu du mal à y croire.
Reste alors des personnages sans visage aux implications floues, qui arrivent parfois à être attachants par leur attitude ou leur proximité avec le protagoniste, mais le résultat final est malheureusement très artificiel.
“J’ai un boulot pour toi, 621”
Pari plus que réussi pour FromSoftware qui voulait revenir à ses premiers amours avec Armored Core VI: Fires of Rubicon : une franchise modernisée grâce à l’expérience du studio, mais qui n’oublie pas son héritage. Pour peu que vous soyez curieux, il éveillera en vous une âme de collectionneur de gunplas, tandis que les sensibles à la mechanophilie seront immédiatement conquis. Le titre propose un gameplay pointu et cinétique, en parallèle d’un système de personnalisation ultra poussé qui porte tout le concept sur ses épaules. Difficile, mais pas punitif, c’est la production FromSoftware idéale pour les joueurs intimidés par le pédigrée du studio, mais qui sont attirés par un défi stimulant.
Ce qu’on a aimé :
- Plaisir d’apprendre, plaisir de prise en main
- Difficile, mais pas punitif
- Personnalisation poussée avec impact majeur sur la jouabilité
- Mise en scène immersive
- Rejouabilité à toute épreuve livrée avec son lot de surprises
- Amour inconditionnel pour les Grorobots™
- La bande-son
Ce qu’on n’a pas aimé :
- Malgré les grands espaces, la caméra peut être un problème
- HUD qui aurait mérité un meilleur contraste
- Scénario qui se perd dans sa culture du non-dit
- Système économique à la limite du superflu
- Archétypes d’AC clairement au-dessus des autres
- Relativement peu de boss, mine de rien
Ce jeu est fait pour vous si :
Vous aimez vous faire écraser par des manœuvres sous 52g
Ce jeu n’est pas fait pour vous si :
Vous mettez 15 minutes à vous décider si vous sortez avec des sneakers ou des bottines.
WarLegend.net a bénéficié d’une copie presse fournie par l’éditeur de ce jeu.
Configuration de test :
- GPU : NVIDIA RTX 2080 Ti
- CPU : Intel Core i9-9900k
- RAM : 32 Go DDR4
- Installé sur SSD
Armored Core VI: Fires of Rubicon est disponible sur PC, consoles PlayStation et Xbox.