Après s’être lancé dans le monde MOBA en réinterprétant le mod DOTA de Warcraft 3, Valve compte marcher sur les platebandes d’Hearthstone avec son propre jeu de cartes à jouer et à collectionner. Valve oblige, on aime faire un peu plus compliqué que les autres.
Quelle est votre couleur préférée ?
Rendez-vous compte ? 5 ans après la sortie de Dota 2, Valve sort un nouveau jeu. Bon, la réaction initiale du public n’a pas vraiment été très chaleureuse, mais avec le temps et une bonne phase de bêta plus tard, les joueurs amateurs de CCG (jeu de cartes à jouer et à collectionner) se sont rendu compte du potentiel du titre, et chez Valve, on aime ne pas faire les choses à moitié, quitte à rajouter quelques strates de complexité par rapport à la concurrence.
Pour superviser le développement des règles du jeu, Valve a surtout fait appel à Richard Garfield, le gars que l’on contacte quand on veut faire un jeu où l’on se bat à coups de cartes, surtout que le monsieur en question est le créateur original de Magic: The Gathering (et le CCG BattleTech, mais vous vous en foutez).
Du coup, on finit par retrouver pas mal de similitudes avec son illustre modèle ainsi qu’avec l’autre jeu dont Valve aimerait faire un peu de concurrence : Hearthstone. On ne va pas se mentir, Artifact a été créé dans le but de s’engouffrer dans la brèche ouverte par le jeu le plus rentable de tous les temps développé par Blizzard. Tant qu’à faire, autant y aller jusqu’au bout et réutiliser l’univers de Dota 2, histoire de bien boucler la boucle.
Top deck
Pour construire un deck d’Artifact, il faut prendre en compte pas mal de paramètres. Comme le titre s’inspire de l’univers de Dota 2, on retrouve de nombreuses références, des éléments cosmétiques en jeu jusqu’aux mécaniques.
La surface de jeu est en fait constituée de 3 zones distinctes, qui représentent les trois voies d’une partie de MOBA classique. Des creeps vont être générés à chaque tour et répartis de manière aléatoire. Le but du jeu est d’attaquer les points de vie du joueur représentés par des tours. Deux tours détruites et c’est la victoire. Cependant, une zone avec une tour tombée ne devient soudainement pas une zone inutile, puisque l’Ancien se révèle alors à son emplacement (mais qui est bien plus long à détruire).
Les unités bloquent l’accès à la tour de celui qui se trouve en face de lui. À chaque manche, on distribue aléatoirement des cartes de contournements sur les espaces vides et il se peut qu’une unité se fasse attaquer par plusieurs ennemis à la fois. L’aspect aléatoire d’Artifact semble un peu prédominant au départ et une conséquence malencontreuse peut être parfois due au hasard, mais une fois qu’on a bien compris les mécaniques au bout d’une bonne douzaine vingtaine trentaine de branlées, cela devient bien moins impactant que la plupart des titres de la concurrence.
Chaque zone possède sa propre réserve de mana qui augmente à chaque manche. Au départ, on a vraiment l’impression de jouer sur trois parties d’Hearthstone en même temps. Il y a des sorts et des monstres à invoquer, mais au lieu de vous contenter d’un seul héros, vous devrez en avoir choisi 5 parmi une grosse quarantaine, tous issus de Dota 2 (évidemment).
Une fois que tout le monde a joué ses cartes, les actions des unités sur le terrain se résolvent en même temps et on passe à la zone suivante. Les calculs de dégâts et les dénouements sont toujours visibles en temps réel avant qu’il ne se produise. Si vous avez mal calculé une action alors que le jeu mâche votre boulot, c’est que vous avez raté les cours de calcul mental en classe de CE1.
Une fois les trois zones jouées, on change de manche et il est possible de réintroduire des héros tombés au combat il y a deux manches.
“ALL PICK”
C’est là qu’on reconnaît un peu la patte de Magic. Les héros sont répartis parmi quatre couleurs, chaque couleur ayant une orientation de jeu particulière :
- Rouge : force brute et amélioration des caractéristiques des héros
- Noir : dégâts dirigés et options tactiques
- Vert : défense et améliorations des alliés
- Bleu : utilisation de sorts offensifs ou utilitaires puissants
Chaque héros possède bien sûr ses propres points d’attaque et de vie (et éventuellement de l’armure), ainsi qu’un pouvoir unique qui en fait sa force propre.
Il faut alors choisir ses cartes en fonction de ses héros (ou l’inverse), car pour jouer une carte, il faut absolument qu’un héros de la couleur correspondante soit présent dans la zone. Contrôler les héros adverses, c’est tout simplement l’empêcher de jouer des cartes.
À chaque fois que vous détruisez une unité adverse, vous récupérez de l’or qui permet d’acheter des objets pour vos héros entre chaque manche. Certains augmentent simplement leurs caractéristiques et d’autres ont des effets spéciaux plus ou moins puissants. Comme dans Dota 2, certains ont des capacités actives et les utiliser compte comme une action. Comme dans le MOBA, perdre des unités sans raison permet de feed l’adversaire qui pourra alors s’équiper de bien plus d’objets que vous, et une bonne utilisation de ces derniers peut retourner une partie.
Rajoutez à cela le fait qu’un sort peut agir sur une autre zone et qu’il est possible de bluffer l’adversaire en passant son tour alors qu’il reste des cartes à jouer et vous avez toute la recette d’un jeu de cartes complet, profond, assez unique et sans meta trop dominante (pour l’instant).
“Je t’échange mon Rix contre ta Drow Ranger”
Parlons à présent de l’éléphant dans la pièce : le modèle économique.
En fait, quand vous achetez Artifact, vous n’achetez pas vraiment le jeu, mais plutôt le droit d’y jouer. Le titre vous donne dix boosters de cartes au départ, mais après, il faudra sûrement débourser de l’argent réel pour acquérir celles qui nous intéressent.
Alors pas de panique. Le coup de génie de Valve (si on veut) est qu’Artifact est intiment lié au marché Steam. Libre à vous de revendre les cartes dont vous n’avez pas besoin, mais n’oubliez pas que c’est la loi de l’offre et la demande qui dicte alors le prix. Si certaines cartes valaient assez cher lors du lancement du jeu (le temps que les bots de casinos russes vident leur porte-monnaie), rares sont les cartes qui dépassent désormais les cinquante centimes.
Quand même spécial dédicace à mon Axe chéri qui coûte tout de même 15, 69€ à l’heure où j’écris ces lignes.
Un deck peut accueillir un nombre illimité de cartes sur le papier, mais il est rarement conseillé de dépasser le seuil minimum des 40 cartes. Comptez pour l’instant entre 40 et 80€ pour constituer le deck de vos rêves. Comptez 1,75€ pour un booster unique, mais en acheter plusieurs ne donne pas droit à une réduction.
Certes, ce système peut faire grincer des dents, mais c’est quand même l’essence même du CCG qui s’est perdu avec les différentes versions électroniques qui sont à la mode depuis quelques années : l’échange de cartes. Le marché Steam est d’ailleurs assez intégré au jeu et ne nécessite pas de se perdre dans l’usine à gaz du client. Tout est immédiatement compréhensible d’un simple clic.
Artifact est donc réservé à un public averti qui compte s’investir dans son système économique unique et assez particulier. Plus le temps passera, plus le prix des cartes baissera dû à leur disponibilité croissante. Seulement, c’est sans compter sur les futures extensions qui sont déjà à l’ordre du jour, apportant alors leurs nouvelles cartes et leurs nouvelles mécaniques, ce qui fera bouger pas mal le marché. Les analystes et spéculateurs en herbe apprécieront.
Après, quid des cartes considérées comme un peu trop fortes, comme les cartes de héros rares (coucou Axe). Si Valve peut tenter de les équilibrer, cela pourrait foutre un boxon infernal au marché. Un changement de valeurs sur les cartes devrait logiquement être extrêmement rare.
Comme Valve est Valve, le studio compte sur sa communauté pour imaginer des outils dont on n’aurait pas soupçonné avoir besoin. Un deck peut être importé ou exporté via un code et de nombreux sites de création de decks existent déjà. Il est alors bien plus simple de créer sa liste de couse en fonction des infos que l’on a pu glané sur le net.
J’aime ce mot, “draft”
Mais du coup, n’y a-t-il pas d’autres moyens de récupérer des cartes que d’ouvrir des boosters ? Alors oui, mais ce n’est toujours pas vraiment gratuit.
Si tu veux de nouvelles cartes, il va falloir les mériter. Pour cela, il faudra se procurer des tickets pour participer à un événement de votre choix nommé “gantelet”. Il existe trois gantelets différents :
- Le mode construit, où vous jouer avec le deck conçu par vos soins
- Le mode draft fantôme, où vous ouvrez 5 boosters pour constituer votre deck temporaire
- Le mode draft rémanent, où vous achetez vous-même les cinq boosters, mais où vous pourrez garder les cartes choisies.
Le but du jeu est d’avoir au moins 3 victoires afin de gagner des boosters et des tickets. Au bout de deux défaites, c’est terminé pour vous et vous n’avez plus qu’à recommencer. Oui, c’est totalement le mode Arène de Hearthstone. Le pire, c’est que les cartes que vous draftez sont parfois issues de boosters ouverts par d’autres joueurs, histoire de garder l’économie globale cohérente.
Si le mode deck construit donne le risque de tomber sur des theory crafters qui ont trop de temps libre, les modes draft permettent de mettre tout le monde sur un pied d’égalité avec les mêmes chances dès le départ. Les boosters donnent généralement assez de souplesse pour construire un deck équilibré.
Du coup, encore faut-il être bon pour gagner de nouvelles cartes, seul vrai prérequis pour jouer sans trop dépenser. Ce qui n’est pas le cas de tout le monde. Pour ce qui est de “s’amuser” — comme si c’était le but —, des modes équivalents en occasionnel existent afin de jouer pour du beurre et sans récompenses. Idéal pour se familiariser avec le jeu avant de perdre ses tickets comme un gros nul (comme moi).
Pour lutter contre la grogne des joueurs de la bêta concernant l’impossibilité de jouer pour des cartes sans acheter de tickets, Valve a alors introduit récemment la possibilité de détruire 20 cartes contre un ticket événement. Non seulement cela permet de recycler ses cartes à 4 centimes en trop, mais ça permet aussi d’acheter ses tickets un peu moins cher (80 centimes contre 90 centimes/pièce).
De plus, ça permet à Valve de retirer des cartes du circuit afin de faire le ménage dans les cartes poubelles inutiles au prix minimum de 4 centimes. Hey, ils sont pas cons chez Gabe.
Le Lotus noir
Artifact est à Hearthstone ce que Dota 2 est à League of Legends : c’est complet, complexe, profond et terriblement exigeant pour peu qu’on s’y intéresse. N’espérez pas un jeu de cartes à la cool à faire à la pause déjeuner. Le système économique est gonflé, mais le rend attrayant et assez unique. La base du jeu est pour l’instant très propre avec un aspect RNG maîtrisable, une fois qu’on a une bonne lecture de jeu. De nombreuses stratégies viables font déjà surface, mais le titre vous invite volontiers à essayer de créer la vôtre. En clair, Artifact est limite un produit de niche, mais qui prouve que Valve sait toujours faire des jeux avec une expertise certaine. En revanche, il faut que de nouvelles cartes et de nouvelles fonctionnalités voient le jour rapidement si le studio veut éviter que le jeu ne stagne déjà dans un avenir proche.
► Points forts
- Un CCG velu comme aucun autre
- Des illustrations et un charme visuel assez réussis
- Une interface lisible en toute circonstance et très complète
- De nombreuses règles de jeu pour jouer entre amis dont un mode tournoi
- Un système économique élégant et pensé autour du marché Steam…
► Points faibles
- … mais qui ne convaincra jamais tout le monde
- Pas de boosters sans argent réel ou sans jouer avec des tickets d’événements
- De nombreux héros sont presque inutiles
- Certaines parties peuvent dépasser l’heure de jeu
- Une interaction vocale entre les personnages timide, comparé à Dota 2
- Il manque encore quelques fonctionnalités clés (statistiques du joueur, options pour les tournois, etc…)
- Une traduction française qui peut gêner la recherche de ressources sur internet (ce qui n’est pas le cas dans Dota 2)
Enfin un CCG pour ceux qui en veulent
Artifact est disponible sur PC, Mac et Linux.
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