3 ans après un Battlefield V qui trouvait une valeur refuge dans le conflit de la Seconde Guerre mondiale, DICE tente à nouveau de faire entrer sa mythique série de FPS à grande échelle dans le futur, au sens propre comme au figuré. Malheureusement, même avec 128 joueurs sur la même carte, l’envie d’innover peut rentrer en conflit direct avec les mécaniques qui faisaient le sel de la franchise Battlefield.
Le Battlefield qui manque de classe
La série des Battlefield a toujours fait dans la démesure, c’est ce qui fait sa force. Cette sensation grisante d’être un simple rouage dans une machine plus grande, participer à un effort commun avec plusieurs dizaines d’autres joueurs qui ont le même objectif. Imaginez un peu les possibilités si on passait de 64 à 128 joueurs qui gambadent dans la boue dans des cartes toujours plus grandes ?
Presque 20 ans après Battlefield 1942 et avec l’arrivée de la next-gen, DICE s’est rendu compte qu’une telle possibilité était enfin à portée de main. Et quitte à symboliser une remise à plat de la franchise, nous voilà 100 ans dans le futur. Juste ce qu’il faut pour retrouver les plaisirs de la guerre contemporaine de Battlefield 3 et 4, mais pas assez pour justifier les excentricités de Battlefield 2142 (très largement sous-estimée).
Imaginez un peu les possibilités si on passait de 64 à 128 joueurs qui gambadent dans la boue dans des cartes toujours plus grandes ?
Cette échelle inédite à 128 joueurs a tout pour plaire : rarement un Battlefield a été aussi spectaculaire, avec des coups de feu, des explosions et des véhicules qui vrombissent dans tous les sens. Quand toutes les conditions sont réunies, l’immersion est beau fixe, avec des scènes de chaos que l’ont pourraient croire chorégraphiées pour les besoins d’un trailer.
Pour éviter que le jeu ne devienne trop bordélique, DICE s’est dit qu’il serait intéressant d’épurer la formule originale, avec une volonté accrue d’éviter de froisser les joueurs en limitant les options qui s’offrent à eux. Par exemple, il n’est plus question de choisir une classe, mais un Spécialiste muni de son propre gadget, puis de pouvoir choisir librement son arme et son gadget secondaire. Oui, Battlefield lorgne désormais du côté des Hero Shooters.
Battlefield Heroes
Par exemple, en plus de sa panoplie pensée pour remplir un rôle de médecin, Falck peut tout à faire emporter un sac à munition, de l’explosif ou une balise de réapparition. Le souci est que si tout le monde peut remplir tous les rôles, paradoxalement, plus personne ne veut s’embêter à jouer la complémentarité. Pourquoi s’embêter à prendre à prendre un chalumeau qu’on n’utilise que rarement, alors qu’on peut s’amuser avec un lance-roquettes sans restriction ?
Pourquoi s’embêter à prendre à prendre un chalumeau qu’on n’utilise que rarement, alors qu’on peut s’amuser avec un lance-roquettes sans restriction ?
Et c’est ça le premier problème de Battlefield 2042 : le teamplay et la coopération sont clairement en berne, et ce malgré de bonnes intentions. De plus, tous les problèmes que se trimballe le dernier FPS de DICE – et il y en a un paquet – se répondent entre eux pour s’amplifier dans une drôle de caisse de résonnance.
Rien que pour revenir sur les Spécialistes : avec seulement 10 personnages jouables au lancement dans un camp comme dans l’autre, on se croirait dans la Guerre des Clones, et distinguer les ennemis et alliés en fonction des barres lumineuses qu’ils ont sur le torse n’est pas vraiment l’idée que je me fais d’une immersion réussie.
Tous les problèmes que se trimballe le dernier FPS de DICE se répondent entre eux pour s’amplifier dans une drôle de caisse de résonnance.
J’en suis le premier catastrophé, mais une fois l’effet de découverte passé, Battlefield 2042 est difficilement fun : on a rarement l’impression de faire une différence sur un point de capture donné, et on meurt très souvent sans avoir vu le danger arriver ou sans avoir eu d’options pour rester en vie. C’est aussi l’adage de Battlefield, mais avec deux fois plus de cibles potentielles à gérer, c’est encore plus vrai.
Il en va de même pour le core gameplay : les armes ont un bon feeling mais très peu de recul et le personnage peut enchaîner les mouvements à un rythme effréné. En effet, Battlefield 2042 ne prend pas le temps : avec ses grandes cartes vides aux structures similaires, il faut que les choses aillent vite en permanence, et cela nuit encore une fois au teamplay.
Battlefield 2042 ne prend pas le temps : avec ses grandes cartes vides aux structures similaires, il faut que les choses aillent vite en permanence, et cela nuit encore une fois au teamplay.
En escouade avec des amis, le titre peut encore s’avérer être intéressant, voire profond, avec une bonne complémentarité du groupe, mais le rythme des parties – et le tempérament des joueurs contemporains, ne nous voilons pas la face #boomer – sabote vraiment toute envie de construire des actions avec les autres. Quand un tank peut se réparer tout seul au fil du temps, on sent que les développeurs ont été confrontés à ce problème sans bonnes idées pour mettre l’emphase sur la coopération. On peut toujours faire des dingueries avec des explosifs avec de la créativité, c’est déjà ça.
Pour le coup, réintroduire un système de commandant n’aurait pas été une mauvaise idée pour essayer de canaliser un minimum tout ce petit monde qui n’en fait qu’à sa tête. Si le mode Conquête offre une expérience inégale d’une partie à l’autre, le mode Percée a l’avantage de proposer des phases de gameplay plus concentrées et qui donnent un sens au chaos ambiant grâce à des lignes de front enfin claires… jusqu’à qu’il faille capturer le toit d’un gratte-ciel sur lequel ont été parachuté 3 tanks. Pas facile la vie de soldat en 2042.
Un système de commandant n’aurait pas été une mauvaise idée pour essayer de canaliser un minimum tout ce petit monde qui n’en fait qu’à sa tête.
Comme dit plus haut, les nouvelles cartes sont en partie fautives de ce problème : elles sont presque trop petites pour justifier le nouveau système de secteurs divisés en points de captures et inspirer les joueurs dans un rôle de transport dédié, mais trop grandes pour ne pas s’ennuyer entre la navigation entre deux points. Certaines sont plutôt bien équilibrées, comme celle en Antarctique qui offre une variété de situations bien trouvées, tandis que les cartes urbaines sont vraiment les plus décevantes, avec quelques immeubles qui se battent en duel et des bâtiments bien trop compliqués à attaquer.
D’ailleurs, la destruction des bâtiments est presque absente dans Battlefield 2042. On comprend parfaitement qu’une telle fonctionnalité doit peser lourd sur un réseau qui doit déjà gérer 128 joueurs, comparables à des poulets sans tête qui font n’importe quoi avec leur lance-roquettes, mais avec une telle promesse sur le sens du spectacle, on n’aurait pas dit non à un truc comparable au Levelution de Battlefield 4. Pour renouveler l’expérience en cours de partie, déjà…
Les cartes urbaines sont vraiment les plus décevantes, avec quelques immeubles qui se battent en duel et des bâtiments bien trop compliqués à attaquer.
Personnellement, les grands terrains dégagés ne me dérangent pas, d’autant que ça donne une sacrée sensation de gigantisme quand on court comme un dératé dans la même direction que 40 autres personnes, mais ça manque clairement de couverts pour se protéger de tous ces snipers qui se croient malins à camper le sommet des bâtiments les plus hauts. La géométrie du terrain est clairement à leur faveur.
Les fameuses catastrophes météo représentent aussi une petite déception, même si on aime bien le commentaire (non assumé) sur l’urgence climatique dans laquelle nous vivons : elles sont bien trop rares, ne modifient pas le terrain après leur passage et ne sont pas vraiment dangereuses. Après qu’on a fait joujou avec une tornade une fois ou deux en lui tournant autour en parachute, on trouve l’intérêt limité en dehors de quelques occasions de se redéployer assez contextuelles.
Zone à tes risques
Après avoir essuyé les problèmes du mode Conquête de Battlefield 2042, qui se trouve être le mode principal du titre, voire de la série, on place alors ses espoirs sur l’autre grosse promesse : Hazard Zone (zone à risque en français).
Inspiré de titres comme Hunt: Showdown ou Escape From Tarkov, Hazard Zone pourrait être vu comme un mode Battle Royale, sauf qu’il est possible de gagner sans être nécessairement le dernier en vie. 8 escouades de 4 joueurs doivent mettre la main sur des données de satellites crashés, protégées par des PNJ indépendants (assez compétents, au demeurant). Certaines sont déjà au sol lors du début de la partie, tandis que d’autres continuent de tomber du ciel.
Dans Hazard Zone, 8 escouades de 4 joueurs doivent mettre la main sur des données de satellites crashés, protégées par des PNJ indépendants.
Et c’est là que l’on comprend l’intérêt des Spécialistes (les doublons ne sont pas possibles au sein de la même escouade), puisque c’est dans ce mode de jeu que leurs compétences et la complémentarité des gadgets peuvent s’exprimer.
Avec une mise en application qui offre une jolie tension durant des parties qui durent pas plus de 20 minutes, l’intérêt de Hazard Zone s’épuise quand même vite. Trop vite. Avec des PNJ qui tirent à vue, il est très difficile de la jouer fine, et il est très difficile de s’en tirer vivant, car les deux uniques opportunités d’évacuation se finissent systématiquement en empoignades assez ridicules, où la première équipe à monter dans le transport à toute la chance de recevoir une averse de grenades.
Avec une mise en application qui offre une jolie tension durant des parties qui durent pas plus de 20 minutes, l’intérêt de Hazard Zone s’épuise quand même vite. Trop vite.
Là encore, le rythme de Battlefield 2042 va beaucoup trop vite pour proposer une expérience qui s’approche des jeux dont le mode s’inspire, avec des distances d’engagement bien trop longues et une grande difficulté d’anticiper les mouvements adverses. Et puis, oubliez toute forme de coordination si vous jouez sans ami, puisque le mode se joue en escouade de 4 uniquement.
Et ce n’est pas le mode économique sans profondeur du mode Hazard Zone qui donneront envie aux joueurs de le camper. En dehors d’une arme principale qui peut faire la différence (avec les accessoires liés à la progression générale du joueur, infâme), l’achat de gadgets supplémentaires et des “avantages tactiques” semble très superflus, sans parler des gains et les pertes potentiels qui ont n’ont pas assez d’impact pour influer la tension d’une partie.
Et ce n’est pas le mode économique sans profondeur du mode Hazard Zone qui donneront envie aux joueurs de le camper.
Ça valait bien la peine que les envies d’intégrer Hazard Zone à Battlefield 2042 salopent son mode Conquête…
Le salut du futur se trouve dans le passé
Du coup, c’est bien le mode tertiaire de Battlefield 2042 qui semble sauver les meubles : Battlefield Portal. Quand DICE dit qu’il s’agit d’une “lettre d’amour aux fans de Battlefield”, il ne se fout pas de nous : “voilà un coffre avec tous vos jouets préférés dedans. Faites ce que vous en voulez, amusez-vous”.
“Voilà un coffre avec tous vos jouets préférés dedans. Faites ce que vous en voulez, amusez-vous”.
Pour le moins ambitieux, Battlefield Portal promet aux joueurs de pouvoir revivre les meilleurs moments de la saga Battlefield, tout en leur donnant les pleins pouvoirs, sans restrictions. Vous voulez jouer avec les armes et un gameplay proche de celui de Battefield 3 ? Pas de problème. Vous préfériez la simplicité efficace de Battlefield 1942 ? Tenez, voilà un véritable remake de quelques cartes de l’époque sous Frostbite.
Alors que j’exècre les systèmes de progression modernes qui m’empêchent de m’amuser avec les joujoux qui m’intéressent, sans devoir me taper des heures de grinding, je suis agréablement surpris de voir qu’il n’y a aucune limitation sur les armes et les accessoires à utiliser. Quitte à les mixer : vous pouvez jouer sur Caspian Border avec l’arsenal de Battlefield Bad Company 2.
Vous voulez jouer avec les armes et un gameplay proche de celui de Battefield 3 ? Pas de problème. Vous préfériez la simplicité efficace de Battlefield 1942 ? Tenez, voilà un véritable remake de quelques cartes de l’époque sous Frostbite.
En revanche, c’est avec la possibilité de créer ses propres règles que Battlefield Portal brille le plus fort : il est possible d’imposer des règles asymétriques entre les deux camps, quitte à faire confronter les Spécialistes de 2042 aux soldats de la Seconde Guerre mondiale, tout en leur imposant un arsenal aléatoire à chaque mort. Vous saviez qu’on ne pouvait pas s’allonger dans BFBC2 ? Et bah une mort bien ridicule me l’a rappelé. Oui, on peut carrément régler ce genre de détail de gameplay, comme la régénération de la vie ou la vélocité générale des projectiles.
Si les serveurs sont bel et bien hébergés chez EA, on n’est pas loin de l’idée de serveurs dédiés avec des règles personnalisées très poussées, de quoi faire revivre un semblant de communauté alimenté par les joueurs et faire plaisir aux plus nostalgiques.
C’est avec la possibilité de créer ses propres règles où Battlefield Portal brille le plus fort.
DICE a promis de supporter le mode de jeu sur le long terme, et on rêve maintenant de voir toujours plus de contenu d’anciens épisodes de la franchise. Un mode Titan inspirés de Battlefield 2142, ça ne vous branche pas ?
Les plus téméraires pourront alors bidouiller avec l’outil fourni par DICE pour créer leurs propres conditions de victoires et gameplay de partie. Des serveurs de Gungame pullulent déjà, tandis que des bricoleurs qui ont déjà réussi à proposer des parcours d’anneaux pour wingsuits. Il subsiste quand même quelques limitations techniques, comme les parties à 128 joueurs réservées pour les cartes issues de Battlefield 2042, mais elles restent assez minimes.
À dans 6 mois
Au-delà des nombreux problèmes techniques gênants qui seront – on l’espère – réparés à terme, Battlefield 2042 est allé trop loin dans son envie d’innover en oubliant derrière lui ce qui faisait le sel de la franchise. Les batailles à 128 joueurs sont impressionnantes et parfois jouissives, mais laissent trop peu de place à la coopération, tandis que des cartes peu inspirées ont du mal à renouveler l’expérience d’une partie à l’autre. Le mode Hazard Zone est un bon passe-temps entre amis, mais n’arrive pas à la cheville des jeux desquels il s’inspire. Reste alors le mode Portal qui remplit largement ses promesses, puisqu’il n’a aucune autre prétention que d’être fun et de proposer une expérience Battlefield pur jus, et plus encore. C’est quand même triste de devoir se tourner vers des valeurs sûres quand on n’a rien d’intéressant à proposer.
Ce qu’on a aimé :
- Un certain sens du spectacle
- Les batailles à 128 joueurs, une expérience assez unique
- Faut reconnaître que ça touche assez bien
- Un contenu de lancement assez conséquent
- Certains gadgets de Spécialistes sont intéressants
- Une escouade organisée est capable de grandes choses…
- Un mode Hazard Zone intéressant qui essaie…
- Battlefield Portal, entre nostalgie et créativité
Ce qu’on n’a pas aimé :
- Des bugs. Bien sûr des bugs
- Un rythme trop effréné qui dessert la construction d’actions
- Difficile de s’y retrouver dans ce chaos ambiant
- La liberté de créer sa classe tue la complémentarité
- … mais la coopération avec le reste de l’équipe est en berne
- … mais s’essouffle bien trop vite
- Cartes peu intéressantes
- L’interface, pour changer
- Et des soucis d’équilibrage, tant qu’à faire
Ce jeu est fait pour vous si :
Seul l’aspect chaotique d’un Battlefield compte pour vous ; vous voulez retrouver les sensations d’époque avec Portal.
Ce jeu n’est pas fait pour vous si :
Vous préférez les possibilités de coopération offertes par un Battlefield ; vous en avez marre des lancements plus que compliqués.
Configuration de test :
- GPU : NVIDIA RTX 2080 Ti
- CPU : Intel Core i9-9900k
- RAM : 32 Go DDR4
- Installé sur SSD
Battlefield 2042 est disponible sur PC, Xbox Series S|X, PlayStation 5, Xbox One et PlayStation 4.