Après le très bon Call of Cthulhu: Dark Corners of the Earth, les jeux vidéo adaptés de l’univers du célèbre écrivain Howard Phillips Lovecraft se sont fait de plus en plus rares et de qualités inégales. Je pourrais vous citer Conarium ou encore The Secret World, mais c’est le dernier né de chez Cyanide Studio, intitulé sobrement Call of Cthulhu, qui nous intéresse cette fois-ci.
Ph’nglui mglw’nafh Cthulhu R’lyeh wgah’nagl fhtagn
Véritable génie de l’horreur, H.P. Lovecraft est devenu au fil des années une référence en matière de cosmicisme. Cette philosophie littéraire s’appuie sur l’hypothèse que l’homme n’est qu’un grain de sable dans l’immensité du cosmos et qu’il existe des forces incommensurables bien au-delà de sa compréhension.
Nous vivons sur une île de placide ignorance, au sein des noirs océans de l’infini, et nous n’avons pas été destinés à de longs voyages. Les sciences, dont chacune tend dans une direction particulière, ne nous ont pas fait trop de mal jusqu’à présent ; mais un jour viendra où la synthèse de ces connaissances dissociées nous ouvrira des perspectives terrifiantes sur la réalité et la place effroyable que nous y occupons : alors cette révélation nous rendra fous, à moins que nous ne fuyions cette clarté funeste pour nous réfugier dans la paix et la sécurité d’un nouvel âge de ténèbres.
— H.P. Lovecraft
L’œuvre la plus connue de l’écrivain et qui reprend à merveille cette idée est l’Appel de Cthulhu (Call of Cthulhu dans la langue de Shakespeare). Cette nouvelle est l’œuvre fondatrice du mythe de Cthulhu regroupant différentes fictions dans lesquelles des créatures cauchemardesques rôdent au-delà de notre réalité — et pour le malheureux qui essaierait de comprendre ou simplement d’entrevoir cette réalité, il en reviendrait avec un esprit meurtri.
Mais revenons à nos cultistes. Call of Cthulhu est un RPG d’investigation développé par Cyanide, adaptation officielle du jeu de rôle papier au titre éponyme.
L’action se déroule en 1924, au large des côtes de Boston. Vous incarnez un détective privé du nom d’Edward Pierce, envoyé enquêter sur la mort tragique de la famille Hawkins dans leur immense manoir sur l’île reculée de Darkwater. D’après les rapports de police, Sarah Hawkins, une artiste peintre connue pour ses tableaux horrifiques, serait devenue folle et aurait tué toute sa famille dans un incendie.
Cependant, entre le comportement hostile des habitants de Darkwater et les rapports de police suspects, il est évident que l’affaire est bien plus complexe qu’il n’y paraît.
Adorateur ou à raison
Dès les premières minutes de jeu, on remarque que l’Unreal Engine 4 fait encore une fois des merveilles. L’ambiance horrifique et poisseuse propre à Lovecraft est bien retranscrite, on y retrouve une prédominance de la couleur verte, des viscères d’animaux marins ainsi qu’une atmosphère pesante et emplie de mystère.
Après quelques minutes de jeu, notre héros se réveille très vite dans son bureau, l’occasion pour le joueur de rencontrer le premier protagoniste. Et malgré une modélisation réussie, les animations des personnages aussi bien faciales que corporelles sont d’une rigidité vieillissante.
Même l’acteur de doublage qui interprète Edward Pierce est le même que celui de Jonathan Reid dans Vampyr, un autre jeu édité par Focus Home Interactive. Rien d’anormal me direz-vous et je suis d’accord, excepté que les deux jeux sont sortis à moins d’un an d’écart et que le chara design des deux héros est également très similaire.
Les choses ne s’arrangent pas en arrivant au port de Darkwater. La plupart des marins ont les mêmes visages et les personnages possèdent tous la même animation de marche. Un détail, certes, mais qui jure avec l’excellent travail réalisé sur les décors, sublimé par une ambiance sonore impeccable. Que ce soit les protestations de marins apeurés par le cadavre d’une orque salement amochée gisant sur la berge ou encore les regards méprisants d’ivrognes éclairés par la lueur étrangement vive de la lune malgré l’épais brouillard recouvrant Darkwater, on est bien dans un Call of Cthulhu.
Un univers désormais culte
Et on touche à l’un des gros points forts du titre : le jeu est immersif. Que vous soyez réceptif ou non au genre, la narration ne vous laissera pas indifférente. Les dialogues sont intelligents et chaque échange avec un protagoniste est un vrai plaisir tant les doublages sont convaincants (disponible seulement en version anglaise). Au fil de l’aventure, la paranoïa s’infiltrera en vous au rythme de vos rencontres.
Que vous soyez réceptif ou non au genre, la narration ne vous laissera pas indifférente.
L’enquête est une lente descente aux portes de la folie. Mais c’est justement cette même folie qui vous permettra d’entrevoir la vérité, de comprendre le secret de l’île de Darkwater. Ou peut-être n’est-ce qu’un piège tendu par quelques forces maléfiques ? Ou une autre hallucination due à votre santé mentale décadente ?
Le doute, l’incompréhension, autant de sentiments que Cyanide parvient avec brio à nous faire ressentir durant l’aventure. On sombre avec le héros, on plonge avec lui dans les recoins les plus reculés de l’esprit, les profondeurs de la compréhension humaine aux frontières de la réalité. En revanche, le jeu n’est jamais parvenu à susciter en moi de la peur. Un comble me direz-vous, pour un jeu censé être adapté d’écrits d’horreur, eh bien oui et non.
Personnellement, cela ne m’a pas dérangé le moins du monde. Étant familier avec l’univers du mythe de Cthulhu, je savais à quoi m’attendre et c’est pour cette raison, je pense, que je n’ai pas ressenti de peur en y jouant. Toutefois, j’ai parcouru l’aventure avec plaisir et cette ambiance si particulière mêlant ville mystérieuse, enquête et phénomènes inexplicables fait toujours son petit effet.
Une aventure qui ne dure finalement qu’une petite dizaine d’heures. Malgré une rejouabilité certaine si l’envie vous prend de débloquer toutes les fins, on peut ressentir une certaine déception une fois arrivée au bout.
La pelle du destin
Call of Cthulhu navigue autour d’un système de choix intimement lié aux compétences d’Edward Pierce. La compétence Force par exemple vous permet d’intimider vos interlocuteurs durant les dialogues, mais également de forcer une porte ou d’activer un gros levier. Plus vous mettrez de points en force et plus vos chances de réussite augmenteront.
Ces compétences reprises du jeu de rôle papier Call of Cthulhu sont au nombre de sept : Force, Éloquence, Psychologie, Investigation, Trouver Objet Caché, Médecine Légale et Occultisme. Chacune possédant ses avantages propres. Toutefois, vous ne pourrez pas augmenter toutes les compétences au maximum, il vous faudra faire des choix.
Call of Cthulhu navigue autour d’un système de choix intimement lié aux compétences d’Edward Pierce.
Hormis le fait de débloquer différentes options de dialogues, ce système permet également à l’instar d’un Deus Ex de proposer différentes possibilités d’approche afin de vous rendre à votre objectif. Cependant, j’ai trouvé ce système plutôt gadget et moins développé qu’un Deus Ex justement. Les différentes approches sont finalement peu nombreuses et les choix n’ont pas grand impact sur le déroulement de l’enquête. Seule la gestion de sa santé mentale permet réellement de débloquer les différentes fins.
Cette dernière se matérialise sous la forme de cases à débloquer représentant les différents événements traumatisants que notre héros a eu à affronter. Et si par chance (ou par malheur, c’est selon) vous arrivez à augmenter assez votre occultisme, vous débloquerez “Le Coût de la Vérité” qui vous permettra, lors de certains dialogues, de révéler des vérités cachées. Attention toutefois, car chaque utilisation de ce pouvoir vous fera perdre un peu de votre sanité. Une mécanique intéressante.
L’impact de nos choix ne change en rien la fin du voyage, mais permet seulement d’en changer la route.
Votre santé mentale influe également sur les différentes fins. En effet, plus votre folie sera grande et moins votre personnage sera capable de raisonner de façon rationnelle, vous aurez par conséquent moins de choix de dialogues. Grosse déception de ce côté-là d’ailleurs, car parmi les 4 fins disponibles, trois d’entre elles se décident finalement à la toute fin du jeu (si vous êtes assez sain d’esprit pour les débloquer). De mon côté, j’ai utilisé certains pouvoirs, perdu de la sanité en lisant des livres occultes et j’ai tout de même débloqué les 3 fins.
Et c’est bien dommage, car l’impact de nos choix ne change finalement en rien la fin du voyage, mais permet seulement d’en changer (un peu) la route.
L’enquête pour les nuls
Concernant le gameplay, il s’agit d’un jeu d’enquête des plus classiques. La recherche d’indice se découpe en deux parties : la première vous demandera de parler aux habitants afin de récolter des informations et la seconde consistera à rechercher des objets dans l’environnement. Vous trouverez également bon nombre d’indices qui ne vous serviront pas dans le déroulement de l’histoire, mais qui permettront d’en apprendre plus sur le passé de l’île de Darkwater.
À diverses occasions, Edward pourra entrer en phase de reconstitution ce qui lui donnera la possibilité de matérialiser ses capacités de déduction et ainsi permettre aux joueurs de mieux visualiser la scène. Cependant, ne vous attendez pas à devoir enquêter, il vous suffira de vous diriger vers différents objets colorés au milieu d’une scène monochrome afin de débloquer la cinématique de reconstruction. Heureusement toutefois que le jeu propose en de rares occasions des énigmes complexes et bien foutues.
Mais le gameplay ne s’arrête pas à de la simple recherche d’indices, vous aurez également des passages d’infiltration, et je dois dire qu’ils sont plutôt décevants à cause d’une I.A. complêtement à côté de la plaque. Les humains hostiles sont d’une stupidité sans nom en plus d’être atteints d’un strabisme aigu. Il m’est arrivé de me trouver devant un adversaire immobile sans qu’il me détecte alors que je n’étais pas caché. Et il a suffi que je me mette à couvert pour qu’il reprenne sa ronde comme si de rien n’était.
L’infiltration est décevante à cause d’une I.A. à côté de la plaque.
En revanche, lorsqu’il s’agit de se cacher d’une créature, c’est une autre histoire. Dans les écrits de Lovecraft, les personnages sont incapables de faire face à une créature dimensionnelle sans subir de lourds traumas mentaux. Cyanide a cru bon de garder cet aspect dans Call of Cthulhu et c’est tout à leur honneur. Seulement, cela donne lieu à des situations ridicules où vous ne pouvez pas regarder la créature sous peine de paniquer et par conséquent vous faire repérer. Sachant que cette dernière a la fâcheuse tendance à devenir omnisciente et à vous voir à travers les objets, autant vous dire que cette séquence de jeu m’a rendu fou au même titre que mon personnage.
Un déferlement de bonnes intentions
Call of Cthulhu tient plus du jeu narratif que du RPG d’investigation. L’enquête menée par le détective Edward Pierce est fascinante et on se laisse facilement embarquer dans cette atmosphère des plus Lovecraftienne. Le jeu transpire les bonnes intentions et on sent la volonté de Cyanide de nous faire vivre une véritable descente aux portes de la folie. Toutefois, les mécaniques de gameplay sont anecdotiques et la durée de vie frôle l’acceptable. On en ressort tout de même avec une sensation réjouie d’avoir pu replonger dans cet univers fascinant.
► Points forts
- Une direction artistique sublime
- Une enquête fascinante
- Des dialogues bien écrits et bien doublés
- La gestion de la santé mentale
► Points faibles
- Des animations rigides
- Des phases d’infiltrations ratées
- Des choix qui ont peu d’influence
- Le côté RPG anecdotique
- Gourmand en ressources à certains endroits
Des choix tentaculaires pour un résultat linéaire
War Legend a bénéficié d’une copie presse PC fournie par l’éditeur de ce jeu.
Call of Cthulhu sera disponible à compter du 30 octobre sur PS4, Xbox One et PC.