Développé par les Polonais un brin sadique à qui on doit le malsain Butcher, Phobia Game Studios assume leur amour des films de série Z avec Carrion, un jeu d’horreur bien gore inspiré de The Blob et The Thing… où c’est vous qui incarnez la bestiole.
Mais que fait Kurt Russel ?
Les jeux d’horreurs, ce n’est pas mon truc. Les jeux d’horreur modernes, hein ? Les jeux à la Amnesia où le joueur est démuni et n’a pas d’autre solution que de se cacher pour survivre. Prenez Alien: Isolation, par exemple. À la scène d’introduction du xénomorphe, le joueur ne risque rien, mais j’étais terrorisé, notamment grâce à l’une des meilleures ambiances qui n’aient jamais été créées dans un jeu vidéo. Dès que j’ai pu reprendre les commandes, j’ai Alt-F4 via un véritable réflexe reptilien et n’ai plus jamais relancé le jeu. Il attend encore, dans un coin sombre de mon disque dur, prêt à bondir. Je suis sur que l’expérience est exceptionnelle, mais ce n’est pas mon kif.
Il est donc important que je reprenne ma revanche sur les jeux d’horreurs. Je me suis alors souvenu du premier Alien vs Predator : impossible de jouer plus de 10 minutes à la campagne des Marines coloniaux, mais un plaisir immense à incarner le xénomorphe, une saloperie agile où un level design pensé pour des humains n’a aucune emprise, où le monde est expérimenté de façon… différente. Pourquoi plus personne ne fait des jeux comme ça ?
C’est bête et méchant, mais il y a quelque chose de cathartique à être dans l’autre camp, à effrayer des scientifiques sans défense et surprendre des marines bêtes comme leurs pieds. Chacun pouvait alors se créer ses propres scènes de slasher spatial. “It’s good to be bad”, comme disait la campagne comm’ de Dungeon Keeper.
C’est exactement ce que propose Carrion. Un jeu d’horreur inversé où vous incarnez la bestiole génocidaire, tuant et assimilant tout ce qui lui passe à portée, devenant plus forte à chaque humain ingéré, et suffisamment rusé pour déjouer les pièges d’un complexe militaire ultra sécurisé.
C’est bête et méchant, mais il y a quelque chose de cathartique à être dans l’autre camp.
Au début, vous n’êtes qu’une petite merde insignifiante. L’équivalent d’un facehugger, mais en cherchant une issue dans le complexe scientifique où vous vous êtes échappé, vous trouverez de nouvelles biomasses qui permettent d’acquérir de nouvelles compétences et de croître en taille, jusqu’à devenir une énorme masse sanguinolente et terrifiante.
Ellen Replay
Le plus impressionnant dans Carrion, c’est la façon dont la créature arrive à se mouvoir : très (trop) organique, grâce à des notions de physique qui ne laissent rien au hasard. En théorie, elle suit la direction du stick de déplacement, mais dans les faits, elle balance ses nombreux tentacules qui essaient de s’accrocher à ce qu’elles peuvent. On préférera sans revanche la souris pour son côté flottant qui rend la chose encore plus vivante. Ça change pas mal de déplacer son personnage avec autre chose que ZQSD.
On se faufile alors dans les conduits comme on pourrait l’imaginer dans un film de body horror bien dégueu’. Avec toutes ces bouches, ces yeux et ce corps qui se déforme en fonction de l’embouchure à passer, traîner sa carcasse est un véritable plaisir en soi, surtout que la bestiole traverse les salles à toute vitesse, histoire de bien foutre la frousse à un civil qui n’a pas vu la mort arriver.
Le plus impressionnant dans Carrion, c’est la façon dont la créature arrive à se mouvoir : très (trop) organique.
Avec le clic droit/gâchette droite, il est alors possible de chopper tout plein de trucs : une commande de porte, une grille dans le passage qu’on utilisera volontiers comme un projectile ou un pauvre scientifique qui passait par là. On aura plus qu’à le ramener vers nous pour le boulotter allègrement, pendant qu’il hurle de terreur et de douleur. Oui, il y a beaucoup d’innocents qui meurent dans Carrion, mais il s’agit de matière première pour grandir et se soigner.
Heureusement, il y a les meurrines qui sont là pour vous empêcher de foutre le boxon en toute impunité et qui vous tireront dessus à vue. Si vous n’êtes pas attentif, vous pouvez mourir assez rapidement, mais heureusement pour vous, ils ne sont pas très dégourdis, et vous oublient au bout de 5 secondes dès que vous êtes hors de vue. Balancez-les contre un mur, noyez-les dans un bassin ou bien acharnez-vous sur leur combinaison à coups de dents pour les achever, toujours dans une violence inouïe.
Balancez les gardes contre un mur, noyez-les dans un bassin ou bien acharnez-vous sur leur combinaison à coups de dents pour les achever, toujours dans une violence inouïe.
C’est très grisant et on s’amuse souvent à se faire sa propre mise en scène, quitte a attendre le dernier moment pour chopper un garde par les pieds ou prendre son temps pour briser les rêves d’un civil armé qui se serait pris pour l'”Ellen Ripley” de son propre film. Mention spéciale cependant aux derniers combats qui laissent moins de liberté, mais exigent de se creuser un minimum les méninges pour en venir à bout, usant à bon escient les outils offerts au joueur.
Masse critique
C’est là que le bat blesse un peu. Carrion est vraiment trop facile, bien que l’on comprend bien que le but de Phobia Game Studio est de nous faire faire incarner une monstruosité irrésistible, sans pour autant avoir l’ambition de proposer un game design approfondi. On sent pourtant un certain potentiel qui ne sera pas atteint, notamment avec des situations qui ont du mal à se renouveler et des confrontations souvent bas du front. Il y a pourtant quelques fulgurances dans le level design qui permettent de toucher du doigt un gameplay bac-à-sable du Petit Slasher, comme la possibilité de contourner les gardes pour mieux les surprendre.
Une fois que j’ai compris le principal intérêt du jeu, il y a un truc qui me chiffonne : l’IA manque clairement de cohérence… ou plutôt de vraisemblance. Une petite animation de vie insouciante avant le carnage ou des réactions un peu plus variées que le simple “se recroqueviller dans un coin et attendre la mort” aurait tout changé et rendu le jeu moins bien monotone. De la même manière, alors qu’on ne maîtrise pas totalement son organisme, il est difficile de s’infiltrer quand les gardes réagissent au moindre pixel de chair qui dépasse d’un obstacle.
Le but de Phobia Game Studio est de nous faire faire incarner une monstruosité irrésistible, sans pour autant avoir l’ambition de proposer un game design vraiment approfondi.
Heureusement, pour son propre bien, Carrion n’est pas trop long. Comptez moins de 4 heures pour le terminer… presque 6 heures si vous êtes un gros nul comme moi, perdu dans les méandres du complexe, incapables de retrouver le bon chemin ou le bon conduit pour se remettre sur les rails de la progression. Et c’est un vrai problème, car les changements dans les biomes sont trop superficiels pour se repérer correctement, et il n’est pas rare de ne plus savoir quoi faire après avoir chargé la partie. Je soutiens l’initiative de ne pas avoir inclus de carte, mais franchement, ça m’aurait bien épargné plusieurs errances à travers des salles déjà jonchées de cadavres.
On sent que les développeurs avaient des ambitions de Metroidvania, mais ont dû se rétracter pour éviter de s’étendre trop. Débloquer une capacité permet d’accéder à une zone jusque là inaccessible, et ainsi de suite. En revanche, la nécessité de gérer la taille de sa bestiole — faites attention à votre apport calorifique en scientifiques frais — pour utiliser le pouvoir qui va bien est très bien foutue et apporte une couche intéressante aux puzzles… qu’on ne met pas bien longtemps à résoudre, encore une fois. Petite déception également à propos du contrôle mental qui aurait pu offrir de grands moments The Thing, même s’il est rigolo de voir des gardes se faire shooter par leur pote.
Pour qui sonne le Carrion
Carrion est une très chouette expérience qui réveille vos plus bas instincts et permet d’assouvir quelques fantasmes de spectateurs de films d’horreur (“moi, si j’étais le méchant…”), mais se révèle être un jeu vidéo tout juste correct, n’exploitant pas tout son potentiel pourtant évident. On arrive quand même à s’amuser si on fait l’effort de se projeter dans la menace effroyable que l’on peut représenter. Quelque chose de tout à faire recommandable si vous voulez une expérience condensée et une proposition unique. Ce n’est pas tous les jours qu’on nous propose d’être le monstre.
Ce qu’on a aimé :
- Un aspect monstrueux qui se transmet jusque dans les commandes
- Une bonne ambiance aux multiples références
- Se créer ses propres tensions de slasher movies
- Des énigmes qui exploitent bien les capacités du monstre
- Massacrer et boulotter des gens qui n’ont rien demandé
Ce qu’on n’a pas aimé :
- A rapidement du mal à se renouveler
- Une IA simpliste qui dessert souvent l’ambiance
- On se perd, souvent
- Des capacités sous-exploitées
- Des capacités bonus inutiles
- Des combats souvent brouillons
Ce jeu est fait pour vous si :
Si vous avez beaucoup regardé Alien et The Thing ; vous voulez jouer dans l’autre camp.
Ce jeu n’est pas fait pour vous si :
Vous n’avez aucun penchant pour le sadisme ; vous n’aimez pas voir un potentiel inachevé.
Configuration de test :
- GPU : NVIDIA 980 Ti GTX
- CPU : Intel Core i7-6700k
- RAM : 16 Go DDR4
- Installé sur SSD
Carrion est disponible sur PC, Xbox One, PlayStation 4 et Nintendo Switch.