Après la saga Dishonored (et Prey, dans une certaine mesure), Arkane Lyon revient avec Deathloop, un nouvel immersive sim dont le studio a le secret. Le truc, c’est que dans une ère où les boucles temporelles sont légion, le prestigieux studio français n’allait pas se faire prier pour s’approprier le concept. Quoi de mieux qu’un Jour sans fin pour exploiter un genre qui mise tout sur la créativité et la rejouabilité ?
L’éternité pour mourir
On a tous connu des matins difficiles avec la gueule de bois, mais pour Colt, c’est tous les jours depuis… et bien, le pauvre bougre ne sait pas trop, en réalité. Bienvenue sur l’île de Blackreef, où une anomalie temporelle est exploitée par des mégalomanes égocentriques pour vivre éternellement, avec notre protagoniste condamné à se réveiller tous les matins la tête dans le sable.
Malheureusement, l’expérience a raté : ces Visionnaires auraient dû se souvenir des jours passés sur Blackreef, mais vivent le même Premier jour en boucle, sans s’en rendre compte, et ce jusqu’à la fin des temps. Mais il y a un twist : bien qu’amnésique au début de l’aventure, Colt n’oublie pas les jours passés sur l’île, et un brin décontenancé par la situation, décide que la fête est finie et profitera de cet avantage pour briser la boucle.
En effet, il y a une faille : si les 8 Visionnaires meurent la même journée, la boucle est brisée, mais le temps est bien évidemment compté avant que le cirque ne recommence. Sans un stratagème bien ficelé, Colt ne pourra pas tous les liquider en même temps, d’autant qu’il reste un impondérable : Julianna, une Visionnaire qui se souvient également du temps passé sur l’île et qui entretiendrait une relation ambigüe avec Colt.
Quand on voit la campagne marketing de Deathloop, on saisit bien qu’il est très difficile de vendre et d’expliquer le concept du jeu sans se mélanger les pinceaux, mais il faut bien comprendre que le titre d’Arkane n’est pas un rogue-lite. Bien qu’il faille choisir d’explorer une zone particulière à explorer en fonction du temps de la journée, tous les événements en jeu se répètent de manière prévisible. Sauf quand Julianna s’invite à l’improviste, à n’importe quel moment de la journée… et potentiellement incarnée par un autre joueur.
La fin n’est jamais la fin n’est jamais la fin n’est jamais la…
Toutefois, il faut bien comprendre que Deathloop n’est pas un “Outer Wild avec des flingues” comme beaucoup l’ont fantasmé (moi le premier). Malgré son concept de boucle temporelle qui devrait inviter à l’expérimentation et l’exploration, le dernier jeu d’Arkane est plutôt dirigiste, et concentre tous les choix d’exploration de Colt vers une seule et unique solution.
Les Visionnaires sont répartis sur Blackreed dans 4 quartiers, explorables à 4 moments de la journée : matin, midi, après-midi et soir. Ces zones assez ouvertes avec un level design dont Arkane a le secret — c’est une maestria, encore une fois — proposent différents événements selon ces moments de la journée, mais chacune des périodes est en réalité proposée comme une mission avec un contexte bien défini, où les objectifs à remplir sont clairement indiqués.
Chacune des périodes est en réalité proposée comme une mission avec un contexte bien défini.
Ainsi, on peut s’amuser au départ à découvrir les moindres recoins des quartiers de Blackreef selon notre bon vouloir (les secrets secondaires à trouver sont d’ailleurs nombreux), mais Deathloop exploite essentiellement son concept de boucle temporel pour proposer une narration qui tourne autour de l’enquête de Colt… sans que le joueur en soit réellement acteur. De fait, cela répond à l’une de grandes questions autour de Deathloop : il n’est pas possible de terminer le jeu dès la première boucle, même en connaissant la solution.
Bien que cette solution soit unique, le cœur du jeu consiste alors à découvrir l’agenda des différents Visionnaires, saboter leur emploi du temps personnel et arriver à les manipuler pour qu’ils soient là où vous voulez qu’ils soient, c’est à dire à plusieurs au même endroit et même moment, car la journée n’est pas assez longue pour tous les tuer tous séparément.
Le cœur du jeu consiste alors à découvrir l’agenda des différents Visionnaires, saboter leur emploi du temps personnel et arriver à les manipuler pour qu’ils soient là où vous voulez qu’ils soient.
De même, en dehors du choix de l’heure de la journée (qui ne va que dans une direction avant de recommencer la boucle), le temps ne s’écoule pas réellement une fois en mission, et les différents événements à découvrir sont (très souvent) déclenchés à l’approche du joueur, à l’instar d’autres jeux du genre. Certains secrets et bonus exigent une connaissance de leur existence pour les récupérer à temps, mais Deathloop ne pressera jamais le joueur pour remplir ses objectifs. C’est un bon moyen de ne pas le perdre dans un flot d’informations parfois intimidant, mais cela peut décevoir certaines attentes, surtout avec tous ces jeux basés sur une boucle temporelle qui se sont passé le mot ces derniers temps.
Le jeu est clairement basé sur la récolte d’informations, en farfouillant des documents, des audiologs ou en surprenant une conversation d’Éternalistes, mais Deathloop prendra soin de prendre les notes pour vous au point, parfois, d’expliquer autrement ce que vous aurez peut-être mal interprété. De même, les conséquences des actions de Colt d’un moment à l’autre de la journée sont (trop) souvent anecdotiques, alors qu’il y avait clairement matière à partir dans tous les sens. Il y a beaucoup de choses à découvrir, mais encore une fois, la trame principale est finalement très calibrée.
Je te tiens, bébé
Pourtant, Deathloop n’a pas manqué son potentiel : bien au contraire. Une fois qu’on a compris et digéré la proposition d’Arkane, on comprend que le principe de boucle temporelle est une excuse pour… s’amuser, et ça se ressent dans l’atmosphère du jeu avec un humour noir très prononcé (et très bien dosé), très loin de la dépression en gélules prescrite par la saga Dishonored.
Les Visionnaires sont des trouducs arrogants qui ne méritent qu’une machette en travers de la cage thoracique, et leurs ouailles Éternalistes sont toutes complètement connes/frappées/déconnectées, profitant du Premier jour comme si cela était leur dernier. De fait, la mort n’a pas de conséquence, et contrairement à un Dishonored, vous pouvez vous laisser aller et n’avoir aucune pitié pour vos ennemis, que ce soit dans le fond ou dans la forme. De toute façon, ils seront de retour le “lendemain”. D’ailleurs, il n’y a aucune solution non léthale : Deathloop appelle clairement le sang.
De fait, la mort n’a pas de conséquence, et contrairement à un Dishonored, vous pouvez vous laisser aller et n’avoir aucune pitié pour vos ennemis, que ce soit dans le fond ou dans la forme.
De plus, chaque Visionnaire propose une particularité de gameplay unique, comme la fête d’Aleksis Dorsey où chaque convive porte le même masque, ou Frank “Le Barockineur” qui se terre dans sa station de radio doté d’un système de sécurité complexe. Comprendre les mécanismes et opportunités de chacun permet de se faciliter la vie à chaque visite.
Heureusement, le savoir-faire d’Arkane pour le world building et les personnages hauts en couleur est toujours de mise, et on prend un malin plaisir à en découvrir davantage sur les Visionnaires (en parallèle des différents moyens de les tuer), la société Aeon à l’origine de la boucle et le passé de Colt… étrangement lié à celui de l’île elle-même.
Chaque Visionnaire propose une particularité de gameplay unique, comme la fête d’Aleksis Dorsey où chaque convive porte le même masque.
C’est d’ailleurs ce qui était particulier avec les précédents jeux Arkane (et les immersive sims en général) : on a tendance à charger la quicksave dès que l’infiltration capote, malgré les nombreux outils de combat disponibles… ce qui n’est pas vraiment possible dans Deathloop. Le titre vous oblige clairement à improviser quand la situation dérape, et comme la situation sera similaire la prochaine fois que vous explorerez la zone à la même heure, vous aurez alors à apprendre de vos erreurs pour mieux soigner votre approche, voire changer de chemin ou de méthode.
Si on comprend que l’IA reste volontairement simple pour permettre aux joueurs de s’amuser avec ses différents joujoux, il faut avouer que c’est peut-être un poil trop, surtout que les coups de feu ne s’entendent pas vraiment au loin. Un système d’alarme susceptible de rameuter la moitié du quartier et qui prévient les Visionnaires de votre présence existe, mais il faut vraiment être empoté pour que cela arrive souvent.
Comme la situation sera similaire la prochaine fois que vous explorerez la zone à la même heure, vous aurez alors à apprendre de vos erreurs pour mieux soigner votre approche, voire changer de chemin ou de méthode.
Si la discrétion facilite l’exploration des niveaux, il est tout à fait possible de la jouer bourrin, d’autant que Deathloop profite d’un gunplay très surprenant, car ultra satisfaisait (notamment grâce à des pétoires assez originaux). Je l’ai toujours dit : “si un shooter propose un bon pompe, ça ne peut pas être un mauvais shooter“. On retrouve vraiment la patte immersive sim avec un body awareness très prononcé, où l’on parcourt la carte en crabe 90% du temps, mais quand ça pète, ça pète, et de nombreux outils sont à disposition pour vous débarrasser des Visionnaires et des Éternalistes.
Même avec un mode de difficulté unique, Deathloop n’est vraiment pas difficile, surtout que Colt peut mourir 3 fois (par période de journée) avant de se réveiller au matin suivant. Et la seule conséquence néfaste aura été l’impossibilité d’ajouter du matériel à son arsenal permanent (qui sera à récupérer au même endroit le lendemain) et/ou de devoir recommencer certaines actions en début de journée.
Si la discrétion facilite l’exploration des niveaux, il est tout à fait possible de la jouer bourrin, d’autant que Deathloop profite d’un gunplay très surprenant, car ultra satisfaisait.
Bien que les ennemis soient de plus en plus forts au fur et à mesure que le nombre de Visionnaires se réduit et que la journée approche de sa fin, Colt augmente considérablement de puissance au fil de la campagne, au point que cela devienne un poil abusé. Cependant, Colt n’est pas omnipotent, et il sera toujours limité par le nombre d’armes, breloques (modificateurs de gameplay bruts pour le personnage et les armes) et pouvoirs qu’il peut équiper avant de partir en mission.
Une fois de plus, cela favorise l’expérimentation et la recherche d’un style de jeu qui sied particulièrement, et j’ai remarqué que la majorité des approches était souvent viable, mais toujours très fun. Et puis, le Coup de tatane™ Arkane est de retour, ce qui résulte toujours à de grands moments hilares, accompagnés souvent de cris de chutes. Bref, amusez-vous.
Et la prise en charge de la DualSense, alors ?
Exclusivité console temporaire négociée avant le rachat de Bethesda par Microsoft, Deathloop profite d’une prise en charge assez poussée de la DualSense de la PlayStation 5, ce qui est particulièrement intéressant pour un immersive sim : chaque pas de Colt est ressenti dans les vibrations haptiques, les coups de feu à répétition offrent un kickback convaincant dans les gâchettes adaptatives, et qui se bloquent quand son arme s’enraye. Quand Colt s’engueule avec Julianna à travers la radio du Hackmajig ou écoute un audiolog, le son passe par le haut-parleur de la manette avec des voix particulièrement clairs, ce qui se révèle assez efficace pour renforcer l’immersion (mais ce qui peut-être un problème avec un casque audio).
La surprise, c’est qu’il est possible de jouer à Deathloop sur PC grâce à la DualSense, profitant de ses fonctionnalités… en dehors du haut-parleur.
Le chasseur devient le chassé, l’autre boucle
Tuer le même Visionnaire en boucle peut avoir un intérêt, puisque chacun détient un module (un pouvoir) puissant que l’on pourra améliorer à chaque “visite”. Les 4 différents niveaux sont assez ouverts avec des points d’intérêts variés, et en alternant les temps de la journée, la redondance ne s’installe jamais vraiment. Surtout que le level design permet beaucoup d’approches différentes, sans parler des secrets intéressants que l’on aurait ratés lors d’une précédente visite.
S’il y a bien une chose que Deathloop fait bien avec sa boucle temporelle, c’est façonner l’expérience et les souvenirs du joueur, qui retiendra où sont les gardes et comment se comportent les Visionnaires dans leurs repaires distinctifs. La première approche sera souvent prudente, à l’affût de la moindre information et le temps de s’imprégner des lieux, mais on se surprendra plus tard à être plus confiant et aller plus vite, avec parfois des méthodes qui permettent d’éviter complètement le danger et d’optimiser les assassinats.
Tuer le même Visionnaire en boucle peut avoir un intérêt, puisque chacun détient un module (un pouvoir) puissant que l’on pourra améliorer à chaque “visite”.
Évidemment, c’est toujours quand on se sent bien installé dans notre petite routine ou dans une situation un brin tendue que Julianna débarque, la 8e cible qui décide de vous rendre visite uniquement quand ça lui chante. Aussi dangereuse que le protagoniste, Julianna traque Colt sans relâche, l’empêchant de quitter la zone par la même occasion.
Particulièrement imprévisible, Julianna est assez dangereuse si on la prend à légère, surtout quand elle est incarnée par un autre joueur. Cette option est complètement optionnelle, et Julianna n’a le droit qu’à une chance d’éliminer Colt, contrairement à ce dernier et son module Reprise, mais il faut avouer que cela apporte un certain piment qui peut manquer parfois au jeu de base. À ce moment-là, on est toujours tiraillé entre aller la chercher afin de continuer sereinement la mission, ou continuer sa tâche en espérant qu’elle parte vous chercher ailleurs.
Particulièrement imprévisible, Julianna est assez dangereuse si on la prend à légère, surtout quand elle est incarnée par un autre joueur.
Incarner soi-même Julianna, c’est une autre paire de manches… et l’occasion rêvée d’assouvir vos pulsions sadiques. Comme tuerez-vous Colt ? Une embuscade à longue distance ou une confrontation brutale surprenante ? Des pièges près des différents objectifs et Visionnaires, peut-être ? Julianna permet d’interagir avec l’environnement de la même façon que Colt, et comme souvent la créativité est souvent de mise.
En dehors de défis qui récompensent la variété des approches, ce mode invasion n’a pas d’autres vocations que d’être fun et de pimenter la campagne solo des joueurs traqués. Pour un jeu Arkane qu’on n’aurait jamais cru intéressé par du contenu connecté, cela marche plutôt bien.
Retour vers le bon gros chassé
Profitant de la maestria d’Arkane Lyon en matière de direction artistique et de level design, Deathloop est un jeu comme nul autre… et difficile à expliquer. Mais au bout d’une poignée d’heures, on se laisse entraîner volontiers dans ce tourbillon de folie qui règne sur ce gros rocher de Blackreef, où les conséquences de la mort n’ont plus cours, profitant d’un gameplay aux petits oignons et d’une panoplie d’outils très satisfaisants à utiliser (sur les autres). Son application du concept de boucle temporelle reste assez simpliste, mais l’expérience du joueur accumulée au fil des Premiers jours successifs est réellement mise à contribution afin que ce dernier se lâche pour un fun allant toujours croissant. Avec un système d’invasion en PVP efficace, la redondance ne s’installe jamais vraiment, et la variété des approches s’offre d’elle-même sans qu’on y réfléchisse vraiment.
Ce qu’on a aimé :
- Level design digne d’Arkane Lyon
- Direction artistique aussi
- Système de combat fun et viscéral
- Expérimentations souvent récompensées
- Tonnes d’approches différentes, y compris les plus bourrines
- Mode invasion réussi dans les deux sens
- Bande-son parfaitement dans le ton
- Très bonne VF
Ce qu’on n’a pas aimé :
- Faut un peu de temps pour comprendre la structure du jeu
- Enquête qui se resserre trop rapidement et qui tient le joueur par la main
- Sensation que la boucle temporelle est sous-exploitée
- Pas vraiment de challenge en dehors des interventions de Julianna
- IA un peu trop crédule
Ce jeu est fait pour vous si :
Vous en avez marre de terminer vos immersives sims dans la position du crabe.
Ce jeu n’est pas fait pour vous si :
Vous aviez acheté un tableau en liège et une pelote de ficelle rouge pour l’occasion (c’est stylé, mais superflus).
WarLegend.net a bénéficié d’une copie presse PlayStation 5 fournie par l’éditeur de ce jeu.
Deathloop sera disponible le 14 septembre sur PC et PlayStation 5, et à une date ultérieure sur Xbox Series S|X.