5 ans après Beyond: Two Souls, Quantic Dream livre enfin un nouveau jeu narratif exclusif à la PlayStation 4. Si Detroit: Become Human reprend, sans surprises, la formule des jeux du studio, le titre compte bien repousser les limites du possible de la cinématographie interactive.
Comme des oiseaux en Cage
L’idée de Detroit: Become Human ne vient pas de nulle part. Alors que l’équipe de David Cage, présentait son dernier moteur destiné pour la PlayStation 3 et qui sera utilisé l’année suivante sur Beyond: Two Souls, le court métrage de démonstration présentait Kara, une androïde en phase d’assemblage qui prenait soudainement conscience qu’elle en possédait une (de conscience).
Provoquer l’émoi chez le spectateur joueur, c’est un peu la quête sainte de David Cage, et quoi de plus émouvant qu’un robot qui veut prouver contre vents et marrées sa capacité à ressentir des trucs ? Que toute cette ségrégation autour de sa condition de simple objet ménager est une véritable torture ? Le pitch était alors tout trouvé, et l’expérience Kara posera la base de Detroit.
Ainsi, le joueur est aux commandes de trois personnages, tous androïdes : Connor, l’équivalent d’un Blade Runner qui traque les androïdes “déviants” ; Markus, un androïde brisé qui se trouvera propulsé à la tête d’une révolution, et Kara, une androïde nounou qui outrepassera sa programmation pour sauver une petite fille qui la suivra tout au long de sa quête de liberté.
le joueur est aux commandes de trois personnages, tous androïdes : Connor, Kara et Markus
Trois machines certes, mais qui deviennent aussi sensibles que n’importe quel être humain au fil de leurs (més)aventures, celles-ci étant plus ou moins marquées par vos choix et vos actions.
Ainsi, on retrouve le gameplay signé Quantic Dream mis en place depuis Heavy Rain, et toute l’expérience cinématographique qui avec. On contrôle notre personnage dans un environnement assez restreint où certaines actions sont possibles, déroulant un scénario qui prend forme selon l’enchaînement de ces mêmes actions.
While(1)
Ici, point de gameplay pointu à maîtriser ou de killstreaks à réaliser : juste de simples commandes à presser sur la manette quand le joueur est invité à le faire, toujours dans le but d’accompagner l’action qui se déroule à l’écran et le ressenti du personnage via des QTE plus ou moins simples.
L’intérêt du titre vient alors de la possibilité de manipuler l’enchaînement narratif de l’histoire en fonction de vos choix sous forme d’actions ou de lignes de dialogues. Certaines conséquences de ces actions surviennent parfois plusieurs chapitres plus tard, et l’échec d’un segment n’est pas forcément une fin en soi, mais une autre manière d’apprécier l’histoire de Detroit.
Les conséquences en cascade peuvent vite “perdre” le joueur dans une narration immersive et finalement très organique.
Ce serait mentir de dire qu’on n’est pas impressionné par tous les embranchements narratifs possibles : Il existe une trentaine de chapitres entre le court et le très long, avec des déroulements très différents selon l’approche qu’a le joueur, et les conséquences en cascade peuvent vite le “perdre” dans une narration immersive et finalement très organique.
Les chiffres autour de la création de Detroit sont tout simplement démesurés : 2000 pages de script (contre 100 habituellement pour un long-métrage), 365 jours de tournage en studio de performance capture, 300 acteurs, plus de 35 000 plans, un compositeur de musique pour chaque personnage principal, et même une direction photo différente pour chaque.
Le terme de direction photo dans Detroit n’est pas un gros mot selon Quantic Dream, David Cage ayant toujours revendiqué le statut de réalisateur et d’auteur, comme au cinéma. Detroit est vendu comme un jeu vidéo, mais on est bien en face d’un film d’une dizaine d’heures où le joueur décidera grosso modo de l’orientation du récit qu’il veut découvrir.
Qualifier les titres de Quantic Dream de vrais jeux vidéo a toujours été un sujet à débat chez les hardcores gamers, mais l’arborescence monstrueuse d’événements et d’actions possibles dans Detroit comparé à Heavy Rain ou Beyond rend les choses déjà un peu plus intéressantes de manière purement ludique.
La bonne idée de Detroit pour aider à se retrouver dans tout ce méli-mélo narratif (même si cela enlève un peu de charme au principe), c’est donner l’accès au joueur à la fameuse arborescence d’actions et d’événements, chapitre par chapitre. Il est alors possible de savoir à quel moment une action est possible (sans savoir précisément de quoi il en retourne). Cela facilite grandement la possibilité de tester toutes les fins de chapitres et le dénouement de certaines actions clés.
La bonne idée de Detroit pour aider à se retrouver dans tout ce méli-mélo narratif , c’est donner l’accès au joueur à l’arborescence d’actions et d’événements.
Ce qui est quand même dommage, c’est qu’avec des titres qui ont apporté un vent de fraîcheur sur le monde des jeux narratifs comme Firewatch, Gone Home ou Ethan Carter, David Cage ait gardé le même “gameplay” qu’Heavy Rain, qui a maintenant plus de 8 huit ans.
Aïe, Robots
Le souci avec un jeu narratif comme celui-là, c’est que le scénario a intérêt à être plus que solide et l’écriture des personnages plus que soigné. Malheureusement, malgré une mise en scène intéressante qui en fait parfois un peu trop, ça pêche clairement sur ces aspects.
La première difficulté de Detroit à surmonter, c’est que des histoires de robots ou d’androïdes en quête d’indépendance, on en a déjà eu une chiée. Entre les bouquins de Philip K. Dick et d’Isaac Asiimov, des films de science-fiction sur le sujet comme Her ou Ex-Machina, ou des séries comme Akta Manniskor (Real Humans) ou plus récemment Westworld, on a déjà fait le tour du sujet de manière plus ou moins exhaustive et surtout de manière qualitative (Connor, c’est un Blade Runner, m’enfin !).
La première difficulté de Detroit à surmonter, c’est que des histoires de robots ou d’androïdes en quête d’indépendance, on en a déjà eu une chiée.
Si on arrive tout de même à ressentir une certaine empathie envers les personnages principaux et même à s’identifier, le traitement qu’a David Cage pour ses androïdes est assez cliché. Les acteurs qui les incarnent sont très bons, mais dès que les androïdes deviennent déviants et acquièrent une conscience, ils se retrouvent d’un coup, sans explication claire et précise, avec un comportement 100% humain, sans apprentissage de ce nouveau monde d’émotions et de sentiments qui les submergent. Les vrais humains sont décidément très très méchants et certaines psychologies se développent beaucoup trop vite (même chez les protagonistes de chair et de sang. Oui, je parle de toi, Hank).
Les dialogues sillonnent toujours entre deux eaux, parfois bien écrits, parfois clichés à en faire rouler les yeux. Le symbolisme aussi fait parfois dans le forcé et sans réel double lecture ou subtilité. Tout est prétexte pour foutre de l’émotion plein la tronche et arracher une larme ou une frustration, quitte à faire une comparaison directe entre la ségrégation des androïdes avec celle des noirs du 20e siècle. Pour une oeuvre qui veut vendre un message d’anticipation crédible, mais qui donne uniquement dans l’émotion brute (pourtant avec un univers étendu travaillé), c’est tout de même dommage.
Les dialogues sillonnent toujours entre deux eaux, parfois bien écrits, parfois clichés à en faire rouler les yeux.
Quand on ajoute à ça des problèmes de rythme, des scènes et des décisions qui se répètent, des conséquences dramatiques ou clés survolées, on est aussitôt sorti de l’univers de Detroit alors qu’on venait enfin d’y plonger volontiers. Et encore, je ne parle pas des multiples incohérences scénaristiques ou de diégèse, comme des androïdes qui grognent en prenant un coup dans le bide alors qu’on t’explique la scène d’après qu’ils ne ressentent pas la douleur.
Blue Blood
Si l’écriture de Quantic Dream est encore un peu faiblarde et vous gave d’émotions candides directement dans le fond du gosier, il y a pourtant de très bonnes choses qui ressortent de Detroit, à commencer par le plus évident : la réalisation technique.
Le travail de performance capture est assez remarquable, et les actions s’enchaînent de manière fluide et naturelle. Si certains QTE sabotent parfois un peu le travail des animateurs (surtout quand on relâche une touche par inadvertance), le moteur maison du studio parisien donne parfois dans le photoréalisme et la direction artistique inspiré offre une vision d’anticipation de Detroit intéressante et bien pensée.
Avec une Kara qui n’a pas beaucoup d’impact sur le scénario principal et la partie avec Markus avec de trop nombreuses longueurs, l’aspect du jeu le plus intéressant — et de loin — est clairement le travail d’enquête de Connor où l’on aurait presque aimé que Detroit soit un L.A Noire futuriste. Il faut réfléchir un minimum et on prend clairement du plaisir à reconstituer les scènes de crime (même si très linéaires).
Le moteur maison du studio parisien donne parfois dans le photoréalisme et la direction artistique inspiré offre une vision d’anticipation de Detroit intéressante et bien pensée.
Malgré ses multiples petits défauts qui finissent par irriter à multiples reprises, Detroit possède quand même quelques instants de bravoures.
On peut également aussi saluer certaines scènes intenses qui scotchent au canapé, avec des QTE assez tendus. Un compte à rebours de seulement quelques secondes pour prendre une décision cruciale n’est jamais très loin et votre premier playthrough aura souvent raison de vos nerfs à cause d’une mauvaise décision (volontaire ou non), ou à cause d’une option non débloquée. Les vrais finissent l’histoire telle quelle.
Mention spéciale pour la VF de haute volée, même si on pourra toujours préférer la V.O pour une synchronisation labiale parfaite, et une immersion renforcée pour ceux qui supportent la langue de Donald Drumpf
On peut également aussi saluer certaines scènes intenses qui scotchent au canapé, avec des QTE assez tendus.
Plastic Lives Matters
Des efforts ont clairement été faits avec Detroit: Become Human, mais il y a toujours un souci avec le délire de vision d’auteur. L’arborescence et l’enchevêtrement des événements sont vertigineux, mais l’écriture et le sujet de fond survolé ne rendent pas justice à la technique bluffante et aux 2000 pages de script qui contribue à la narration qui sera propre à chaque joueur. La rejouabilité est également présente pour ceux qui veulent connaître le titre de fond en comble et qui ne veulent pas rater une seule ligne de dialogue ou la moindre cinématique. Detroit: Become Human ne sera donc pas un jeu inoubliable doublé d’un chef d’oeuvre, mais si vous cherchez un jeu pépère qui pourra vous procurer des “émotions” véritables une fois de temps en temps et/ou que vous voulez construire votre propre histoire de la révolution des machines, le dernier titre de Quantic Dream n’est clairement pas une mauvaise recommandation.
► Points forts
- Une réalisation de haute volée
- De très nombreux embranchements et de dénouements possibles
- Des acteurs souvent justes
- Certaines scènes provoque du vrai stress
- On s’attache aux personnages (encore heureux)
- L’arborescence des chapitres pour les complétionnistes
- Les phases d’enquête de Connor
- Une B.O éclectique et intéressante
- VF de très bonne facture
► Points faibles
- TU VEUX DE L’ÉMOTION ?!
- Le titre n’apporte rien sur la question de l’intelligence artificielle
- Des faiblesses d’écritures et quelques incohérences scénaristiques
- Des échecs de QTE sans gravité
- Il serait temps de rafraîchir un peu le gameplay
- Des ficelles de scénarios visibles
- Des conséquences et des fins survolées
- Des questions sans réponses
- Quelques baisses de framerate
- Des textures qui chargent en retard sur PS4 Pro
On y est presque, David, on y est presque…
War Legend a bénéficié d’une copie offerte par Sony.
Vidéo-test Detroit: Become Human
Detroit: Become Human sortira sur PS4/Pro le 25 mai 2018.
Précommande Amazon (PS4).
Je trouve que ca ressemble vraiment très beaucoup a la serie suedoise Real Humans. Tant dans les themes abordés et la pauvreté de la reflexion sur le fond que dans la faiblesse de la réalisation.
Et finalement je ne croise pas d’articles qui mentionnent ce parrallele.
"Surprenant". non ?
[mode complot ON]
il doit y avoir des consignes que les journaleux bein dociles suivent avec pugnacité. Des esprits libres de leur expression a n’en pas douter.
{mode complot OFF]