Vous avez toujours rêvé d’incarner un flic poivrot au comportement très douteux ? Réjouissez-vous, Disco Elysium est arrivé.
Starsky & Scotch
Disco Elysium, ça commence par une conversation entre vous et votre cerveau reptilien. Le ton est donné. Le jeu de ZA/UM part d’un principe tout bête, mais pourtant diablement intelligent : celui de la conversation intérieure. Tout, pour ainsi dire, est sujet à un débat interne où se glissent régulièrement des jets de dés afin de tenter des actions, qui se retrouvent d’ailleurs également dans les conversations avec les PNJ.
Vous voilà dans la peau de… de qui déjà ?
Vous voilà dans la peau de… de qui déjà ? Ouch, vous avez pris une telle caisse hier que vous êtes incapable de vous rappeler jusqu’à votre identité. Au-delà des frontières de la chambre d’hôtel dans laquelle vous vous éveillez et de la lueur matinale qui vous poignarde les yeux, vous ne savez absolument rien. Qui vous êtes, d’où vous venez, là où vous avez grandit, votre plat favoris, rien de rien.
Vous comprendrez bien assez tôt que vous êtes détective et que la première de vos enquêtes va consister à répondre à ces questions essentielles… tout en résolvant une sombre affaire. Quant à savoir ce qu’est le Disco Elysium… Je me garderai bien de vous en dire plus que ce pitch, communiqué par les développeurs, car l’un des grands plaisirs de ce RPG en monde ouvert, c’est la découverte.
Plus beau qu’une boule à facettes
Et la découverte est bonne rien que pour les yeux – sauf ceux du personnage, qui hurlent toujours silencieusement de douleur. Disco Elysium offre une direction artistique très intéressante avec des décors que l’on peut sans problème qualifier de tableaux : des traits de pinceaux dessinent de superbes scènes mélancoliques et délavées, en parfait accord avec l’humeur du personnage et la maussaderie du monde.
Cela est renforcé par les portraits dont les traits sont encore plus apparents, et bien davantage encore par les peintures impressionnistes (vous devrez me pardonner si je me trompe de courant artistique, je ne suis pas très au point sur le sujet) des différentes caractéristiques de personnages et surréalistes (voir parenthèse précédente) des souvenirs que vous pourrez intérioriser.
L’ensemble est sobre, original, cohérent. Tout simplement beau.
L’ensemble est sobre, original, cohérent. Tout simplement beau. De surcroît, une chouette BO accompagne l’aventure. Discrète mais entraînante et efficace, elle sait revenir sur le devant de la scène avec ses meilleurs passages lorsqu’il le faut – et quand elle le fait, elle nous prend aux tripes. Oh ces plongées dans le fort intérieur du héros… ça fait acheter des BO ça.
Une histoire de dés, mais en 3D
Mais qu’est-ce que Disco Elysium exactement ? Un jeu de rôle, un vrai, et dans le futur en plus, avec un petit cachet retro futuriste qui va bien. Vous disposez d’une ville pour terrain de jeu, et vous pouvez façonner votre personnage de la façon dont vous l’entendez. Vous commencez par choisir un preset de compétences de base (ou bien vous êtes grave chaud et vous vous lancez direct dans le choix des compétences une par une). Celles-ci vont déterminer vos chances de réussir des jets de compétence. Par exemple un fort score d’Athlétisme vous permettra, le moment venu, d’avoir de bonnes chances de de sauter sans vous croûter un petit précipice, ou bien de vous retenir de vomir face une odeur pestilentielle… pourvu que vous n’obteniez pas d’échec critique.
Un jeu de rôle, un vrai.
Car les jets de dés ont une importance prépondérante dans Disco Elysium. Directement tirés des jeux de rôle papier, ils interviendront souvent lorsque vous aurez besoin d’entreprendre des actions, de résister, d’intimider, etc. Vous vous en servirez aussi bien pour enlever ce vilain rictus de votre visage (eh oui…), que pour reconstruire mentalement une scène de crime ou encore convaincre une porte de s’ouvrir grâce à l’art de la rhétorique. Oui, vous avez bien lu. Disco Elysium propose des interactions parfois loufoques, dingues, mais c’est ce qui fait la beauté du jeu de rôle papier et que le jeu vidéo a tant de mal à retranscrire : les limites sont l’imagination du joueur. Et j’ai véritablement retrouvé des sensations de jeu de rôle papier lorsque j’ai entrepris des jets à 3% de réussite et qui sont passés.
Alors bien sûr, on reste dans un jeu vidéo, aussi ne vous attendez pas à pouvoir écrire vos propres interactions. Néanmoins l’écriture savoureuse de Disco Elysium vous laissera beaucoup de choix, parfois radicalement absurdes (mais qu’est-ce que c’est bon !) mais qui peuvent pourtant déboucher sur quelque chose ! Si vous n’avez jamais joué à un jeu de rôle papier, sachez que sur le principe – en fonction du jeu et du maître du jeu – il est tout-à-fait possible de convaincre un agresseur de devenir votre pote et se retourner contre ses alliés en en appelant à la psychologie freudienne. Et encore, ça c’est très soft et encore à peu près plausible (si, si on insiste un peu, bon…).
“Comment est votre enquête ? – Mon enquête est bonne…”
Et là où c’est très fort, c’est que tout cela est très organique. Vous aurez régulièrement des dialogues au cours desquels seront mentionnés des choix que vous avez faits et qui influenceront le cours de la conversation. Il ne s’agit d’ailleurs pas de simplement cliquer sur toutes les options de dialogue “juste pour voir”, car cela peut influencer vos chances de réussites à un jet à venir. Si vous faites remarquer à la commerçante que la parka qu’elle a en vitrine est très chouette (ou très moche, c’est selon), vous aurez une pénalité si vous tentez de le dérober. Parfois, une multitude de facteurs viennent comme ça s’ajouter dans la balance.
Je me suis tapé des fous rires (au pluriel) devant certaines lignes de dialogue, voire des dialogues entiers.
Comme je le disais un peu plus haut, l’écriture est de surcroît savoureuse, pour ne pas dire carrément fabuleuse. Je me suis tapé des fous rires (au pluriel) devant certaines lignes de dialogue, voire des dialogues entiers où on peut vraiment faire durer et monter la sauce. Forcément, ça aide de pouvoir jouer au parfait couillon et de partir parfois dans de sacrés délires. On vous y encourage en plus : vous pourrez lire dans un écran de chargement qu’il ne faut pas hésiter à faire des réflexions sorties de nulle part, les gens ont une plus grande tolérance aux excentricités des figures d’autorité.
Conversation avec mon calepin sur lequel est collé du papier toilette :
Calepin endommagé : C’est juste du papier toilette, collé à l’arrière du bloc-notes en plastique. Vous pouvez le retirer si vous voulez.
Vous : Peut-être que c’est une serviette en papier ? Elles ont exactement le même aspect.
Calepin endommagé : Si vous “voulez” que ce soit une serviette en papier, ça peut être un serviette en papier.
Perception (odorat) : Ce n’en est pas une par contre. C’est du papier toilette.”
Vous aurez beaucoup de choses à faire dans Disco Elysium, en plus de boucler votre enquête et découvrir votre passé ainsi que votre identité. Régulièrement de nouvelles quêtes s’offriront à vous, et pas une – je dis bien pas une – n’est à jeter. Tout s’imbrique parfaitement dans ce petit bout de pays futuriste et à chaque fois on vous donne un bel os à ronger, à tel point qu’on ne pense pas à un seul instant en termes de “quête secondaire” / “quête principale”. D’ailleurs certains embranchements peuvent vous amener de manière insoupçonnée à découvrir de nouveaux éléments pour les quêtes “principales”.
C’est ce qu’il y a de vraiment intéressant avec Disco Elysium : de part la force de son écriture et la richesse de son histoire, on prend plaisir à creuser les conversations pour y dénicher des découvertes. Quel dommage que la traduction française ne soit pas de la partie ! Espérons que cela viendra. Sinon apprenez l’anglais. Sérieux.
Si vous êtes un adepte du combat, je dois cependant vous prévenir : il n’est pas question de cela ici. Au mieux vous aurez des jets à faire afin de déterminer si vous réussissez une action physique ou de tir, mais il s’agit vraiment d’un titre basé sur le texte et les choix que vous faites.
Cette machine dans ma tête
Au fil de votre aventure, un journal va se remplir afin de référencer toutes les tâches que vous avez entreprises. Cela vous permet de vous y retrouver un peu, surtout si vous lâchez le jeu quelque temps. Surtout cela vous indiquera qui aller voir ensuite, afin de ne pas tourner en rond pendant 107 ans. On pourra toutefois reprocher à Disco Elysium son manque de clarté quant à la carte car il arrive que certains personnages nous parlent d’un lieu ou d’une personne et qu’on se retrouve pris au dépourvu quant à savoir comment s’y rendre.
Dans les menus, vous retrouverez aussi une banque de souvenirs et pensées que vous pourrez intérioriser afin de gagner des bonus, notamment augmenter le plafond de certaines compétences afin de pouvoir y placer davantage de points ; points que vous obtenez en passant des niveaux. Ces pensées peuvent être bonnes comme mauvaises en termes d’effet, vous ne le savez pas avant de les avoir assimilées, aussi un point de compétence peut-il être utilisé pour oublier.
En parlant de compétences, il y en a une foule, rangées par catégories. La description est on ne peut plus claire pour chacune, c’est toutefois la mise en pratique qui est parfois légèrement douteuse dans le sens où il m’est arrivé de me dire quelque chose du genre : “c’est pas vraiment d’empathie dont il est question ici…” Voyez comme je chipote.
Placer des points dans ces compétences permettra bien entendu de faire des jets que vous choisirez, mais également d’autres qui interviendront d’eux-mêmes. Ainsi au cours des dialogues verrez-vous la logique du personnage intervenir, quitte à être complètement en contradiction avec l’empathie. Votre compétence “Encyclopédie” vous distillera régulièrement des connaissances afin de vous aider à mieux appréhender le monde et placer des petites phrases d’intello là où il faut – note : il y a aussi des notions dont on se fout royalement, mais c’est drôle.
Incarnez le flic poivrot de vos rêves
Notez que certains jets que vous choisirez seront surlignés en rouge, signifiant que vous n’avez qu’une chance. Ceux en blanc indiquent cependant que vous pouvez les retenter dès qu’une modification de la caractéristique associée est enregistrée. Autrement dit si vous y placez un point de compétence ou si un équipement ou un consommable altère la fameuse compétence.
Vous avez beau être un détective, vous êtes aussi un déchet.
Car vous trouverez des équipements dans Disco Elysium, et c’est une nouvelle occasion de marquer le fun. Vous avez beau être un détective, vous êtes aussi un déchet. Ce qui fait que pendant très longtemps, mon personnage s’est baladé avec un bonnet sur la tête, un pied-de-biche dans une main, un sac de courses dans l’autre et de chouette pompes en croco pour souligner le tout. Chaque objet apporte ainsi des modificateurs à vos compétences.
On met ici le doigt sur un truc que je trouve quand même franchement bien foutu : non seulement Disco Elysium est drôle à lire, mais il est aussi drôle à voir. La situation est quand même hallucinante – un flic complètement ravagé avec un look totalement négligé, ancré dans les années 70 tant qu’à faire, se balade dans la ville en se prenant pour un cador et balance des punchlines perchées à tous les gens qu’il rencontre. En tout cas c’est mon détective – il ressemble un peu à Rick de Rick & Morty maintenant que j’y pense, manquent plus que les rots. Rien ne vous empêche de partir dans la construction d’autre chose, il y a plusieurs choix, dont l’autoflagellation.
Le moment est venu de se présenter, 4 choix :
- Le porteur de destruction
- Qu’est-ce qui est jaune et orange comme un feu de forêt, mais qui sent l’alcool ?
- Je suis sans nom fixe en ce moment.
- Ne rien dire.
Mais peut-on perdre ? Oui, on peut perdre. Mais franchement c’est assez difficile. Selon les actions que vous entreprenez, vous pourrez perdre de la santé ou de la santé mentale. Si l’un des 2 tombe à 0, vous avez perdu. Il y a heureusement de quoi vous rebooster à la volée ou bien via des actions que vous réalisez. Parfois le simple fait de respirer un grand coup face à la mer (allez-y chantez de votre tête maintenant) peut vous rendre un point de santé. À un autre moment cela consistera à prendre soin d’une boîte aux lettres au lieu de lui déblatérer des insultes.
Cul sec
Disco Elysium est une tuerie. Si vous aimez le RPG et que la lecture ne vous effraie pas, c’est le jeu que vous avez attendu depuis tant d’années. En plus d’être sérieusement hilarant, il se paie le luxe d’offrir une histoire géniale et captivante à souhait, rivetée de quêtes secondaires qui n’ont rien de secondaires mais participent au contraire à créer une superbe atmosphère dont on refuse de sortir. Et ce ne sont pas les paysages façon tableaux et les magnifiques musiques d’ambiance qui vont nous y encourager.
► Points forts
- Écriture formidable
- Le parti pris graphique est à tomber
- Ringardise les autres RPG
- Superbe BO
- Le plaisir de la découverte et de l’exploration : toujours quelque chose d’intéressant
- Le principe du conflit intérieur (et converser avec des objets aussi), il fallait y penser
- Pas cher payé pour ce qu’il a à offrir
► Points faibles
- Pas de traduction française
- Pas toujours simple de savoir où aller
Totalement disco
Configuration de test :
- GPU : NVIDIA RTX 2080
- CPU : Intel Core i7-9700k @ 5GHz
- RAM : 16 Go DDR4
- Installé sur SSD M.2
WarLegend.net a bénéficié d’une copie presse fournie par l’éditeur de ce jeu.
Disco Elysium est disponible sur PC.
Sympa le test donne envie, mais sans la vf ça ne sera pas pour moi domage.
Enfin un jeu de rôle qui est RÉELLEMENT un jeu de rôle. Les combats, c’est gimmick, et à quoi ça sert d’avoir un monde ouvert si on peut pas faire ce qu’on veut ? Pour une fois, on peut contrôler tous les aspects de la psychée de son personnage (ou la subir), et c’est ultra rafraîchissant (et fascinant). On se fout presque de réussir l’enquête ou non, on veut juste se construire une histoire personnelle en adéquation avec les règles du monde proposée.
C’est Breath of the Wild, mais avec du texte. Du putain de texte bien écrit.