Débutée il y a quelques années, la saga des Dungeons a voulu suivre la voie maléfique du regretté Dungeon Keeper avec plus ou moins de succès. Si les balbutiements étaient un peu hasardeux, le deuxième épisode arrivait à proposer quelque chose de neuf tout en se rapprochant encore plus de son modèle, mais sans génie. Le troisième arrivera-t-il à passer le cap ?
À l’époque où Peter Molyneux savait encore faire des jeux, Dungeon Keeper était considéré comme une révolution à sa sortie : un gameplay novateur, intéressant et presque parfait. À force de jouer les gentils pour aller sauver les princesses en détresse ou vaincre une quelconque menace qui risque de détruire le monde, on ne se rend pas bien compte que tenir un donjon et le manager, c’est du boulot ingrat. Dungeon Keeper proposait alors de concevoir son donjon maléfique de A à Z. Il fallait gérer les finances, les besoins des monstres résidents, et torturer quelques valeureux héros en quête de gloire au passage. C’était délicieux et bien tordu.
Dungeons III propose la même chose, jusqu’à reprendre quelques éléments du gameplay au poil près. Si on ne peut pas vraiment parler d’ersatz vu qu’Electronic Arts a fermé Bullfrog il y a plus de dix ans, un tel exercice demande d’être sûr de ce que l’on fait, car la bavure peut vite survenir et l’hommage peut se transformer en massacre d’un genre.
Le joueur incarne le Mal absolu, un Seigneur maléfique tout-puissant qui s’ennuie fortement dans son donjon. Suite aux évènements du second épisode, il ne reste plus personne à terroriser ou à torturer, plus rien à faire qu’un méchant d’Heroic fantasy puisse espérer faire. Évidemment, par un habile tour de passe-passe scénaristique (c’est le jeu qui le dit explicitement), il reste des terres à conquérir par-delà les mers. Mais les larbins du Mal absolu sont nuls en charpenterie et tout comme le Vasa, les bateaux coulent en mer… par deux fois.
Lassé, le Mal absolu envoie une projection de tout son maléfice vers cette terre vierge de tout mal et compte bien posséder le premier péquenot venu avec un peu de méchanceté en lui. Dans la cité de Brisevent (qui rappelle furieusement la cité d’un MMO dont je ne me souviens plus le nom), Thalya est une elfe noire, fille adoptive du Paladin Tanos. Élevée dans la bienveillance et oeuvrant pour le bien, quelque chose de maléfique boue pourtant en elle… que notre seigneur du Mal n’hésitera pas à exploiter pour implémenter sa succursale sur ce nouveau continent. À partir de là, Thalya sombre du côté obscur et se sent terriblement bien à l’idée de répandre mort et désolation dans son sillage.
Bien que parfois dans l’excès, Dungeons III est furieusement drôle. Références aux jeux vidéo, aux clichés de l’heroic fantasy, autres moqueries sur des licences ou autodérision des développeurs, le 4e mur est démoli à boulets rouges toutes les cinq secondes avec un narrateur autoconscient (interprété par le génial Kevan Brighting, également narrateur plus connu sur The Stanley Parable), une Thalya bipolaire (en conflit avec son côté gentil) avec des parodies de héros connus de diverses licences d’héroic fantasy (les dialogues d’engueulades entre Thalya et le narrateur sont bien drôles). Bon, une fois qu’on a compris le schéma narratif ça devient parfois lourd et très forcé, mais la déconnade assumée a le mérite d’arracher un sourire voire un éclat de rire de temps en temps, appuyé par une utilisation hilarante de la physique. La quantité généreuse de dialogues aide à ne pas sombrer dans la lourdeur absolue. La VF est correcte, mais le ton sarcastique de Brighting et la bipolarité de Thalya ne sont se pas aussi bien retranscrits que dans la V.O.
Bien que parfois dans l’excès, Dungeons III est furieusement drôle. Références aux jeux vidéo, aux clichés de l’heroic fantasy, autres moqueries sur des licences ou autodérision des développeurs, le 4e mur est démoli à boulets rouges toutes les cinq secondes
L’intérêt de Dungeons III est de mélanger un RTS très classique à la WarCraft en associant les mécaniques de gestion de donjons de Dungeon Keeper, ce qui était déjà le cas dans Dungeons II. On commence à creuser les galeries de son donjon, organiser les différentes salles avec leurs fonctions propres, on recrute des monstres et on meule la face des gentilles personnes à la surface.
On prend toujours autant de plaisir à gérer son donjon : calculer les cases à creuser une par une pour un rendu optimal, essayer de ne pas trop éloigner les salles qui ont une bonne synergie ensemble, créer des dédales piégés pour accueillir les héros qui veulent piller notre maison, ou gérer les monstres pour qu’ils participent à l’élaboration du monde souterrain. Vous pouvez toujours donner une claque avec la Main de la Terreur à vos larbins pour les motiver.
Vos monstres vont également exprimer des besoins à partir d’un certain niveau d’expérience en agrandissant votre donjon avec des salles spécifiques comme une brasserie pour vos orcs qui ont besoin de se saouler ou vos démons qui nécessitent du mana pour subsister. Si leurs besoins ne sont pas satisfaits, gare à la grève. Quand ces derniers ne sont pas au combat, ils travailleront dans les différentes ailes de votre donjon pour produire des ressources et vous rendre plus puissant. Les créatures de la horde produiront des pièges ou autres mécanismes, les morts-vivants s’occuperont des objets magiques, et vos démons produiront le mana nécessaire pour vos sorts et tortureront vos prisonniers.
On prend toujours autant de plaisir à gérer son donjon. […] Vous pouvez toujours donner une claque de la Main de la Terreur à vos larbins pour les motiver.
L’arbre de technologie se déverrouille au fur et à mesure de l’élaboration de votre donjon et vos ressources limitées vous obligeront à faire des choix drastiques dans l’orientation de vos recherches. Planifiez bien la construction des différentes salles, car leur taille influe souvent sur leur efficacité. Quand votre donjon sera bien peuplé, un garde-manger trop petit risque de tourner à court de nourriture trop vite, votre salle de recherche va manquer de place et vous empêcher de progresser, votre prison risque d’être saturée, etc. Cependant, quelques lourdeurs dans l’ergonomie empêchent de bien gérer cette facette du jeu. Quelques salles nécessitent la construction d’objets qui les encombre et il n’est pas toujours évident de calculer la bonne taille pour que cela soit optimal (la machine à fabriquer les pièges est énoooorme), sachant que l’on ne choisit pas forcément nous-même l’emplacement du mobilier. Il arrive alors parfois qu’on gâche de l’espace utile ou qu’on empiète sur une salle adjacente, cassant alors la belle harmonie de notre donjon. Bon, une fois qu’on a commis la même erreur une bonne cinquantaine de fois, quelques mécanismes sont assimilés et on s’amuse bien plus. Petit détail rigolo : les salles sont liées aux trois types de créatures, qui décoreront les couloirs aux alentours, donnant alors l’impression de fragmenter le donjon en différentes ailes avec chacune son ambiance.
L’interface en revanche n’est pas du tout du côté du joueur. Pensé pour être joué aussi sur console, Dungeons III souffre du syndrome du jeu-PC-qui-se-veut-être-disponible-partout, mais qui ne prend pas la peine de créer deux interfaces bien distinctes selon que l’on joue à la manette ou à la souris. Naviguer entre les différents onglets de gestion est pénible et la recherche n’est pas très explicite. On aurait aimé avoir plus d’éléments affichés en même temps pour pouvoir avoir une meilleure vision d’ensemble de ce que l’on peut/veut faire.
Naviguer entre dans les différents onglets de gestion est pénible et la recherche n’est pas très explicite.
Si Dungeons III se moque ouvertement de l’univers WarCraft, il en est également une parodie. Ce n’est pas vraiment une mauvaise chose en soi, puisqu’il propose déjà un gameplay de gestion solide, mais les phases à la surface sont plus que classiques. Une fois nos monstres en forme et améliorés, on se contente la plupart du temps de tous les balancer à la sortie, et de all-in – comme un joueur Zerg – les différents regroupements de héros avec Thalya à leur tête. Monter à la surface de temps en temps est tout de même nécessaire entre deux coups de pioche dans votre donjon, puisque cela permet de récolter de la Méchanceté, nécessaire à l’évolution de celui-ci.
Si les objectifs sont plutôt variés, les cartes sont terriblement génériques et se ressemblent toutes. La seule consolation qui nous tient motivés est la situation débile que le scénario va nous envoyer à la figure, dictant parfois la marche à suivre. Quelques évènements arrivent parfois à nous prendre à contrepied, comme le narrateur susceptible qui pète un fusible en faisant apparaître une meute d’ours pour venir nous attaquer. Ce n’est jamais bien méchant et parfois drôle.
Monter une équipe conséquente et équilibrée est souvent suffisant pour finir la mission d’une traite, et la micro gestion des troupes pendant la bataille est très peu sollicité, la majorité des capacités spéciales se déclenchant automatiquement. On se concentre sur les cibles fragiles ou qui font du dégât et tout passe. Rajoutez à cela des sorts vraiment puissants utilisables tant que vous avez du mana, et vos troupes ne craindront pas grand-chose.
Monter à la surface de temps en temps est tout de même nécessaire entre deux coups de pioches dans votre donjon, puisque cela permet de récolter de la Méchanceté, nécessaire à l’évolution de celui-ci.
Si on aurait souhaité tout de même un peu plus de profondeur dans la conception du donjon et dans les combats à la surface, la complémentarité des deux marche plutôt bien et reste cohérente. Cependant, le jeu souffre alors d’un gros problème de rythme et peine à faire fonctionner les deux ensemble.
Le début de partie va se concentrer exclusivement sur la conception du donjon qui recommence généralement de zéro. Le cycle est assez répétitif et assez long, même si les nouveautés introduites à chaque niveau apportent leur lot de renouvellement et de découverte. On met un certain temps avant de vouloir mettre un orteil dehors, très souvent dans le but de récupérer tout simplement ses premiers points de méchanceté.
Si on aurait souhaité tout de même un peu plus de profondeur dans la conception du donjon et dans les combats à la surface, la complémentarité des deux marche plutôt bien et reste cohérente.
Le donjon est conçu pour fonctionner avec des monstres à l’intérieur. Malheureusement, ces derniers ne sont pas assez nombreux pour rester à la fois aux postes du donjon, et se battre dehors… surtout qu’il est compliqué à cause de l’interface de filtrer les monstres oisifs plutôt que ceux qui bossent. Ceci fait que l’on passe notre temps à faire des allers-retours entre le donjon et l’extérieur quand des héros l’attaquent, ce qui ne serait pas vraiment un problème si la salle de garde était peuplée comme prévu. À contrario, le souci qu’on a quand on se concentre sur la défense du donjon est que les monstres à l’extérieur sont alors livrés à eux-mêmes, surtout que le jeu n’indique pas que ces derniers sont attaqués. J’ai déjà perdu plusieurs armées de cette manière. Jouer sur les deux plans n’est pas nécessairement compliqué, mais simplement très peu pratique.
Un mode coop est inclu et un ami peut résoudre ce problème, puisque vous pourrez alors vous partager des tâches, l’un s’occupant de l’extérieur, l’autre du décor intérieur. Rigolo cinq minutes comme dis plus haut – les ressources partagées entre l’extérieur et l’intérieur compliquent parfois trop la partie, la rendant inutilement trop dure, quand le solo permet de tout all-in. Les améliorations maximisant la population de monstres arrivent par ailleurs bien trop tard, à un stade où l’on aurait pu finir la mission bien plus vite. Ceci dit, ce n’est pas totalement une tare, puisque Dungeons III marche plutôt bien quand on veut prendre le temps de peaufiner son donjon, et on peut se retrancher le temps d’être surpuissant. Certaines missions vous presseront par le temps, mais l’équilibre cité ci-dessus devient encore plus fragile à gérer encore.
Un multijoueur compétitif existe également jusqu’à 4 joueurs, chacun gérant son propre donjon. Annihilez le coeur du donjon ennemi, ou récoltez le plus de méchanceté en surface pour remporter la partie. Ce mode a ses moments, même si l’abus de certaines mécaniques est facile et expédie bien trop vite le jeu.
Jouer sur les deux plans n’est pas nécessairement compliqué, mais simplement très peu pratique.
Dungeons III améliore par petites touches l’expérience que pouvait offrir son prédécesseur. Son humour et sa partie gestion offrent de bons moments qui feront plaisir aux premiers fans de Dungeon Keeper, malgré l’absence d’éclat de génie, se contentant de réutiliser la formule. La partie RTS donne la bonne impression de répandre la mort et la destruction sur le monde extérieur sans pour autant être très pointue. Combinés, les deux aspects corrects du jeu en font un mariage plus que correct. Malheureusement, l’interface console et le rythme tranché à la hache d’orc en font un jeu inégal qui ne demande pourtant qu’à vous plaire. Si vous avez toujours rêvé de jouer dans l’autre camp, que les paladins loyal-con vous ont toujours exaspéré et que vous êtes actuellement en manque de jeu de stratégie, Dungeons III peut tout de même être un bon choix.
► Points forts
- L’humour qui démolit le 4e mur au bulldozer
- La gestion poussée du donjon et la satisfaction du travail bien fait
- Des missions variées
- Un bestiaire varié
- C’est bon d’être méchant
- Touche dédiée pour le rire maléfique
► Points faibles
- Interface peu pratique sur PC
- Humour tout de même parfois lourdingue ou de mauvais goût
- Partie RTS trop simpliste
- Soucis de rythme
- Dur de jouer sur les deux plans en même temps
- Sorts vraiment pétés
On se marre, c’est l’essentiel
WarLegend.net a bénéficié d’une copie presse offerte par Kalypso.
Dungeons III est disponible sur PC, Xbox One et PS4.
Achat GoCléCD.
Là tu nous décris de manière générale la série des Dungeons depuis le keeper. Mais pour le 3, il y a quoi précisément?
J’ai un peu l’impression que tu découvres le jeu et que tu n’as pas réussi a t’extraire des schémas formatés que le jeu cherche a faire voler en éclat par cet humour décapant. Un peu comme raconter les films de Schwarzy en tant que film de genre. (Action / S-F / Drame etc)
RTS ? et il n’entre pas dans la case préformatée ? ben mince alors….
De même, beaucoup de "on aurait aimé avoir" tu juges donc plus de ce que tu voudrais voir et que tu n’as pas trouvé que de ce que le jeu te montre et nous propose. La solution doit être dans une des voix OFF du jeu comme dans les 2 précédents : écris le toi même ce jeu que tu projettes :-)
Bon je suppose que cela signifie que le jeu a donc réussit a rester égal à lui même, ne pas sombrer dans la nouveautés nouvelle recette nouveau gout de supermarché . C’est donc toujours le même jeu. J’espère que le soucis du travail bien fait est toujours présent.
J’attendrais d’entendre la trad Fr pour juger du doublage qui est généralement excellent en france et dans cette série (si on a quelques chose de bon en france c’est bien le doublage, quand on va a l’étranger on mesure le fossé…), mais je serais vraiment curieux de savoir ce que tu captes des finesses de l’humour et des allusions en US. Tu as peut être vécu la bas depuis l’enfance ? Car je suppose et j’espère que ce n’est pas du Google World translation.
J’ai testé vite fait le didacticiel et le début de la campagne. Je crois que tu as raison, il y a un soucis avec le doublage, le comédien n’y crois pas vraiment et du coup le joueur non plus. Il y a des intonations qui ne collent malgré le texte toujours aussi caustique .
A noter qu’ils parlent bien de leur longue liste de DLC du 2 mais ils oublient d’être autocritique sur le coup, ou alors le comédien n’a pas su le rendre.
L’interface est plutôt mal pratique et il y a une certaine lourdeur a déplacer la main du mal absolu. (ca c’est peut être volontaire pour la sortie du jeu).
Perso je trouve aussi les nouveaux graphismes un peu trop Playmobil.
Sinon ca semble etre toujours le même jeu… Donc achetez le 2 ou offrez le 3.