Trois ans après le succès monstre de Fire Emblem: Three Houses, Nintendo et Intelligent Systems reviennent déjà avec un nouvel opus qui compte capitaliser sur un héritage d’une série trentenaire… encore assez nichée il n’y a pas si longtemps. Fire Emblem Engage est-il un spin-off All-Stars ou véritable épisode qui se suffit à lui-même ? C’est plus compliqué qu’il n’y paraît.
Charge, Enfant de Dragon
Dans la sphère des Tactical RPG japonais, la série des Fire Emblem a une place plutôt à part. Déjà parce qu’il s’agit d’une véritable relique du catalogue Nintendo dont les prémisses datent de 1990, mais surtout parce que, malgré un statut culte, la licence n’a jamais été un succès commercial flagrant. Il aura fallu attendre Awakening en 2012 servi par le parc gigantesque de la 3DS pour que la série perce une brèche sur le marché grand-public. Pourtant, tout indiquait qu’il s’agissait de l’épisode de l’ultime espoir, avant que la franchise ne rejoigne les limbes du back catalogue de Big N, aux côtés de F-Zero ou Mother.
Mais c’est Three Houses qui a véritablement rebattu les cartes, s’inspirant d’autres JRPG pour mieux remettre en avant l’une des forces de Fire Emblem : l’attachement que le joueur peut ressentir vis-à-vis des personnages, tout en gardant cette influence sur la narration si des héros venaient à mourir de façon définitive. Bon, cet aspect punitif a été lissé – voire rendu optionnel – depuis quelques épisodes, mais il est toujours grisant de se retrouver à assumer les conséquences de son incompétence. De délicieux moments de déprimes en perspective.
Dans la sphère des Tactical RPG japonais, la série des Fire Emblem a une place plutôt à part.
Sans Koei Tecmo au développement, on se demandait bien vers quelle direction allait se diriger Engage. Outre les rappels évidents aux protagonistes des épisodes canoniques précédents, la structure représente également une sorte de retour aux sources. Cela se joue au détriment de l’histoire et de la narration, avec des dilemmes et des embranchements malheureusement absents, mais le gameplay retrouve enfin sa richesse… quitte à être un brin opaque pour les débutants. Pour ceux-là, je recommande plutôt Three Houses, dont l’histoire et le gameplay social permettront de les garder en haleine jusqu’au bout.
Mais à force de vouloir tout de même intégrer des éléments du dernier carton Fire Emblem qui lui sont désormais indissociables, Engage est face à une quasi-crise d’identité et en fait clairement trop sur des aspects mineurs. Quand les phases sociales de l’École des Officiers étaient parfaitement intégrées à la progression, celles du dernier opus Switch nous font frôler l’indigestion, à la limite du feature creep. On peut passer facilement des heures dans le hub central de Somniel sans engager le moindre combat, résultant un sacré hachage dans le rythme.
Pourtant, vous êtes au bon endroit pour votre dose de tactical à la profondeur assez vertigineuse.
Emblématique
Déjà, l’iconique triangle des armes revient au centre du gameplay, avec un twist en prime : utiliser la bonne arme sur la bonne cible peut occasionner un brise-armure, empêchant l’unité de contre-attaquer pour le reste du tour, permettant de concentrer sa puissance de frappe de façon intelligente. Mais attention, l’ennemi en est capable également, ce qui oblige à être plus vigilant que jamais sur son positionnement. La disparition de la durabilité rendent certaines options un peu trop fortes, mais c’est chouette que le triangle soit remis en avant, puisqu’il s’agit tout de même l’épine dorsale de la série.
De plus, avec remaniements de l’interface ici et là, Engage fait un travail remarquable sur le confort de jeu en donnant un accès facile aux données du champ de bataille les plus importantes. D’un simple coup d’œil, il est aisé d’être conscient des menaces les plus sérieuses, des synergies entre héros, et même de comprendre instinctivement les conséquences des mécaniques les plus insolites, incarnées par les fameux Emblèmes.
L’iconique triangle des armes revient au centre du gameplay, avec un twist en prime.
On dit adieu aux bataillons de Three Houses qui accompagnaient les héros pour simuler un vrai champ de bataille, et on les remplace par des héros débarqués d’une dimension parallèle. Si vous jouez à Smash, vous en connaissez trop quelques-uns : Marth, Roy, Ike, Corrin, Lucina, Byleth ou encore Lyn. Au nombre de 12, les emblèmes sont contenus dans des anneaux qui constituent le McGuffin du synopsis, permettant aux héros équipés de profiter temporairement de capacités spéciales passives et actives. De fait, leur implication n’est pas vraiment directe, mais le côté Stand de Jojo’s Bizarre Adventure est plutôt rigolo.
L’intérêt des anneaux est presque triple : non seulement elles permettent d’utiliser des attaques surpuissantes et des compétences utilitaires très pratiques, mais aussi de démultiplier les options tactiques d’une unité. Attribuer Lyn, un Emblème focalisé sur les dégâts physiques bruts, à un mage peut paraître saugrenu, mais cela permet de profiter d’une classe secondaire qui peut sauver les miches à un instant T. Mais l’attribuer à un personnage du même acabit pour le boost de stats est totalement valide également.
Non seulement [les Anneaux d’Emblème] permettent d’utiliser des attaques surpuissantes et des compétences utilitaires très pratiques, mais aussi de démultiplier les options tactiques d’une unité.
Les Anneaux d’Emblème apportent une flexibilité assez impressionnante à la composition de son équipe, qui ne cesse de prendre de l’épaisseur au fur et à mesure que l’on récupère toujours plus d’anneaux et accède à davantage de classes avancées. En plus du système de soutien qui fait son retour, les Emblèmes nouent des liens avec leur porteur, pouvant alors hériter de bonus permanents. Ensuite, il n’y a plus qu’à faire tourner les anneaux pour que tout le monde en profite sur le long terme.
On prend un plaisir fou à trouver de bonnes combinaisons et peaufiner son roster entre les missions, tout en allant épuiser les escarmouches, sessions d’entraînement – sans risque de permadeath – et missions secondaires pour aller chercher l’XP et de nouvelles recrues. Quelques pics de difficulté se font bien sentir, mais en mode normal, tout devrait bien se passer sans être obligé de grinder comme un fou.
Aspect social, tu perds ton sang froid
Malheureusement, comme dit dans l’introduction, cette envie d’être exhaustif a parfois de quoi rendre antipathique : il y a beaucoup, beaucoup trop de choses possibles à faire dans le hub central de Somniel, au point de plomber le rythme de la campagne, sans parler des dissonances ludo-narratives qui vont avec. Pourquoi enchaîner sur un chapitre d’histoire à propos d’une urgence à régler, quand on peut se faire une partie de pêche, tout en discutant de la pluie et du beau temps avec ses compagnons d’armes ? Pour une narration qui se veut plus linéaire, à l’instar des opus classiques, cette décision est forte étrange.
Pour la faire courte, on peut : participer aux discussions de support, créer des anneaux de lien, ramasser des matériaux répartis aux quatre coins de la carte, faire la tambouille, aller dans sa chambre pour que des gens nous regardent dormir (c’est chelou), polir ses anneaux (c’est plus gênant que ça en a l’air), faire de l’exercice avec des mini-jeux nuls, faire un tour de wyvern dans un mini-jeu de rail shooter nul, se faire tirer les cartes, offrir des cadeaux, aller caresser la mascotte du hub, faire du sparring entre unités, faire du sparring avec les emblèmes… J’ai menti, ce n’était pas court.
Cette envie d’être exhaustif a parfois de quoi rendre antipathique : il y a beaucoup, beaucoup trop de choses possibles à faire dans le hub central de Somniel.
Si on veut tirer parti à fond de la progression et être au top avant chaque bataille, il faut répéter TOUTES ces actions le plus souvent possible, alors que les nouvelles phases d’exploration post-combat sont déjà assez redondantes et chronophages comme ça. La Tour des Épreuves enfonce alors le clou avec des tunnels de bataille interminables, bien que cela représente le principal contenu post-campagne de Fire Emblem Engage, en plus de proposer du contenu multijoueur asynchrone PvP et coop. Il est même possible de créer et partager ses propres cartes personnalisées.
Si on peut trouver quand même un intérêt à se la couler douce à Somniel, la magie n’opère clairement pas comme avec Garreg Mach de Three Houses, à se demander si singer Three Houses sur ce point était vraiment nécessaire. C’est surtout du côté des personnages bien moins développés que le bat blesse. Si on peut tout de même se trouver quelques chouchous, la qualité d’écriture et leur personnalité unidimensionnelle ne donne pas vraiment envie de s’y attacher… quand le chara design n’est tout simplement pas raté, le protagoniste avec ses cheveux bi-goût en tête.
On peut quand même se trouver quelques chouchous, mais la qualité d’écriture et la personnalité unidimensionnelle des personnages ne donne pas toujours envie de s’y attacher… quand le chara design n’est tout simplement pas raté.
Il en va de même pour l’implication des personnages dans l’histoire. Certains semblent importants au début du récit, mais s’effacent malheureusement bien trop rapidement. Bien sûr, écrire des dialogues en prenant en considération que certains peuvent disparaître à jamais est un exercice sûrement difficile, mais c’est bien dommage, parce qu’en dehors des phases de discussions optionnelles (pas toujours intéressantes), on ne profite jamais vraiment d’eux. Je n’avais pas ressenti ça dans Three Houses… qui savait faire plus avec moins, paradoxalement. Heureusement que les romances sont toujours de la partie, parce qu’on sait que vous brûlez de déclarer votre flamme à votre waifu/husbando préféré(e). Et même avec des personnages du même genre !
Et puis, le roster s’allonge à une vitesse infernale. Il est toujours sympa de voir de nouvelles têtes, mais si les derniers personnages recrutés sont toujours à jour face à la montée en puissance du gameplay, ça donne le mauvais réflexe de laisser les premiers personnages derrière, obligeant à farmer de l’expérience et les envoyer au casse-pipe pour éviter qu’ils soient trop à la traine. Et ce ne sont pas les Anneaux de lien et son système gacha pas franchement intéressant – et méga cher en ressources – qui permet réellement de corriger vraiment le tir.
Le shonen des Anneaux
J’ai l’impression d’en faire des caisses, mais il fallait vraiment que j’évacue ces frustrations de mon système, parce qu’on va enfin pouvoir aborder l’histoire en elle-même.
Ce n’est pas qu’elle est “mauvaise” ; comme tout JRPG avec pas une bonne durée de vie (minimum 40 heures pour la campagne), on finit par s’attacher au récit et à la progression du protagoniste qui se révèle en tant que grand leader, mais il y a des ficelles scénaristes bien cheapos, partout, tout le temps. Le conflit conté par Fire Emblem Engage a déjà été mené par le Dragon divin 1000 ans auparavant, mais tandis que l’histoire se répète, on nous joue le coup de l’amnésie pour mieux nous introduire le monde d’Etyos… découpé en 4 biomes bateaux qui ne servent qu’à porter la quête pour les Anneaux d’Emblèmes.
L’envie de créer un récit avec les rebondissements chers à la série est bien là, mais au détriment de twists prévisibles et des Emblèmes… bah, qui n’ont finalement pas vraiment leur mot à dire.
Justement, on sent que les développeurs ont eu peur que le titre n’assume pas son côté nostalgique et ont brodé une histoire dans le seul but de justifier l’implication des Emblèmes. Pourtant, l’envie de créer un récit avec les rebondissements chers à la série est bien là, mais au détriment de twists prévisibles et des Emblèmes… bah, qui n’ont finalement pas vraiment leur mot à dire. Leur passé étant seulement abordé dans des missions, une fois de plus, optionnelles.
Ce n’est ni une bonne madeleine de Proust pour les fans de la première heure, ni une bonne introduction sur les mécaniques narratives propres à la série pour les néophytes… et c’est bien dommage. Bien sûr que des personnages sortent du lot ; évidemment qu’on s’attache à Alear dont la perte de mémoire réserve quelques surprises ; il était écrit qu’on allait apprécier l’apparition des protagonistes d’anciens épisodes à l’occasion des 30 ans de la série… mais le tout est sacrément foutraque.
Un Marth, et ça repart
Fire Emblem Engage offre peut-être l’expérience tactical RPG signature de la série la plus poussée à ce jour, malheureusement desservie par une narration qui reste bien trop commune, et ce malgré la promesse d’un trip nostalgique à travers 30 ans d’héritage. Véritable fourre-tout, le titre arrive à proposer une courbe de progression grisante et un gameplay d’une profondeur insoupçonnée, tandis que son aspect social n’arrive malheureusement pas à la cheville de Three Houses.
Ce qu’on a aimé :
- Système de combat à l’apogée de son art
- Anneaux Emblèmes qui apportent une flexibilité inédite
- Interface ultra complète sans être bordélique
- Très joli, avec des animations fluides et immersives
- N’a pas peur de la mise en scène
- Il y a de quoi s’occuper entre les combats…
Ce qu’on n’a pas aimé :
- … trop, au point de ne pas respecter le temps du joueur
- Durabilité des armes absente
- Progression des Emblèmes trop contraignante par aspects, et pas assez sur d’autres
- Chara-design et personnalités des héros pas toujours au top
- Héros des précédents opus en retrait
- Histoire souvent prévisible et pas toujours passionnante
- Pas simple à aborder pour les néophytes
Ce jeu est fait pour vous si :
Vous aimez Fire Emblem, son système de combat et ses mécaniques de progression
Ce jeu n’est pas fait pour vous si :
Ce qui vous plaisait le plus dans Three Houses, c’était l’aspect social à la Persona
WarLegend.net a bénéficié d’une copie presse fournie par l’éditeur de ce jeu.
Configuration de test :
Fire Emblem Engage sera disponible le 20 janvier sur Nintendo Switch.