Après les Evil Within, Tango Softworks reste dans le domaine de l’angoisse avec Ghostwire: Tokyo, mais cette fois, l’ésotérisme et le surréalisme sont bien réels : les mythes et légendes japonais existent et profitent du fait que l’ensemble de la population de Shibuya ait disparu pour reprendre leurs droits.
Soul Society
Vous êtes Akito, un jeune tokyoïte qui part rendre visite à sa sœur à l’hôpital. En foulant le célèbre carrefour géant de Shibuya, une étrange brume recouvre soudainement le quartier le plus dense de Tokyo, ne laissant derrière elle que les vêtements de ses habitants sur le sol.
Akito aurait dû connaître le même sort, mais c’était sans compter sur l’âme d’un certain KK qui a trouvé refuge dans son corps… particulièrement familier au monde des esprits. Le nouveau locataire fournit alors certains pouvoirs à Akito, et ils ne seront pas de trop pour se défendre face aux Visiteurs qui ont envahi les rues de Shibuya, des manifestations spectrales nées des ondes négatives qui émanent de la société japonaise.
Une étrange brume recouvre soudainement le quartier le plus dense de Tokyo, ne laissant derrière elle que les vêtements de ses habitants sur le sol.
Akito et KK devront donc apprendre à collaborer pour trouver l’origine du phénomène… et tenter de sauver les pauvres âmes des habitants de Shibuya désormais dispersés aux quatre coins du district (240 300, pour être précis). Parce que le hasard fait bien les choses, il s’avère que la sœur du jeune héros naïf serait au centre d’une machination qui expliquerait tout ça, mais KK aurait peut-être ses propres objectifs.
Bon, coupons court à la présentation du scénario, parce que si le constat de départ est suffisamment impressionnant pour accrocher, le reste est particulièrement convenu. Le stéréotype des deux personnages qui cohabitent dans le même corps fonctionne pendant un temps, non sans sens de la camaraderie et sans humour (et l’utilisation du haut-parleur de la DualSense participe pas mal), mais les petites interactions rigolotes liées au contexte deviennent rapidement répétitives. Pour peu que l’on se sente investi par cette quête de sauver Shibuya et la sœur d’Akito, la narration va tout de même parfois bien trop vite pour son propre bien.
Le stéréotype des deux personnages qui cohabitent dans le même corps fonctionne pendant un temps, non sans sens de la camaraderie et sans humour.
En vrai, le plus gros argument qui pourrait vous faire essayer Ghostwire: Tokyo, c’est bel et bien une recréation bluffante de Shibuya, particulièrement immersive grâce à une vue à la première personne réussie. C’est d’autant plus surprenant si on prend en compte que ce point de vue est largement sous-représenté dans l’industrie japonaise (et ce n’est pas pour me déplaire).
En déambulant dans les rues vides de Shibuya, levant les yeux au ciel pour apercevoir les énormes panneaux publicitaires qui continuent de vouloir vendre des produits à des personnes qui n’existent plus, on est happé par l’ambiance ésotérique du titre, les opportunités de narration environnementales étant particulièrement légions grâce aux nombreux vêtements laissés sur le sol et les voitures crachés, mettant l’accent sur le fait que le phénomène a été très soudain.
En déambulant dans les rues vides de Shibuya, on est happé par l’ambiance ésotérique du titre.
Même si l’ancienne directrice créative Ikumi Nakamura – et la coqueluche de l’E3 2019 – a qualifié Ghostwire: Tokyo de spooky lors de la révélation du titre, ce n’est pas vraiment le cas. Certes, l’ambiance éthérée de certaines scènes surréalistes dignes du studio et le comportement malsain des Visiteurs peut parfois laisser inconfortable, voire perplexe, mais provoquent que très rarement la peur. Si vous étiez persuadé que le dernier titre de Tango Softworks était aussi un survival-horror, vous m’en voyez navré.
Mais bon sang, ce que le monde est vaste et proche de l’original ! Je me suis beaucoup amusé à comparer la carte du terrain de jeu avec Google Maps, et si vous n’avez pas eu l’occasion de visiter la métropole japonaise ces deux dernières années (pour d’obscures raisons), Ghostwire: Tokyo pourrait être un palliatif assez intéressant, sublimé par une belle maîtrise technique. M’enfin, ne vous attendez pas à voir les rues aussi vides dans la réalité.
Si vous n’avez pas eu l’occasion de visiter la métropole japonaise, Ghostwire: Tokyo pourrait être un palliatif assez intéressant, sublimé par une belle maîtrise technique.
Que vous soyez au niveau du sol ou sur le toit d’immeubles, vous dégainerez souvent le mode photo (assez pauvre en fonctionnalité, j’en ai peur), subjugué par la qualité des éclairages et le reflet des lumières de la ville sur le bitume humide. Bon, le titre use et abuse peut-être des effets de ray tracing, mais ça en jette.
Sur PlayStation 5, on est même surpris de voir pas mal de préréglages graphiques, selon si vous préférez privilégier la résolution ou les performances pour du gameplay jusqu’à 60 FPS. Dans le deuxième cas, l’image est parfois brouillonne, mais on est surtout déçu par des baisses de framerate assez violents, généralement liées au rendu de la ville à longue distance. Heureusement que cela n’arrive que rarement pendant les combats, mais ne vous attendez pas à un framerate solide capé à 60 images par seconde.
Tango avec les yōkais
Cette proximité avec le matériau d’origine est peut-être aussi une des raisons pourquoi la formule open-world de Ghostwire: Tokyo n’est pas aussi excitante qu’elle aurait pu l’être. Avec 240 300 âmes dispersées absolument partout dans la ville (ramassées par paquets de 100), on dirait que les développeurs ont lâché une pincé de sel au-dessus de la carte du quartier avant de marquer l’emplacement des grains.
De fait, on a constamment l’impression d’être d’un enfant hyperactif lâché dans la plus grande chasse aux œufs de Pâques du monde, où la moindre activation de la vue spectrale nous invite à ramasser un truc dans une ruelle, puis dans une autre, puis au milieu d’une rue adjacente et ainsi de suite…
On a constamment l’impression d’être d’un enfant hyperactif lâché dans la plus grande chasse aux œufs de Pâques du monde.
La crise de boulimie s’arrête éventuellement quand on doit trouver une cabine téléphonique (un des nombreux clins d’œil intéressants sur la relation entre la modernité et tradition) pour sécuriser les âmes secourues par le biais du fax (à peu près), mais on peut rester happé par cette boucle de gameplay con comme la lune pendant de longues minutes.
Et comme beaucoup d’autres mondes ouverts du même genre, l’environnement perd alors beaucoup de son charme lorsqu’on n’interagit plus qu’avec l’interface du jeu, et on enchaîne le ramassage de babioles tandis qu’on n’avait même pas remarqué qu’on était au pied du Shibuya Sky, ou qu’on avait foulé le fameux square du monument d’Hachiko. C’est dommage, parce que l’amour du détail est bel et bien là.
L’environnement perd alors beaucoup de son charme lorsqu’on n’interagit plus qu’avec l’interface du jeu.
De même, la navigation n’est pas vraiment un exemple de fluidité non plus, handicapée par une carte particulièrement imbuvable. Techniquement, Akito peut grimper absolument n’importe où, donnant pas mal de verticalité à l’ensemble, saupoudré de puzzle jumps pour stimuler la collecte d’âmes qui sont parfois perchées, mais le concept n’est jamais réellement vraiment poussé.
Des Tengus – aux cris franchement pénibles quand on se balade à proximité – permettent de se hisser directement sur les toits, histoire d’avoir de la hauteur et profiter de la vue, mais là encore, en dehors de quelques activités, cette promesse de flexibilité et de liberté est souvent en contradiction avec les emplacements fixes des dits Tengus. Techniquement, le jeu veut nous permettre d’aller absolument n’importe où (avec de l’escalade pas toujours claire et précise), mais soit cette possibilité est freinée, soit elle est terriblement sous-exploitée.
Le jeu veut nous permettre d’aller absolument n’importe où, mais cette possibilité est soit freinée, soit terriblement sous-exploitée.
Heureusement, en dehors de la trame principale qui aurait mérité un peu plus d’espace, les quêtes secondaires sont là pour rythmer un peu le tout ça qu’on on arrive à s’extirper de la boucle infernale de “ramassage de miettes”. Si vous êtes là pour profiter à fond de l’ambiance de Ghostwire: Tokyo, concentrez-vous d’abord sur eux.
Chaque mission secondaire est scénarisée et permet d’en découvrir plus sur le bestiaire du folklore japonais qui profite de l’absence des humains pour occuper un peu l’espace. Malgré des mises en situation d’enquête assez prenantes, le forme reste malheureusement d’un classicisme dommageable, avec de simples points sur la carte à suivre pour remplir les objectifs.
Chaque mission secondaire est scénarisée et permet d’en découvrir plus sur le bestiaire du folklore japonais.
C’est lors des missions que l’on retrouve le savoir-faire Tango Softworks aperçu dans les Evil Within : de purs moments psychédéliques qui retournent le cerveau, jouant avec la réalité du quotidien à Tokyo pour mettre en avant l’ésotérisme de la culture japonaise.
Chasser le kappa, découvrir la véritable nature d’un oni, comprendre l’étrange teinte rouge d’un cerisier en fleur, ou encore retrouver un esprit domestique volé par un proprio peu scrupuleux, toutes ces missions permettent à des esprits perdus de retrouver le chemin vers l’au-delà, avec des dénouements parfois drôles, mais souvent touchants.
Parce que les gérants des konbinis sont également absents, les nekomatas ont décidé de prendre le relais.
Enfin, l’ambiance du titre passe aussi par la nature des autres créatures que vous croiserez… à savoir les pauvres chiens et chats laissés à l’abandon, avec qui vous pourrez discuter grâce aux pouvoirs de KK. Parce que les gérants des konbinis sont également absents, les nekomatas ont décidé de prendre le relais pour vous permettre d’acheter régulièrement de précieuses ressources de combat… quitte à vous envoyer chercher de la camelote aux quatre coins de Shibuya.
Oh, et vous avez également des tanukis cachés un peu partout dans la ville à débusquer, parce que le concept même d’open-world à checklist n’était pas déjà assez ronflant comme ça. Après avoir fini l’intrigue principale, Ghostwire: Tokyo a beaucoup de mal à vous motiver à le terminer à 100%, à moins que des éléments cosmétiques pour un FPS et des poses pour le mode Photo vous fassent vraiment envie.
Gōsutobasutāzu
Heureusement, Ghostwire: Tokyo propose un système de combat unique. Mais là encore, malgré de bonnes idées et de l’action plus soutenue qu’on ne l’aurait cru, la proposition manque terriblement de profondeur, avant de se révéler être particulièrement répétitive.
En fait, on pourrait résumer le gameplay de Ghostwire: Tokyo par “et si des Japonais créaient un FPS à l’action pêchue ?“. Mine de rien, cela participe énormément au charme d’un gameplay résolument unique, ce qui mérite le coup d’œil, malgré les faiblesses citées plus haut.
On pourrait résumer le gameplay de Ghostwire: Tokyo par “et si des Japonais créaient un FPS à l’action pêchue ?“.
Le début du jeu n’est pourtant pas des plus palpitant : Akito ne peut lancer que des sorts de vents, des projectiles rectilignes qui font peu de dégâts, les munitions sont rares et les Visiteurs encaissent comme des cochons. Après quelques heures d’un ennui peu rassurant, on débloque rapidement l’ensemble des types de projectiles (vent, feu, eau et un arc) et on commence enfin à s’amuser. Le mélange des sorts offre même un joli spectacle, sublimé par d’impressionnantes animations des mains.
Avec des couches tactiques qui se révèlent de façon inattendue, les combats poussent régulièrement à la réflexion sur la meilleure manière de vaincre les Visiteurs en fonction de leur comportement et de leur position, chaque sort élémentaire ayant une fonction bien précise dans les combats. J’oserais même dire qu’on s’approche d’une formule classique, mais particulièrement efficace d’un DOOM… mais on est loin de la nervosité d’un DOOM Eternal.
Chaque sort élémentaire a une fonction bien précise dans les combats.
En effet, Akito se traîne lamentablement des pieds durant les affrontements, et bien que les attaques des Visiteurs soient télégraphiées, vous n’aurez pas vraiment d’options défensives en dehors d’une garde qui ne bloque qu’un pourcentage des dégâts sans un timing parfait (sans parler du temps d’adaptation aux animations étranges des Visiteurs)… ou passer votre temps à marcher à reculons, rappelant les pires moments de la saga Serious Sam.
Honnêtement, même après 20h de jeu, je continue à m’accroupir en plein combat en essayant d’esquiver, en vain, puisque la fonction n’existe tout simplement pas. Si vous êtes habitué aux shooters nerveux qui se sont multipliés ces dernières années, Ghostwire: Tokyo risque d’aller plus d’une fois à l’encontre de vos réflexes de joueurs.
Ghostwire: Tokyo risque d’aller plus d’une fois à l’encontre de vos réflexes de joueurs.
Une fois qu’on a fait la connaissance de l’ensemble du bestiaire et qu’on maîtrise les outils à disposition, Ghostwire: Tokyo connaît tout de même un moment de grâce où tout clique et on s’amuse beaucoup. Les combats n’insultent jamais l’intelligence du joueur, ce dernier cherchant sans cesse les meilleures opportunités pour arracher un maximum de cœurs de Visiteurs d’un seul geste. En bref, c’est parfois vraiment le pied.
Mais ce moment d’apogée – assez difficile à encapsuler – ne dure qu’un temps car, comme dans tous les open-worlds de ces dernières années, l’incontournable arbre des compétences vient faire sa tambouille pour diluer un gameplay qui avait pourtant beaucoup de potentiel : les combats poussifs deviennent jouissifs, avant d’être rapidement rébarbatifs et sans challenge (notamment à cause d’un manque de variété chez les ennemies). Akito devient toujours plus puissant, mais les Visiteurs ne suivent pas la cadence, et les modificateurs de gameplay apportées par l’évolution du personnage finissent par tuer le plaisir de jeu.
L’incontournable arbre des compétences vient faire sa tambouille pour diluer un gameplay qui avait pourtant beaucoup de potentiel.
Les choses s’aggravent davantage quand les munitions ne représentent plus un problème et que les talismans, des consommables achetables un peu partout, permettent de remporter les combats d’un seul geste, donnant même la possibilité de cheese même les ennemis les plus coriaces. Et augmenter la difficulté du jeu n’y changera pas grand-chose.
À Shibuya, il n’y a pas âme qui vive
Ghostwire: Tokyo est une curiosité au charme fou, mais qui est handicapé par un open-world bien trop classique et un système de combat bien trop inégal. Errer dans les rues de Shibuya à la quête d’âmes à sauver et de créature mythologiques à découvrir fonctionne très fort pendant un temps, mais l’intérêt du titre est ébranlé dès qu’il est à court de nouvelle bizarrerie à offrir au joueur. La narration et le sens de la mise en scène peuvent vous pousser à achever la quête d’Akito, mais Ghostwire: Tokyo aura beaucoup de mal à vous motiver de continuer d’explorer les rues de la métropole japonaise ensuite. C’est dommage pour Tango Softworks, parce qu’on sent qu’un risque a été pris en s’attaquant à deux genres auxquels il n’était pas familier. Et c’est tout à leur honneur.
Ce qu’on a aimé :
- Immersion totale dans les rues de Shibuya
- Incursion de la mythologie japonaise dans un monde contemporain
- Mise en scène héritée des Evil Within
- Alchimie plaisante entre Akito et K.K…
- Des quêtes principales et secondaires prenantes et qui donnent du rythme…
- Système de combat atypique qui a ses moments…
- Exploration entièrement libre et verticale…
- Un FPS par des Japonais, ce n’est pas rien
- Une finition bienvenue
- VF de très bonne facture
Ce qu’on n’a pas aimé :
- Premières heures poussives
- Structure open-world d’un classicisme mortel
- … mais le scénario n’est pas incroyable non plus
- … mais dont l’exécution reste peu passionnante
- … mais qui perd de son intérêt bien trop vite
- … mais bien trop sous-exploitée
- Des boss pas bien passionnants
- Framerate tout sauf stable sur PS5, même en mode Performance
Ce jeu est fait pour vous si :
Vous attendez impatiemment la réouverture des frontières japonaises.
Ce jeu n’est pas fait pour vous si :
Vous avez soupé des open-worlds à checklist ; “un FPS, c’est avec des guns, et pis c’est tout”.
WarLegend.net a bénéficié d’une copie presse fournie par l’éditeur de ce jeu.
Configuration de test :
- PlayStation 5 Standard Edition
Ghostwire: Tokyo sera disponible le 25 mars sur PC et PlayStation 5.