Que ce soit pour sortir des placards de vieilles licences ou s’imposer sur des genres et concepts ayant le vent en poupe, ce bon vieux Square Enix semble s’épanouir dans l’édition de AA en cette fin d’année. Et forcément, il fallait bien faire un petit tour du côté de la ferme. Signé Live Wire, Harvestella nous embarque dans une aventure à la Final Fantasy, avec cristaux et sauvetage du monde, mais sans jamais oublier d’avoir la main verte.
Héro(ine) des cristaux et des haricots
Parler d’Harvestella comme d’un Final Fantasy auquel on aurait injecté du Harvest Moon tiendrait presque de l’euphémisme. Dès les premières minutes, on se voit propulser dans un univers on ne peut plus familier : un(e) héros-ine mystérieux(se) (nous), un monde en danger, et des cristaux. L’histoire prend place sur une planète où résident 4 cristaux géants, nommés Lumicycle, qui gouvernent les saisons et donc la vie elle-même. Pas de bol, ces derniers déraillent sans crier gare : le cycle naturel des saisons s’en voit bouleversé, mais pire encore, chaque changement saisonnier s’accompagne du “Quietus”, une poussière de lumière mortelle émise par ces mêmes Lumicycles.
Au final, le plus intéressant sur le plan de l’histoire réside dans l’étonnante capacité d’Harverstella à nous impliquer dans la vie des habitants
Des prémices qui suscitent l’intérêt, avant de nous embarquer dans un scénario on ne peut plus convenu — bien qu’il parvienne à surprendre à quelques reprises, surtout vers la fin. On incarne le classico classique personnage amnésique, inexplicablement immunisé à l’apocalypse saisonnière, avec de surcroît des visions d’une mystérieuse fille qui semble détenir les clés du mystère autour des Lumicycles. Très vite, on croise le chemin d’un autre personnage énigmatique, un Augure — des êtres craints de tous — qui finit par nous accompagner dans nos aventures.
Au final, le plus intéressant sur le plan de l’histoire réside dans l’étonnante capacité d’Harverstella à nous impliquer dans la vie des habitants. Chacune des villes est l’épicentre d’une multitude de quêtes visant à nous plonger dans le quotidien de différents personnages. Contrairement à ce qu’on aurait pu attendre d’un J-RPG de cet acabit, rares sont les quêtes bêtes et méchantes avec pour seul intérêt l’obtention d’une petite bourse de grillas (la monnaie du jeu). La plupart du temps, ces objectifs secondaires servent les enjeux de l’histoire en nous en engageant au sein des diverses communautés que l’on rencontre. Parfois drôle, souvent touchant, le récit d’Harvestella , au délà de ses défauts, sait nous émouvoir.
Il est alors d’autant plus dommageable que cette plaisante immersion se prennent un mur technique : outre les quelques soucis d’aliasing ci et là, Harvestella souffre d’une sérieuse carence en modèles de pnj. D’une ville à l’autre, les personnages partagent une apparence identique ; rien que le trio d’enfants du début — avec pourtant tout une suite de quêtes à leur sujet — se voit calquer un peu partout. Pour dire, le titre ne prend même pas la peine de changer les coupes de cheveux.
En dehors des protagonistes et quelques exceptions, on a donc bien du mal à s’enticher de ces doppleganger en pagaille, pourtant pas si mal loti au niveau de l’écriture.
Despicable me
On se moque des pnj dupliqués, mais fort est de constater que le joueur n’est pas spécialement plus gâté. Si on se réjouit de voir la possibilité d’incarner un personnage non binaire, cette bonne volonté se veut malheureusement desservie par un créateur extrêmement limité. Apparence féminine ou masculine, coupe et couleurs de cheveux, couleurs des yeux…ce sont là les seuls éléments personnalisables. Un sacré coup manqué pour un jeu venu faire un pas en avant dans l’inclusivité.
N’espérez pas non vous en tirer à meilleur compte plus tard : il n’y a aucun véritable moyen d’apporter une touche personnelle à l’apparence de son personnage. En dehors des changements vestimentaires qui accompagnent les différentes spécialités de combat – qui ne sont effectifs qu’en donjon – vous allez devoir vous contenter de la même tenue tout du long.
Si on se réjouit de voir la possibilité d’incarner un personnage non binaire, cette bonne volonté se veut malheureusement desservie par un créateur extrêmement limité.
Dans l’ensemble, Harvestella échoue là où les autres jeux du genre simulation de vie réussissent sans trop de mal, à savoir infuser l’agréable sentiment du “chez-soi”. Tout l’aspect “vie à la ferme” s’avère des plus basiques : au fil des jours qui passent, on laboure, on plante, on arrose, et on récolte. La ferme peut être agrandie, égayée par de “jolies” barrières, quelques biomes s’ajoutent plus loin dans le jeu — pour des récoltes bien spécifiques — tandis que l’ont peut gérer son enclos à bétails. Pour autant, qu’il s’agisse de la ferme ou de la maison, il n’y a quasi aucune marge de manœuvre pour sa petite session art & déco.
Pas de meubles à placer, d’éléments décoratifs à accrocher au mur, ou même de chaise longue pour se prélasser au soleil entre deux explorations de donjons. Notre petit coin de paradis n’a alors qu’une fonction de hub, où l’on cuisine ses petits plats, forge ses outils, avant de venir taper un somme pour la nouvelle journée.
C’est aussi le seul endroit où l’on peut générer des grillas (en dehors des quêtes). Aussi, pas de jolies pièces d’or jonchées sous les cadavres de petits monstres innocents : gagner sa croûte requiert de déposer des objets dans le coffre d’expédition, dont les bénéfices se récupèrent le lendemain. Tout est susceptible d’offrir un petit pécule, bien que les graines et récoltes soient de loin le plus rentables ; s’occuper de la ferme est donc d’autant plus primordial.
Qu’à cela ne tienne, tout le système autour de la ferme se montre efficace, à défaut de réinventer la roue. Cependant, au vu de la place qu’elle prend dans le design du jeu, on regrette d’autant plus cette absence presque criminelle de gestion décorative, pourtant si prisée dans ce genre. Le titre en devient même fallacieux, avec cet immense grenier que l’on pense naïvement pouvoir aménager à notre guise, alors qu’il se révèle n’être rien de plus qu’un vulgaire dépôt pour nos trophées.
Agriculture à l’huile de coude
Le véritable atout d’Harvestella est sans nul doute son attirant mélange RPG et simulation de vie. Une fois vos oignons récoltés, vos petits plats préparés et vos cloches de retour prêtent à l’emploi, il est temps pour la grande aventure, celle avec un grand A.
Au fil de l’histoire, on est amenés à explorer une multitude de donjons, où nombre de vilaines bestioles nous attendent de pied ferme. Vient alors le système de combat reposant sur un système de spécialités (de jobs, pour les aficionados) : combattant, mage, sage, offensif, mécanicien… ce sont pas moins de 12 “classes” différentes qui s’offrent à nous, à mesure que l’on rencontre les différents compagnons de voyage.
Le véritable atout d’Harvestella est sans aucun doute son attirant mélange RPG et simulation de vie
Il est possible d’en équiper trois, qui peuvent alors être changés à la volée lors des affrontements. Cela offre une bien sympathique variété de gameplay, tandis que le choix des spécialités exerce un impact non négligeable selon les situations, au-devant des buffs qu’ils peuvent nous conférer, ou des malus qu’ils peuvent infliger aux ennemis. Par ailleurs, plus on les utilise, plus on engrange de points avec ; on s’en sert alors pour débloquer de nouvelles capacités et améliorations.
Malgré cette base relativement solide, le système de combat laisse un arrière-gout de trop peu. Ici, pas d’esquive ou de roulade (par vraiment), on tape — si possible avec le bon élément — et on encaisse. Pas vraiment de combos non plus : les attaques normales et les techniques ne jouissent pas de la relation de combo habituelle, avec ce léger laps de temps à respecter entre les deux actions. Une absence de vrais enchaînements à laquelle on attribue une certaine cassure dans le rythme, pour des combats souffrant dans l’ensemble d’un manque de dynamisme, de patate !
On ressent néanmoins cette envie de proposer un gameplay simple d’accès, loin des prises de notes compulsives pour obtenir son build optimal et ses 2 points d’attaques supplémentaires. La gestion du personnage se joue essentiellement sur les spécialités, sans même qu’on ait besoin de gérer d’équipements — si ce n’est 2 emplacements d’accessoires. L’arme demande juste d’être améliorée auprès de la forgeronne, avec des matériaux dont l’obtention se fait sans suer, au fil de la progression.
Bien sûr, certains y verront là les marques d’un RPG sans doute trop édulcoré, dont s’est soustraite toute réelle profondeur. Et en l’état, on ne saurait leur donner tort, tant Harvestella aplanit tout ce qui fait de lui un jeu de rôle — jusqu’à même retirer la gestion des compagnons, si ce n’est les inclure ou les exclure du groupe. Pour autant, c’est aussi là la direction prise par le titre de Live Wire qui vise davantage la relaxe que les injections d’adrénalines.
On trouve toutefois les “Peurs”, des monstres plus que coriaces qui demandent une bonne préparation — et souvent plus de niveaux — avant de s’y frotter. À côté, les boss viennent aussi pimenter les choses sur fond de mécaniques bien à eux, nous sortant un peu du “tape et encaisse” prédominante. Ces ennemis assez coriaces intègrent quelques éléments de gameplay supplémentaires, tel que “l’interruption”, un état déclenché par les tatanes en série auxquels ils sont vulnérables, qui augmente les dégâts qu’ils reçoivent pendant un temps.
Loin d’être à jeter, la partie action d’Harvestella se contente du minimum syndical ; du haut de son système de spécialités bien pensé, le titre aurait gagné à rendre ses combats plus enivrants.
L’amour est dans les pixels
Comme les trailers avaient pu le laisser paraître, Harvestella ne brille pas par sa technique. À bien des égards, on peine à croire qu’il s’agit d’un titre de 2022, le plus flagrant étant ces animations de personnages vieillottes, dont chaque frame rappelle la grande modestie du budget. Le moindre mouvement se veut rigide au possible, même lors des cinématiques où une simple marche soulève des questions quand à la potentielle présence d’un long objet là où vous savez.
Ces lacunes techniques s’avère néanmoins en grande partie comblée par cette direction artistiques ô combien charmante. Le jeu expose une esthétique forte et plaisante, avec laquelle on apprécie découvrir chaque nouvelle zone, en particulier les villes aux des identités très marquées. Un bonne opportunité de mentionner la très belle bande-son signée Go Shiina (Code Vein, God Eater…); des coeurs du Sancturaire de Corail, au percussion épique des boss en passant par la mélancolie des ballades en ville, chaque piste d’Harvestella se montre d’une délicieuse justesse.
Un jolie minois et de la bonne musique, c’est exactement ce qu’il fallait pour apprécier le généreux contenu d’Harvestella
Un joli minois et de la bonne musique, c’est exactement ce qu’il fallait pour apprécier le généreux contenu d’Harvestella. Parce que s’il y a bien une chose qu’on ne peut lui enlever, c’est son envie de nous en donner toujours plus. Rien que l’histoire principale et la bonne tenue de la ferme devrait vous tenir pas moins d’une quarantaine d’heures ; ajoutez à cela la multitude de quêtes mentionnées plus haut, les larges donjons qui demandent à être explorés à plusieurs reprises , les quelques collectibles dissimulés un peu partout, les tâches commanditées par les fées, et on en passe, et vous voilà dans l’incapacité de vous ennuyer.
Il y a même une longue suite de quête pour chacun de nos compagnons de voyage, qui permet d’augmenter notre niveau d’intimité avec eux, avec à la clé diverses récompenses et des statistiques augmentées. Le but ultime de ces quêtes étant de choisir le ou la partenaire avec qui l’on souhaite vivre une idylle, bien heureux dans notre ferme.
L’étoile sans le berger
Dans l’ensemble, Harvestella maîtrise son concept. Le mélange de genres affiche une symbiose appliquée où chacun des aspects s’imbrique et se répond efficacement, à travers une histoire touchante portée par une remarquable affection pour ses quêtes annexes. Mais si on lui pardonne ses errances techniques — oui, même les duplicatas en folies de PNJ — grâce entre autres à son esthétique charmeuse, on déplore l’amertume de ses combats tout comme l’absence quasi totale de personnalisation, que ce soit pour notre personnage ou pour notre ferme. Ni très bon, ni très mauvais, Harvestella s’avance comme une sympathique expérience qui ne parvient pas, malgré toute sa bonne volonté, à faire fleurir son (grand) potentiel.
Ce qu’on a aimé :
- Une esthétique des plus charmante
- La bande-son : une douceur auditive
- Les quêtes annexes qui apportent une vraie plus-value
- Généreux en contenu
- Gameplay efficace…
- La possibilité d’avoir un personnage non-binaire…
- Une histoire pleine d’émotions…
Ce qu’on n’a pas aimé :
- …mais trop simpliste
- …servi par un créateur de personnage beaucoup trop limité
- …bien qu’en grande partie très banal
- La gestion de la ferme qui manque de profondeur ( et de déco)
- Les animations des personnages : vieillottes et rigides au possible
- Les 4 ou 5 modèles de PNJ qui se battent en duel
- Manque cruel d’option graphique (PC)
Ce jeu est fait pour vous si :
Vous voulez vivre une aventure riche en émotion, en agriculture et en Totokaku.
Ce jeu n’est pas fait pour vous si :
Vous cherchez de la profondeur de gameplay dans un jeu qui n’est pas techniquement à la ramasse.
WarLegend.net a bénéficié d’une copie presse fournie par l’éditeur de ce jeu.
Configuration de test :
- GPU : Nvidia RTX 3080 Ti
- CPU : Ryzen 7 5800X
- RAM : 16G0 DDR4
- Installé sur SSD
Harvestella est disponible sur Nintendo Switch et PC.