Attendez, vous êtes en train de me dire que Tango Gameworks, les types qui ont fait The Evil Within et Ghostwire: Tokyo, viennent de shadow drop un beat’em up à la Devil May Cry ? Étrange, mais pourquoi pas. Comment ça ? C’est coloré, bien animé et à des années-lumière d’une ambiance horrifique ? Carrément inattendu, mais on va dire que le changement est toujours bienvenu. C’est un jeu de rythme en plus ? C’est un Kamoulox, vous vous foutez de moi.
Shadow Drop D
Alors que le premier Developer_Direct de Microsoft était censé être un simple aperçu des jeux qui vont bientôt paraître sur les plateformes Xbox, la présentation du 25 janvier avait pourtant une annonce dans sa manche : un certain Hi-Fi Rush, développé par Tango Gameworks, sans doute en parallèle de Ghostwire: Tokyo. Pas le temps de respirer face à ce grand-écart intellectuel, le live nous apprend que le titre est d’ores et déjà disponible sur PC et Xbox Series, tout en étant bien sûr inclus dans le Game Pass.
Le petit miracle qui entoure Hi-Fi Rush, au-delà de sa tronche improbable quand on connaît le studio derrière, c’est que personne n’était au courant de son existence. Bethesda ne l’avait révélé à personne, journalistes compris, et même les informateurs qui en ont vaguement entendu parler quelques semaines avant son annonce sous le nom de code Project Hibiki n’étaient pas certains de l’expérience qui serait alors proposée. Tu m’étonnes.
Le petit miracle qui entoure Hi-Fi Rush, au-delà de sa tronche improbable quand on connaît le studio derrière, c’est que personne n’était au courant de son existence.
Hi-Fi Rush est donc un Beat’em Up 3D qui s’inspire fortement d’un Devil May Cry ou d’un Bayonetta, sans oublier un certain Metal Gear Rising au passage. Cela passe bien évidemment par une structure couloir dans laquelle on alterne entre arènes et phases de plateforming, mais aussi par une mise en scène omniprésente et assez surprenante à bien des égards.
Sans la maestria d’un Capcom ou d’un Platinum Games, il est difficile d’imaginer que Hi-Fi Rush pourrait rivaliser face à des franchises qui sont actuellement à l’apogée de leur art, surtout venant d’un studio dont le sens du gameplay n’est pas connu pour être son point fort… mais le studio de Shinji Mikami avait un atout dans sa manche : “et si on rajoutait une notion de rythme dans notre Bayo May Cry ?”
Le studio de Shinji Mikami avait un atout dans sa manche : “et si on rajoutait une notion de rythme dans notre Bayo May Cry ?”
En voilà une idée bien saugrenue, mais une fois qu’on a le jeu en main, on ne se pose plus qu’une question : pourquoi personne n’y a-t-il pensé avant ?!
Celui là, il va jusqu’à 11
Chai est un jeune homme un peu idiot, mais plein d’entrain, prêt à tout pour devenir une rockstar. Le truc, c’est qu’il ne sait pas jouer de guitare, mais il est certain qu’il en a l’attitude. Chai, c’est ce protagoniste d’un dessin animé des années 90/2000 qu’on adore détester : son design semble générique au premier abord, mais son assurance couplée à une certaine maladresse finissent par en faire un personnage profondément attachant.
C’est ça, Hi-fi Rush est un véritable anachronisme qui débarque après 20 ans de stase, un jeu de l’ère PS2/Dreamcast qui souhaite à tout prix transmettre sa cool attitude et sa bonne humeur de façon maladive. Alors que les joueurs sont de plus en plus cyniques quand il est question d’inclure de l’humour dans un jeu vidéo (c’est aussi un peu la faute des éditeurs et des studios), le titre de Tango Gameworks écrit et réalisé par John Johanas arrive à s’extirper du lot en étant à la fois – très – drôle, et surtout sincère dans son approche.
Hi-fi Rush est un véritable anachronisme qui débarque après 20 ans de stase, un jeu de l’ère PS2/Dreamcast qui souhaite à tout prix transmettre sa cool attitude et sa bonne humeur de façon maladive
Bien entendu, il arrive des bricoles à Chai : sélectionné pour un obscur programme de développement de prothèses robotiques, l’aspirant rockstar se retrouve malencontreusement fusionné avec son baladeur MP3 (une relique du passé, pour les plus jeunes). J’ai dit “malencontreusement” ? Cette anomalie lui octroie alors d’étranges pouvoirs musicaux, chose que ne tolère pas la mégacorporation toute puissante à l’initiative du projet.
Traqué, mais dégourdi, Chai se fraie alors un chemin en dégommant tous les robots de sécurité qui lui barre la route à coups de guitare magnétique, découvrant que l’entreprise prépare de sombres desseins. À l’instar de sa direction artistique cel shading étonnamment maîtrisée et ses ondes positives, la structure de Hi-Fi Rush est également un peu à l’ancienne, alternant phases de plateformes et arènes, mais forcé de constater que le titre profite d’un… rythme qui nous garde scotchés à la manette pendant presque 10h.
Forcé de constater que Hi-Fi Rush profite d’un… rythme qui nous garde scotchés à la manette pendant presque 10h.
Le ton est léger, il n’y a pas un seul gros mot qui est lâché pendant les nombreux dialogues qui accompagnent de façon judicieuse l’action, mais l’histoire a les reins suffisamment solides pour être engageante, servie par d’autres personnages hauts en couleur, aussi bien parmi les alliés que les différents boss qui dirigent Vandelay Technologies. Oh, et servis par une localisation française intégrale et de qualité, avec Benoît Du Pac – un certain Onizuka-sensei – qui prête sa voix au protagoniste un peu idiot. Quelques soucis de direction, mais dans l’ensemble, cela renforce efficacement l’humour des dialogues.
Si le fond reste assez en surface sur le récit du sabotage d’une énième megacorp qui cherche à dominer le monde, l’écriture sur sa forme est d’une richesse étonnante, surtout du côté de l’humour qui arrive à jongler entre références culturelles, musicales, easter eggs, set-ups/pay-offs, slow-burns, foreshadowing, et plein d’autres anglicismes barbares qui souligneront à quel point le jeu sait être drôle sans jamais forcer la moindre vanne ou blague, même quand il s’agit de se moquer du médium en lui-même. Mais c’est surtout du côté du slapstick qu’on se bidonne le plus.
L’écriture sur sa forme est d’une richesse étonnante, surtout du côté de l’humour.
Ces gags visuels sont délivrés par des animations de très haute volée aux effets visuels crayonnés, inspirées de techniques modernes vues dans Spider-Verse ou les dernières productions Arc System Works. Mais elles mettent surtout en avant une mise en scène délirante, omniprésente et qui ne parasite jamais vraiment le gameplay, voire le sublime par moment. Même certains écrans de chargement sont camouflés derrière de véritables dessins animés qui contribuent au rythme effréné de Hi-Fi Rush.
Il faut tout de même un moment pour s’habituer à ce framerate qui essaie de singer l’animation traditionnelle, mais dans les faits, cela envoie régulièrement de sacrées ondes positives… surtout que la progression n’est pas avare en surprises en tout genre. Plus d’une fois, je me suis surpris à être incapable de réfréner un sourire béat à une fulgurance de mise en scène (en rythme avec la musique !), ou une variation de gameplay que l’on n’a absolument pas pu anticiper. Ça parlera aux fans de Bayonetta ou Metal Gear Rising, je vous dis.
Plus d’une fois, je me suis surpris à être incapable de réfréner un sourire béat à une fulgurance de mise en scène (en rythme avec la musique !).
Il y a heureusement des coupures qui permettent de respirer, mais dans l’ensemble, chaque niveau va crescendo jusqu’au climax, un concept qu’on peut d’ailleurs appliquer à la structure entière du jeu. On peut tout de même leur reprocher d’être parfois trop longs, et de désamorcer certaines attentes (une fois même assumé par une vanne bien trouvée), surtout que la musique a tendance à être un peu trop répétitive d’une phase à l’autre. Un comble pour le concept même d’Hi-Fi Rush, mais heureusement que les idées ne manquent pas pour lisser ce défaut.
The Perfect Drug
Si je parle autant en premier lieu de la mise en scène et de l’humour de Hi-Fi Rush, c’est parce que ces points a priori secondaires qui ont pris une place quasi centrale sur ma façon d’apprécier le jeu… mais bien évidemment, le gameplay n’est pas en reste.
Vous l’aurez compris, Hi-Fi Rush est un jeu où le rythme a une importance capitale, mais ce n’est pas un véritable jeu de rythme pour autant. Certes, il y a des phases de gameplay qui s’inspirent directement d’un PaRappa the Rapper ou Space Channel 5, mais le concept rythmique sert surtout à encadrer son système de combat, surtout son ressenti du feedback.
Le concept rythmique sert surtout à encadrer son système de combat, surtout son ressenti du feedback.
Plutôt que de masher les boutons comme le ferais un jouer lambda nul de beat’em up, Hi-Fi Rush invite à déclencher ses attaques sur le rythme de la musique qui accompagne l’action, sur un ou deux temps en fonction de la puissance. Mais l’idée de génie du titre de Tango Gameworks, c’est que le joueur n’est jamais vraiment puni pour jouer hors du tempo, mais récompensé quand il fait l’effort de l’être.
Mais le fait est que, même si on n’a pas vraiment la fibre musical, tous les éléments du jeu se mettent à contribution pour aider le joueur à ressentir la pulsation, au point qu’il serait même possible de jouer sans musique : Chai oscille et claque des doigts, tous les détails du décor pulsent, les ennemis agissent aussi en rythme, et les attaques sortent forcément sur le tempo. Et comme ce dernier est souvent rapide, ce magnétisme contraignant sur le papier est très rarement ressenti, grâce à des animations soignées, stylisées, et un feedback aussi percutant qu’agréable.
Même si on n’a pas vraiment la fibre musical, tous les éléments du jeu se mettent à contribution pour aider le joueur à ressentir la pulsation.
Grâce à différents modes de difficulté clairs et bien équilibrés, tout le monde peut y prendre son pied sans frustration. Le titre aime un peu trop prendre le joueur par la jambe pour bien tout lui expliquer, mais des outils de combat sont ajoutés tout le long de la progression, en parallèle d’ennemis introduits toujours dangereux. Ajoutez une boutique de compétences avec quelques modificateurs de gameplay et autres extensions de réservoirs, et vous avez une expérience qui s’étoffe de façon exponentielle jusqu’au boss final.
Tout de même, la profondeur du gameplay n’est pas vraiment comparable à un Devil May Cry ou un Bayonetta, mais son exécution dans Hi-Fi Rush le rend assez unique et complémentaire. Il y a toujours des petits trucs à apprendre pour devenir meilleur et maîtriser des combats de plus en plus complexes, notamment grâce à des arènes à la composition d’ennemis variée qui obligent à établir mentalement une liste de cibles prioritaires. Puis quand le jeu introduit un système de parade basé sur le rythme et un grappin qui permet des combos aériens spectaculaires, rien ne va plus.
La profondeur du gameplay n’est pas vraiment comparable à un Devil May Cry ou un Bayonetta, mais son exécution dans Hi-Fi Rush le rend assez unique et complémentaire.
Évidemment, les boss de Vandelay sont aussi les stars de Hi-Fi Rush, ponctuant l’aventure de moments forts, chacun apportant un style d’affrontement différent, voire très différent, sans trop en vouloir en révéler. Un jeu de rythme s’illustre aussi par sa bande son, et que ces confrontations sont l’occasion de s’en mettre plein les oreilles avec du Nine Inch Nails, The Prodigy ou The Black Keys. La pop rock énergique est particulièrement prédominant dans les compositions originales, mais il arrive que l’arrière-plan musical s’emballe pour quelque chose de plus électronique ou orchestral, avec l’effet de surprise qui va avec.
Toutefois, il arrive tout de même à Hi-Fi Rush de faire des fausses notes, trahis par son pacing qui se veut à tout prix varié et généreux. Je parlais plus haut de niveaux trop longs, mais il y a aussi des soucis de design qui peuvent gâcher un peu le plaisir de jeu si on ne fait pas l’effort de s’y adapter, comme des arènes vraiment déséquilibrées, des sauts à la physique assez perturbante et l’intérêt tactique des alliés à invoquer qui est soit trop puissants si on les invoque tous en même temps, soit superflus dans leur usage primaire. Mais là, franchement, je pinaille.
Il arrive tout de même à Hi-Fi Rush de faire des fausses notes, trahis par son pacing qui se veut à tout prix varié et généreux.
La générosité se retrouve aussi dans le contenu du jeu qui donne l’impression de ne jamais s’arrêter. Une fois terminé, Hi-Fi Rush invite à relancer quelques niveaux pour trouver les nombreux secrets qu’ils renferment, comme les éléments nécessaires pour accéder à la “vraie” fin. Je conçois que je spoil un peu, mais à l’instar d’un mode Tour des épreuves qui devrait plaire aux amateurs de scoring , et un système de nombreux skins à débloquer, à sa manière, Hi-Fi Rush veut s’assurer que vous profitiez à fond d’une sacrée ride.
Quand le beat nous met une pile
Il y a trop de – bonnes – surprises qui entourent Hi-Fi Rush pour tous les définir ici, mais qui aurait cru que Tango Gameworks était capable de sortir un beat’em up aussi créatif, dynamique et résolument unique ? Le système de combat basé sur le rythme est très agréable à prendre en main, tout juste accessible pour plaire au plus grand nombre, mais en étant assez profond pour offrir le même spectacle que l’on voit dans les autres jeux du genre. Toutefois, c’est surtout pour sa direction artistique cartoon, son game design anachronique, son humour maîtrisé, ses personnages attachants et ses folles idées de mise en scène que le titre risque de ne pas quitter votre esprit. Et puis, avec un tarif de 30€ et déjà disponible via le Game Pass, vous me feriez vraiment beaucoup de peine de ne pas vous y essayer.
Ce qu’on a aimé :
- Animations et direction artistique cartoon sublimes
- Absolument tout est basé sur le rythme
- Système de combat accessible, mais profond
- Mise en scène qui n’a pas de frein
- Que c’est drôle, bon sang
- Générosité et sens du détail débordants
- Bande-son rock lancinante…
Ce qu’on n’a pas aimé :
- … qui boucle pas mal dans les niveaux les plus longs
- Mécanique d’alliés mal équilibré
- Quelques affrontements mal conçus
- Thème de la musique curieusement peu abordé
- Ça ne se fait pas de teaser quelque chose qui n’arrive jamais. DEUX FOIS. (mais c’était drôle, j’avoue)
Ce jeu est fait pour vous si :
Vous aimez les surprises ; vous aimez vos jeux vidéo qui vont droit au but, sans fioritures ; vous êtes nul à Bayonetta.
Ce jeu n’est pas fait pour vous si :
Vous n’avez pas l’ambition d’être une rockstar.
Configuration de test :
- GPU : NVIDIA RTX 2080 Ti
- CPU : Intel Core i9-9900k
- RAM : 32 Go DDR4
- Installé sur SSD
Quelques sessions ont été jouées sur Steam Deck, avec un framerate solide de 60 FPS sans même avoir besoin d’user de méthode de supersampling.
Hi-Fi Rush est disponible sur PC et Xbox Series S|X.