Que ce soit parmi les jeux de plateformes 2D à la sauce pixel art ou ceux qui embrassent la célèbre formule perfectionnée par FromSoftware, les exemples sont légions. Pourtant, avec sa direction artistique et ses animations de haute volée, Moonscars se jette dans la mêlée avec de sérieux atouts pour sortir du lot.
Au clair de la lune, mon amie Irma
Jeu d’action-plateforme à l’orée d’un Souls et d’un Blasphemous, Moonscars est aussi sombre que cruel. À travers son style gothique, ses thématiques morbides et sanglantes, le titre de Black Mermaid désire plus que tout nous torturer au glas des monstruosités d’argiles et des pièges mortels.
Dans cette aventure macabre, on incarne Irma la grise, dont la mémoire lui fait défaut à bien des égards, notamment sur sa propre existence; sa seule certitude réside dans son besoin de trouver le Sculpteur, personnage ô combien énigmatique qui détient les clés du mystère la concernant, mais aussi des tourments affligeant le monde.
Comble du bonheur, Irma est une argiléene, un golem d’argile possédant une âme, lentement mais surement consumée par la faim. Dark Fantasy oblige, ce n’est pas là une appétence qui saurait être satisfaite par un bon steak: les argilèens se nourrissent de la mort de toute créature, dont ils extraient “l’ichor”, substance qui leur sert alors de sang.
Sans en dévoiler plus, Moonscars nous conte un récit où personnages tourmentés, traîtrise, et épidémie sont au cœur de l’intrigue. Au-devant d’une approche plutôt intéressante sur ce qui fait sa thématique principale, à savoir l’immortalité, on obtient une histoire captivante qui parvient à nous tenir en haleine jusqu’au bout… si tant est qu’on arrive à la suivre. En effet, malgré une écriture qu’on ne saurait déprécier, la narration apparaît très décousue et semble vouloir nous perdre à chaque intersection scénaristique. Les personnages paraissent souvent générer des informations aléatoires, tandis que beaucoup d’événements peuvent se succéder sans qu’on en comprenne vraiment la pertinence — certes, parfois de manière tout à fait intentionnelle.
En résulte inévitablement une légère anarchie textuelle dans nos pauvres esprits, déjà malmenés par la moindre bestiole croisant notre chemin. Loin de demander un effort de compréhension titanesque pour assimiler les tenants et aboutissants de l’histoire, Moonscars demande à ce qu’on s’accroche un tant soit peu. Fort heureusement, son sublime pixel art et son gameplay bien ficelé rendent la tâche bien moins frustrante.
Ichor, j’adore
Si ce n’était pas clair jusque-là, Moonscars est un jeu qui apprécie la sobriété. Outre le ton du récit, c’est surtout sa peinture de pixels gothique qui lui donne cette identité gracieusement obscur. Qu’on se le dise, il serait criminel de ne pas souligner la beauté de ce pixel art; en dépit de la surabondance de couleurs sourdes, le titre délivre un somptueux jeu de nuances ternes duquel vient s’extirper avec brio les quelques couleurs vives (le sang, les sorts, les éléments de décors…), venant accentuer leur impact sur nos rétines. Bref, c’est beau et on en redemande.
Ce style singulier se retrouve jusque dans les cinématiques qui, bien que l’on s’en tienne à des plans statiques se succédant, renforcent l’identité artistique du jeu.
Il serait criminel de ne pas souligner la beauté de ce pixel art
Mais la générosité de Moonscars envers notre rétine ne s’arrête pas là: Black Mermaid a fait un travail remarquable sur les animations. D’une incroyable fluidité, elle ne tombent jamais dans la surenchère et appose aux diverse attaques et mouvements ce cachet féroce qui nous laisse apprécier chacune de nos actions. Que ce soit les sprint endiablés d’Irma, ses coups d’épée dévastateurs ou ses sorts d’ichor, ils donne droit à de superbe visuels qui nous en font ressentir chaque impact.
Là où le bat blesse (juste un peu) c’est peut-être ce léger arrière goût de monotonie que nous laisse les environnements. Il faut dire qu’avec chaque pixel baignant dans le lugubre, il est bien difficile de voyager. Pour autant il serait incongru de penser que c’est l’objectif de Moonscars : à défaut de biomes diversifiées, le titre utilise la morosité de ces décors pour établir une ambiance pesante, oppressante. Piles de cadavres, membres humains gisant sur le sol, pique ensanglantées et autres joyeuseté du même acabis sont de subtils rappelles qu’on ne sortira pas indemne de l’aventure.
Piles de cadavres, membres humains gisant sur le sol, pique ensanglantées et autres joyeuseté du même acabis sont de subtils rappelles qu’on ne sortira pas indemne de ce monde.
Les ennemis eux aussi ont la tête de l’emploi : du fantassin plus mort que vivant au colosse enragé, en passant par les gredins volants, Moonscars fait ce qu’il faut pour qu’on se sente chez soi. L’ensemble du “bestiaire” ne se veut pas extrêmement fourni, mais tend néanmoins vers un juste milieu, tout à fait en accord avec l’univers dépeint.
Les boss ne sont pas en reste, car outre leur aisance déconcertante à nous étriper, ceux-ci font la part belle au macabre. Mention spéciale à un certain boss criard qui pose l’ambiance à lui tout seul.
Souloidvania
Progresser dans un univers où mort et désolation règnent en maître demande un certain doigté. Black Mermaid présente Moonscars comme un jeu de plateforme 2D auquel on a insufflé l’essence souls-like. On retrouve en effet bon nombre d’ingrédients de la recette FromSoftware : les ennemis réapparaissent à chaque mort, des miroirs servent d’équivalent aux feux de camp, on engendre de la “poudre d’os” à chaque adversaire pourfendue — qui nous sert de monnaie —, la zone hub o eu se retrouvent différents pnj, et bien sûr, l’expérience d’un univers impitoyable.
Pour autant le gameplay ne se contente pas de reprendre les règles Soulsborne et apporte ses propres éléments, histoire de façonner l’identité du titre. Par exemple, il y a cette sympathique idée d’être récompensé à mesure que l’on reste en vie : plus l’on progresse et fracasse du vilain sans faillir, plus on obtient de bonus de statistiques (plus de critiques, plus de soins, coût des sorts baissés, etc.).
Armée de son épée, Irma dispose d’un panel d’attaque au fond assez classique, avec des coups légers, un coup chargé, un sprint (qui sert d’esquive) et une parade. À cela s’ajoute une attaque spéciale sous la forme d’une arme secondaire (lance, harpon, marteau et espadon) ainsi que la sorcellerie dont on débloque les sorts avec la poudre d’os. Il y’a donc de nombreuses manières d’aborder les combats, et le titre y fait largement appel en nous incitant à utiliser tout cet arsenal à bon escient.
Mais plus qu’un souls-like, Moonscars c’est aussi un élève du fameux style Metroidvania, avec son exploration non linéaire et ses pans de progressions liés à des événements et objets précis, le tout dans un monde interconnecté qui, dans une moindre mesure, fait appel au backtracking. On profite ici d’un level design bien pensé ; la progression se veut globalement intuitive, sans qu’on ait vraiment besoin de la carte pour s’y retrouver. Bien entendu, l’exploration est encouragée puisque de nombreux passages secrets sont à dénicher.
Ce qui est sûr, c’est que Moonscars souhaite nous en faire baver, à l’instar de ses inspirations. Le titre s’avère dans l’ensemble très difficile, parfois peut-être trop pour son propre bien, au point on le trouverait presque injuste.
Chacun des ennemis a de quoi gêner notre avancée, mais ceux qui posent problème sont les petits rigolos en bande organisés. Apprendre à utiliser efficacement la parade et l’esquive devienne sans surprise très vite essentiel, et comme dit plus haut, on se doit de faire usage de tout l’arsenal à notre disposition. Le matraquage de coups d’épée ne mène en effet qu’a peu de chose ; beaucoup d’adversaires diablement coriaces y sont même presque insensible, là où la magie fait des miracles.
Moonscars s’avère dans l’ensemble très difficile, parfois peut-être un peu trop pour son propre bien, au point où on le trouverait presque injuste.
Et si la sorcellerie peut nous sortir des situations les plus délicates, son utilisation n’est pas sans condition. Déjà, même les sorts basiques ont un coût élevé, ne laissant place à aucune sorte de spam salvateur. Quoi qu’il arrive, il faut donc faire parler l’épée, dans la mesure où c’est en portant des coups aux ennemis que l’on régénère sa barre d’ichor. Quant aux sorts les plus destructeurs, ces derniers demandent un temps d’incantation assez long (toute proportion gardée) ; face à plusieurs créatures bien énervées, ils s’avèrent alors difficiles à utiliser sans avoir bien prévu le coup.
À noter que la jauge d’ichor ne sert pas uniquement à balancer des boules de feu : c’est aussi notre outil de soin. Le cœur du gameplay repose ainsi sur la gestion de cette jauge ; être couard devient aussi fatal qu’une mandale de trop.
La partie où l’ont pourrait venir hurler à l’injustice réside dans ces phases où le nombre important d’ennemis et leur effroyable coordination visent autant le physique que le mental. Assassins rapides en bas, gargouilles volantes résistant aux coups d’épée en haut, les situations où l’on se sent très vite submergé sont nombreuses, d’autant que les dégâts que l’on subit frise parfois le déraisonnable. À noter que l’ont peut toutefois les abattre instantanément si l’on parvient à les pousser sur les différents pièges mortels — que l’on cherche déjà à éviter en temps normal.
D’ailleurs, dans ses tentatives de ne pas avoir le label du Souls-like bête et méchant, Moonscars passe aussi par quelques maladresses de design. Je pense notamment aux miroirs, dont la première activation nous ôte notre capacité spéciale — tout comme nos augmentations de stats durement gagner — qu’on ne peut alors récupérer qu’en terrassant notre clone. Une idée en somme plutôt bonne si on ne devait pas se la coltinait à CHAQUE nouveau miroir. Cela devient vite une mécanique redondante, à l’intérêt plus que limité, même d’un point de vue scénario.
Dans son désir de ne pas avoir le label du “souls-like bête et méchant”, le jeu passe aussi par quelques maladresse de design.
Par ailleurs, on a droit à un système similaire à celui de la “Tendance du monde” de Demon’s Souls, à ceci prêt qu’il n’y a ici que deux états, Pleine lune et Lune affamée. Passer de vie à trépas active ce second état, alors représenté par une lune de sang, ayant pour effet de rendre les ennemis plus formidables encore, certains devenant même rouge sang — et donc doublement puissant. Point positif, venir à bout des monstres dopés à la lune octroie davantage de poudre d’os. Fort heureusement, redonner à la lune son état d’origine demander d’utiliser un simple ganglion, un autre collectible qui, bien qu’en quantité limitée, se trouve en grand nombre tout au long du jeu.
Mais ce qui va sans aucun doute être la mise à mort de plusieurs manettes, ce sont les affrontements face aux boss du jeu. La plupart d’entre eux s’avèrent extrêmement difficiles, bien plus qu’on ne l’aurait cru de prime abord. Les coups vicieux sont légions, les dégâts souvent astronomiques, tandis qu’esquiver et parer demande une concentration absolue. Je pense personnellement à “Wanda la douce”, qui m’a demandé une quinzaine d’essais et quelques crises de nerfs avant de sortir victorieux.
Malgré tout, à défaut d’être relaxants, les combats de boss sont fichtrement bien réussis ; la tension constante entre la facilité à voir venir certains coups et parvenir à les gérer au milieu d’autres attaques plus “discrètes” en font (d’une certaine manière) des défis savoureux. À l’image d’un Soulsborne, c’est un vrai sentiment de satisfaction qui nous attend lorsqu’on en vient à bout.
Faut pas être dans la lune
Dans les rangs des titres qui reprennent dans les grandes lignes la formule Souls-like, Moonscars n’est probablement pas le plus exceptionnel du lot. La narration fait défaut à une histoire prenante ; la difficulté, certes maîtrisée dans l’ensemble, sonne par moment les cloches de l’injustice, tandis que le titre fait preuve de maladresse concernant certaines mécaniques censées lui donner du cachet. Pour autant, celui-ci ne manque pas d’honnêteté dans son approche. Sa magnifique noirceur portée par un pixel art dantesque laisse apprécier chaque parcelle de ce monde macabre, là où son gameplay solide exprime un amour profond pour les genres dont il s’inspire. Ajoutez-y des combats de boss bien foutus, et c’est on obtient une aventure intense en enfer dont on ne ressort pas indifférent.
Ce qu’on a aimé :
- L’esthétique pixel art gothique clinquant
- Une ambiance lugubre et oppressante
- Profondeur de gameplay appréciable
- Les animations : oh mama !
- Histoire captivante…
- Défi très relevé…
Ce qu’on n’a pas aimé :
- … malgré une narration bien trop décousue
- … parfois beaucoup trop
- Le clone à chaque miroir : la fausse bonne idée
Ce jeu est fait pour vous si :
L’esthétique dark pixel art vous parle et que la mort vous manque.
Ce jeu n’est pas fait pour vous si :
Vous tenez à garder votre manette en vie pour un jeu dont vous comprenez l’histoire.
WarLegend.net a bénéficié d’une copie presse fournie par l’éditeur de ce jeu.
Configuration de test :
- GPU : Nvidia RTX 3080 Ti
- CPU : Ryzen 7 5800X
- RAM : 16G0 DDR4
- Installé sur SSD
Moonscars est disponible sur PS4, PS5, Xbox one, Xbox Series X/S, Nintendo Switch et PC.