Un jeu tactique prenant pour théâtre l’espionnage durant la guerre froide, cela faisait longtemps que j’attendais d’en voir un digne de ce nom pointer le bout de son nez. Phantom Doctrine est arrivé, et j’attends toujours.
Hier ne meurt jamais
Phantom Doctrine part d’une intrigue somme toute assez classique : une organisation judicieusement appelée “The Conspiracy” contrôle le monde depuis l’ombre, “The Cabal” veut la mettre en échec en zigouillant ses agents. Ainsi est dépeint le 1983 imaginaire de Creative Forge Games. Vous aurez ainsi pour mission de découvrir les tenants et aboutissants de cette guerre d’ombres en commençant par choisir l’un des deux camps emblématiques proposés : la CIA ou le KGB, sachant qu’une troisième faction vient s’ajouter après une première histoire achevée.
Après avoir choisi entre les gentils et les gentils, vous êtes invité à créer votre personnage grâce à un éditeur sommaire mais sympathique. Il s’agit probablement de l’une des phases du jeu où j’ai pris le plus de plaisir (eh oui…). Quel bonheur de retrouver les grosses lunettes aviateur fumées et autres coupes mulet ! Ajoutez-moi un Borsalino, une clope au bec et la panoplie est complète.
Quel bonheur de retrouver les grosses lunettes aviateur fumées et autres coupes mulet ! Ajoutez-moi un Borsalino, une clope au bec et la panoplie est complète.
L’ambiance est respectée dès les premiers instants avec des salles sombres et cela se prolonge dans le jeu via les missions, toujours en pleine nuit. La musique de Marcin Przybylowicz (The Witcher 3) accompagne le tout avec talent et… répétitivité.
Dans l’ensemble, l’atmosphère est donc au rendez-vous et malgré un scénario ne brillant pas par son originalité, on apprécie dérouler son fil pour peu qu’on soit adepte des histoires d’espionnage.
Voyages aux Îles Figées
Pour réaliser la narration, Creative Forge Games s’appuie sur des dialogues radio ainsi que sur des cinématiques 2D et 3D. Pour ces dernières, on sent les limitations techniques assez franchement, notamment avec des visages figés en une expression. Malgré tout, il n’y a pas des centaines de gros plans non plus.
En mission, les graphismes n’ont pas à rougir puisque les cartes sont bien représentées, de même que les éléments du décor et les personnages. Sans être exceptionnels, il font très bien le travail.
En revanche, dès qu’il s’agit de se déplacer, les personnages sont un petit peu rigides – et cela se ressent d’ailleurs dans le gameplay avec des agents qui mettent une plombe à parcourir une distance alors qu’on a placé le curseur le plus loin que l’on pouvait.
James Bond Beurp
Le vrai souci chez Phantom Doctrine – et il faut avouer que c’est quand même couillon -, c’est son gameplay. Répétitif, pas tellement novateur malgré ses prétentions et bourré d’incohérences.
Commençons par ce qui est bien. Phantom Doctrine introduit un système de “Brèche” qui consiste à faire irruption dans une pièce toutes armes dehors pour au moins deux agents. Le résultat est bien entendu le meurtre de ce qui se trouve dans la pièce en question. On est en plein dans la bonne vieille scène d’action cinématographique.
À côté de cela, le titre de Creative Forge Games se vante de ne rien laisser au hasard concernant les tirs, une allusion à peine dissimulée à XCOM (notre test d’XCOM 2) et consorts. Non, tant qu’à faire, autant proposer un système encore plus mal branlé. Dans Phantom Doctrine, TOUS les tirs atteignent leur but mais occasionnent des dégâts différents. Pour les éviter, vous avez un montant d’acuité, qui sert également à réaliser des actions. En gros, avec une acuité au maximum, vous avez une chance d’éviter un tir. Dans le cas contraire, vous prendrez un minimum de dégâts pourvu que l’ennemi puisse vous tirer dessus – et il le peut beaucoup, j’y reviendrai.
Creative Forge Games se vante de ne rien laisser au hasard concernant les tirs […]. Non, tant qu’à faire, autant proposer un système encore plus mal branlé.
D’une part cela signifie que tous les tireurs du jeu sont des cracks (et non, nous n’affrontons pas que des agents surentraînés) et, d’autre part, il s’agit d’un système terriblement frustrant puisque même derrière une couverture intégrale, on peut se prendre une bastos très facilement, les blessures engendrant parfois des malus. L’intention, en soi, est bonne ; la réalisation est aux fraises.
Punaise, on l’a presque épinglé !
Avant de parler des missions, parlons de ce qu’il y a autour. Une mappemonde vous propose plusieurs destinations qui, régulièrement, vont afficher un point d’exclamation signalant qu’il y a là quelque chose digne d’intérêt. Vous pourrez donc envoyer vos agents afin de mener l’enquête et récupérer ainsi des informations, trouver des agents adverses ou neutraliser des menaces pesant sur la localisation de votre base. En effet, votre QG est secret mais The Conspiracy cherche en permanence à vous localiser pour vous éliminer, un peu comme les aliens de XCOM cherchent à attaquer votre vaisseau. Cet aspect est un peu rébarbatif puisqu’il revient à cliquer un peu partout et dispatcher des agents tout en attendant que les voyages de ceux déjà partis soient terminés.
Il est par ailleurs possible de gérer ses agents via leur équipement mais aussi leur identité. En effet, chaque voyage les rapproche d’une révélation de leur identité, ce qui les met en danger. Vous devrez donc régulièrement leur fabriquer de faux papiers pour lesquels vous pourrez choisir le nom, la photo et la nationalité.
Là commence la longue liste des incohérences de Phantom Doctrine. On est dans un jeu d’espionnage, pas vrai ? Alors quelqu’un peut-il m’expliquer en quoi il est crédible de donner à un homme blanc une photo d’homme noir, un nom russe et une nationalité japonaise ? Enfin je veux bien qu’il y ait des cas particuliers mais sans déconner je n’ai eu aucun problème à faire 10 agents complètement incohérents.
On est dans un jeu d’espionnage, pas vrai ? Alors quelqu’un peut-il m’expliquer en quoi il est crédible de donner à un homme blanc une photo d’homme noir, un nom russe et une nationalité japonaise ?
Un élément vraiment accrocheur de Phantom Doctrine, du moins au départ, est son tableau d’enquêtes. Vous allez récupérer des documents secrets au fil de vos missions et ceux-ci devront être décodés et épinglés sur ledit tableau. Le jeu vous fournit parfois des mots mystères, mais souvent vous devez parcourir les documents afin de dégager des noms suspects. Ensuite, vous devez relier les punaises avec un fil de laine pour arriver à trouver la réponse au mystère.
Quel mystère ? Dans le fond, on ne sait pas vraiment et on s’en fout un peu – c’est bien ce qui est dommage – puisque le résultat varie, allant du nouvel agent disponible au recrutement au loot d’équipement (pas forcément nouveau). L’enjeu tombe alors complètement à plat et, passé quelques heures de jeu, chercher continuellement des mots chelous pour cliquer dessus tient plus du fastidieux que de l’intriguant, alors on clique partout comme un forcené histoire d’expédier l’affaire.
Les missions de Phantom Doctrine, quant à elles, ont un problème – elles sont ultra répétitives. Chacune d’entre elles revient plus ou moins au même : désactiver les caméras, tenter d’arriver jusqu’à son objectif sans se faire repérer (bon courage), rejoindre un point d’extraction.
Le gros soucis là-dedans, c’est que les règles ont l’air de se résumer à une seule : il n’y en a pas. Caché derrière un mur, j’ouvre une porte, un ennemi passe mais ne me voit pas. L’instant d’après il refait un tour et là, un éclair de discernement vient au type et il me repère. Les agents ennemis que l’on piste connaissent forcément le visage de nos propres agents (qui sont censés être secrets, je le rappelle) ce qui fait qu’il est impossible de s’approcher d’un tel adversaire dans son champ de vision, quand bien même il ne se trouve pas dans une zone interdite (zone délimitée dans laquelle le simple fait d’être vu vous dévoile).
Sylvestre Rambo, agent super secret
Tous les soucis d’incohérence et de gameplay de Phantom Doctrine brisent l’immersion et l’intérêt du jeu. Les ennemis tirent littéralement à travers les murs. Je n’ai jamais vu ça. C’est bien simple, un policier a trouvé le moyen de tirer sur l’un de mes agents à travers deux plaques de bétons – j’ai eu beau tourner la carte dans tous les sens, le tracé du tir est tout simplement improbable – tandis qu’un de mes types a trouvé le moyen de n’infliger que 5 points de dégâts à un agent à découvert avec un sniper. Aussi appelé FUSIL DE PRÉCISION.
Tous les soucis d’incohérence et de gameplay de Phantom Doctrine brisent l’immersion et l’intérêt du jeu
Pour assommer un ennemi (car il est en théorie possible de capturer les agents ennemis), il faut avoir plus de santé que lui. Dans beaucoup de missions, ce n’était pas le cas, ce qui fait que je me suis emmerdé à la jouer discretos (avec le nombre de retour en arrière que les bugs de champ de vision impliquent) pour comprendre au dernier moment que ça ne servait strictement à rien. J’aurais pu éliminer l’adversaire avec une arme à silencieux me direz-vous. Ben oui mais non, parce que ma super agence d’agents secrets trop super est infoutue d’avoir des silencieux. Nous sommes tellement à côté de la plaque qu’on ne peut pas faire autrement que de les looter sur le terrain, autrement dit les prendre à l’ennemi. Mort de lol. Ah, et une fois des pistolets munis de silencieux, c’est toujours insuffisant puisqu’ils occasionnent trop peu de dégâts pour tuer l’ennemi d’un coup (donc il déclenche l’alarme). Il faut attendre de pouvoir fixer des silencieux à des engins un peu plus couillus.
À côté de cela, on nous prévient que toute action suspecte alertera l’ennemi et, juste après, on envoie Jean-Michel Bond sauter par une fenêtre (fermée, ça va de soi) juste devant un ennemi qui visiblement se dit que ça doit être une façon de sortir des bâtiments dans certaines cultures. Une crème, le type.
Vous en voulez d’autres ? Jean-Michel Bond sort des fusils d’assaut de son slip. Des trucs de plusieurs mètres de long qui le feraient passer pour Jean-Michel Poppins. Enfin je sais pas, c’est si dur de les affubler d’une valise et de les faire sortir un gros gun de là en trois parties ? En plus ça serait très raccord avec le thème de l’espionnage. Un corps dans la place ? Cliquez dessus et choisissez de le “faire disparaître”. Attendez, vous croyiez que vous alliez devoir le cacher ? Pas besoin, grâce à la lotion magique du professeur Miracle, un fondu au noir et hop ! vos soucis sont envolés ! Une autre pour la route une fusillade éclate entre plusieurs personnes, toutes en civil, les flics déboulent, devinez sur qui ils tirent.
Oh et puis je passe sur les “Soldats français” qui parlent une langue encore indéterminée à ce jour et les traductions des compétences qui vous donneront envie de les remettre dans Google Traduction pour voir le texte d’origine histoire de mieux comprendre.
Intérêt fantôme
Avec des titres comme XCOM 2: War of the Chosen et Battletech, Phantom Doctrine aurait pu tirer son épingle du jeu grâce à son contexte inédit et son histoire, certes pas incroyable mais digne d’intérêt. Au lieu de ça, on se retrouve avec une expérience incohérente tant au niveau de son gameplay que de son rapport à l’espionnage. Le titre est entaché des bugs qui rendent les missions, déjà très répétitives, laborieuses. Quel dommage au passage de ne pas avoir anticipé l’aspect rébarbatif du tableau d’enquêtes ! Tout cela manque cruellement de finitions voire, dans certains cas, de fondations. Si vous êtes fan de la période et du contexte, vous trouverez quand même de l’intérêt au titre de Creative Forge Games, mais il fait en l’état bien pâle figure.
War Legend a bénéficié d’une copie offerte par Good Shepherd Entertainment.
Phantom Doctrine est disponible sur PC, Xbox One et PS4.
Achat GoCleCd (PC).