Asmodée s’est mis en tête de porter en version digitale ses jeux de plateau les plus célèbres. Scythe fait évidemment parti de ce plan assez ambitieux.
L’Europe de l’Est : ses pâturages, ses plaines, ses gros mechs
Scythe est l’un des plus gros jeux de plateau du moment. Créé par le prolifique Jamey Stonemeier, le jeu permet à 5 cinq joueurs de se mettre sur la tronche pour la suprématie de l’Europe de l’Est dans une réalité alternative où la Première Guerre mondiale s’est terminée à grands coups de robots géants.
Si la direction artistique n’est pas toujours la priorité pour un jeu de plateau qui préférera d’abord développer des mécaniques de jeu avant le reste, ici, c’est tout l’inverse. Inspiré par les illustrations de l’artiste polonais Jakub Rozalski qui s’est amusé à peindre des toiles impressionnistes typiques des années 20 en ajoutant des véhicules Dieselpunk en arrière plan, Stonemeir a voulu collaborer avec l’artiste pour créer Scythe.
L’atmosphère du jeu a été tellement prédominante sur le reste que l’univers de Rozalski, connu dorénavant sous le nom de 1920+, possède désormais son propre background et est en train d’être décliné sous différentes formes, dont le RTS Iron Harvest qui a été financé avec succès (lui aussi) sur Kickstarter. Un FPS multijoueur serait également en préparation.
La direction artistique n’est pas toujours la priorité pour un jeu de plateau. Ici, c’est tout l’inverse.
Scythe a donc été un petit carton sur la scène des amateurs de jeux de plateau et a reçu pas mal de prix depuis sa sortie en 2016. Pensé à la base pour être évolutif, le jeu possède désormais trois extensions qui apportent de nouvelles mécaniques, de nouvelles opportunités stratégiques et porte le nombre de joueurs maximum à 7.
Si vous aimez les jeux de plateau un peu sérieux, foncez. Si vous êtes un peu frileux à l’idée de lâcher 80 boules pour un jeu de plateau dont vous n’êtes pas certain de pouvoir rentabiliser l’achat (faute d’amis, généralement), vous pouvez peut-être vous laisser tenter par la version numérique développée par Asmodée Digital, afin de vous faire une idée plus précise de ce qu’il vous attend (et pour beaucoup moins cher).
La Mecha-nisation agricole
Scythe vous permet de contrôler une des cinq factions qui tente de se partager les restes de l’Europe de l’Est après la fin de la Première Guerre mondiale. L’Usine qui est à l’origine des Mechs qui a permis de mettre fin à la guerre ne fonctionne plus, mais regorge de secrets. Pour gagner à Scythe, il ne suffit pas d’écraser ses adversaires, il faut aussi savoir gagner le coeur du peuple et développer efficacement sa puissance tous les domaines. On se rend vite compte que la démonstration militaire vient souvent en dernier recours.
Pour gagner à Scythe, il ne suffit pas d’écraser ses adversaires, il faut aussi savoir gagner le coeur du peuple
Si chaque faction peut être choisie par les joueurs et possède une capacité spéciale ainsi qu’un point de départ qui lui sont propres, beaucoup de paramètres de la partie sont choisis aléatoirement pour toute la durée de celle-ci, comme les actions possibles, les coûts pour les améliorations de sa faction, les objectifs personnels et communs et les actions spéciales disponibles à la fameuse Usine, au centre du plateau. Chaque partie ressemble difficilement à la précédente et la rejouabilité devient rapidement l’un des points forts de Scythe.
Le tour d’un joueur se résume à faire une ou deux actions simples, mais jamais les mêmes deux fois de suite. Il faudra jongler intelligemment entre les actions qui permettent de se développer et ceux qui impactent votre présence sur le plateau.
La production de ressources est le nerf de la guerre dans Scythe, et ils vous permettent évidemment beaucoup de choses, comme construire des bâtiments qui apportent divers bonus uniques, améliorer vos actions afin qu’elles soient plus efficaces et vous coûtent moins cher, recevoir des bonus en fonction des actions voisines ou bien construire des mechs (qui eux-mêmes apportent de nouvelles opportunités de gameplay à choisir).
Il faudra jongler intelligemment entre les actions qui permettent de se développer et ceux qui impactent votre présence sur le plateau.
Dans tout ça, il faut veiller à ce que votre niveau de popularité soit au plus haut possible puisqu’elle agit comme un multiplicateur de points de victoire en fin de partie. Si vous produisez trop, votre popularité aura tendance à baisser. Le pire vient au moment des combats. Non seulement cela vous coûte de la puissance militaire, mais votre popularité baissera pour chaque unité de population adversaire que vous aurez obligé à délocaliser.
Les combats sont de ce fait assez rares dans Scythe, et les perdants ne perdent pas trop en dehors des ressources qu’ils ont abandonnées. Le but sera souvent de prendre les positions clés et de faire en sorte que cela coûte cher à l’adversaire pour s’en emparer. Avec les bonnes technologies débloquées, on se meut très facilement sur la carte avec beaucoup de raccourcis différents, souvent encore en fonction des factions. Le danger peut survenir de n’importe où.
La faucille et le marteau piqueur
L’apprentissage de Scythe se passe en trois temps : comprendre ce qu’on peut faire, comprendre ce qu’on doit faire, comprendre enfin comment le faire. Il y a beaucoup de choses à assimiler, mais prises une à une, il n’y a rien de compliqué. Les actions à réaliser sont toujours simples, mais les mauvaises décisions arrivent vite et sont souvent assez handicapantes.
La partie s’arrête quand un joueur a maximisé un certain nombre d’aspects de sa faction et quand il a rempli certains objectifs. Pas la peine de remplir toutes les conditions, seulement un certain nombre. À partir de là, on compte les points selon l’argent disponible chez les joueurs, ses ressources en trop, le nombre de territoires contrôlés, combien d’objectifs ont été remplis, et tout ça multiplié par son niveau de popularité. Quand on vous dit qu’il faut être sur tout les fronts.
Après quelques parties on se rend compte que Scythe est un petit bijou d’équilibrage et que tout a été minutieusement calculé, que ce soit la répartition des zones sur la carte ou les combinaisons de factions et de productions. Aucune faction n’est vraiment abusée par rapport à une autre et les avantages qu’elles peuvent avoir sont souvent rééquilibrés par un autre biais.
L’apprentissage de Scythe se passe en trois temps : comprendre ce qu’on peut faire, comprendre ce qu’on doit faire, comprendre enfin comment le faire.
Il y a tellement de systèmes de jeu imbriqués et de jauges à prendre en compte qu’on a l’impression parfois de jouer à un jeu de stratégie sur PC. L’inspiration de base vient sûrement de cet univers-là, et l’idée de retrouver le jeu de plateau Scythe dans une version numérique sur ordinateur tombe finalement sous le sens. Le jeu est souvent présenté comme un 4X en jeu de plateau.
Scythe possède quand même un défaut qui peut-être plus ou moins dommageable selon votre sensibilité. Quand on est concentré sur son développement, on a quand même l’impression de jouer chacun dans son coin, car les interactions entre joueurs sont quand même assez rares. Ça se dynamise un peu avec la mécanique des recrues, mais sans plus. Cependant, un bon joueur de Scythe prend justement en permanence en considération les choix de ses adversaires pour mieux en tirer profit. C’est juste une subtilité vraiment pas évidente à saisir. Les joueurs de 7 Wonders savent de quoi je parle.
Les malheurs de l’industrialisation
Bon, jusqu’à maintenant, je vous ai expliqué le fonctionnement du jeu de plateau. Mais quand est-il de cette Digital Edition ? S’il y a de quoi s’amuser, ça pourrait être un poil mieux. Le jeu est très jouable, mais des efforts d’ergonomie supplémentaires auraient été souhaitables.
Pour commencer, on sent bien que l’interface a été pensée pour la tablette, même si les versions iOS et Android ne sont pas encore disponibles. De gros boutons et de trop nombreux volets superflus pour des informations qui auraient pu être affichées autrement.
Si l’idée de présenter quelques informations publiques comme le niveau de puissance militaire, les étoiles d’objectif et la popularité directement sur le plateau de jeu est une idée sympathique (comme dans le vrai jeu), mais pas très pratique. Pour retrouver ces informations-là, il faut utiliser le tableau qui résume les statistiques de chacun, et ce n’est clairement pas lisible et encore moins pratique quand on ne connaît pas par coeur les niveaux maximums à atteindre pour avoir l’étoile correspondante.
Le tutoriel fait ce qu’il peut pour expliquer les règles du jeu et présenter quelques subtilités, mais c’est toujours le problème avec ce genre d’adaptation. C’est didactique, mais il faudra deux ou trois parties dans les pattes pour comprendre tout ce qu’il est possible de faire. Il est alors fortement conseillé de lire entièrement les règles officielles au moins une fois pour tout comprendre (disponible en français sur le site de Stonemeier).
Le jeu est très jouable, mais des efforts d’ergonomie supplémentaires auraient été souhaitables. On sent bien que l’interface a été pensée pour la tablette
Même la bonne idée de pouvoir afficher les capacités de déplacement de chaque faction sur la carte devient rapidement illisible, en plus de ne pas prendre en compte les technologies débloquées au fur et à mesure. Voir en temps réel les recrues des voisins quand on s’apprête à activer via sa propre action aurait été un réel plus.
La surprise agréable viendra de l’IA qui peut vous donner du fil à retordre à partir du niveau moyen (même si ce dernier joue très rarement l’Usine), le niveau difficile étant vraiment réservé à ceux qui maîtrisent déjà les subtilités du jeu et qui ont quelques stratégies dans leurs manches. Un mix de bots entre facile et moyen et idéal pour commencer.
La liste des vices d’ergonomie est encore assez longue et on peut rouspéter longtemps sur ce qu’il manque pour corriger le tir, mais après quelques parties à batailler contre ces soucis et à comprendre comment sont ordonnées les choses, on finit par s’y faire et on joue de façon naturelle. Mais bon, ce sont les risques quand on transpose tel quel un jeu de plateau, surtout un aussi complexe que Scythe. C’est déjà chouette que ce dernier fonctionne bien.
Après quelques parties à batailler contre ces soucis et à comprendre comment sont ordonnées les choses, on finit par s’y faire
Bien sûr, la cerise sur le gâteau, c’est le mode multijoueur. Si un compte Asmodée est obligatoire pour jouer, ce dernier est utilisable sur toutes les plateformes. Malheureusement, le multijoueur est vraiment vide en heures creuses et personne ne veut utiliser le mode différé, qui permet de quitter le jeu pour reprendre plus tard, un peu comme un jeu d’échec par correspondance. Comptez entre 30 et 40 minutes pour une partie, à condition que le cerveau des joueurs soit totalement disponible et qu’ils ne sont pas en train de regarder la dernière saison de Better Call Saul en parallèle.
Il est aussi possible de jouer chacun son tour sur la même machine, même si ce n’est pas vraiment une façon de jouer des plus funs…
Dieselpunk civilization
Scythe est déjà un très bon jeu de plateau reconnu pour ses diverses qualités. Cette version digitale permet au plus grand nombre d’en profiter sans se ruiner dans une boîte réelle ou bien aux connaisseurs de pouvoir affûter leurs talents quand leurs copains de jeux ne sont pas là avec les pizzas et la bière. L’ergonomie pensée pour le tactile gâche parfois un peu la fête et n’aide pas vraiment à l’apprentissage des néophytes, mais une fois que la glace a été brisée, on s’en sort plutôt bien, et ce n’est qu’un mauvais moment à passer. Pour tout le reste, si vous êtes un fin calculateur et que vous aimez qu’un plan imaginé par vos soins se déroule sans (trop) d’accrocs, Scythe est un chouette jeu de stratégie prenant qui vous donnera envie de relancer souvent une partie.
► Points forts
- Une adaptation fidèle du jeu de plateau
- Une IA efficace
- Un mode multijoueur qui fait le café
- Les règles officielles incluses
- Une musique propre pour chaque faction
► Points faibles
- L’ergonomie pensée pour le tactile
- Le tutoriel ne permet pas de faire une première partie sereinement
- Les informations sont difficiles à pêcher
- Pas d’extensions en vue
Une bonne introduction à l’univers 1920+
War Legend a bénéficié d’une copie PC fournie par l’éditeur de ce jeu.
Scythe: Digital Edition est disponible sur PC et le sera sur iOS et Android à une date ultérieure.