Shenmue est enfin jouable sur des plateformes modernes, et c’est assez inespéré. Est-ce que ce portage des deux jeux de Yu Suzuki saura rendre hommage ?
Il était une fois…
En 1999, Shenmue sort sur Dreamcast. Personne n’avait rien vu de pareil. Si le jeu était le soft le plus cher à produire de l’histoire du jeu vidéo à cette époque, c’est parce ses ambitions étaient démesurées. Le but pour Yu Suzuki, son légendaire créateur, était de pouvoir vivre une aventure la plus viscérale et immersive possible.
La quête de revanche de Ryo Hazuki a touché une génération entière et l’approche atypique et novatrice du jeu vidéo imaginé par Suzuki n’a laissé personne indifférent. C’est simple : la plupart des innovations qui ont été introduites dans Shenmue sont encore aujourd’hui devenues des standards du marché (et souvent encore assez mal utilisés).
Malheureusement, les deux chapitres de Shenmue n’ont jamais eu droit à un portage digne de ce nom depuis leur sortie sur Dreamcast (et sur la première Xbox), ce qui est un paradoxe avec une licence avec une telle aura.
C’est donc à D3T, un studio de développement de logiciels polyvalent, qu’il incombe de porter sur les plateformes modernes un titre culte qui accuse quand même le poids des années.
La fougue de la jeunesse
Nous sommes en 86, et le joueur incarne Ryo Hazuki, le fils d’un maître de dojo réputé. Un soir, son père se fait assassiner par un mafieux chinois adepte du King Fu : le fameux Lan Di. Ce dernier convoite un obscur objet ancestral et le père de Ryo aurait eu des informations à son sujet.
Le jeune Ryo mènera alors une enquête sur le mystérieux Lan Di afin de le retrouver et de se venger. Ses aventures l’amèneront à Hong Kong où son plan de vengeance se transformera, de jour en jour, en une quête de soi.
Oui, parce que Shenmue, c’est un peu une simulation de la vie de Ryo en fait, mais c’est surtout son univers son environnement qui implique le joueur dans l’intrigue.
L’action se déroule dans la ville côtière de Yokosuka, pas loin de Tokyo. Des parties de la ville ont été minutieusement reproduites, et à l’époque, c’était une sacrée prouesse technique.
Si le level design ouvert était déjà bluffant, c’était surtout la technologie qui tournait autour des PNJ qui était phénoménale, nommée sobrement le Life Cycle Program.
Chaque personnage est unique, et possède son propre emploi du temps dans la journée. Ryo peut parler à chacun d’entre eux. Bien sûr, ils n’ont pas tous leur mot à dire, mais il se peut réellement qu’un passant au hasard sache quelque chose d’utile.
Si Yokosuka gère une vingtaine de PNJ en simultané, le Hong Kong de Shenmue 3 peut en simuler presque 200. Aujourd’hui, ça fait doucement rigoler, mais autrefois, c’était démentiel et unique. Les mondes ouverts étaient encore loin d’être légion. Même le cycle jour/nuit et la météo dynamique c’était des révolutions à l’époque !
Shenmue 1 & 2, c’était un contenu énorme étalé sur pas moins de 7 disques.
Précurseur
Si beaucoup de choses ont mal vieilli (comme les déplacements), on est face à un titre qui est toujours aussi prenant. Le charme des cultures populaires japonaises et chinoises fonctionne toujours et le nombre de choses possible à faire est toujours fou.
Le bar où vous devez vous rendre n’ouvre pas avant 19h ? Allez tuer le temps à la salle d’arcade (avec des vrais jeux SEGA de l’époque, créés par Yu Suzuki) ou discutez avec les gens du quartier et allez vivre des événements un peu partout en ville. Les personnages secondaires participent énormément à l’expérience unique de Shenmue.
Si vous êtes un flambeur, claquez votre argent de poche journalier dans les distributeurs de Gacha pour combler votre collection de figurines. Attention, rentrez toujours avant 23h, sinon la pauvre Ine-San sera morte d’inquiétude. Briser le coeur de cette pauvre vieille femme est inhumain.
Shenmue est un jeu lent, et c’est bien comme ça. On vit au rythme de la ville, on questionne les personnes qui passent à proximité pour espérer faire avancer l’enquête, on regarde les gens qui rentrent du boulot vers 19h et on se moque des poivrots qui titubent dans la rue à 22.
Attention, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’action (juste pas beaucoup). Fils d’un maître des arts martiaux, Ryo sait se défendre, tantôt dans des phases de combat qui reprennent le gameplay (vieillot) de Virtua Fighter, tantôt dans les fameuses phases de QTE. Eh, oui, c’est Suzuki qui a inventé le concept et le terme.
Là où les phases de QTE sont intéressantes, c’est qu’elles prennent généralement le joueur par surprise, et ne sont jamais gratuites. Le “Q”, ça veut dire Quick, à la base. Il ne s’agit pas de marteler un bouton pour ouvrir une porte (ou un coffre).
Il est aussi question d’une interactivité avec le décor toujours très novateur pour l’époque. Rien que le fait de rechercher une adresse directement sur la texture de la boîte aux lettres d’une maison, c’était une couche d’immersion supplémentaire.
Beaucoup d’actions sont inutiles (comme ouvrir les tiroirs à caleçon de Ryo ou jouer aux fléchettes), mais ça permet de rendre le monde plus crédible et organique. Et des choses débiles à faire dans Shenmue, il y en a un paquet.
Transmission
Bon, maintenant qu’on a bien résumé Shenmue, il est temps de parler de ce portage HD.
Oui, il s’agit bien d’un portage et non d’un remaster. Soyons clairs parce que, bien que D3T ait fait le taffe, le titre aurait mérité qu’on le chouchoute un peu plus.
Si le jeu était très beau à l’époque, il a clairement mal vieilli. Les textures des personnages principaux ont été légèrement retravaillées, mais ils seront les seuls à bénéficier d’un petit lifting. Si la résolution du jeu est bel et bien affichée en HD, la majorité des textures supportent mal cette transition. Si le rendu qui a le cul entre deux chaises ne vous plaît pas, il est tout à fait possible de basculer sur un mode d’affichage proche de l’époque. Les amoureux du bouilli cathodique apprécieront.
L’autre point qui permet de dire qu’il s’agit plus d’un portage que d’un remaster est le fait que beaucoup d’assets de l’époque n’ont pas pu être restaurés, à commencer par le son. Le taux d’échantillonnage des dialogues est d’époque, et ça s’entend beaucoup trop. Ça grésille et ça ne fait vraiment pas propre. Alors quand la résolution HD est activée, il y a une vraie dichotomie entre les yeux et les oreilles. C’est assez perturbant.
De la même façon, les cinématiques sont affichées en 4:3, alors qu’il est possible d’afficher du 16:9 pendant les phases de gameplay (ce qui est un très bon point, cela dit). Les prises de vues étaient pensées pour des télés de l’époque et il semblerait que cela était beaucoup trop compliqué de réarranger la chose.
Toutefois, il y a tout de même de (très) bonnes nouvelles, comme la possibilité — pour la première fois en occident — de choisir les voix japonaises originales. Il est surtout question de profiter d’une localisation française de bonne facture pour les sous-titres. Une première !
Certains outils de qualité de vie viennent agrémenter le jeu également, comme un système de déplacement rapide qui permet de gagner un temps fou après que Ryo quitte sa piaule. Eh oui, l’immersion exigeait aussi de se taper le trajet jusqu’au boulot tous les matins.
Aussi, les sauvegardes de Shenmue 1 peuvent toujours être importées dans Shenmue 2, histoire de pouvoir continuer votre collection de babioles, poursuivre le perfectionnement de vos techniques de combat et transférer votre argent dans la suite de l’aventure.
Quand on y pense, on avoue qu’un portage Switch ne serait pas de trop.
Vieux chêne mou
Ce portage de Shenmue sur les plateformes modernes est du pain béni pour ceux qui veulent revivre l’histoire prenante de Ryo Hazuki, et pour les curieux de l’Histoire du jeu vidéal qui peuvent désormais découvrir pourquoi Shenmue était un titre à part à ses sorties en 1999 et 2001. S’il peut être difficile d’accès à cause de son rythme lent et de son gameplay qui fait clairement son âge, le titre est toujours pertinent aujourd’hui, tellement l’expérience reste unique. Si les fonctionnalités clés du portage étaient essentielles pour que ce dernier soit satisfaisant, le boulot minimum sur l’aspect graphique et la qualité sonore d’époque sont quand même dommageables. M’enfin bon, c’est deux jeux cultes qui n’en font finalement qu’un pour un prix raisonnable. Allez, on croise les doigts pour que Shenmue 3 soit la hauteur de son digne héritage et que l’histoire racontée par Yu Suzuki puisse avoir un dénouement qui vaut la peine qu’on ait attendu presque 20 ans pour.
► Points forts
- L’expérience originale est préservée
- Une aventure marquante
- Deux jeux généreux en un
- En français !
- Choix langue audio et sous-titres indépendants
- Le choix dans la résolution et le format.
► Points faibles
- Ça a quand même assez mal vieilli
- La qualité sonore des dialogues
- Cinématiques en 4:3 seulement
- Quelques bugs gênants
- Un simple portage qui aurait dû faire tellement plus !
Patrimoine culturel
War Legend a bénéficié d’une copie PS4 offerte par Koch Media.
Shenmue I & 2 HD est disponible sur PC, Xbox One et PS4.