Pour les moins jeunes d’entre nous, le monde du T-RPG a tiré sa carte maîtresse en 1997 avec Final Fantasy Tactics, véritable apothéose du genre délivré par Square. Pourtant ses lettres de noblesse ne venaient pas de nulle part : aux commandes de FFT, Yasumi Matsuno délivrait deux ans auparavant Tactics Ogre, dont les fondements résonnent encore aujourd’hui dans le T-RPG. Naît sur Super Nintendo avant de se voir porter sur PlayStation, il a surtout marqué les mémoires à travers son sublime remake PSP. Mais c’est bien sous le nom de Tactics Ogre : Reborn que le titre de Matsuno vient chercher sa version « definitive » ; un remake signant la renaissance du vieux maître, qui n’a pas fini de surprendre ses apprentis.
Aux ogres citoyens
Dans les faits, on se tient donc sur le remake d’un remake; la quatrième itération d’un jeu qui traverse les âges non sans un élan assuré. Un cadre qui pourrait faire redouter la simple remise en vitrine pour nos beaux yeux, affublée d’un strict minimum auquel Square Enix nous a que trop souvent habitués. Mais autant vous retirer cette épine-là d’entrée de jeu : Tactics Ogre: Reborn fait bien plus que de se rajouter un titre accrocheur.
Tactics Ogre: Reborn fait bien plus que de se rajouter un titre accrocheur.
Tactics Ogre, c’est d’abord une épopée à l’issue incertaine, où guerre et politique s’entremêlent à travers une écriture frôlant la perfection. Le récit, fort d’une complexité déroutante — surtout en 95 — mais non moins maîtrisée, brille par ses nombreux fils narratifs et les personnages qui les alimentent. Un scénario d’une absolue richesse, ne feignant pas la complaisance d’une fresque héroïque rondement menée : chaque décision pèse lourd sur nos épaules, tandis que notre perception de l’histoire se voit sans cesse remise en question.
C’est dire, tout juste quelques heures de jeu après nos débuts, marqués par le désir ardent d’une faction de rétablir sa souveraineté sur son territoire et (surtout) de se venger de son tyran, on se mange en pleine poire une mission sans foi ni loi, où tout manichéisme ambiant s’évapore par delà les collines fumantes des champs de bataille. Parce que si Denam Pavel incarne ce héros juste au grand cœur qu’on sait sans mal attribuer à la fantasy, il peut aussi être l’outil d’une fin qui justifie les moyens, baignant dans le flot horrifique de la guerre, et du désespoir qu’elle engendre.
Pas besoin d’une renaissance pour que Tactics Ogre remette les petits plats dans les grands, avec probablement l’un des récits les plus accomplis du jeu vidéo, tant par sa structure établis d’une main de maître que par sa vertigineuse profondeur – pourtant servi par une mise en scène minimaliste. Presque aussi difficile que de retenir les noms de tous les personnages et maisons de Game of Thrones, la compréhension globale de l’histoire vient demander un effort certain; notamment dans les premières heures de jeu où l’on cherche aussi à assimiler tous les rouages tactique du titre. Pour autant, il s’agit là d’un chef d’œuvre qui vaut bien tous les efforts du monde.
La troupe en délire
Comme son nom l’indique si bien, Tactics Ogre: Reborn appuie son gameplay sur une forte dimension tactique : aux commandes de nos petits soldats de pixels, on affronte un nombre défini d’ennemis que l’on vient chercher une case après l’autre, dans un système au tour par tour. Chacun des personnages que l’on contrôle revêt une classe – avec ses propres compétences, techniques et armes – qui peut être changée comme bon nous semble, à condition d’avoir le “Titre” correspondant – en gros, une monnaie qui nous laisse utiliser la classe voulue. C’est d’ailleurs là, l’une des grandes forces du titre, dont l’alléchante diversité des classes proposées est à saluer.
L’alléchante diversité des classes proposées est à saluer.
Une force de game design qu’on apprécie d’autant plus dans cette version, puisqu’à l’inverse des précédentes, les niveaux sont assignés aux personnages et non à leur rôle. Fini le temps des rookies rampant dans les lignes arrières, en quête du moindre grain d’expérience afin d’assurer leur nouvelle fonction. Forcément, on rechigne beaucoup moins à accepter un énième guerrier égaré dans nos rangs, d’autant que le leveling plafonne sur le niveau de la troupe, et par extension sur l’avancée de la quête principale. Un moyen simple, mais efficace d’établir une progression stable, tout en conservant le challenge au coin du damier.
Et si le jeu affiche une jolie palette de classes “par défaut”, d’autres s’obtiennent selon l’embranchement de l’histoire et/ou la réalisation de certaines actions. Venir en aider à tel ou tel personnage, s’allier ou non à une faction, ou encore le contenu annexe sont d’autant de moyens de découvrir de nouvelles spécialisations. Une source supplémentaire pour la rejouabilité du titre, déjà conséquente à travers les tranchés narratifs qui nous sont possibles d’emprunter.
Enfin, chaque classe dispose d’un panel fleuri de compétences, garni au fur et à mesure des niveaux. Il faut alors en choisir quatre, qui viendront déterminer le style de jeu, tel que le type d’arme utilisée ; arme dont l’usage améliore la compétence associée à sa catégorie, permettant de débloquer, par tranche de dix niveaux, des “techniques d’armes”. Ainsi, plusieurs approches différentes existent pour une seule et même classe ; un système de build bien structuré et plus hospitalier, pour une envergure tactique qui ne démérite pas.
Du tac au tic
Bien heureux est le commandant Pavel qui parvient à occire les forces ennemies, grâce aux Chevaliers, Mages et créatures domptées sous sa tutelle. Mais toute la saveur tactique de Tactics Ogre: Reborn n’a pas pour seuls attributs les lancers de boules de feu et les coups d’épée dans le gosier : c’est aussi et bien sûr la gestion complète de notre troupe de joyeux lurons. Outre le changement de classe déjà abordé ici, on parle d’un mouvement perpétuel à travers les nombreux menus pour équiper armes et armures, objets, trifouiller les compétences, sans oublier le magasin pour faire ses emplettes et ses fabrications.
Chaque petit détail dans la gestion des troupes valorise un peu plus l’impact des personnages durant les escarmouches.
J’en vois déjà soupirer au fond de la salle à l’idée de régulièrement passer ses petits soldats au peigne fin — surtout avec l’énorme troupeau qu’on peut avoir à la fin. Néanmoins, chaque petit détail dans la gestion des troupes valorise un peu plus l’impact des personnages durant les escarmouches, surtout quand la survie de ces derniers s’en tient parfois à une pierre de bénédiction mise entre les bonnes mains. De même, il convient de faire bon usage du nouvel outil “reconnaissance”, qui nous laisse observer les ennemis et leur position sur le terrain ; ne reste alors plus qu’à choisir et placer nos héros en fonction. Un atout considérable, avant d’entamer le bain de sang,
Sans nul doute, Tactics Ogre: Reborn met un point d’honneur à se rendre plus accessible. Les interfaces se voient peaufinées dans l’ensemble, plus instinctives à l’utilisation. L’UI en combat gagne également en praticité, notamment dans la lisibilité des sorts et les différentes informations liées aux actions en combats — la trajectoire des projectiles en tête de liste ; on retrouve l’incontournable mode accéléré (x2 ici) pour une dynamique accrue des batailles, tandis qu’un système de carte de tarot vient poser aléatoirement des buffs à ramasser sur la carte. En prime, de tout nouveaux objets sont introduits, les charmes, qui accordent davantage de customisation sur ses unités, telles qu’un gain de niveau, d’expérience, de stats, ou, surtout, le changement d’élément.
Du confort ci et là appréciable, une main tendue aux joueurs.ses dont la vision de jeu se renforce en conséquence.
Si Tactics Ogre: Reborn jouit probablement d’une difficulté lissée, il n’en reste pas moins impitoyable.
Malgré tout, la vertigineuse densité du titre subsiste; aussi déchiffonné soit-il pour son retour en 2022, la quantité d’informations reste lourde à digérer, par-delà des menus qu’on aurait souhaité voir aller plus loin dans l’aisance ergonomique – le magasin parmi tous tend toujours vers l’incommode, en dépit de ses (très) louables améliorations.
Peu aisé en revanche de jauger l’impact de cette modernisation sur la difficulté globale du titre. En tout cas, si Tactics Ogre: Reborn jouit probablement d’une difficulté lissée, il n’en reste pas moins impitoyable. La moindre erreur peut s’avérer fatale, autant pour nos petits soldats bien-aimés que pour le combat lui-même. Heureusement, le système de carte de Chariot allège la pression en permettant de revenir en arrière de quelques tours. Certaines batailles frôlent néanmoins la cruauté, avec des “boss” boostés aux stéroïdes, dont les dégâts font verser les petites larmes de désespoir.
Pixel perfect
Côté pixels, bien que le jeu eut droit à un petit lifting HD histoire de s’accommoder aux standards actuels, on s’en tient à un résultat très proche de ce que proposait le remake PSP. Ce qui n’est pas un mal, tant la direction artistique n’accuse aucune ride et sublime l’identité visuelle pixel art. Cette version Reborn pèche toutefois quelque peu sur les sprites des personnages, dont le lissage rend la lisibilité parfois un poil rude, surtout lorsqu’il s’agit de discerner les alliés des ennemis. Du simple chipotage en réalité, dans la mesure où des outils comme l’affichage des barres de vie – à l’aide d’un simple bouton – permettent d’éviter le moindre doute.
La direction artistique n’accuse aucune ride et sublime l’identité visuelle pixel art
Cela étant dit, les informations à l’écran exercent un rendu par moment confus : les décors, les cartes de tarots en grand nombre, les combattants et leurs altérations d’états… un magma d’éléments visuels pouvant mener à l’overdose. Heureusement, la caméra dispense un ajustement libre de la perspective, y compris une vue du dessus et trois modes de zoom.
Tactics Ogre: Reborn signe une fantastique réorchestration de la bande originale. Un délicieux enchevêtrement musical qui capture brillamment l’esprit du matériau d’origine, pour l’élever sur des hauteurs dithyrambiques et triomphales. Cerise sur le gâteau, chaque piste peut être écoutée depuis une bibliothèque dédiée, avec de surcroît le nom de chaque compositeur et arrangeur dans les crédits. Une application du détail remarquable qu’on souhaiterait voir devenir un standard de l’industrie
Maître du damier
À presque tous les niveaux, Tactics Ogre: Reborn s’avance comme l’ultime version d’un jeu d’ores et déjà intemporel. Les nombreuses améliorations apportées procurent une expérience de jeu plus fun, plus accessible, sans venir compromettre l’âme de l’originelle ni son challenge relevé. On pourra venir faire les fines bouches en pointant les quelques soucis de lisibilité, ou la pénibilité de certaines interfaces qui perdure, mais rien de tout ça ne saurait réellement entacher la qualité du travail accompli ici. Tactics Ogre: Reborn démontre une évolution maîtrisée qui force le respect, remettant sur le devant de la scène cette richesse d’écriture et cette profondeur de gameplay qui l’ont hissé parmi les meilleurs T-RPG.
Ce qu’on a aimé :
- Gameplay riche et profond
- Une incroyable variété de classes
- Refonte de l’ensemble des systèmes du jeu (Interface, gestion, compétences, etc.)
- L’histoire, l’excellence dans l’écriture
- Réorchestration de la BO pour la claque auditive
- Les doublages, au poil (japonais comme anglais)
- Direction artistique qui n’a pas pris une ride
- Ajustements bienvenues des IA (alliés comme ennemies)
- Contenu titanesque
Ce qu’on n’a pas aimé :
- Les sprites, un poil en retrait
- Beaucoup d’informations à l’écran qui peuvent rendre le tout confus
- Une complexité qui peut rebuter
- Quelques interfaces (surtout le magasin) toujours incommodes
Ce jeu est fait pour vous si :
Vous cherchez une expérience tactique pure et dure, aux magnifiques atours narratifs qui assouvissent aussi vos besoins de lecture.
Ce jeu n’est pas fait pour vous si :
La patience n’est pas votre fort ; la gestion de personnages par vingtaines non plus; les jeux denses et la difficulté retord vous font pleurer.
WarLegend.net a bénéficié d’une copie presse fournie par l’éditeur de ce jeu.
Configuration de test :
- GPU : Nvidia RTX 3080 Ti
- CPU : Ryzen 7 5800X
- RAM : 16G0 DDR4
- Installé sur SSD
Tactics Ogre: Reborn est disponible sur PS5, PS4, Nintendo Switch et PC.