On est dans une drôle de situation : alors que le remake de Dead Space par EA Motive est au tournant, des vétérans de Visceral Games menés par Glen Schofield sortent The Callisto Protocol, une suite spirituelle qui tente de toucher du doigt ce qui faisait la magie du survival-horror sauce science-fiction. Est-ce que vouloir renouer avec ses gloires passées permet de créer un titre pertinent pour autant ?
Théorie de l’évolution
Je dois avouer quelque chose tout de go : malgré l’audio 3D de la PlayStation 5 et le fait d’avoir terminé The Callisto Protocol en jouant exclusivement dans le noir, le premier jeu de Striking Distance ne m’a pas vraiment fait peur. C’est assez étrange, parce que je suis une vraie flipette dès qu’il est question de jeux d’horreur, d’habitude. J’ai été physiquement incapable de passer l’introduction d’Alien: Isolation, par exemple.
Pourtant, j’ai plutôt apprécié mon expérience avec The Callisto Protocol, dirigé par Glen Schofield, reconnu pour être le géniteur d’une des rares séries d’horreur à laquelle j’ai pu me frotter sans trop de frictions, et que j’avais adorée comme beaucoup : Dead Space. Aux commandes d’un personnage qui pèse un âne mort, l’intérêt du titre passait surtout par une immersion inédite pour l’époque, servie par une tension à couper au couteau et du torture porn comme on en voit peu dans les jeux vidéos.
Aux commandes d’un personnage qui pèse un âne mort, l’intérêt du titre passe par une sacrée immersion servie par une tension à couper au couteau… et du torture porn comme on en voit peu dans les jeux vidéos.
Toujours actif, le joueur n’avait pas vraiment le temps d’avoir peur, bien trop occupé à surveiller ses arrières et découper des membres de nécromorphes qui en voulaient à sa vie… quand une scène d’action dantesque au gameplay unique ne déboulait pas sans crier gare. Et puis, difficile d’oublier ce sound design magistral qui faisait quasiment 90% du boulot. Tous les avantages d’un jeu d’horreur sans les inconvénients, comme un stock de sous-vêtements qui prend beaucoup trop de place dans la commode.
Eh bien, The Callisto Protocol, c’est un peu tout pareil : un déambulement d’une dizaine d’heures ininterrompu dans des couloirs futuristes sinistres, avec des mutants belliqueux pour seule compagnie. On retrouve ce soin apporté aux environnements et l’immersion sonore qui force le respect, tandis que le protagoniste, Jacob, tombe de Charybde en Scylla dans les limbes de l’horreur qui ont investi la lune jovienne.
C’est juste dommage que, malgré de bonnes idées, le titre ait terriblement du mal à être plus que cela…
Jacob Lee super posé
Bon, déjà, si on comprend bien que The Callisto Protocol est une sorte de suite spirituelle à Dead Space, les emprunts sont parfois un peu forcés. On retrouve l’excellent idée de HUD minimaliste projeté sur le dos du protagoniste et d’inventaire qui ne met pas le jeu en pause (jusqu’à être justifié par l’univers), ainsi que le compteur de munitions projetées sur l’arme, ce qui permet d’avoir une immersion particulièrement appréciable, mais niveau maniabilité et sensations, on est pas loin du copié/collé.
Tout comme Isaac, Jacob pèse une tonne. Cela participe pas mal à l’ambiance et permet d’être ébahi par le boulot réalisé par Striking Distance sur le langage corporel du personnage avec qui on a énormément d’empathie (surtout quand il se fait éclater en morceaux, là), mais cela pose pas mal de problèmes pour un titre qui souhaite justement proposer des confrontations plus personnelles avec les mutants qui ne laissent pas le temps de respirer. Il n’y a surtout aucune touche pour un faire un demi-tour rapide, quoi… sans parler des lourdeurs imposées par le magnétisme des échelles, ventilations et des éternels passages étroits.
Jacob pèse une tonne, mais cela participe pas mal à l’ambiance et permet d’être ébahi par le boulot réalisé par Striking Distance sur le langage corporel du personnage.
Pourtant, le titre mise énormément sur ses fameux combats qui sont assez grisants quand tout fonctionne, mais particulièrement frustrant quand on se fait avoir par leurs imprécisions qui pointent régulièrement le bout de leur nez. Le gameplay invite le joueur à imposer son rythme aux mutants avec un mix d’attaques rapides et lourdes, tout en profitant d’un système d’esquive assez intuitif et malin, mais il faut attendre que chaque animation arrive à son terme avant d’entreprendre la moindre action, récompensant très peu les prises de risques… ô combien nécessaires quand un couloir étroit commence à ressembler à un quai de la ligne de 12. Dès qu’on se rend compte qu’il n’y a plus d’espace pour se défendre efficacement, il est souvent trop tard, avec des moments où l’on prend des coups sans que l’on comprenne vraiment pourquoi.
Il faut alors attendre un certain déclic qui arrive bien trop tard, d’un côté parce qu’on est saoulé par les animations de morts gores à souhait que l’on finit par connaître par cœur, mais aussi parce que la montée en puissance du personnage via les améliorations rend les confrontations, autrefois viscérales, tendues et redoutées, presque triviales. Quant l’arsenal, il ne comprend que 4 armes et le fameux GRP, remplaçant la stase de Dead Space, qui permet de tuer des ennemis de manière expéditive dans le décor.
Le titre mise énormément sur ses fameux combats qui sont assez grisants quand tout fonctionne, mais particulièrement frustrant quand on se fait avoir par leurs imprécisions qui pointent régulièrement le bout de leur nez.
Même en mode normal, les munitions finissent par abonder, tout comme les ennemis. C’est la seule pirouette que le studio a trouvé pour tenter de contrebalancer la difficulté qui se lisse presque toute seule, et ce n’est pas les phases de discrétion sous-exploitées et le manque flagrant de variété chez les ennemis qui rattrape cette petite sensation de gâchis. Même le système de mutation spontanée qui oblige à être sur le qui-vive durant les combats contre plusieurs adversaires finis par être éclipsé.
Surtension
Et ça m’enrage pas mal, parce que The Callisto Protocol donne vraiment envie de l’aimer, à commencer par un travail titanesque sur la modélisation des personnages, les environnements, le sound design oppressant, avec – et surtout – des effets gores qui ont de quoi rendre mal à l’aise. On comprend pourquoi le titre est interdit à la vente au Japon. Le plus remarquable, c’est que Striking Distance s’est donné du mal à proposer des décors variés qui évitent la réutilisation d’assets, mis à profit par une progression fluide à travers la prison de Black Iron, entrecoupée par une petite balade sur la surface de Callisto… et encore plus.
Mais le meilleur emprunt à Dead Space, c’est clairement son sens du rythme, avec une technique de l’élastique très bien dosé, et parfois étonnant. On voit – ou entend – souvent les emmerdes arriver à l’avance, mais certaines montées de tension débouche tout simplement sur… rien, donnant inévitablement envie de relâcher sa garde, ce qui est bien entendu une erreur. Pour le coup, on sent que c’est parfaitement intentionnel, et c’est plutôt chouette, paradoxalement.
Le meilleur emprunt à Dead Space, c’est clairement son sens du rythme, avec une technique de l’élastique très bien dosé.
Oh, et on retrouve également ces iconiques scènes où l’action s’emballe, avec un gameplay unique pour la phase en question. Ce n’est pas toujours intéressant, voire pas assez intuitif pour assurer une certaine fluidité et maintenant l’adrénaline, mais ça donne une sacrée variété aux périls encourus par Jacob.
Par contre, des jump scares nuls – et qui ne font limite pas peur –, en veux-tu, en voilà ; chose qui était déjà critiquable dans le premier Dead Space. Et c’est vraiment à partir de là qu’on ressent que The Callisto Protocol n’arrive pas à s’extirper de l’ombre de son illustre modèle. Une bestiole qui saute à la gorge au détour d’un couloir ou de l’intérieur d’un casier, c’est rigolo une fois, mais avec l’impossibilité de les prédire, et donc de les esquiver, ça devient vraiment risible. À croire que Glen Schofield n’ont pas fait attention à ce qu’il se faisait dans les jeux d’horreur depuis 2008, alors que le spectre du remake de Resident Evil 2 n’est jamais très loin.
On ressent que The Callisto Protocol n’arrive pas à s’extirper de l’ombre de son illustre modèle.
S’il a le mérite d’aller droit au but sans vouloir trop s’épancher sur son univers, même le scénario est plus ou moins calqué sur celui de Dead Space, avec des rebondissements que l’on a déjà vus 1000 fois, et des points d’intrigues soit flou (ce qui comprend le twist principal, c’est ballot), soit à peine exploité, malgré des enjeux présentés comme majeurs. Pourtant, la réalisation des cinématiques et le jeu des acteurs, Josh Duhamel (Transformers) et Karen Fukuhara (The Boys) en tête, envoient du rêve… mais leur relation est peu crédible à la vue des événements que leurs personnages traversent. Certains points auraient mérité d’être plus approfondis, ou montrés sous un autre angle, en plus de ne pas avoir la volonté de raconter quelque chose. Allez, va pour la critique furtive sur les mégacorps à l’ère de l’exploitation de l’espace.
Je ne veux pas gâcher la fin, mais le dernier tronçon arrive un peu trop vite, soulevant plus de questions qu’elle n’apporte de réponses… et c’est sans parler d’un ultime boss un peu nullos et bien crispant. Tiens, encore un clin d’œil à Dead Space ?
Ce n’est pas la grosse Clarke
Ses idées de gameplay et sa réalisation font de The Callisto Protocol un survival-horror tout à fait appréciable, reprenant aussi à la lettre ce qui a fait le succès de Dead Space. Mais au-delà des imprécisions dans le gameplay et ses combats qui deviennent trop rapidement rébarbatifs, c’est également son plus gros défaut : c’est un gros jeu d’horreur coincé à la fin des années 2000, qui a eu peur d’innover à outrance, n’ayant que son atmosphère et son sens du rythme comme réels points forts.
Ce qu’on a aimé :
- Réalisation, sound design, atmosphère, tout y est
- Très bon jeu d’acteurs
- Rythme maîtrisé tout du long
- Tension oppressante comme il faut
- Yep, c’est gore
- Système de combat avec de chouettes idées…
- Mode 60 FPS sur consoles last-gen
Ce qu’on n’a pas aimé :
- … mais trop souvent imprécis dans l’exécution
- Tunnels de combat interminables aux confrontations rébarbatives
- Manque de variété flagrante chez les ennemis
- Mollo sur les jump scares qui ne font pas peur, là
- Phases de discrétion ratées
- Narration bancale au scénario à la frontière du cliché
- VF largement perfectible
- Soucis techniques sur la version PC
Ce jeu est fait pour vous si :
Vous aimez Dead Space à la vie, à la mort ; les jolies textures de gerbes sanguinolentes ; un sound design qui justifie l’achat d’un casque 7.1.
Ce jeu n’est pas fait pour vous si :
Vous préférez votre Survival-Horror quand il fait peur ; les mécaniques de jeu qui ne jurent pas avec la réalisation.
WarLegend.net a bénéficié d’une copie presse fournie par l’éditeur de ce jeu.
Configuration de test :
The Callisto Protocol est disponible sur PC, consoles Xbox et PlayStation.