Test Torment: Tides of Numenera – Une pensée sans cerveau, un cerveau sans passé
Après les très bons Divinity: Original Sin, Wasteland 2 ou encore Pillars of Eternity, on peut avancer sans doute possible que les CRPG font un retour fracassant sur le devant de la scène. Après avoir défriché le terrain, il était temps de monter le niveau d’un cran et d’essayer de ne pas se contenter de rendre hommage au genre, mais de le transcender. Quoi de mieux que l’enfant spirituel d’un des plus grand RPG de tous les temps pour essayer d’égaler — voire surpasser — la légende de son aîné ?
Test Torment: Tides of Numenera – CRPG > JRPG
La grande vague des jeux financés par Kickstarter et basés sur la nostalgie des joueurs est terminée depuis longtemps, mais certains titres sont encore en développement après tout ce temps. Wasteland 2 n’était pas encore terminé qu’InXile — créé par le légendaire Brian Fargo de chez feu Interplay — a décidé de demander à nouveau l’argent du peuple pour créer un titre ambitieux inspiré du vénéré vénérable, Planescape: Torment (aka meilleur RPG de tous les temps #noraj). Pour un objectif téméraire de 900 000 dollars, la campagne en aura ramené quatre fois plus, étoffant alors potentiellement la qualité du jeu.
N’ayant plus les droits de Donjons & Dragons, il n’était pas possible de refaire une suite directe dans l’univers de Planescape. Il fallait retrouver un matériel qui soit aussi étrange et original que celui de Planescape. Le choix s’est donc posé sur Numenéra, un jeu de rôle papier à succès plutôt récent avec un univers riche, fascinant et unique, faisant écho à la bizarrerie qu’était le multivers de Donjons & Dragons. Un dépaysement des plus total.
Le monde de Numenéra est le nôtre… un milliard d’années dans le futur, et il s’en passe des trucs en un milliard d’années. Les civilisations se suivent et se succèdent avec plus ou moins d’impact sur le développement de l’espèce humaine. On peut dire qu’on fait face à un mélange entre la science-fantasy et le post-post-post-post-post-post-post-post-apocalyptique. Les vestiges qu’ont légué les prédécesseurs sont omniprésents mais n’ont plus vraiment de sens. Les habitants du Neuvième Monde essaient alors de construire leur futur sur les ruines des anciennes civilisations et en essayant de percer leurs mystères… quand cela est possible.
Magie, technologie et ésotérisme ne font qu’un dans l’univers de Numenéra. On y croise des mutants, des “sorciers” manipulant la nanotechnologie à volonté, des cultes à ne plus savoir quoi en faire, des êtres venant d’univers parallèles, des androïdes, des dieux auto-proclamés, etc. On ne comprend pas tout dans le monde de Numenéra, et c’est normal. Les gens ont appris à vivre avec ce chaos persistant et tentent de vivre le mieux qu’ils peuvent.
Pour commencer, l’atmosphère de Torment est assez démentielle, grâce à une écriture de haute volée et un aspect graphique sobre, vieillotte, mais diablement efficace (Obsidian a gentiment prêté le moteur de Pillars of Eternity pour aider à la conception de ce nouveau Torment). Si on est face à un CRPG pur jus, avec des boîtes de dialogues et des descriptions à rallonge (il faut aimer les pavés, vrai prérequis du jeu), on est transporté instantanément dans le monde bizarre et fantastique de Numenéra. De nombreux éléments peuvent être inspectés et on peut parler à vraiment beaucoup de personnes. C’est simple, tous les mots qui constituent les dialogues, les passages descriptifs et la narration dépasse le million. C’est plus que la Bible !
Les décors de Torment on été traditionnellement peintes à la main, comme son grand frère et les grandes pontes de l’époque. On pourrait justement lui reprocher d’avoir un aspect un peu trop proche de Pillars of Eternity avec les personnages qui manquent de détails, mais les influences sci-fi et les architectures étranges des vestiges des anciens mondes insuffle le titre d’une réelle identité visuelle. On peut pas vraiment dire que certains décors soient beaux. Ils sont en tout cas… intrigants. On sent que c’est d’ailleurs le but recherché, tant ils sont plus étranges les uns que les autres. On peut reconnaître ou observer différentes architectures, artefacts ou objets d’ici et là, tout droit sortis d’une époque révolue, ayant un but précis mais qui a été oublié depuis longtemps.
Test Torment: Tides of Numenera – Une pensée sans cerveau, un cerveau sans passé
Comme dans Planescape: Torment, vous commencez le jeu avec la mort de votre personnage… et qui ne possède pas de nom. Vous vous réveillez étrangement après un grave accident, totalement amnésique, avec un tatouage sur la tête comme seul signe distinctif. Vous apprenez rapidement que vous êtes un Reliquat : ancien vaisseau de l’esprit du Dieu Changeant, un sage qui a réussi à transcender l’immortalité en transférant sa conscience de corps en corps, créés par ses soins, et ce depuis des siècles. Vous n’êtes alors pas vraiment amnésique, puisque vous n’avez jamais réellement eu de passé. Vous êtes une conscience nouvelle, née du départ du Dieu Changeant de votre corps. À peine né, on vous a déjà dépossédé de tout.
Par dessus le marché, on en veut à votre vie. Les batifolages du Dieu Changeant à travers les âges ont réveillé une puissante entité qui cherche rétablir un ordre ancestral que ce dernier a bafoué, nommé l’Affliction. L’Affliction cherche à tout prix détruire le Dieu Changeant, tout en effaçant l’existence des Reliquats au passage, sous-entendu : vous. Vous vous échappez de justesse de son emprise et êtes lâché dans la nature, dans un monde aussi étrange que dangereux. Il n’est alors pas question de sauver le monde dans Torment, mais de faire en sorte que l’Affliction se désintéresse de vous, et de trouver un sens à votre nouvelle vie.
D’une certaine façon, le fait d’incarner un personnage sans passé est une occasion rêvée pour se plonger à corps perdu dans le monde de Numenéra. Si vous ne comprenez pas cette étrange scène qui se déroule sous vos yeux alors que tout le monde n’y fait pas attention, c’est que votre personnage non plus. D’une scène, dialogue ou événement à l’autre, le nombre d’actions proposées sont généralement très nombreuses. Par vos actions et vos choix, vous allez construire la psyché du Reliquat et façonner par petites touches sa psychologie, interprétant comment les PNJs et vos compagnons vont vous percevoir. Rien de manichéen là dedans comme un alignement à la D&D classique, mais plutôt une façon de savoir comment votre personnage communie avec le monde qui l’entoure… littéralement. Le monde de Numenéra est traversé par les Flux (Tides) divisé en cinq couleurs correspondant à des traits psychiques forts : Rouge pour les émotions et l’action, l’Or pour l’empathie et le sacrifice de soi, Bleu pour la raison, la curiosité et le mysticisme, Argent pour la quête de gloire et le pouvoir, et l’Indigo pour le sens de la justice et du bien commun.
Plus vous ferez d’actions qui tireront dans une couleur, plus celle-ci deviendra prédominante chez vous. Selon les circonstances, des lignes de dialogues et des actions se débloqueront pour être de plus en plus raccord avec le personnage que vous avez décidé de façonner. Vous seul serez juge de ce que vous pouvez vous autoriser à faire, parce que les actions qui reposent sur un Flux ne sont jamais tout blanc, jamais tout noir. Les actions réalisables sont d’ailleurs souvent très bien tournés dans le sens où il n’est pas toujours évident de voir immédiatement si telle acte penche vers telle ou telle couleur. C’est souvent après coup que l’on comprend la logique derrière les points de Flux attribués à un moment, et on se retrouve à jouer d’instinct sur ce que l’on veut répondre, quitte à parfois insuffler notre propre psyché de joueur dans notre personnage, rendant le tout encore plus passionnant et grisant. Vous jouez vous, perdu dans ce monde chaotique où plus rien n’a de sens, et vous vous cherchez une place au milieu de tout ça.
Vos compagnons qui vous suivent tout le long de l’aventure sont nombreux mais tout aussi intéressants que vous, pour ne pas dire bizarrement intrigants. Entre une magicienne qui est reliée en permanence avec elle-même dans toutes les réalité alternatives, un aventurier Colgate, cheveux au vent qui irradie d’une aura doré dont il n’a pas conscience et bête comme ses pieds, ou une vielle Reliquat comme vous qui a vécu mille aventures mais qui peine encore à trouver sa place dans le monde, vous avez le droit à un casting haut en couleurs. Tous ont une histoire complexe, et pas souvent celle qu’on croit ou que l’on espère deviner. Selon vos Flux dominants ou certaines actions, vos compagnons réagiront d’une certaine façon. Ils s’ouvriront plus à vous, racontant mieux leur histoire et vous octroyant des bonus, ou pourraient finir par quitter le groupe, définitivement. Certaines rencontres dans Numenéra accompagné de tel ou tel personnage permet même de débloquer des intrigues et des éléments clés de l’histoire.
Test Torment: Tides of Numenera – Pas le temps de blablater, pas le temps de niaiser.
Niveau mécaniques de jeu, comme dit plus haut, on abandonne tout simplement les règles de D&D pour s’appuyer sur un autre support de règles plus moderne et plus élégant (n’en déplaise aux puristes). Si vos personnages possèdent des compétences comme la perception, la persuasion ou des connaissances dans un domaine de manière classique, la façon de les utiliser est dans l’ère du temps des JdR papiers qui mettent la narration avant tout.
Vos personnages possèdent trois réserves de points de statistiques : Puissance, Célérité et Intellect. Quand vous décidez de réaliser une action contextuelle, la compétence liée est utilisée est donne une base de réussite selon son niveau. Si vous n’êtes pas satisfait du taux de réussite avant de lancer le dé, vous pouvez alors dépenser des points de vos réserves pour améliorer vos chances de réussites. Vos réserves de stats sont à utiliser avec parcimonie car vous n’en avez pas beaucoup et qu’ils ne remontent seulement lors des phases de repos ou des objets qui valent cher. Au fur et à mesure que vos personnages montent de rangs, ils pourront investir plus de points dans une seule action, augmenter leur réserve ou gagner des avantages de points sans coûts supplémentaires. Là où le jeu redouble d’ingéniosité, lors de certaines actions, vous pouvez en tirer quelques chose de bénéfique même si vous ratez votre jet, et possiblement supérieur à un résultat positif. Ne claquez donc pas tous vos points dans une action qui vous semble importante, la vie dans Numenéra réserve plein de surprises.
Ces points servent également en temps de Crise. La Crise est quelque chose qu’aucun autre RPG n’avais fait avant et qui est pourtant d’une évidence même pour tout joueur papier. Il arrivera parfois des situations qui requièrent un certain sens de l’urgence et qui vous imposera de les résoudre en un temps limité, au tour par tour. Une personne à sauver d’un bâtiment en flamme, deux groupes de belligérants prêts à se mettre dessus, une bombe sur le point d’exploser, etc. Le jeu rentre alors en mode tour par tour et vous jouez vos personnages dans l’ordre d’initiative. À vous alors de trouver un moyen de désamorcer la situation en répartissant de manière intelligente les actions de vos personnages avec votre environnement selon leurs compétences. Ce sont des situations éprouvants en points et qui demandent un minimum de réflexion pour être réussis de manière satisfaisante. On ressent alors vraiment l’urgence et l’incertitude qu’un MJ un peu sadique arriverait à nous inculquer.
Les combats de Torment sont d’ailleurs également des Crises. Vous n’êtes pas obligés de tout massacrer tout ce qui vous menace, mais vous pouvez par exemple dépenser votre action du tour pour essayer de discuter avec l’adversaire et le résonner (j’ai bien dit “essayer“) ou utiliser intelligemment des éléments aux alentours pour réaliser l’action qui peut vous sauver des ennemis sans efforts.
Admettons, vous mourrez… et bien, cela n’est pas très grave. En qualité du Dernier Reliquat, vous êtes pourvu d’un corps qui a été créé par le Dieu Changeant, conçu pour être encore plus performant que le précédent. Vous ne pouvez pas mourir de manière classique. Chaque mort vous permet de vous poser et de pénétrer dans le labyrinthe de votre esprit. Il fait très vide au départ, mais plus vous progressez, et plus vous débloquez vos compétences de Reliquats. Certaines intrigues liés au passé du Dieu Changeant nécessite que vous mourriez pour faire avancer l’histoire au sein de votre esprit. Certaine morts inopinés selon une certaine situation dans le monde extérieur déverrouilleront d’ailleurs d’elles même des tréfonds obscurs de votre labyrinthe psychique. C’est très meta expliqué comme ça, mais la mort n’est pas une fatalité dans Torment, elle est même un moyen d’avancer.
Un dernier aspect intéressant qu’apporte Torment à la gestion de vos personnages tout en agrémentant l’atmosphère de Numenéra est la gestion des Cyphers. Les Cyphers sont des artefacts utilisables que vous trouverez le long de votre aventure. Ils peuvent avoir une histoire qui leur sont propre ou pas, mais il faut savoir que chaque Cypher est unique et à usage unique. Ils peuvent vous apporter des bonus, faire l’effet d’une grenade, vous empêcher de mourir, créer un clone, réussir un test de compétence, etc. Les Cyphers se greffent dans un espace dédié de votre inventaire et sont limités en nombre selon une compétence adéquate. Vous pouvez transporter plus de Cyphers que votre compétence l’autorise, mais vous augmentez significativement le risque que le Cypher se retourne contre vous. L’utilisation des Cyphers renforce drôlement bien le côté mystérieux et capricieux des artefacts de Numenéra. Pas le temps de penser si vous n’utiliseriez pas un Cypher plus tard, ils sont tous à usage unique de toute façon.
Test Torment: Tides of Numenera – Sans-Nom serait fier.
Torment: Tides of Numenéra est un travail colossal fait par des gens qui savent ce que Jeu de Rôle veut dire. Les graphismes à l’ancienne (pourtant de qualité) et les pavés de textes peuvent en faire fuir plus d’un, mais si on fait l’effort de lâcher prise dans l’univers étrange et fascinant de Numenéra, on nous propose alors une quête de soi extrêmement gratifiante et profonde, à côté de personnages attachants et intéressants où chaque ligne de dialogue et chaque panorama est une source potentielle d’étonnement. InXile a déjà promis aux joueurs de futures mises à jour gratuites pour étendre le plaisir de jeu.
► Points forts
- Véritable enfant spirituel de Planescape: Torment.
- Univers original, fascinant et crédible.
- Ecriture de haute volée.
- Traduction française excellente.
- Le système de réserves de Stats.
- Le principe des Cyphers, cruel dilemme de l’utilisation.
- Vos choix, votre histoire.
- Des milliers de façons de finir une quêtes.
- Pas manichéen pour un sous.
- Une rejouabilité à toute épreuve dûe à de nombreux embranchements.
► Points faibles
- Décors qui manquent parfois de finesse.
- Personnages 3D peu détaillés.
- Des bugs de textes parfois gênants dans la version française.
- Dialogues entre compagnons un peu redondants.
- Pavé César.
Le Jeu de Rôle, le vrai
War Legend a bénéficié d’une copie presse PC fournie par l’éditeur de ce jeu.
Vous pouvez acquérir Torment: Tides of Numenéra sur PC chez notre sponsor, GoCléCD, ou la version console chez Amazon (PS4 / Xbox One).
Je suis bien d’accord avec cet article et ses conclusions. Pas encore vu trop de coquilles mais ça viendra peut être.
C’est un jeu excellent, je l’ai commencé "pour voir" et finalement je ne parvient a m’en détacher. Une immersion totale, effectivement on se projette soi même très (trop?) facilement. Et pourtant au départ je pensais jouer un rôle de composition comme habituellement dans mes RP¨G. Mais avec ses dialogues et cet univers vraiment intriguant et unique, je ne mes sens pas la force de composer , j’ai envie et même besoin, d’être moi même, d’insuffler ma propre psyché a ce perso. (et j’ai choisi un perso féminin au départ, MDR)
J’ai un regret, l’audio n’est pas FR et ne reprend que le début de quelques dialogues étapes seulement..