Pourquoi F.E.A.R. a-t-il fait si peu d’émules ? En termes de rapport atmosphère/action, on approchait clairement de la perfection, avant-gardiste sur de nombreux aspects. Heureusement que Trepang2 est là pour rappeler pourquoi le titre de Monolith Productions est légendaire… quitte à en faire un poil trop.
F.E.A.R. Factor
Voilà un moment que Trepang2 est dans mon collimateur, présenté comme un hommage assumé à l’un des plus grands FPS solo de tous les temps : F.E.A.R. Ouais, c’est un avis comme un autre, le mien, mais ceux qui y ont joué en 2005 savent. Et pour répondre à la question : non, “Trepang1″ n’existe pas. Au cas où…
F.E.A.R, ce sont des pérégrinations dans des bureaux et complexes industriels où chaque corridor représente un jumpscare potentiel, à base de petite fille spectrale qui te juge à travers ses longs cheveux noirs. Aujourd’hui, la technique peut sembler un brin désuet, mais à l’époque, c’était les prémices des survival horrors où il n’y a aucun moyen de se défendre, portant le trouillomètre à son paroxysme. À une époque où le PC était l’Apex de la puissance informatique, les dernières techniques graphiques aidaient pas mal aussi.
Sauf qu’on est armé dans F.E.A.R., jusqu’aux dents, même. Mais si sa quincaillerie ne permettait pas de se défendre contre les apparitions d’Alma, il y avait tout un régiment de soldats sur lequel se défouler entre deux scènes d’angoisses. Et on a rarement vu des gunfights aussi viscéraux, au sens du spectacle certain, mais sans jamais enlever le contrôle de l’action au joueur.
F.E.A.R. n’était pas le FPS le plus rapide de tous les temps, mais avec un peu de maîtrise, il était possible de chorégraphier de véritables scènes de film d’action, sublimé par un moteur physique et de destruction du décor assez inédits à l’époque. L’IA n’était pas aussi révolutionnaire qu’on voulait bien le croire, mais donnait une belle illusion de cohérence tactique, qui ne demandait qu’à être mise à mal par un bon coup de pied sauté enchaîné par le vacarme d’un tir de SPAS-12 à bout portant, méritant sa place au panthéon des shotguns de légende.
C’était un gameplay à la fois d’une violence inouïe et d’une subtilité engageante, où la vaporisation des soldats Replica en slow-motion était une véritable récompense en soi. Un entredeux que l’on a rarement vu depuis, mais heureusement qu’une nouvelle génération de développeurs veille au grain, et entre Selaco et Trepang2, l’héritage de F.E.A.R. semble bien parti pour subsister encore un peu.
106 façons de mourir
Vous êtes le Sujet 106, un super-soldat aux capacités particulières qui fait de vous une formidable machine à tuer. Invisibilité, super réflexes et super glissades, rien ne vous arrête. Bon, il se peut qu’on ait réussi à vous arrêter une fois, puisque vous vous réveillez, ligoté et avec un sac sur la tête, dans un entrepôt appartenant à la société Horizon, instigatrice d’expériences scientifiques diverses et plus ou moins répréhensibles, aux conséquences potentiellement catastrophiques.
Après le coup de main d’un inconnu, vous voilà enfin libre de vos mouvements, libre de ne faire qu’une chose : ramasser le premier flingue pour vous venger. Il ne sera pas de trop pour vous échapper des griffes d’Horizon, ayant à sa botte toute une armée de mercenaires surentraînés… mais vous êtes bien meilleur qu’eux.
Les soldats d’Horizon sont efficaces, occupent l’espace de la façon la plus homogène possible, essaient toujours de garder un collègue à portée de vue, saturent de tirs les potentielles issues du joueur, avec un seul objectif en tête : le déloger, à coups de grenades ou de tactiques de contournement. On en voit rarement des IA comme ça, simulant habilement la perception que l’on avait de la capacité d’adaptation des soldats Replicas de F.E.A.R., et ça fait du bien.
Comme dans un documentaire animalier, on est fasciné de voir les mercenaires s’organiser de manière organique… ce qui n’est jamais à la faveur du joueur. La meilleure tactique pour l’emporter, c’est justement de casser cette cohérence, entre hits and run guérillesques et assauts frontaux musclés, et on s’en veut presque pour ça. Trepang2 donne assez peu de mécaniques à maîtriser, mais ces dernières sauront démontrer leur utilité jusqu’à la fin.
On fait monter la jauge de slow-motion au fil du body count, on se repositionne, puis on fait pleuvoir le plomb sur de pauvres soldats pris au dépourvu, bringuebalés dans tous les sens par une explosion de grenade à l’onde de choc bien visible, tandis que le lino au sol et le plâtre des murs volent en milliers d’éclats. Quand l’action clique, ça clique.
Avec un peu de créativité, aucune situation n’est insurmontable : on peut surprendre un ennemi pour le prendre en otage, empêchant ses camarades d’ouvrir le feu pendant quelques instants, le temps d’avoir la bonne position pour tous les abattre en un temps record. Et si le pauvre bouclier humain respire encore, libérez-vous de ce poids en lui cassant la nuque d’un geste vif, ou bien balourdez-le en l’air comme une partie malsaine de balltrap… ou sur ses potes, n’oubliant pas de le laisser repartir avec une grenade en guise de cadeau d’excuse.
La fameuse glissade de F.E.A.R. revient pour devenir une technique ultime pour briser des tibias, tout en permettant de traverser une pièce à une vitesse délirante de Mach 2, et si les feux croisés deviennent un peu trop dangereux, l’invisibilité permet alors de se désengager, le temps de trouver une nouvelle approche. Et avec son système d’endurance et de jauge de réflexe, le titre récompense clairement les actions agressives.
Contrairement à F.E.A.R. qui laissait quelques moments pour souffler, Trepang2 ne veut pas offrir ce luxe, faisant son possible pour garder l’adrénaline à son maximum, au point où ça en devient un peu ridicule. Jouissif, mais un brin ridicule quand même. On retrouve l’approche tactique du jeu d’origine, mais la volonté de cet hommage au jeu de Monolith est clairement de pousser les potards à fond, voire au-delà. L’action est désormais plus que nerveuse et frôle le décérébré, mais l’art du subterfuge est toujours là, par légères touches, quelque part au milieu du pur chaos des gunfights.
Les FPS solo ont failli disparaître parce que les studios avaient oublié ce qui faisait une expérience engageante et stimulante. La recrudescence de boomer shooters est la preuve d’une certaine introspection (bien sûr alimentée par une forme de nostalgie), et Trepang2 maîtrise parfaitement le concept de sec-by-sec gameplay, où chaque micro-décision prise à la volée a son importance. Ce n’est pas réaliste pour un sou, mais c’est terriblement jouissif et addictif, avec relativement peu d’efforts à fournir pour renouveler les situations du côté des développeurs, malgré une redondance qui pointe inévitablement le bout de son nez.
Mais quelle sensation incroyable de sprinter vers un pauvre mercenaire isolé, asséner un dropkick qui le fait violemment cogner la tête contre le sol, l’entendre crier dans son casque entre stupeur et douleur, puis de profiter de cette nouvelle impulsion pour se jeter sur son pote, un SPAS-12 dans chaque main. Les ennemis ne sont bons qu’à être de la chair à canon pour nos expérimentations sadiques, bien que certains soldats d’élite sont moins enclins à être pris par surprise, ou blindés des pieds à la tête, ce qui exige souvent de revoir complètement sa tactique.
Une mention spéciale à la musique metal aux nappes électroniques qui arrive brillamment à donner du rythme et une atmosphère particulière à l’ensemble.
Monolith superposé
Parce que Trepang2 est développé essentiellement par 4 personnes, le studio n’a malheureusement pas les ressources nécessaires pour fournir une campagne digne de ce nom, mais trouve tout de même quelques astuces pour proposer une durée de vie plus que correcte pour le tarif exigé.
Si les missions principales se comptent sur les doigts d’une main, les missions secondaires sont là pour donner un peu de contexte à des affrontements en arène par vague. Les niveaux sont plutôt bien conçus et changent pas mal la façon dont doivent être abordés les affrontements, ce qui n’est pas plus mal pour un FPS solo qui mise énormément sur ses opportunités de gameplay. De plus, faire monter la difficulté permet de profiter de quelques phases de jeux inédites, mais il faut avoir l’estomac bien accroché.
L’hommage de Trepang2 à F.E.A.R. vient aussi de l’atmosphère ambiant qui s’en dégage quand l’action ne s’en mêle pas trop. Et si le scénario du FPS horrifique de Monolith est devenu culte avec la présence charismatique d’Alma, il faut avouer que ça n’a jamais été un véritable exemple à suivre en termes de qualité, avec un twist de fin qui ne faisait pas vraiment sens.
Il y a bien un semblant de scénario en filigrane dans Trepang2, mais ce puzzle cryptique n’est finalement qu’une excuse pousser la rejouabilité, motivé par la collecte de bribes d’informations manquants à l’appel lorsque les crédits de fin s’affichent pour la première fois. On ne comprend pas tout, à se demander si on fait partie du camp des gentils, mais on va dire que c’est fait exprès, hein ?
Bien qu’il soit question d’entreprises à l’éthique douteuse sur fond d’expérimentations paranormales, Trepang2 distille un fourre-tout nanardesque, je l’espère, assumé. Entre virus mutagènes développés en laboratoire, sectes millénaires, invasion extraterrestre, tout un imaginaire qui pioche allégrement dans les mythologies de la fondation SCP et des Backrooms, Trepang2 n’a malheureusement pas grand-chose à soi de ce côté-là. Les missions se succèdent mais n’ont finalement que peu de liens scénaristiques entre eux, le seul point commun étant l’affaiblissement d’Horizon.
Toutes ces influences permettent tout de même de proposer une certaine variété dans la mise en scène axée sur l’angoisse, plutôt créative, mais aux ressorts qui ne surprennent malheureusement que trop peu… si on met de côté quelques jumpscares un brin cheapos. Dès qu’il est question de faire errer le joueur dans des couloirs sombres plusieurs minutes sans faire planer l’ombre d’un gunfight, on s’ennuie un peu, anticipant sans trop de soucis la prochaine machine à frayeurs. Reste toutefois cette ambiance militaro-industrielle délicieuse où tout le monde s’exprime, lâche des punchlines et crie de douleur à travers un filtre radio.
Clairement, ce n’est pas sur sa mise en scène que Trepang2 brille le plus, révélant quelques soucis de finition, alors que la partie action prouve une très grande maîtrise de son sujet. De même, dès qu’on propose quelques affrontements qui ne font pas intervenir des humains, l’intérêt se brise bien trop facilement. Heureusement que ces phases de jeu sont relativement passagers et que l’essentiel du fun de Trepang2 est distillé durant toute la campagne. Ouf.
Slow Mo Guy
Développé par seulement 4 personnes, Trepang2 est une excellente surprise qui offre un bon équilibre entre gameplay tactique et action débilo-jouissive. F.E.A.R. sert d’excellente base pour une proposition qui va finalement plus loin, plus nerveuse, au détriment d’un travail sur l’ambiance, présente, mais pas toujours inspirée. Toutefois, le spectacle est au rendez-vous et on prend un malin plaisir à trouver mille et une façons de tourmenter des soldats persuadés d’avoir l’ascendant. De l’art né du chaos.
Ce qu’on a aimé :
- Gameplay emblématique de F.E.A.R. sous stéroïde
- Mécaniques complètes à maîtriser
- I.A. compétente qui ne demande qu’à se faire martyriser
- Chaos destructeur jouissif
- Level design efficace
- Rejouabilité au goût de “reviens-y”
- Bande-son qui tabasse
Ce qu’on n’a pas aimé :
- Gameplay parfois trop cinétique pour son propre bien
- Scénario cryptique peu passionnant
- La variété dans les affrontements ne survient pas toujours toute seule
- Arsenal qui aurait mérité d’être un peu plus étoffé
- Combats contre les adversaires non humains bancals
- Quelques soucis de finition
Ce jeu est fait pour vous si :
F.E.A.R. vous manque
Ce jeu n’est pas fait pour vous si :
Vous estimez que faire une glissade sur 25 mètres, ce n’est pas réaliste
WarLegend.net a bénéficié d’une copie presse fournie par l’éditeur de ce jeu.
Configuration de test :
- GPU : NVIDIA RTX 2080 Ti
- CPU : Intel Core i9-9900k
- RAM : 32 Go DDR4
- Installé sur SSD
Trepang2 sera disponible le 21 juin 2023 sur PC.