Dernier jeu de grande envergure pour la Nintendo Switch de 2017, Xenoblade Chronicles 2 était déjà vendu comme un nouveau monument du JRPG qui devait marcher dans les pas du premier jeu sorti sur Wii en 2010, alors d’une profondeur et d’une générosité exceptionnelle. Malheureusement, même si le titre possède des qualités fortes, l’essai n’est pas transformé.
Faut savoir grandir un peu
Le joueur incarne Rex, un jeune récupérateur qui écume la Mer de Nuages, et qui voyage sur le dos de Papy, son Titan mentor. Le monde Xenoblade Chronicles 2 ne possède pas de terre ferme et les habitants d’Alrest sont contraints d’habiter sur le dos des Titans, gigantesques créatures dont les plus grands font office de véritables continents. Alors qu’il est embauché pour une mystérieuse expédition afin de retrouver une épave d’un vaisseau très ancien, ses commanditaires le tuent. C’est alors que Pyra — cargaison principale du vaisseau — le ressuscite et fait de Rex son Pilote. À partir de ce moment-là, Rex promet à Pyra de l’aider à retourner là d’où elle vient : à l’Elysium, sorte de jardin d’Eden perdu, perché au sommet de l’Arbre Monde, au centre d’Alrest. Une aventure épique et de longue haleine attend Rex et ses amis qu’il rencontrera en route, et moult rebondissements scénaristiques sont à prévoir.
Justement, le souci est qu’on arrive à tout prévoir. Si l’univers de Xenoblade Chronicles 2 est sympathique et enchanteur à souhait, on a l’impression d’avoir vécu cette histoire mille fois, avec des références ou des liens d’autres univers de JRPG (ou de manga) qu’on aurait déjà faits. Entre l’héritière d’une civilisation disparue qui suit le héros qui n’a rien demandé aux origines étranges, élevé par un vieux mentor, avec des alliés qui deviennent des ennemis, mais pas vraiment méchants qui redeviennent des alliés par la suite, avec un Empire militariste vu déjà mille fois qui veut mettre la main sur la fille en question, mais qui se ne laissera pas faire grâce au “pouvoir de l’amitié“, et avec l’éternel personnage au milieu d’une conversation qui va s’exclamer “mais c’est donc pour ça” et qui ne va jamais t’expliquer ce qu’il a compris dans le scénario tentaculaire, pourtant bourré d’incohérences… il faut vraiment être un fan hardcore d’oeuvres japonaises pour arriver à passer outre, voire se galvaniser des clichés et de codes qui leur sont propres pour se sentir investi dans le scénario. Oh, il y a aussi une race de personnages trop kawaï qui parlent avec leurs propres TIC de langage. Quand je vous dis que c’est cliché…
Digne d’un shônen, ça se laisse suivre avec un certain plaisir coupable, mais une fois qu’on a compris où l’histoire veut nous mener avec ses ficelles narratives, la trame ne nous surprend plus. De plus, la mise en scène n’aide pas vraiment à attiser notre sympathie avec des dialogues qui manquent de naturel et de rythme, et des animations rigides tout droit sortis d’un Visual Novel, sans compter les dialogues entre les personnages lors des phases d’exploration (très vite répétitifs) qui arrivent parfois à spoiler (malgré eux) le fil de l’histoire. Les cutscenes complets réguliers de bonne facture rattrapent pas mal le tout, mais niveau narration on a l’impression d’être coincé avec un JRPG des années 90/2000. Ce n’est pas vraiment l’ambiance shônen qui est à remettre en cause, mais vraiment le manque d’audace du scénario et de cohérence de l’univers qui nous est dépeint.
Ce n’est pas comme ça que fonctionne l’anatomie humaine
Visuellement, le titre se défend pas trop mal et possède quelques moments de bravoure. Les personnages sont détaillés et certains panoramas sont vraiment de toute beauté selon le continent sur lequel on se trouve, malgré une résolution dynamique parfois brouillonne et quelques chutes de framerate parfois gênantes (surtout pendant les phases de QTE pour déchaîner une attaque puissante). Jouer en mode portable est malheureusement à proscrire, car très peu lisible sur l’écran de la Switch, en plus de manquer de netteté. Certains éléments n’apparaissent également qu’au dernier moment, rendant parfois compliquée la recherche des ennemis précis dans une grande plaine.
La direction artistique quant à elle est très étrange, car elle ne semble pas vraiment très unie par moments, surtout au niveau des personnages qui ont été élaborés par plusieurs chara-designers différents… et pas toujours du meilleur goût, à commencer par les héros Rex et Pyra. Rex se balade constamment avec son scaphandre sans inspirer grand-chose et Pyra doit se sentir inconfortable avec un corset aussi serré et un short aussi ras la fouffe, pourtant présentée comme une jeune fille sérieuse et attentionnée… et encore ce n’est pas la pire. La qualité design du jeu est présent sur tout le spectre du bon goût et les weebs amoureux du Moe seront aux anges. Persona 5 nous a prouvé qu’on pouvait aborder des thèmes matures dans le JRPG sans être obligé de tomber dans la vulgarité, et c’est bien dommage.
La musique est en revanche de très bonne qualité avec des thèmes qui arrivent tout de même à rester dans la tête, même si le mixage sonore du jeu est catastrophique. Avec les options sonores par défauts, la musique arrive souvent à couvrir les dialogues et son utilisation dans la mise en scène est aussi rigide que les personnages. Il m’est déjà arrivé de sursauter parce qu’une musique de combat s’activait dans un dialogue pour prévenir l’arrivée d’un moment chaud dans l’évènement, mais cela semblait tellement déplacé dans la mise en oeuvre que ça tombait à plat… et ça arrive très souvent. Les commentaires des personnages pendant les phases d’exploration et de combats peuvent rendre fous, car extrêmement répétitifs et toujours accompagnés du problème de mixage. S’il est possible de télécharger un pack de voix japonaises sur l’eShop, le doublage anglais est plutôt intéressant malgré quelques désynchronisations labiales, mélangeant toutes sortes d’accents britanniques (récurrent dans la série). Accompagné d’une excellente localisation française qui n’hésite pas à se réapproprier les dialogues pour les rendre plus naturels, il est conseillé d’essayer les deux langues pour se faire une idée de sa préférence.
La musique est en revanche de très bonne qualité avec des thèmes qui arrivent tout de même à rester dans la tête.
Jeu massivement monojoueur hors ligne
Reprenant les grandes lignes du premier Xenoblade — à défaut de faire vraiment sens — le système de combat est plutôt profond et bien pensé. Le secret de la réussite réside dans la composition de votre groupe qui doit être bien équilibré et complémentaire aussi dans leurs rôles, compétences et types de dégâts. La plupart des combattants de votre groupe pourront utiliser une variété de Lames, des alliés qui canaliseront leur énergie pour fournir différents types d’armes et d’Arts qui y sont liées, et de différents types de dégâts élémentaires. Les Lames sont déblocables aléatoirement dans des pierres plus ou moins rares. Certaines sont génériques, d’autres uniques avec leur propres atouts et designs. Véritable Loot Boxes (sans les microtransactions, donc ça va), il faudra de la chance et de la patience pour débloquer les Lames les plus intéressantes, car les génériques verront leur utilité très vite limitée.
C’est alors qu’on découvre le système d’auto-attaque de Xenoblade, comme si l’on jouait à un MMO. Dès que vous êtes à portée de votre cible, votre personnage attaque tout seul et commence à enchaîner des combos. Le but du combat sera alors de déclencher les Arts liés à vos Lames afin d’exploiter leurs effets spéciaux (dégâts accrus si attaque de flanc, faire chuter l’ennemi, augmenter la menace, etc.) et faire monter une barre d’Art spécial. Utiliser un Art spécial sur un ennemi augmente un potentiel de combo spécial, où enchaîner des Arts spéciaux de puissance de plus en plus forte grâce à vos différents personnages appliqueront un debuff puissant sur l’ennemi selon le type élémentaire de ces attaques spéciales. Activer le combo en appuyant au bon moment d’une auto-attaque permet d’augmenter sensiblement les dégâts. On est alors à cheval entre un combat de RPG dynamique où il faudra bien se positionner de temps en temps et un type de combat plus posé où il faudra réfléchir sur les types d’effets que l’on souhaite. Rajoutez à ça une barre de combo de groupe et d’un cheminement d’effet des armes pour handicaper physiquement l’adversaire, et vous aurez alors beaucoup de paramètres à prendre en compte pour mener de façon optimale vos combats.
Malheureusement, on voit aussi les limites d’un tel système. La synergie des personnages est très proche d’un groupe de joueurs de MMO : si votre tank meurt ou perd l’aggro, le reste du groupe risque de trépasser dans le moment suivant. Si votre groupe arrive à réguler le rythme du combat, la victoire est alors en ligne droite. Il est impossible de contrôler vos coéquipiers pendant un combat et de choisir quelles attaques ils doivent utiliser pour espérer faire monter un combo de manière efficace, même si l’IA arrive assez souvent à créer des opportunités intéressantes. Si un personnage peut utiliser plusieurs Lames avec des rôles différents pour être plus versatile, il sera toujours moins efficace, car mal équipé en conséquence. Chaque Lame étant elle même aussi personnalisable qu’un personnage jouable, arriver à optimiser un groupe est déjà suffisament compliqué et coûteux en soi, bousculer les habitudes d’un groupe en y incorporant un nouveau guerrier déséquilibre souvent la synergie du groupe, la rendant beaucoup moins efficace que si le joueur se contentait de se concentrer toujours sur le même trio. Il est tellement dur d’optimiser un personnage entre son niveau d’expérience, son équipement, son arbre de talent, la composition de ses arts, la composition de ses Lames, l’équipement des Lames et leur propre arbre de talent que ça devient vite un calvaire pour essayer d’avoir un groupe aux petits oignons… surtout qu’on se bat en permanence avec l’interface.
La synergie des personnages est très proche d’un groupe de joueur de MMO : si votre tank meurt ou perd l’aggro, le reste du groupe risque de trépasser dans le moment suivant.
Le capitalisme sans les stocks options
Le monde d’Alrest est vaste et possède beaucoup de choses à découvrir. L’impression d’être dans un MMO est encore renforcée par la présence d’énormément de points de récoltes de ressources à travers la carte, un système de crafting simple, des grandes villes avec énormément de magasins et un stock d’objets à gérer gargantuesque. La bonne idée du jeu est que quand vous accomplissez des quêtes locales et achetez des objets dans une boutique, vous contribuez au développement de la ville (oui, à vous tout seul). Développer une ville contribue à faire baisser les prix et enrichir l’offre des magasins. Vous pouvez même racheter une propriété une fois que vous avez acheté au moins une fois chaque objet qu’il propose, mais vous ne toucherez pas de commission, seulement une ristourne encore plus grande. Cela peut tout de même être rentable pour un magasin de consommables où vous revenez régulièrement.
Les zones explorables sont truffées de monstres dont l’hostilité n’est pas explicite et dont l’exploration est bloquée arbitrairement par leur niveau de puissance. Sur le premier continent, vous pouvez croiser des monstres niveau 80+ alors que vous n’êtes un pauvre Pilote de niveau 15. Des points de voyages rapides sont disponibles à peu près partout et sont accessibles à n’importe quel moment, quitte à parfois briser la cohésion scénaristique… encore. Les quêtes sont des purs produits Fedex indiqués sur la map en permanence, quitte à être contre-productifs. L’exemple flagrant est une partie de cache-cache avec des enfants. Il suffit tout simplement d’ouvrir sa carte (elle aussi très pénible à utiliser) et de se rendre aux pointeurs pour trouver les gamins et terminer la quête. Idem pour les quêtes principales qui requièrent le joueur de se rendre à un point donné et puis basta. Il arrive que quelques quêtes surprennent, comme la possibilité de payer plutôt que de se taper une séance de farm intensive, mais ça s’arrête généralement là.
Les quêtes sont des purs produits Fedex indiqués sur la map en permanence, quitte à être contre-productifs
Pour terminer, n’oubliez pas de sauvegarder souvent. Le jeu permettant de sauvegarder à tout moment afin de jouer plus confortablement dans une optique nomade, un système d’auto-save n’aurait pas été du luxe. Également, si je n’arrive toujours pas à savoir si c’est une intention des développeurs ou non, les didacticiels sont très mal foutus et ne sont consultables après coup nulle part. Il arrive souvent qu’on nous explique une mécanique alors qu’on l’avait déjà compris tout seul, et d’autres moments où on aurait bien besoin d’un rappel sur la lecture des fiches de personnage ou du système de Combo élémentaire tellement c’est touffu et complexe. Big up au système de vertus nécessaire pour débloquer de nouvelles Lames qui n’est jamais expliqué.
les didacticiels sont très mal foutus et ne sont consultables après coup nulle part.
Il y a un monde à découvrir en dehors du Japon
Oui, je dis beaucoup de mal de ce Xenoblade Chronicles 2, mais comprenez-moi, j’en attendais beaucoup de ce JRPG Triple A sur Nintendo Switch. Si le jeu de Monolith Soft possède une pléthore de défauts en majorité due à une philosophie de développement très (trop) traditionnel qui n’arrive pas à se moderniser sur tous les plans, il en reste tout de même un bon jeu une fois qu’on a gratté à travers l’épiderme puis le derme. Il n’est simplement pas assez audacieux et inventif là où cela est nécessaire, et trop généreux quand ça ne l’est pas. Il plaira aux amateurs de JRPG et de Japanimation, mais les joueurs hardcores habitués au genre le trouveront insipide, voire inintéressant. Pourtant, si vous arrivez à accrocher aux aventures de Rex et Pyra, le contenu présent pourra vous scotcher facilement pour une centaine d’heures.
► Points forts
- Certains visuels réussis
- L’histoire a ses moments
- Une B.O de qualité
- Une localisation française au top
- Les voix anglaises intéressantes
- Un système de combat plus profond qu’il en a l’air
- Une exploration engageante
- Beaucoup de choses à faire
► Points faibles
- Clichés et codes du JRPG irritants
- Fan service à tous les étages
- Narration décousue qui donne parfois envie d’hurler
- Direction artistique inégale
- Mise en scène d’un autre âge
- Démarrage lent
- MON DIEU, L’INTERFACE
- Didactiel mal foutu
- Le mixage sonore
- Faut farmer sec
- Pas d’auto-save
- Les Nopons
C’est loin Elysium…
WarLegend.net a bénéficié d’une copie presse Nintendo Switch offerte par l’éditeur du jeu.
Trailer de lancement de Xenoblade Chronicles 2
Xenoblade Chronicles 2 est disponible sur Nintendo Switch.
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