Le journaliste Jason Schreier de Kotaku a écrit un compte rendu sur les conditions de travail chez Treyarch, le studio responsable des Call of Duty: Black Ops.
Police d’assurance qualité
Aaaaah ! Ça faisait longtemps — deux mois — que Jason Schreier n’avait pas dévoilé un nouveau scandale dans l’industrie du jeu vidéo. Un petit peu de drama nous fera le plus grand bien. Bon, vous avez peut-être l’impression que je suis sans coeur, mais il vaut mieux en rire qu’en pleurer, parce qu’on a atteint de nouveaux sommets de l’ignominie avec une autre franchise bien connue qui rapporte des milliards tous les ans : Call of Duty.
D’après l’article du journaliste de Kotaku, Treyarch traiterait ses contracteurs d’assurance qualité (QA) comme… de la merde (osons dire les choses). Alors que tout le monde travaille dans le même bâtiment, il existe une véritable séparation entre les employés du studio et les membres du département d’assurance qualité.
Pour avoir un début d’explication, il faut comprendre comment cela fonctionne : les testeurs ne sont pas des employés d’Activision mais de Volt, une société externe qui s’occupe de la partie d’assurance qualité afin de créer des rapports de bugs à destination des vrais développeurs. De ce fait, les contrats ne sont pas les mêmes. Pourtant, les testeurs travaillent presque autant qu’un employé classique soit presque 70h par semaine pour seulement 13$ de l’heure (le SMIC en Californie est de 12$). Ils ont pourtant, pour la majorité, des diplômes en informatique.
Dans de gros studios comme Treyarch, travailler énormément est souvent récompensé par de grosses primes. Quand il s’est avéré que Black Ops 4 avait atteint ses objectifs, Activision a octroyé un bonus de 15 millions de dollars au studio pour être départagé entre les employés. Les managers ont pris la plus grosse part, et les développeurs ont pris la suivante. Quant aux testeurs, s’ils avaient gagné 15$, c’était le bout du monde, comme l’explique un ancien membre du département QA :
Cela a brisé beaucoup de personnes. Nous sommes payés une misère et travaillons une quantité d’heure absurde, mais ces personnes reçoivent d’énormes sommes d’argent. Cela fait partie de la culture de ne pas se soucier [des autres].
Un autre ajoute même :
Lorsqu’on voit toutes ces Teslas arriver après la distribution des bonus, on se sent mal. Le parking de notre entreprise est entièrement plat, du coup, on peut voir plein de Jaguars et de Teslas. Quand vous voyez une vieille bagnole, vous pouvez être sûr que c’est un contracteur.
Bien sûr, Treyarch a sorti le bullshit damage control médiatique habituel comme :
Il est important pour nous que toutes les personnes travaillant sur le jeu, ou n’importe lequel de nos projets soient traités avec respect et que leurs contributions soient appréciées. S’il y a un cas où cette norme n’est pas respectée, nous travaillons pour y remédier immédiatement. Nous nous efforçons constamment de fournir un environnement de développement enrichissant et amusant pour tous.
Ah ah, la bonne blague. Je me permets de rire, parce que la suite est encore pire.
Au fourneau
Si les problèmes d’inégalités salariales pour une simple question de contrat sont une chose, le traitement humain réservé à ces employés est une autre. Les managers de Treyarch et de Volt défendent leurs employés de se mélanger, créant une séparation arbitraire entre les deux entreprises.
Je pense que dans de nombreux studios, vous avez des membres d’assurance qualité réparties un peu partout, intégrées à certaines équipes. Chez Treyarch, ce n’est qu’un seul département, dans son coin.
Cela va plus loin, car quand il était question de fêter la sortie du jeu, les employés ont pu profiter d’une soirée d’euphorie dans la boîte… alors que le département QA était obligé de travail. Pardon, j’avais oublié qu’ils avaient le droit à 20 minutes de fête, à condition de ne pas consommer le buffet. Un membre de Treyarch était même étonné qu’ils soient invités, même pour 20 minutes.
Puisqu’on est en pleine période de canicule en France, il est bon de rappeler que les températures qui avoisinent les 30°C sont la norme à Los Angeles. Deux équipes se relaient pour faire en sorte que le département tourne 24h/24. Les développeurs de nuit se plaignaient d’avoir trop chaud à cause du matériel informatique. Alors qu’il suffisait de modifier le minuteur de la climatisation, les managers n’ont rien voulu savoir :
Ils nous ont dit que la climatisation était en panne, alors qu’elle avait fonctionné toute la journée. Peu importe à quel point nous les avons suppliés de faire quelque chose, rien ne se passait.
— J’avais des collègues qui transpiraient littéralement à travers leurs vêtements.
Il a fallu deux mois de mails incessants pour que les managers craquent sous la demande incessante des testeurs.
Quitte à créer un véritable fossé, les membres du département QA sont même priés d’aller se garer sur un parking différent… bien plus loin. Tant qu’à faire, le temps de trajet à pied n’est pas compté sur les heures de travail (les pauses repas non plus, d’ailleurs). Même les badges d’accès au bâtiment sont de couleurs différentes pour rappeler qu’ils ne vivent pas dans le même monde.
On a pas la même maillot, mais on a la même passion
Quand les employés de Treyarch sont interrogés à propos de leurs conditions de travail, les testeurs ne sont même pas consultés. Ils ne font pas partie de la même entreprise, après tout. Pourtant, les membres du département QA aiment travailler sur le jeu autant que n’importe quel développeur.
De meilleurs revenus seraient bienvenus, mais je pense qu’une majorité d’entre nous veulent juste être traités équitablement. Nous nous soucions tous du même jeu. Nous sacrifions nos journées pour travailler sur ce jeu. Aucun d’entre nous ne serait ici si nous n’aimions pas Black Ops et la série dans son ensemble. Pourquoi nous traiter comme des sous-humains alors que nous travaillons aussi dur que vous ?
Il y a un réel mépris pour le département QA, à tel point que les testeurs ont appris que Treyarch allait s’occuper de Call of Duty 2020 sur internet. À cause d’une fuite de la part du département il y quelques années, les testeurs restent dans l’ignorance en permanence de façon délibérée, renforçant un peu plus cette sensation ne pas travailler sur un projet commun.
Le problème que cela génère est qu’il y a un manque de communication flagrante entre les deux entités. Un testeur qui trouve un bug ne peut pas en parler directement avec le développeur intéressé ni soumettre quelques idées. Ils veulent bosser dans le jeu vidéo, mais ils ont l’impression d’être la cinquième roue du carrosse (qui s’assure pourtant à ce que tout ne se casse pas la gueule). Même certains développeurs titulaires pensent que cela augmente le risque d’apparitions de bugs.
De ce fait, il y a un sentiment de détachement profond de la part des testeurs pour le projet. Ils ne s’investissent plus vraiment et le turnover est très important. Parce que les testeurs partent et viennent, l’équipe elle-même a du mal à développer une cohésion.