L’immersion sans la révolution
Nous sommes le 7 décembre 2020, il est 18h00 et l’embargo sur les tests de Cyberpunk 2077 vient d’être levé. Différents sites spécialisés français ont pu jouer au dernier jeu de CD Projekt Red rendent enfin leur verdict : les avis sont très favorables, bien que le résultat final soit parfois rapporté comme inégal.
La plupart des rédacteurs ont reçu leur code de téléchargement le 1er décembre et ont immédiatement pu jouer ensuite. Si CD Projekt Red a promis que les joueurs auront toujours quoi faire après 100 heures de jeu, les différents testeurs estiment qu’on peut faire le tour de Cyberpunk 2077 en 50/60 heures.
Globalement, tous s’accordent à dire que la densité de Night City est vertigineuse, véritable “personnage” à part entière du titre. Il y a des choses à découvrir à chaque coin de rue, de nombreuses saynètes ultras variées et qui donnent un sacré souffle de vie à l’ensemble. Chaque quartier possède une réelle identité tout en restant cohérent avec le reste.
Night City est le fruit d’un travail que l’on imagine titanesque. Un nombre tout simplement incalculable d’éléments ont été créés pour l’occasion. De la moindre publicité à la plus petite des échoppes, tout, dans Night City, respire la crédibilité. On sent qu’un amour incroyable a été porté aux architectures, aux quartiers, aux ambiances, qu’elles soient visuelles ou sonores. Night City est une ville aux atmosphères riches, qui prend des traits différents de jour comme de nuit, tant et si bien que l’on préférera souvent flâner dans les rues plutôt que privilégier le voyage rapide, même si cela suppose de multiplier les phases de véhicule qui elles, ne brillent clairement pas les sensations qu’elles procurent. C’est simple, une fois perdu dans Night City, nous n’avons plus envie de la quitter et il sera très dur de reproduire un monde ouvert urbain et futuriste qui parviendra à lui donner la réplique. C’est une ville qui se tient et surtout, qui existe. — [87], rédacteur chez JeuxVideo.com
Le studio est dans la démesure et ne s’en cache pas. D’un point de vue artistique et visuel, Cyberpunk 2077 semble délivrer toutes ses promesses.
La claque visuelle est également d’ordre technique, et il semblerait que l’optimisation soit satisfaisante sur PC : une RTX 3080 tient bien bel et les 60 FPS en 4K avec tous les effets graphiques à fond, raytracing compris (avec le DLSS). Malheureusement cantonnés à la version PC, les différents testeurs ont quelques réserves vis-à-vis des performances de la version console, notamment sur les plus anciennes.
Braindance
L’immersion passe également par une écriture de très bonne facture, sublimée par une mise en scène millimétrée et omniprésente. La vue imposée à la première personne y est pour beaucoup, ce qui donne une vraie crédibilité aux différents personnages rencontrés, souvent particulièrement marquants.
Il y a beaucoup de réserves sur l’aspect “mature” du titre cependant, où la sexualisation de la micro-société de Night City semble exacerbée à l’extrême, à la limite de la parodie. On recense beaucoup de godemichets à travers la ville. Beaucoup. Genre, vraiment.
Les choix de dialogues très fréquents ont un impact viscéral sur le déroulement des événements (notamment grâce à la fameuse mise en scène), mais leurs conséquences tombent assez régulièrement dans des entonnoirs au dénouement unique (trop pour certains).
Bon nombre d’options de dialogue qui semblent promettre des embranchements de quêtes mènent finalement au même résultat unique. La plupart des observations exclusives à une origine de personnage (Corpo, Street Kid ou Nomade) n’a qu’une simple valeur “cosmétique” et permet très souvent d’imprimer un ton plus personnel à V, mais rarement de faire fléchir les évènements, ou si peu. La nature même du personnage principal (un mercenaire) fait qu’il n’est pas si souvent consulté par ses contemporains comme pouvait l’être un Geralt en son temps. On n’a que plus rarement voix au chapitre sur la manière dont doit se conclure telle ou telle histoire. Cyberpunk 2077 n’est pas avare en conséquences : il les manifeste simplement à la marge, en bordure de cette histoire qu’il tient à raconter. — Gautoz, rédacteur chez Gamekult
Johnny Silverhand incarné par Keanu Reeves est tout sauf gadget et sert de véritable moteur à l’histoire. Au delà d’être un simple compagnon logé dans le crâne de V, les échanges avec l’ancienne rock star sont profonds et bien amenés, apportant une vraie dynamique dans le duo de personnages s’installe.
Le rockeur au bras argenté n’apparaît qu’après plusieurs heures de jeu, mais c’est pour mieux accompagner V tout au long du reste de l’aventure. Trop en dire sur lui serait du spoil, mais Johnny est un personnage complexe, guitariste/chanteur/anarchiste détestant au plus haut point les corporations et surtout Arasaka (ça tombe bien, elle est au cœur de l’intrigue) et qui apparaît régulièrement auprès de V pour lâcher des punchlines magnifiques et surtout l’aider dans sa quête. Et si Keanu Reeves a prêté ses traits et sa voix à Silverhand en version originale, la VF est assurée par Jean-Pierre Michaël, doubleur de Keanu dans la plupart de ses films. — Amaury M, rédacteur chez Gamergen.
Seulement, dans le domaine du jeu de rôle, il n’y a pas vraiment de révolution, malgré une immersion inégalée pour le genre. D’un point de vue game design Cyberpunk 2077, est décrit comme très classique, avec des quêtes de remplissage et des activités en accord avec d’autres jeux en open world du genre. Certains rédacteurs estiment même que cela fait tâche avec les quêtes scénarisées de haute-volée du jeu.
Le jeu comporte néanmoins son lot d’opportunités manquées : malgré un univers très singulier, les activités qu’on peut faire à Night City demeurent assez classiques. Il y a bien quelques idées intéressantes, comme celle des « danses sensorielles » — des espèces de film en réalité virtuelle que le joueur peut analyser couche par couche (visuelle, audio et thermique) pour y trouver des indices —, mais la plupart des missions sont déjà vues et revues. — Julie Le baron, rédactrice chez Numerama
Made in Night City
Les tests saluent les possibilités de personnalisation de V, grâce au choix des implants qui multiplient les opportunités d’approche. Les sensations système de combat sont très bonnes et mises en valeur par un sound design de très bonne qualité. Les armes à feu sont très variées et souvent surprenantes par leur originalité, bien que l’aspect action-RPG dénature un peu le gameplay FPS.
Jouer un assassin silencieux qui se faufile dans le dos de ses ennemis en les aveuglant et en piratant leurs implants, un cyber ninja rapide comme l’éclair qui découpe ses ennemis au katana ou le gros bourrin avec un implant berserk qui tue ses ennemis à mains nues n’a évidemment rien à voir en termes de gameplay, et ce ne sont que quelques exemples parmi des dizaines d’alternatives. En ce point réside certainement la grande force du système de combat de Cyberpunk, il autorise une grande liberté et permet de jouer comme vous l’entendez. — Robin Bouquet, rédacteur chez MGG
Malheureusement, la conduite en voiture en clairement en deçà des attentes :
La conduite auto/moto, par exemple, n’est pas seulement dépourvue de sensations : elle est parfois assez lunaire (littéralement, comme digne d’une gravité lunaire) pour changer les trajets les plus simples en petits chemins de croix dont on se serait largement passé dans une mégapole de ces dimensions. Quand on se met à regretter ce bon vieil Ablette, c’est forcément que quelque chose s’est mal passé quelque part, même si le réseau de points de voyage rapide est heureusement très dense, suffisamment pour limiter la casse au maximum. — Gautoz, rédacteur chez Gamekult
Toutefois, ils sont nombreux à rapporter une interface surchargée, une carte de Night City peu lisible et un inventaire assez confus. Mais ce sont les bugs grotesques en pagaille — surtout visuels — qui risquent de faire grincer pas mal de dents :
Le titre est bardé de bugs divers et variés, et les citer tous reviendrait à faire un véritable inventaire à la Prévert. — Damien Greffet, rédacteur chez JeuxActu.
Comme dit plus haut, le gameplay à la première personne est assez agréable, agrémenté d’une personnalisation engageante. Cependant, que ce soit en infiltration ou en gunfight, l’I.A. ne semble pas être à la hauteur pour répondre correctement aux décisions et actions du joueur :
Il semblerait que décidément, la population de Night City ne soit bien fine puisque le comportement des PnJ en mode agressif pourrait s’avérer comique s’il n’était pas aussi agaçant. Bien des fois, il nous est arrivé de voir l’IA tout simplement planter, les ennemis restant immobiles en dépit de vos tirs. Problématique pour l’immersion, et davantage encore lorsque ce plantage intervient lors d’un combat de boss, qui reste là, comme un poteau et une invitation à simplement vider vos chargeurs pour faire tomber sa barre de vie à 0. — [87], rédacteur chez JeuxVideo.com
Le futur est bugué
Ainsi, la majorité des rédacteurs déplorent un manque de finition flagrant. C’est bel et bien l’aspect le plus décevant du titre qui revient plus régulièrement dans les articles, les multiples reports — devenus des mèmes — ayant justement pour but d’éviter CD Projekt Red de revive l’enfer du lancement de The Witcher 3. À terme, les problèmes devraient se lisser, jusqu’à donner un niveau de finition proche du jeu précédent du studio, mais craquer pour Cyberpunk 2077 tout de suite pourrait ternir votre première expérience.
À l’international, Cyberpunk 2077 est actuellement à 91 sur Metacritic, et la très grande majorité des reviews délivrent des notes dithyrambiques. Toutefois, ils sont un plus nombreux à tenter de modérer les fantasmes qui gravitent autour du jeu depuis un paquet d’années, comme chez PC Gamer et Venture Beats, ou Eurogamer qui a décidé de ne pas apposer son sceau “recommandé/pas recommandé” pour l’instant.
Cyberpunk 2077 rend hommage à ses nombreuses influences et sait immerger le joueur quand le besoin de se fait sentir, avec une narration et des personnages aux petits oignons. CD Projekt Red semble s’être piégé avec sa propre campagne marketing sans retenu et se fait rattraper par la hype, où le moindre défaut est grossi au microscope à balayage électronique.
Le studio polonais risque de travailler (entendre “cruncher”) encore quelques semaines voire mois pour peaufiner son titre. Il faut simplement espérer que les points noirs au tableau ne gâchent pas le plaisir du grand public quand il jettera son dévolu sur Night City, jeudi. La ville dystopique a beaucoup de belles choses à offrir.
Malgré un lancement douloureux, The Witcher 3 est bien devenu le jeu de légende que l’on connaît aujourd’hui.